La chaîne d’informations en continu CNews semble toujours très encline à accueillir les Cassandre en tout genre. Dernièrement, Philippe de Villiers s’est adonné à une analyse du discours du Pape concernant les migrants, où il tance ouvertement l’humanitarisme du chef de l’Église romaine. Malgré ses références historiques foisonnantes, quelque chose cloche : la langue identitaire du marquis tisse des royaumes fantoches où l’aristocrate aime se voir déambuler. Mais sans toucher terre.
Armand Robin, auteur de La Fausse Parole, est célèbre pour ses examens minutieux de la langue totalitaire. Il écrivait à propos de celle-ci : « Des univers géants de mots tournaient en rond, s’emballaient, s’affolaient, sans jamais embrayer sur quoi que ce fût de réel. On était en plein idéalisme au pire sens de ce terme. » Idem pour l’énarque vendéen. Faisons le point.
Hypocrite, ce dernier feint d’être affecté par le sort terrible des migrants en Méditerranée : en effet, il distingue très nettement le sermon du Pape adressé aux Marseillais du discours portant sur la condition tragique des personnes perdues en pleine mer. De Villiers se veut compatissant d’un point de vue individuel, celui du chrétien lié à la « chrétienté » et au « christianisme » (mots pourtant nettement dissemblables), mais non d’un point de vue collectif. En effet, les migrants constitueraient une menace pour la paix et pour « la tranquillité de l’ordre » (Saint Thomas d’Aquin). À la manière de notre président bien aimé, lui aussi épris de cette rengaine, le bien-né savoure le « nom social de la beauté » loué par Abel Bonnard, écrivain contre-révolutionnaire. Nous serions tentés de le questionner : de quel « ordre » parlez-vous ?
La réponse réside dans la suite de son intervention : celui des « petits » qui souffriraient de l’immigration extra-européenne. Le Pape, mondialiste corrompu, se ferait apôtre de la « transhumance » (terme animalier) et du « déracinement », tout en chantant les bienfaits des « criminels » que sont les ONG et les passeurs. Entendez : les blancs de la France périphérique, dénués de toute souillure, risquent d’être envahis et annihilés par les étrangers. Remarquez le caractère insolite du propos : M. De Villiers, très grand Monsieur, s’inquiète du sort des « petits ». Sous le vernis chevaleresque de son discours appert le mépris de classe d’un sang bleu, qui affecte de se soucier du sort de ses ouailles dont il tire sa subsistance. Comment ne pas voir ici un éloge suranné de la belle totalité organique issue du féodalisme, où le Tiers-Etat est relégué aux basses tâches tandis que les maîtres du jeu jouissent de l’otium ?
Puis, une autre ritournelle émane de sa bouche crispée : la nécessité pour les « peuples » d’avoir des « racines ». Ces derniers, s’ils veulent prospérer se doivent de vivre entre « l’humus » et la « lumière », entre la terre et le Ciel. Ces éléments de langage très droitiers renvoient à un imaginaire univoque : l’Homme s’apparente à une plante que nous devons tuteurer au sein d’un milieu dont elle ne peut s’extraire. La terre des ancêtres et l’Église au centre du village, la communauté comme corps où chacun a une place qu’il ne peut quitter. Quid du « rhizome » ? Ne sommes-nous pas au contraires des pousses nomades créatives, libres de mener une existence erratique ? Passons.
En outre, le journaliste questionne l’ancien énarque sur le devoir que nous avons envers nos frères humains, tout en qualifiant l’intervention du Pape d’« humaniste » et d’ « idéaliste ». De Villiers, citant Richelieu, affirme que « certaines vertus privées s’apparentent à des vices publics » : lorsqu’il s’enquiert d’une réponse morale et décente, le grand Monsieur fait appel à la sagesse du bourreau des protestants de la Rochelle (1573). Décidément, l’amour du prochain, c’est à géométrie variable.
Il surenchérit sur « le risque est de devenir étranger dans notre propre pays ». La langue française a le défaut de ne pas rendre compte de la bivalence de ce signifiant : « étranger » sur un plan subjectif (stranger) ou objectif (foreigner) ? La droite, si prompte à rejeter les revendications des opprimés en proie à une « victimisation » putative, verse dans le sentimentalisme : Bernanos dirait d’elle qu’elle a « le cœur dur et la tripe molle ». Si un homme risque le trépas, elle renverra ses adversaires à l’humanitarisme ; si « le peuple » est menacé par certains éléments allogènes, ses affects identitaires resurgiront.
Une langue falsificatrice
Au milieu de ses analyses de fin historien, Philippe de Villiers fait référence à un évènement précis : celui de la visite de Synésius à l’empereur Arcadius en 399. En 410, le sac de Rome a lieu. Ainsi, il s’agit ici d’assimiler (sans mauvais jeu de mots) les migrants à des envahisseurs détruisant tout sur leur passage : par une rhétorique du miroir, De Villiers fait des victimes les bourreaux et vice versa. Évoquant une fois de plus le terme malheureux de transhumance, il brandit la menace d’un déferlement de milliards d’étrangers sur nos côtes : en plus d’être fausse, cette assertion instille des réflexes identitaires à nos concitoyens au détriment de la réflexion.
Ces chocs verbaux jouent sur la peur : « Moi aussi, j’ai le droit de vivre ! » assène notre inénarrable aristocrate. En effet, son édifice conceptuel (si tenté qu’il en soit un) repose sur une alternative primaire, « c’est eux ou nous » : De Villiers évoque les trésors de la France et son « patrimoine » qu’il faudrait maintenir hors de la vue des pillards supposés. Voilà la grande confusion : ce dernier est détenu par quelques oligarques, il n’est en aucun cas la propriété du peuple français. Ce que l’aristocrate veut sauver, ce sont les meubles de famille : à la manière de Charles Maurras, il se sert du christianisme pour œuvrer à la conservation d’un ordre social extrêmement inégalitaire duquel il peut tirer bénéfice. Bonnes pour les pauvres abreuvés de folklore mensonger, ce que le Puy du Fou illustre à merveille, les « orries » (Rimbaud) doivent être préservées, plus généralement c’est la propriété privée que nous devons maintenir en l’état.
Accusant le chef de l’Église de faire une croix sur l’Europe, De Villiers critique, la larme à l’œil, la volonté humaniste du Pape d’accueillir les migrants : une fois de plus, il nous refait le coup des « petites gens » accablées par les vagues d’étrangers risquant de s’abattre sur notre pays. Or, ce travail de « subversion » qu’il brocarde n’existe pas : sa langue viciée évoque une substance inaltérée, « la » France. Parménide du pauvre, métaphysicien à la petite semaine, le sophiste vendéen assène à ses gueux que la source de leurs problèmes réside dans le sous-prolétariat issu de l’immigration et non dans le capitalisme mondialisé qui paupérise tout le monde. L’argent n’a pas d’odeur comme disait l’autre. Cette expression, stricto sensu, ig-noble, révèle une fois de plus la condescendance d’un petit marquis qui s’intéresse aux gens modestes dans la mesure où cela conforte sa position objective de classe.
À cela s’ajoute des considérations politiques de basse intensité : l’empereur Arcadius aurait perdu le « sens commun » propre à son époque, à l’instar de nos élites qui, elles aussi, perdraient le nord. Ah, le bon sens, celui qui serait « la chose la mieux partagée du monde » (Descartes) : vent de bouche, nous pouvons faire dire n’importe quoi à ce dernier. Rejeter l’autre ? Remettre quelqu’un à sa place ? C’est du bon sens nous dira-t-on.
De Villiers dénonce des mœurs de l’Europe contemporaine : jouisseurs, les Européens laisseraient la porte ouverte à « l’invasion migratoire ». À ce propos, un adage romain déclarait « Mourir en s’amusant » ; en effet, les citoyens de l’Antiquité, délaissant les tâches serviles aux Barbares, se seraient affaiblis par leur oisiveté.
« Parménide du pauvre, métaphysicien à la petite semaine, le sophiste vendéen assène à ses gueux que la source de leurs problèmes réside dans le sous-prolétariat issu de l’immigration et non dans le capitalisme mondialisé qui paupérise tout le monde.«
Le démon de l’identité
Excité et habité par une rage qu’il peine à dissimuler, le politique perd ses moyens en écoutant les appels humanitaires du Pape : ce dernier, proche de la théologie de la libération, brise les carcans idéologiques de la droite catholique. Dénonciateur du capitalisme mondialisé qu’il qualifie de « diabolique », favorable à l’ouverture des frontières, sensible aux hommes plutôt qu’aux nations, Jorge Mario Bergoglio a de quoi harasser les grenouilles de bénitier bourgeoises.
En évoquant Marseille, ce dernier a parlé d’une « mosaïque d’espérance » : cette dernière qualifie un art décoratif qui assemble plusieurs motifs. La diversité, loin d’être un mantra naïf d’une gauche simplette, constitue la trame du Monde. Ne voulant pas écraser les autres, le chef de l’Église reconnaît que l’identité est une faribole conceptuelle. Évidemment, les cultures existent, cela est heureux, mais le concept de « Même » contredit l’expérience la plus élémentaire de ce qui nous entoure : l’identité renvoie à ce dernier (idem). Or, d’un point de vue purement ontologique, le Même ne survit pas à l’épreuve des faits. Prenons « la » France chère à De Villiers : cette dernière charrie seulement un segment de réel.
Faisons un peu d’Histoire : la France tire son nom d’un peuple d’envahisseurs, les Francs ; et sa langue comporte plus de mots issus de l’arabe que du gaulois. Jacques Bainville, assez peu suspect de penchant socialiste, écrivait que « La France, c’est mieux qu’une race, c’est une nation ». Le facteur ethnique est relativement étranger aux français : ces derniers restent souvent fils d’immigrés. Parler de « français de souche » revient à tromper un électorat qui s’imaginera autochtone. Or, l’histoire des Spartiates nous le montre, l’autochtonie n’est qu’un mythe destiné à souder un peuple qui demeure irrémédiablement épars. Puisque, de l’effondrement d’une étoile à la formation d’un embryon, la vie est structurellement différence et altérité, parler d’identité revient à plaquer un signe arbitraire sur le réel qui demeure à tout jamais autre que ce qu’il était auparavant. Le présocratique Héraclite ramassait cela en une formule connue de tous : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. »
« La diversité, loin d’être un mantra naïf d’une gauche simplette, constitue la trame du Monde. »
Cette logorrhée verbale de l’aristocrate éploré comporte malgré tout des formules risibles, même si elles sont grotesques ; pensons au « laboratoire du paradis diversitaire », à « l’homme global », ou encore à « l’humanitarisme ». Ce dernier ne renvoie qu’au simple fait d’être charitable. De Villiers ne fait en fin de compte que recycler les fadaises du Figaro : les vertus chrétiennes devenues folles, charité bien ordonnée commence par soi-même, le ciel est bleu et l’eau ça mouille.
Idéaliste, flasque et inconséquente, l’intervention de l’hobereau vendéen trahit une langue déliée de ses référents : à la manière des Sophistes, ce dernier utilise certains mots dans le but de coudre un réel factice au service de ses intérêts. Au moment où la crise migratoire bat son plein, débusquer les mensonges des roquets réactionnaires est un exercice de salubrité publique.
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Tout ce qui vient ou émane de Philippe de Villiers est à vomir ! Je ne comprends pas d’ailleurs pourquoi ce laquais, cireur de pompes des puissants puisse avoir encore une audience…
Tant que nous resterons incapables du moindre discours critique sur l’immigration en raison de cet humanisme hémiplégique, les identitaires haineux continueront à avoir de très beaux jours devant eux…
Monsieur,
Que peut bien vouloir dire « humanisme hémiplégique » ? De quelle immigration parlez-vous ?
Vous versez dans le confusionnisme : l’humanisme de la gauche de gauche n’est pas ce qui fait la prospérité des identitaires. Il ne s’agit pas de se caler sur leurs positions qui, de toute évidence, masquent la réalité sociale.
Que pourrait bien receler votre discours critique de l’immigration ? Serait-il un discours critique sur l’économie de l’immigration ? Sur l’identité dont nous connaissons la nullité conceptuelle ? Tout cela n’est pas clair et votre message ne l’est pas tellement non plus.
Cordialement,
F.L
J’appelle « humanisme hémiplégique » le fait de faire un discours compatissant sur la nécessité d’accueillir les migrants sans prendre en compte la souffrance des autochtones que cela engendre, notamment en terme d’insécurité. Un cas d’école c’est Mayotte, le témoignage d’Estelle Youssoufa est édifiant…
Pour un discours critique « de gauche » contre l’immigration je renvoie à ce qu’a pu écrire André Gérin, ou de façon plus modérée Georges Kuzmanovic (position qui lui a tout de même valu une expulsion de la France insoumise).
«ce n’est pas ce qui entre dans la bouche de l’homme qui est impur mais ce qui en sort» propos de Jésus rapporté par un évangéliste. 0:-)
De même une logorrhée écrite de cosmopolite migrateur et colonisateur éploré confondant érudition et culture, tradition et common decency qui sont socles de toute civilisation est tout aussi risible.
Intrant et temps nécessaire à l’humus, sédentarisme et savoirs autochtones, avoir et pouvoir d’accueillir, ne lui sont que métavers.
Au demeurant elle m’indique que quand je verrais cette appellation « François Luxembourg », l’identité n’étant que faribole conceptuelle, je gagnerais mon temps en passant mon chemin.
« Le Comptoir » s’éloigne des Simone Weil, Jean Claude Michéa ou Orwell peut-être sont-ce anciennes âmes de ce site ?
Monsieur,
Avant de vous aviser de rédiger un commentaire, maîtrisez les belles tournures de phrase : « Que quand » n’est pas très reluisant, j’en suis désolé pour vous..
Quant au fond, il est inintelligible et confusionniste : passez votre chemin, vous faites bien.
Bien cordialement,
F.L
L’autochtonie ne renvoie à rien, vous le savez. Personne n’est « de souche » : prenons l’exemple français. Les gaulois n’étaient pas un peuple uni, et ce sont divers peuples qui ont fait la France. Le fait d’être autochtone est une construction idéologique qui n’embraye sur rien de réel. Je ne dis pas que les immigrés sont tous des saints, mais le fait de rejeter l’immigration est très souvent corrélé à des intérêts de classe.
Quant aux figures que vous citez, elles ne sont pas forcément des exemples : le PCF a eu des discours très ambigus concernant l’immigration et la colonisation. Le fait d’être de gauche n’est pas une garantie d’être juste dans les deux sens du terme.
En somme, ne nous trompons pas de combat, l’internationalisme doit primer sur les querelles de clocher.
Cordialement,
F.L
« L’autochtonie ne renvoie à rien » : allez dire ça aux Amérindiens, aux Palestiniens…
« rejeter l’immigration est très souvent corrélé à des intérêts de classe » : effectivement, cela fait longtemps que le vote ouvrier a massivement migré vers l’extrême-droite. Il faudrait peut-être se poser des questions au bout d’un moment. Jean-Claude Michéa l’a magnifiquement illustré dans ses livres (le dernier vient de sortir, très savoureux).
Continuons à faire l’autruche sur le sujet, les De Villiers et consorts continueront à prospérer. A l’inverse, si vous observez le Danemark par exemple, la gauche y est au pouvoir précisément parce qu’elle a su se remettre en cause alors que l’extrême-droite s’est effondrée aux élections.
L’internationalisme n’est pas la négation des nations, de leurs cultures etc.
L’autochtonie dont vous parlez est une création historique et culturelle, il n’y a pas de peuple intrinsèquement lié à une terre à jamais. Prenez Sparte, l’autochtonie était un mythe destiné à souder les Spartiates, preuve que cela n’allait pas de soi.. Le problème d’un tel discours est qu’il exclue d’emblée les allogènes : hors, la force de la pensée des Lumières européennes a été de placer l’Homme avant son ancrage dans une communauté, « homme en soi, français par accident » (Montesquieu).
Vous dîtes que les ouvriers votent souvent pour « l’extrême-droite » (terme trouble) ; or, vous semblez oublier le vote très bourgeois pour Le Pen et Zemmour (Piketty en parle très bien). Ce vote populaire pour les xénophobes est largement lié à l’effondrement du socialisme réel : sans alternative sociale, nous nous tournons vers les questions identitaires.
Quant au Danemark, vous citez l’exemple d’un parti social-démocrate : la social-démocratie n’a jamais été de gauche, et vous le savez. La gauche de gauche a toujours ferraillé contre les soc-dem. Je n’ai pas nié la diversité des cultures, et le fait d’accueillir des personnes (qui n’arrivent pas par milliards, loin de là, regardez les statistiques..) ne remet pas en cause la culture française.
N’oubliez pas que pointer l’ethnos au détriment du demos, l’identité au détriment du social, a toujours été la porte ouverte à des contre-sens : je pense notamment à certains communistes qui mettent tellement l’accent sur la souveraineté nationale qu’ils finissent par stigmatiser les allogènes vivant dans l’indigence.