Culture

Les ennemis jurés d’Arthur Rimbaud et de Paul Verlaine

Une pétition fut ouverte en septembre 2020, patronnée par une douzaine de ministres, pour demander sérieusement l’entrée conjointe d’Arthur Rimbaud et de Paul Verlaine au Panthéon. Pour le poète et philosophe François Leperlier cette démarche est inqualifiable.

Si l’on considère les nombreuses protestations qui n’ont pas tardé à s’exprimer, on peut juger que la plupart des contre-arguments ont été présentés, avec une diligence dont on ne peut que se féliciter1. La panthéonisation des deux poètes, dont l’œuvre et la vie marquent le plus complet désaveu de ce qu’elle représente, serait autant une bouffonnerie inepte qu’une formidable escroquerie intellectuelle.

Déjà, en 1927, les surréalistes ont dû s’élever contre l’édification d’une statue de Rimbaud à Charleville. À peu de choses près, le réquisitoire, qui met déjà en cause la morale du ressentiment, pourrait être resservi tel quel :

« Il fut toujours contre tout ce qui est, vous faites semblant de l’avoir oublié. N’essayez pas de tricher : vous n’élevez pas une statue à un poète « comme un autre », vous élevez cette statue par rancune, par petitesse, par vengeance. Vous voulez réduire celui qui admirait « le forçat intraitable sur qui se referme toujours le bagne ».

« Le drapeau va au paysage immonde ».

L’hypocrisie étend la hideur de sa main sur les hommes que nous aimons pour les faire servir à la préservation de ce qu’ils ont toujours combattu. « Je ne comprends pas les lois ; je n’ai pas le sens moral, je suis une brute : vous vous trompez ». Permettez ! 23 octobre 1927

Mais, l’entreprise d’aujourd’hui ne vise pas seulement à rendre Rimbaud et Verlaine compatibles avec un monde qu’ils n’ont cessé de rejeter ; elle n’eût certainement jamais germé si elle n’avait été surdéterminée par des motifs et des enjeux d’un autre ordre.

Il s’agit expressément de tirer argument d’un rapport amoureux, et de satisfaire au désir de voir entrer un couple homosexuel au Saint des saints de la République… On en est là ! Au risque de laisser penser que tout le reste n’est que prétexte ou littérature.

On nous sert un roman politiquement correct du temps d’un compagnonnage passionnel que Rimbaud dut fuir. On escamote les rêveries et les conduites hétérosexuelles ou bisexuelles, aussi avérées chez l’un que chez l’autre. On écarte soigneusement la diversité des amours de Verlaine, alternant les femmes et les hommes, porté vers l’orgie, les prostituées, les « galopins aux yeux de tribade », ou les « galopines », on refoule ses tentatives de « féminicide » (!) sur sa mère, puis sur sa femme, qui annonçaient les coups de revolver de Bruxelles contre Rimbaud. Bizarrement, dans l’environnement sinistre et moralisateur que nous vivons, on s’attendrait plutôt à ce que notre cher Verlaine se retrouve dans le collimateur de « balance ton porc » plutôt que dans la crypte du Panthéon !

Mais, il s’agit ici de faire avant tout valoir une cause et non d’établir une vérité. On s’applique à un exercice de déconstruction et de censure, qui ruine le sens et manipule les faits, sur fond de nihilisme intellectuel. Toute contestation, y compris la plus légitime, la plus pertinente, se voit systématiquement mise au compte de l’homophobie ! Chantage intolérable et pitoyable, qui finira par s’user comme le reste. On va même jusqu’à vouloir nous ahurir en prétendant que les opposants à la panthéonisation des poètes révoltés sont rien moins que des suppôts de l’ordre moral ! Ces gens-là, que le ressentiment égare, sont prêts à n’importe quoi !

Depuis quand l’orientation sexuelle est-elle censée fournir un atout décisif pour bénéficier des honneurs (s’ils en sont !) de la République… ? Verra-t-on bientôt s’allonger indéfiniment une liste de grands prétendants où, posée comme un critère, la « foi sexuelle » (Claude Cahun) des uns sera mise en concurrence avec celle des autres ? Il faudra peut-être que certains s’efforcent de surmonter leur sexe pour avoir les idées claires !

En tout cas, s’il y en a un qui se réjouit au cimetière de Charleville, c’est bien Paterne Berrichon ! Voir son beau-frère, absous de ses frasques, devenu bien respectable, encensé par les autorités et les nouveaux donneurs de leçon de morale, le voir faire son entrée en grande pompe au Panthéon, il n’eût jamais osé y songer !

François Leperlier

auteur de Destination de la poésie (édit. Lurlure) et de plusieurs essais sur Claude Cahun

Signataires (dans l’ordre alphabétique)

Patrice Allain

Kim Andringa

Jean-Marc Aubert

Auxeméry

Martine Baert

Jacques Barbaut

Stéphane Batsal

François Beauvy

Anne-Marie Beeckman

Philippe Blondeau

Jean-Marc Bourg

Isabelle Bourgueil

Charles-Mézence Briseul

Jean-Marie Brohm

Daniel Cabanis

Nathalie Caritoux

Francis Carpentier

Jacques Cauda

Jean-Paul Chavent

Ivar Ch’Vavar

Pierre Cohen-Hadria

Vincent Courtois

Carole Darricarrère

Christian Degoutte

Jean-Paul Dekiss

Christian Déquesnes

Dominique Dou

Olivier Engelaere

Daniel Farioli

Tristan Félix

Guy Ferdinande

Bruno Fern

Guy Fontaine

Alain Frontier

Philippe Fumery

Vincent Guillier

Tristan Hordé

François Huglo

Dominique Ivart

Philippe Jaffeux

Marc Jimenez

Alain Joubert

Mathieu Jung

Eiko Kuki

Antoine Leperlier

François Leperlier

Patrick Lepetit

Pierre Le Pillouër

Véronique Loret

Antoine Maine

Marie-Christine Menu

Stéphane Mirambeau

Martine Monteau

Bernard Noël

Fabien Ollier

F.J. Ossang

Alexandre Pierrepont

Anne-Marie Poucet

Andoche Praudel

Christian Prigent

Dominique Rabourdin

Laurent Robert

Alain Roussel

Georges Sebbag

Monique Sebbag

Julien Starck

Lucien Suel

Christine Texier

Didier Trumeau

Jehan Van Lenghenhoven

Claude Vercey

Notes

1 Entre autres, A. Borer (La Croix, 15 septembre 2020), N. MP Meyer (Contrepoints, 14 septembre 2020), Collectif, Le Monde (18 sepembre 2020), L. Rabouille (Causeur, 19 septembre 2020), Vivian Petit (Lundi matin, 29 septembre 2020 ) Christian Rioux (Le Devoir, 24 septembre 2020), D. Saint-Amand (Libération, 16 septembre 2020), J.-L. Steinmetz (L’humanité, 25 septembre 2020), Pierre Jourde (22 septembre 2020), et la tribune de Dominique de Villepin (Le Monde , 3 octobre 2020)

Catégories :Culture

2 réponses »

  1. J’ai soutenu d’autres pétitions partageant un point de vue identique sur ce sujet. Je signerai aussi à celle-ci si c’est encore possible. Pourriez-vous me le préciser et dans ce cas, comment faire ? Merci d’avance A Z

  2. Encore une querelle de bidets et de bidasses…L’armée sombre et fasciste couvre son avancée avec de dérisoires feux d’artifices qui font sauter les trampolines des chaines de désinfo continue. Pdt ce temps, la misère explose, le découragement étouffe la Gauche.
    Laissons-leur les figures, les corps. N’entrons pas dans ce panthéon du grotesque. Ce qui compte pour nous poètes, artistes, créateurs de tous bords, de tous genres, c’est l’oeuvre. De Céline, de Genet, de Verlaine comme de Rimbaud. C’est ça qui compte, leur liberté en textes.
    Comme dit l’auteur, l’époque est pudibonde, d’une dégeulasse pudibonderie, qui vise à aligner, formater, confondre tout. A commencer par la création et la vie ordinaire d’un auteur. Tout le monde sait que l’oeuvre dépasse, distend, vise l’univers et tout ce qu’il contient, tandis que la vie de celui qui tient le clavier n’est qu’une dans une société au présent.
    Et même des universitaires alimente cette confusion autoritaire de l’auteur et de l’oeuvre, comme Gisèle Sapiro depuis des années. C’est un mauvais porté aux créateurs, il ouvre la voie, la voix à la panthéonisation, évidemment.
    Mais le pire, peut-être, dans ce simulacre de querelle, c’est que « l’honneur », la « vertu » se voient défendues par de bien mauvais soutiens, comme Villepin qui n’a cessé de transformer les textes des poètes en expressions figées, en allégresses de sous-préfet aux champs.

    Verlaine et Rimbaud on produit un bouleversement, une révolution littéraire. Que leur existence aient accompagné ce qu’ils ont libéré n’a que peu d’importance, comme de peu d’importance est le fait que le Capital ait été l’oeuvre de Marx.

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