Fiction / Récit

[Micro-fictions] La fin de règne d’Elon Musk

Elon sortit du bureau ovale de la Maison Blanche. La réunion avait été longue et difficile. Il n’avait qu’une envie : sortir du bâtiment, prendre l’air et rentrer chez lui. Sa montre intelligente affichait déjà 23h17 et son habitation était à environ 40 Km. Dès qu’il put humecter l’air frais, il se sentit mieux. Il observa alors le ciel étoilé : il y vit les satellites de sa société Starlink. Il éprouva à ce moment précis un sentiment de toute-puissance : il avait conquis, symboliquement, Ciel et Terre. Rien ne se refusait à lui.

Mais son esprit exalté fut intrigué par un phénomène étrange : dans ce même ciel, il vit deux objets difficilement identifiables, qui s’approchaient de lui. « What the hell is that ? » s’exclama-t-il. Immédiatement, son service d’ordre, composé de cinq hommes, sauta sur lui pour le couvrir. Ils dirigèrent alors leur revolver, assez maladroitement, vers le ciel. Elon leur dit d’arrêter. Il voulait revoir, plus distinctement, les deux objets.

Il réussit à sortir la tête du bouclier humain constitué par son service d’ordre et reconnut immédiatement deux drones. Ces deux drones avaient été produits par sa société Neuralink et portaient le nom de modèle KU-327-AB. Il pensa, immédiatement, que Neuralink les testait. Et quel meilleur test que celui de faire un vol de reconnaissance auprès du PDG, en le prenant par surprise. Elon était friand de ces surprises. Certaines lui avaient profondément déplu et avaient conduit au licenciement immédiat de certains employés. Depuis, une agence de relations publiques, spécialement dédiée à la communication avec Elon, avait été créé pour l’informer, avec efficacité et créativité, de l’activité de ses différentes entreprises. Il dit « This is fine » à son service d’ordre et leur adressa un rire goguenard. Puis, il fit un signe de salutation aux deux drones, en imaginant son équipe derrière la caméra.

Elon avait faim et ordonna au chauffeur de l’amener au supermarché voisin. Celui-ci était sur le chemin de retour à son domicile. Quelques kilomètres plus loin, son service d’ordre fit fermer le supermarché à la clientèle. Elon rentra dans le magasin avec trois de ses hommes et acheta une bouteille de Coca Cola et une pizza surgelée. À la caisse, il pensa que le nouveau produit de Neuralink était tout simplement génial : après la production d’implants neuraux pour des personnes handicapés, la société fabriquait dorénavant les mêmes implants pour l’armée américaine afin de contrôler, à distance, des drones. La solution complète – de l’implant au drone – avait été vendue comme « miraculeuse » : plus besoin d’assumer politiquement la mort de G.I.s à l’autre bout du monde… Avec sa nomination à la tête du nouveau département fédéral de l’ « efficacité gouvernementale », le cours de Neuralink s’était envolé sur les marchés financiers, lui permettant de développer le produit en question. Dans le même temps, sa relation de proximité avec le Président Donald Trump avait facilité l’obtention du contrat avec l’armée américaine, malgré les protestations des Démocrates.

En sortant du supermarché, quelle ne fut pas sa surprise de voir, encore, les deux mêmes drones qui l’attendaient et l’observaient. Il pensa que les blagues les plus courtes sont les meilleures…. Il voulu appeler le directeur de son agence de relations publiques pour le licencier sur le champ. Mais il était fatigué : cette réunion à la Maison Blanche avait été éprouvante ; il voulait rentrer chez lui pour dormir. Il ordonna au chauffeur de continuer la route pour se rendre à son domicile. Dans son véhicule, il fit, avec son téléphone portable, un tour sur X. Il vit les réactions à son dernier tweet sur les coupes budgétaires et lu les réactions indignées. Cela ne l’amusait plus. Il baissa la vitre latérale droite de l’arrière de sa voiture et vit les deux drones KU-327-AB qui le suivaient. Ils arrivaient à adapter leur vitesse à celle du véhicule. Ils avaient tous deux comme un seul œil et, en les regardant de plus près, il commença à sérieusement douter : ces drones n’avaient pas été envoyés par Neuralink. Mais par qui alors ?

En sortant de la voiture à son domicile, ils avaient disparu. Il rentra chez lui. Shivon, sa compagne, était déjà couchée. Il fit le moins de bruit possible pour ne pas réveiller les enfants. Il mit la pizza au four et le service d’ordre passa en mode nuit avec une garde postée pour trois d’entre eux. En regardant à travers la fenêtre de la cuisine, il revit les deux drones. C’est à ce moment précis qu’il prit, véritablement, peur.

Son réflexe fut d’appeler la police. Mais l’agent au téléphone n’arrivait pas à croire qu’il parlait à Elon Musk. Et, qui plus est, à un Elon Musk en difficulté avec deux drones. À chaque relance par Elon, le policier éclatait de rire. L’agent avait mis l’appel sur haut-parleur pour le partager avec ses collègues. Des rires fusaient de tous les côtés du centre d’appel de la station de police. Elon se dit qu’il devrait également procéder à une cure d’austérité au sein de la police.  

Son exercice matinal de méditation était bien loin. Pour se calmer, il repensa à son lieu « totem », un bout de savane en Afrique du Sud, qu’il chérissait, enfant. Et il prit, dans ses bras, la peluche de l’un de ses enfants. Mais l’anxiété ne faisait que monter. Il s’avança vers l’un des hommes de son service d’ordre et lui dit qu’il fallait prendre le métro. Son idée n’était pas, forcément, bête : les drones étaient dans le ciel et, en allant sous terre, ils le laisseraient tranquilles. Cela demandait de refaire de la route vers Washington mais le service d’ordre était habitué aux soubresauts de leur boss.

Sur la route, il repensa à cette réunion au bureau ovale de la Maison Blanche. L’atmosphère y avait été électrique car Donald Trump était de très mauvaise humeur. Il se rappela de quelques bribes de phrases prononcées par le Président : « This is shit ! », « When I hear you people speaking, I just wanna bang my head against the walls !”. En rentrant dans le métro de Washington, Elon ressenti un fort sentiment d’apaisement. Mais une fois sur la rame, il comprit la limite de son idée : il n’allait pas rester ici toute la nuit. Des usagers du métro le prenaient déjà en photo. Il dit à son service d’ordre qu’il allait ressortir à la station « Abraham Lincoln » pour qu’ils l’attendent avec son véhicule, sur place.

Le trajet en métro, pour le fondateur de Tesla, fut extrêmement exotique. Il ne se rappelait pas avoir pris le métro une seule fois dans sa vie. Il fut captivé par l’ingénierie du métro et imaginait toute la machinerie, derrière. Il savait que le métro à traction électrique existait depuis 1892. Et il existe encore aujourd’hui, dans toutes les capitales du monde. Est-ce que ses voitures électriques allaient connaître la même destinée ? Il connaissait une partie de la réponse : tout dépendra du duel qu’il mènera contre les voitures chinoises fonctionnant à l’hydrogène.

En sortant à la station « Abraham Lincoln », il prit l’escalator et eu cette étrange sensation d’avoir été digéré par les tréfonds de la terre. Comme lors de sa sortie de la Maison Blanche, il était heureux de sortir, prendre l’air. À la sortie de l’escalator, il fut interloqué : les deux drones KU-327-AB étaient là, en train de le regarder à quelques mètres de lui. Leur seul œil était encore plus intrigant.

Elon était, tout de même, moins anxieux. En fait, il n’était plus fatigué : il était très fatigué. Il faut dire que sa montre intelligente indiquait 2h03. Il ordonna au chauffeur de le reconduire chez lui. Sur la route, il tomba dans un semi-état d’endormissement : son esprit commençait à divaguer et il revoyait Donald Trump renverser, d’un geste de la main droite, des piles de dossiers, qui étaient sur son bureau. Il savait ce qui avait provoqué cet excès de colère. Mais ses songes l’amenaient vers d’autre horizons : l’un des deux drones avait pris la tête de la petite-fille de Trump, Kai. Et il dansait dans la nuit…

En arrivant chez lui, lorsqu’il tira les rideaux de sa chambre avant de se coucher, il vit que les drones étaient toujours là. Il commençait à s’habituer à leur présence. Et il s’endormit, exténué, dans son lit.

Le matin, lorsqu’il se réveilla à 6h00, les deux drones étaient toujours là quand il ouvrit les rideaux. Il descendit l’escalier pour se diriger vers la cuisine. Au petit déjeuner, il repensa à la réunion de la veille : elle avait marqué un tournant dans les relations entre lui et Donald Trump. Cela faisait quelques mois que de petits conflits les avaient opposés mais Elon avait été, pensait-il, constructif. Un de ses conseillers politiques l’avait averti de la nécessité de toujours proposer une solution après un désaccord ; idéalement : un compromis. Et de jouer sur la fascination réciproque que l’un avait pour l’autre. Finalement, les deux se ressemblaient beaucoup : ils avaient conquis la politique en étant, avant tout, des business men. Ils étaient adulés par des millions de personnes. Et pas uniquement aux États-Unis. 

Mais Elon avait tweeté, la veille, contre Donald Trump en critiquant la nouvelle politique protectionniste qu’il voulait mettre en place pour l’industrie américaine. Son libertarisme avait réagi au quart de tour : « Is Donald Trump a communist ? ». Il avait supprimé, ensuite, son tweet mais quelques milliers de followers, parmi les deux cent millions de personnes qui le suivent, s’étaient empressés de faire une copie d’écran. C’était peut-être ça le problème : Elon était trop libre et s’adressait au Président américain, d’égal à égal, en se permettant l’impardonnable en politique : critiquer, trahir le chef, en public. Il commençait sérieusement à regretter son saut en politique. Même si son business avait explosé depuis sa nomination, il était de plus en plus fatigué, épuisé : il n’arrivait plus à jongler entre sa nouvelle activité politique et ses multiples entreprises. Sa vie privée commençait, aussi, à péricliter : il avait lancé ses détectives privés pour surveiller sa femme. Il ne la suspectait pas d’adultère, non. Mais il trouvait qu’elle lui posait beaucoup trop de questions politiques, depuis quelques temps…

Il eut une idée : ouvrir toutes les fenêtres de la maison pour faire rentrer les deux drones et les détruire. Ni une, ni deux, il s’exécuta. À peine avait-il ouvert les fenêtres du salon que les deux borgnes rentrèrent. Ils émettaient un léger bruit, comme des gros moustiques. Il leur cria : « Do you want to see my little friend ?”. Puis, il dégaina le revolver de sa poche gauche et tira une dizaine de balles dans leur direction. Ils tombèrent en morceaux. Immédiatement, des cris d’enfant retentirent dans la maison. Shivon, sa compagne, descendit en pleurs et demanda à Elon ce qu’il s’était passé. Elon, le révolver encore chaud à la main, était comme subjugué par la violence qu’il venait de commettre. Il était heureux car il avait, enfin, résolu le « problème des drones » sur sa to do list qui s’était réduite, depuis maintenant plusieurs heures, à cette seule et unique tâche. Il tomba dans les pommes, un rictus au coin de la bouche…

À son réveil, sur son lit d’hôpital, il vit sa femme et ses enfants. Il se redressa et regarda au loin de la fenêtre : deux nouveaux drones l’observaient. Ils étaient revenus. Comment était-ce possible ? L’un des deux drones s’avança vers lui et il le fit rentrer, calmement, dans la chambre, en ouvrant la fenêtre. Des brides de mots sortaient de la machine et Elon reconnut immédiatement la voix de Donald Trump.  Il entendit, alors distinctement, le message enregistré en boucle par le Président des États-Unis : « Elon, you are FI-RED ! ».

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