Culture

Conrad et Rimbaud, la rencontre improbable

En 1874, âgé de seize ans, Conrad quitte la Pologne pour Marseille. Il y reste quatre ans pour se former comme marin, effectuant de multiples voyages, mais revenant sans cesse durant cette période dans la cité phocéenne, son port d’attache.

Avant son ultime retour en 1891, Rimbaud débarque une première fois à Marseille en 1875. Il a alors dix-neuf ans. Selon certaines sources, il y repasse également en 1877, après avoir déserté de l’Armée des Indes néerlandaises (un épisode particulièrement brumeux dans sa biographie).

Première page de la transcription manuscrite du poème par Paul Verlaine. Département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France.

On ne possède aucune preuve d’une rencontre entre ces deux jeunes hommes. Mais aucune preuve de l’inverse non plus. Et puisqu’ils se sont rencontrés, car il ne peut pas en être autrement, de quoi ont-ils bien pu se parler ? Du voyage comme possibilité de vivre ? Des rivages malais ou de l’Insulinde ? Des secrets de la mer Rouge ? De The Horror ! The Horror ! coloniale ?

Gravement malade, Rimbaud est rapatrié d’Harar à Marseille en 1891. Il décède à La Conception [sic]. En 1890, Conrad est embauché comme capitaine de steamer pour la Société du Haut-Congo. Il démissionne dès le début de l’année 1891 et rentre en Europe. Deux raisons officielles à cela : Conrad est malade et révulsé par ce qu’il découvre sur place et qui suscitera Au cœur des ténèbres. Mais émettons une hypothèse qui ne peut qu’être vraie. Conrad a été averti de l’état de Rimbaud et veut le revoir une dernière fois.

Désormais informés de cette rencontre, pouvons-nous encore lire Au Cœur des ténèbres et sa remontée hallucinée du fleuve-serpent, sans songer au Bateau ivre ? Aux vers de « l’homme aux semelles de vent » qui, dans ces années tragiques, ont dû remonter dans la mémoire de Conrad, douloureuse mais puissante anamnèse, et se sont immiscés dans son roman ?

Descendre des « Fleuves impassibles », être « pris pour cibles » par des « Peaux-Rouges criards », « l’eau verte » qui pénètre la « coque » du navire naufragé, les marchandises coloniales (« blés flamands » et « cotons anglais »), les « marais énormes », les Aubes « navrantes » et les « torpeurs enivrantes »… Tout cela est au cœur d’Au Cœur des ténèbres.

Surtout : « Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir ! » Kurtz, bien sûr !

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1 réponse »

  1. Je n’étais pas au courant de cette synchronicité mais elle ouvre effectivement des possibles évocateurs. Il y aurait là matière à création, le cinéma est souvent trop terre à terre, une pièce de théâtre par contre, pourrait donner une belle rencontre symbolique.

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