Après « Acide », son premier roman publié pour cette rentrée littéraire 2023, Victor Dumiot est de retour avec une pépite littéraire, sa nouvelle « Les petites lèvres », publiée par Zone Critique pour sa toute fraîche collection « Vrilles ». Sa plume, toujours aussi percutante et vive, déshabille cette fois-ci les dessous d’un personnage à la double vie. Et, c’est principalement ce qui est tranchant chez Dumiot : ses personnages ont tout d’ordinaire, et ne cessent de jongler entre le banal et le mystère, ce dernier renfermant souvent de bien sombres secrets.
George travaille dans les assurances le jour, et se transforme en véritable bête de sexe la nuit, notamment dans les forêts environnantes, où il se livre à toutes les jouissances qu’il ne retrouve absolument pas dans son travail. Assoiffé d’ébats en tous genres, un fantasme en particulier l’obsède, et ses pensées tournent autour de la réalisation de cet acte qui doit s’organiser aussi minutieusement qu’un crime : chaque détail compte, chaque risque est calculé. Le passage de ce fantasme à la réalité devient un but que George doit atteindre pour vivre cette petite mort qui frôle la grande faucheuse.
À la première lecture, Victor Dumiot semble presque appeler les fantômes des personnages underground de Johann Zarca. L’ambiance Boss de Boulogne, voire Paname Underground est oppressante, mais un désir irrésistible force le lecteur à poursuivre son chemin dans cet univers qui nous paraît si loin de notre quotidien, tout en étant à quelques pas de nous. L’auteur ravive ces oubliés qui n’ont rien de lisse, tout de décadent, qui évoluent dans l’ombre de notre société ouvrant des brèches dans notre propre perception de l’humain faillible, pervers, violent.
Une violence qui choque, certes, mais qui, à la manière de Sade dans le prologue des Cent Vingt Journées de Sodome, reste un récit « impur », tout simplement explorateur de nos failles humaines, de nos fantasmes les plus crus – et inavouables, de nos fantasmes qui défient notre propre existence, notre mort.
Au désir, à la vie, à la petite mort
Une fois encore, Victor Dumiot nous embarque dans l’esprit d’un homme qui pourrait être nous, dans nos parts les plus inexplorés, intouchables et qui jouit d’être lui. Rien n’est lisse, on ne cherche pas à nous faire avaler la pilule par du miel. Victor Dumiot dérange car il nous met face à nos entrailles par une plume renversante qui absorbe notre regard sur le papier au fil des pages. Si bouleversantes qu’elles soient, nous continuons notre promenade solitaire, sans rêverie, bien évidemment, dans cet enfer où règnent les vices.
C’est cette vérité des personnages, l’authenticité de la plume de l’auteur qui ne vise pas à être nettoyée de sa substance qui nous tranche. L’écriture de Victor Dumiot vient interroger ces étincelles sensibles qu’on préfère nier, vient aussi bouleverser notre façon d’appréhender le sexe dans tout son tabou. On ne peut jouir de ces scènes plus bestiales que sensuelles. Mais, ce n’est pas le but. Le sexe est au centre du récit, mais il ne garde pas ses fonctions premières de reproduction, de jouissance. Bien au contraire, c’est un autre aspect du sexe, dans une réflexion plus sociétale, qui se déploie : dans un monde empli de solitude, où même le sexe devient un acte mécanique, il n’y a plus que l’ombre qui nous ramène à notre propre dualité d’humain.
Victor Dumiot parvient à nous reconnecter à ces questionnements, permettant ainsi au lecteur de lire en les lignes des corps qui se touchent, s’unissent, et aussi, se détruisent.
Nos Desserts :
- Se procurer l’ouvrage de Victor Dumiot sur le site de Zone Critique
- Lire aussi un entretien avec Pierre Poligone : « Il faut déstabiliser le lecteur »
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