Culture

Lebron James : créature de la société de consommation

Au lendemain des NBA Finals, qui ont vu gagner les Golden State Warriors face aux Cleveland Cavaliers et leur « King » Lebron James, revenons sur les changements subis par le basket-ball, sur le traitement de ses stars, qui nous offrent un bel exemple de ce que le capitalisme peut pourrir et tuer. En modifiant ses règles, en glorifiant les individualités au détriment du collectif, en privilégiant la force sur la technique, le basket est désormais à l’image de notre société moderne : un éloge de l’immédiateté, de la primauté de la quantité sur la qualité. En bref, un basket fast-food.

Du jazz du basket à la pop music

Lebron James remercie ses collègues pour la victoire.

Lebron James remercie ses collègues pour la victoire.

Il faut l’avouer, le basket-ball n’a jamais été un sport tout à fait collectif. Les individualités y règnent en maître depuis ses débuts. Autrefois pourtant, le basket était souvent rapproché d’un style musical issu des couches populaires. À la fois rythmé, harmonieux, virtuose, le basket, comme le jazz, faisait la part belle à la complicité des joueurs et aux capacités d’improvisation. Difficile d’en dire autant aujourd’hui : s’il y a encore quelques équipes collectives, comme les victorieux Warriors ou les Celtics de Boston, la plupart sont désormais structurées autour d’une superstar. Le reste de l’équipe joue dans l’ombre, ne servant plus qu’à défendre et prendre les rebonds.

Le basket ne se joue désormais plus à cinq mais à deux. Là où les équipes européennes se préoccupaient encore de système de jeu à 5 et de rotation, la NBA avait déjà opté depuis Jordan pour le jeu en triangle. Depuis, la situation a empiré. Le jeu de la plupart des équipes se structure autour d’un écran puis un drive, beaucoup d’actions sont réalisées sans même que le ballon soit passé entre deux mains. Le temps du jazz, de ses enchaînements, de sa complicité est révolu. Il ne reste plus que le solo, sans virtuosité. Ainsi, le basket est aujourd’hui beaucoup plus proche de la pop music américaine. Une méga-star en paillettes au centre des attentions, une myriade de faire-valoir inutiles, une musique rapide avec des basses qui vous tapent dans les tripes, et aucun contraste, aucun changement de rythme, aucun génie. Bref : ennuyant.

Avant, deux légendes du Basket pouvaient se marrer ensemble sans protège-dent en plein match.

Avant, deux légendes du basket pouvaient se marrer ensemble sans protège-dents en plein match.

L’intensité physique du basket n’a cessé d’évoluer au fil du temps. Les grandes tailles de plus 2 m se déplacent désormais comme des joueurs d’1,80 m. Mais cette évolution n’aurait eu que peu d’effets sur la qualité du sport si les instances dirigeantes n’avaient pas fait évoluer les règles en faveur de l’impact physique sur le cours des rencontres.

C’est ainsi qu’une atroce « zone de non-charge » a été inventée. Une zone de non-droit sous le cercle dans laquelle l’attaquant a le droit de commettre des fautes offensives comme le passage en force. Le jeu individuel ne s’en est trouvé que plus spectaculaire. Cela a aussi pu avantager les petites tailles, qui peuvent désormais se permettre de pénétrer dans la raquette sans craindre les « tourelles » défensives. Ce passe-droit presque unique dans l’histoire des sports détruit le basket-ball. Il avantage les joueurs physiques sur les joueurs techniques. Il pousse les tactiques de jeu à être rapides, violentes et directes. Fini la finesse, la ruse et la beauté des gestes maîtrisés. Il reste la vitesse, l’impact et le peu d’acrobatie… d’un seul joueur. C’est le règne de l’immédiateté, du basket fast-food.

Le Basket moderne

Le basket moderne.

Lebron James est la quintessence du joueur taillé physiquement et mentalement pour réussir dans cet environnement. Individualiste, physique et adroit, il ne mérite pourtant pas son surnom de « King », même s’il se déclare lui-même « meilleur joueur du monde », là où un Jordan avait encore l’humilité de le contester. Il préfère tout miser sur ses capacités pour gagner, que rechercher une solution collective. La morale aura finalement eu gain de cause en envoyant Stephen Curry des Warriors sur le trône à sa place. Après tout, un « King » n’est pas un berserk solitaire, c’est un leader.

Un sport devenu cynique

Les modifications apportées au basket, son changement de nature, rappellent les évolutions récentes de nos sociétés modernes. Il faut de nos jours tout sacrifier aux gains rapides sans lendemain. Tant pis pour la construction, le développement durable et les autres individus. Le basket, comme la société, est devenu cynique. Il faut en mettre plein les yeux et les poches, quitte à tout détruire.

Cette zone de non-droit sous le panier nous rappelle ces autres endroits plein de vices que sont les cercles de l’élite, là où tout est permis, là où la loi, la morale et l’éthique s’arrêtent. Les puissants ont désormais la permission d’écraser en toute impunité, de blesser moralement et physiquement leurs adversaires. Ces zones, on les retrouve dans la finance mais aussi dans les organes de pouvoirs nationaux comme lorsque le président Nicolas Sarkozy bafoue les règles de la démocratie pour valider le traité européen de 2005 en sous-main, ou encore quand le Premier ministre Manuel Valls utilise l’article 49.3 pour imposer un cortège de lois contestées atteignant gravement le droit du travail. La structure des nations modernes organise la société en concentrant les pouvoirs en de moins en moins de mains, toujours plus puissantes et riches.

Ainsi Lebron James peut afficher un scoring de fou furieux à plus de 40 points, privant d’autant de possibilités ses coéquipiers. Ceux-ci ne servent plus qu’à le gaver de ballons jusqu’à l’écœurement. Mais ce style de jeu est destructeur. Après l’ultime défaite, la star de Cleveland se plaignait de l’absence sur blessure de trois coéquipiers majeurs. « La faute à pas de chance », dit-il. Bravo pour l’autocritique ! À aucun moment, il ne serait venu à l’idée du « King » de remettre en question son jeu, de chercher à comprendre comment il influençait négativement les décisions de coaching. Les Cavs avaient adopté cette saison un jeu d’impact, rapide et sans fioriture. Mais tout le monde n’a pas le physique de Lebron James et le reste de l’équipe n’a pas tenu la distance.

L’analogie est parfaite entre le jeu de Cleveland et le néo-libéralisme. Un culte de l’individu, de l’immédiateté et une absence complète de recul devant l’échec. Les problèmes, ce sont les joueurs blessés, pas le style de jeu (qui les blesse), ce sont les incompétents chômeurs qui ne veulent pas travailler, les Smicards qui ne veulent pas se former, les immigrés qui ne veulent pas s’intégrer, et non ce terrible marché de l’humain mondialisé qui broie les hommes comme une machine. Les puissants modifient les règles à leur convenance, se gavent de richesses et se mettent en colère contre le reste du monde lorsque celui-ci déraille.

Stephen Curry (à gauche) pense à saluer un de ses coéquipiers

Stephen Curry (à gauche) pense à saluer un de ses coéquipiers.

Il y aurait beaucoup à dire sur le basket flambeur que développe Stephen Curry chez les Warriors, mais au moins pense-t-il à fournir ses équipiers en ballons, quelquefois avec virtuosité. Leur récente victoire face à Cleveland devrait servir de leçon à nos élites et notamment à notre cher ministre de l’Économie Emmanuel Macron, qui déclamait : « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires. » Macron veut une société de Lebron James, violente, rapide et sans lendemain, gouvernée par une armée de mercenaires, comme lui. Préférons celle d’un Michael Jordan qui offre le ballon de la victoire au très effacé et presque inconnu à l’époque Steve Kerr (actuel coach des Warriors).

Le basket comme la société ne sera pas sauvé tant qu’il faudra y jouer avec des protège-dents.

Nos Desserts :

Catégories :Culture

9 réponses »

  1. Gros, énorme, gigantesque bémol: plutôt que de dire « basket » tout du long, il faut dire « basket NBA ». Le pire c’est que tu en es conscient puisque tu le dis toi-même, le basket européen est très, très différent de ce point de vue là.
    Tout à fait d’accord avec toi, donc, mais ATTENTION à ne pas réduire le basket à la seule NBA – tout en restant conscient que certaines équipes européennes ont tendance par séquence à s’américaniser de ce point de vue là, mais ça reste très rare, marginal… et en général, ça ne gagne pas.

    • Bien sûr, tout à fait d’accord ! Mais comme en Europe on a tendance à copier sur l’oncle Sam, je me méfie.

  2. Je viens un peu tard mais permet moi d’exprimer ma propre opinion quant à ton discours. Tout d’abord, je suis d’accord avec toi, le collectif n’est plus le même qu’à ses débuts, néanmoins la naissance de joueurs stars de leurs équipe s’est fait par la force des choses. Et celà existe depuis de nombreuses années, c’était juste bien moins répandu à l’époque. Néanmoins je peux quand même te citer un grand nom : Wilt Chamberlain … Qui d’après mes souvenirs ne jouait pas tant le collectif non plus ( Bon d’accord vu son poste c’est difficile … N’empêche que je joue le même poste et j’arrive tout de même à trouver des coéquipiers démarqués ).

    Pour en revenir à LeBron, certes, c’est la star de Cleveland, mais aussi le meilleur passeur de l’équipe. Au contraire parmi toutes les stars je trouve que c’est le plus altruiste, et on parlerait pas tant de sa vision de jeu s’il était si individualiste. Il faut juste voir un match pour le comprendre, il dicte le tempo du match, quand il est sur le terrain les Cavs scorent, font tourner le ballon, crééent des espaces. A l’inverse le peu de temps de jeu où il n’est pas sur le terrain, les joueurs ne bougent pas, ratent leurs passes et leurs shoots. Il a un poids bien plus important dans le jeu que les superstars de ces dernières années.

    Pour finir, sa déclaration « I’m confident because I’m the best player in the world » … Certains diront qu’il n’est pas humble, moi je dirai plutôt que de dire le contraire serait de la fausse modestie, car on sait tous à l’heure actuelle que c’est le meilleur joueur du monde et par là j’entends que c’est le joueur qui contribue le plus à la victoire de son équipe.

    • Je suis surtout très déçu de l’évolution de Lebron. Il aurait pu être hyper original dans son post d’origine (small forward). Puis les Cav’s lui ont fait prendre je ne sais combien de kg de muscle et en ont fait un bœuf à hormones. Alors oui, son incroyable qualité de lecture de jeu transpire de son talent d’origine mais il aurait pu être tellement plus. L’article a aussi un an et l’année dernière avant d’écrire ce billet j’avais compté (sur quelques matchs de play-off) le nombre d’action ayant eu 2 passes avant la marque. Pour les Cav’s, c’était inférieur à 10 sur un match…

      • En effet, je suis entièrement d’accord … Son déclin physique actuel ( marqué par sa maladresse au shoot ) est la cause de son « bulk-up » et aujourd’hui chez tous les jeunes joueurs c’est la norme, alors qu’à l’époque, à son entrée dans la ligue, il avait déjà un physique très imposant qui lui permettait déjà de faire face aux plus grands noms.

        Certes l’article a un an mais le contexte l’année dernière n’était pas le même non plus, Cleveland subissait l’absence de ses joueurs majeurs au fil des play-off en raison de blessures ( notamment merci à Olynyk pour sa faute pas du tout flagrante au passage ). LeBron devait assurer la marque avec beaucoup plus de joueurs du banc, des joueurs inexpérimentés pour un tel niveau en play-off. Il a donc joué beaucoup plus individualiste, et je continue à penser qu’il avait bien raison, ils ont bien réussi à gagner 2 matchs face à GS et ils menaient même 2 – 1 à ce moment là. Et je pense qu’une grande partie des actions que t’as compté faisait référence à Smith car il est vrai et même encore maintenant, qu’il n’attend pas avant de prendre un shoot, c’est un joueur impulsif, et l’année dernière cela a porté préjudice aux Cavs, cette année il a rééquilibré sa réussite au fil des derniers matchs.

        Mais ce qui m’a surtout marqué c’est les statistiques de LeBron en final, pour un joueur qui joue de façon altruiste, il a montré qu’il savait aussi excellé au niveau individuel en présentant des statistiques herculéennes ( 35,8 pts 13,3 rebonds et 8,8 passes décisives ). Certes je ne me voile pas la face non plus, je me souviens aussi de son taux de réussite au shoot avoisinant seulement les 40%.

        Maintenant, j’ai l’impression qu’il a un peu perdu l’amour du jeu, quand il jouait avec Wade je trouvais qu’il y avait une véritable alchimie entre ces deux joueurs et je ne retrouve pas ce schéma avec Irving.

        Finalement, même si ton article a un an, certaines choses restent vraies, d’autres l’ont été et je suis d’accord mais sur la globalité de sa carrière LeBron a toujours été un joueur très altruiste et un excellent scoreur. Je respecte toutefois toutes les opinions, je défends juste la mienne

        Je trouve juste que c’est anormal une si vaste communauté de haters de LeBron. On y trouve de tout, ceux qui n’ont presque jamais regardé ses matchs, ceux qui ont peur qu’il détrône MJ, ceux qui sont simplement jaloux. Et j’ai toujours trouvé que ca n’avait pas de sens. Personnellement, j’admire les deux que ce soit MJ ou LeBron. Bien sur je ne te vise pas avec ces propos et au passage l’article est très bien écrit et on sent bien que toi, au moins, tu maîtrises ton sujet.

        ( Désolé j’ai un peu débordé du sujet )

  3. Je tombe seulement maintenant sur cet article, par hasard , un an après sa parution … ( deja pour le début de l’article tu pourra changer un peu sur Lebron James .. et oui… il a eu sa bague … … c’est un king ! … ça fait mal ?

    Je comprend tout a fait ta façon de penser … du moins le cheminement mais … tu as crée LE basket ? TU sais comment le monde l’aime ? TU deteste le modèle à l’americaine ? pourquoi prendre tout le temps a bien suivre la vie de ces stars sous le joug des illuminatis de la NBA ou des USA , au lieux de t’interrésser a tes stars d’ici , tes équipes d’ici , tes systèmes de jeu d’ici  »

    moi comme beaucoup d’autres aimons ce Basket NBA et je pense que cette année avec la derniere est le meilleur exemple que tu as completement tort … en 2 ans deux équipes au style complètement different sont championnes mais se retrouvent en finale quand même pendant ces 2 ans …

    Au lieu d’aller cracher sur les Etats unis tel un haineux attaquant sans réflechir , regarde la passion qu’il y a derriere ce basket … toi même tu l’a !! vu que tu dois la suivre encore beaucoup pour écrire dessus…

    Oui il y a beaucoup de com, de marketing derrière ET ALORS ??? aujourd’hui ça marche mais tu est assez grand pour prendre ce qu’il y a a prendre sans en être une victime … tu serais a la place d’adam silver , tu aurais toutes ces opportunités tu ne les saisirai pas ? evidemment que oui , alors oui il faut denoncer les abus mais ne pas englober que tout est nul dans le basket !

    Toi globalise pour certains dépassements alors que tu cherche une « vérité »

    et le pire c’est que tu dois JE suis SUR connaitre mieux le monde NBA que le basket en France …

  4. Ancien amateur de basket-ball, j’ai depuis quelques années découvert le korfbal. Ce sport d’origine néerlandaise (pour lequel il s’agit aussi de marquer des paniers) remet le jeu collectif au centre de l’action, rien ne peut se faire sans une équipe construite. Sans oublier qu’il est mixte et que l’on peut y jouer « protège-dents ». Je vous invite à vous y intéresser.

Répondre à lexneznam Annuler la réponse.

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s