Politique

Arnaud César Vilette, photographier la manifestation

Depuis plus de cinq ans, Arnaud César Vilette ne rate pas une manifestation et il est un habitué reconnu des cortèges parisiens. Mais loin de vouloir en devenir un personnage, il travaille une voie dans laquelle il aspire à rendre compte des autres.

Le Comptoir : Comme on disait dans certaines organisations, « d’où parles-tu, camarade ? » Peux-tu nous raconter ton parcours en quelques mots ?

Arnaud César Vilette : Je suis issu d’un milieu modeste et non politisé (père ouvrier et mère femme de ménage), j’ai grandi à Bruay-sur-Escaut, en proche banlieue de Valenciennes. J’ai commencé la photographie il y a une dizaine d’années, dans un Club du Pas-de-Calais. Il s’agissait de photographier des paysages, mes vacances, avec, en fin d’année, la traditionnelle exposition.

En arrivant à Paris, en 2018, je me suis inscrit au club de Paris-Val-de-Bièvre, où j’ai été initié aux techniques de studio, notamment l’éclairage. J’ai aussi ouvert un compte Instagram, qui n’avait alors qu’une vocation personnelle. Au début, la seule différence notable suite à mon déménagement a été un intérêt de plus en plus fort pour la photographie de rue.

Paris, France – 2024-07-07 – Soirée électorale du second tour des élections législatives anticipées qui donne la victoire au Nouveau Front Populaire avec une projection de 170 sièges.
Photographie par Arnaud Cesar VILETTE

Comment en es-tu venu à la photographie de manifestations ?

Mes premières manifestations étaient contre la Loi Travail, à Lille. À Paris, je me suis tout de suite intéressé aux manifestations des Gilets jaunes. Au départ, je diffusais un « live » Facebook avec mon téléphone. Mes vues se comptaient sur les doigts d’une main, mais tout ce qui m’intéressait était de garder une trace, comme une sorte de journal personnel.

La bascule a eu lieu en septembre 2019, lors de la Marche pour le climat. Elle s’annonçait bon enfant. Donc, pour la première fois, je me rends à une manifestation avec mon reflex. Et puis, soudain, la manifestation a dégénéré et je me suis retrouvé là, à photographier des affrontements, des explosions de flash-balls… C’était très fort en termes d’adrénaline et ça a été un déclic pour moi, au point qu’en juin dernier je me suis décidé à négocier une rupture conventionnelle avec mon employeur pour devenir photographe à plein temps. Ce n’était de toute façon plus tenable : j’étais de plus en plus souvent obligé de poser des jours de RTT ou congés sans solde pour aller photographier la rue.

Paris, France – 2024-05-27 – Manifestation organisée à Paris Saint Augustin par Urgence Palestine en réaction au bombardement du camp de réfugiés de Rafah la nuit précédente. Le tracé devait mener vers l’ambassade d’Israël mais est repoussé vers la Gare Saint Lazare.
Photographie par Arnaud Cesar VILETTE

Est-ce que tu considères ton travail photographique comme une forme de militantisme ?

Je n’ai jamais été lié à une quelconque organisation dans les manifestations. Plus qu’une photographie militante ou de l’artivisme, je dirais que je fais de la photographie de militants et d’activistes. Évidemment, mes choix de thèmes ne sont pas anodins et relèvent d’une forme d’engagement, de même que mon adhésion au syndicat SNJ-Solidaires. Mais ce n’est pas un engagement qui vise à s’imposer aux autres.

C’est aussi ce qui m’amène à m’intéresser à de nouveaux sujets, par exemple, à aller photographier une soirée électorale LR ou un rassemblement de Génération identitaire. En parallèle, je mène une activité plus classique de photographie événementielle et de portraits. Cela me permet de couvrir mes frais quotidiens.

Même si c’est évidemment informel, quelle est ta place dans les cortèges ?

J’ai été très tôt identifié avec ma tenue de Charlie. La première fois que je l’ai portée, c’était dans un festival de musique, suite à une soirée et un bonnet tricoté par ma mère. Je me suis rendu compte que ce costume me permettait de nouer facilement contact. Dans les manifestations, il me vaut des rapports cordiaux avec les manifestants, qui souvent m’interpellent, comme des selfies avec Poutou ou Hamon. Même les forces de l’ordre s’amusent parfois d’un « J’ai trouvé Charlie ».

« Plus qu’une photographie militante ou de l’artivisme, je dirais que je fais de la photographie de militants et d’activistes. »

2024.02.28 – Paris, France – Un rassemblement s’est tenu à l’appel d’associations féministes pendant que le Sénat débat sur l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Plusieurs députés NUPES étaient présents.
Photo par Arnaud César VILETTE

Quel regard portes-tu sur les évolutions du déroulement des manifestations depuis tes premiers pas ?

Il y a peu d’évolution sur formes de la manifestation. Globalement, on est soit dans la promenade syndicale soit dans l’action coup de poing. La Loi Travail a représenté une bascule. À certains moments, par exemple lors des manifestations contre la loi Sécurité globale, ça gazait de partout. Mais ça s’est un peu calmé ses dernières années et les manifestations contre la réforme des retraites ont été relativement calmes.

En revanche, la répression est devenue beaucoup plus forte et beaucoup plus rapide dès qu’on sort du champ syndical et des parcours déclarés. Déverser du lisier sera accepté si c’est encadré par des organisations officielles. Bloquer un pont ou un lycée donnera tout de suite lieu à nassage, interpellations et garde à vue si c’est spontané ou si cela relève de l’activisme. Dans ces cas-là, la presse ne bénéficie pas nécessairement de protection particulière. On l’a vu lors du Toxic Tour pacifique, qui était prévu cet été Porte Saint-Denis par le collectif Saccage 2024.

Beauvais, 18 novembre 2024 : Les agriculteurs en colère des syndicats FDSEA et Jeunes Agriculteurs de l’Oise mènent une action contre le Mercosur et les normes européennes qui selon eux plombent leur rendement. Ils montent un mur de parpaing devant l’entrée l’antenne de l’OFB de Beauvais (Office Français pour la Biodiversité) qui les oblige à respecter les normes. Ils déversent ensuite du fumier et des pneus devant le bâtiment.
Photographie par Arnaud Cesar VILETTE

Revendiques-tu une démarche artistique ? Qu’est-ce qu’une belle photographie pour toi ?

Je ne sors pas d’une école de photographie. Je suis autodidacte et je suis encore en train de me construire. Globalement, ce qui m’intéresse, c’est de trouver ce qui bouge et de réussir à montrer le mouvement par le cadrage. J’aime aussi capter un regard qui raconte une histoire ou utiliser un regard pour montrer indirectement quelque chose. La photographie de manifestation valorise l’instinct et l’inattendu. Il est difficile d’y appliquer des règles formelles et de trop intellectualiser la prise de vue.

« La répression est devenue beaucoup plus forte et beaucoup plus rapide dès qu’on sort du champ syndical et des parcours déclarés. »

As-tu été inspiré par le travail de certains photographes ?

Il y a évidemment les grands, comme Ronis, Depardon ou, peut-être moins connu du grand public, Jean-Claude Coutausse. Et puis il y a des jeunes qui amènent un regard neuf, comme Bastien Ohier, que je trouve très intéressant. Plus largement, le photographe apporte son regard, mais il se nourrit aussi de celui des autres. Je vais tous les ans à Visa pour l’image et j’essaie d’y trouver des trucs, des idées, des cadrages…

Paris – 5 octobre 2024: Manifestation près d’un an après les attaques du 7 octobre du Hamas et la répression de l’armée israélienne à Gaza et maintenant au Liban. Les manifestants tiennent une bannière pour Gaza.
Photographie par Arnaud Cesar VILETTE

Sur le plan technique et matériel, comment travailles-tu ?

J’ai avec moi un sac de 10 à 15kg avec des reflex numériques, un téléobjectif, un grand-angle, un flash Cobra et un ordinateur portable. J’essaie de soulager mon dos avec un harnais, mais le corps est marqué, y compris les tympans et par des acouphènes. En général, j’arrive assez tôt et je remonte la manifestation à contresens. Selon les circonstances, je rentre chez moi pour faire le traitement des images et leur mise en ligne en fin d’après-midi. Mais si on sait que la manifestation finit dans un lieu photogénique ou qu’il y a des risques d’affrontements, je reste jusqu’au bout.

Quelles sont les relations avec la presse ?

J’ai acquis assez rapidement une légitimité en étant publié aussi bien dans Libération que Le Parisien, Télérama, L’Huma ou Le Nouvel Obs’. Les relations avec les autres photographes peuvent être ponctuellement un peu tendues, quand il faut jouer des coudes pour avoir une bonne place lors d’un événement. Mais ce qui domine, c’est plus l’entraide que la concurrence. On se refile beaucoup d’informations ou de conseils entre collègues.

« La photographie de manifestation valorise l’instinct et l’inattendu. »

Paris – 12 décembre 2024 : Manifestation contre les nombreux plans sociaux dans l’industrie, aux côtés des fonctionnaires contre les coupes budgétaires et des cheminots contre le démantèlement du fret ferroviaire. Photographie par Arnaud Cesar VILETTE

Ressens-tu ce que Romain Huët appelle le « vertige de l’émeute » ?

C’est indéniable. Avec le temps, on apprend à voir venir ce moment. La police se prépare, le Black bloc en face. C’est comme une scène qui se met en place. Malgré cet aspect rituel, l’adrénaline et l’attraction restent très fortes. Il y a ce moment… On ne peut pas en dire plus, d’ailleurs, car on ne sait pas ce qui peut se passer derrière.

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