Récemment, le maire de Beausset dans le Var a fait la Une des rubriques “Faits divers” en relatant les plaintes de touristes concernant le chant des cigales. Chant du coq, cloche du village ou cloches des vaches, tracteurs bruyants… Le citadin à la campagne semble frustré de ne pas trouver le silencieux et paisible fond d’écran de son PC. Ceci étant dit, renvoyer l’urbain à sa bêtise, bien que cela puisse être jouissif, est facile et omet peut-être un questionnement plus profond. Pour bien attaquer la rentrée, Le Comptoir vous propose ainsi de vous garder des jugements hâtifs et de regarder plus loin que ce que les médias pointent de leur doigt bien-pensant.
« Dans la représentation imaginaire, la campagne est verdoyante, les forêts sont claires et les vaches ont des cloches. Dans la réalité, les jachères sont sèches, les forêts sont remplies de ronces par manque d’entretien et les vaches n’ont des cloches que l’été en pleine montagne. »
À 90 décibels, le chant des cigales (appelé par les scientifiques “stridulation”) produit autant de volume sonore qu’une tondeuse à gazon. Ce que l’on sait moins, c’est que lesdites cigales augmentent en nombre avec la chaleur et cette même chaleur les poussent à chanter encore plus. Le dérèglement climatique et la canicule rendent donc le sud de la France réellement plus bruyant.
De plus, la cigale aime particulièrement le soleil et préfère donc se dorer la membrane en haut des arbres. Quand elle se perche en haut d’un platane, elle peut sembler relativement loin de nos oreilles. Mais quand elle se perche sur de plus petits arbres comme les pins, on ne l’entend que plus. Or avec le tourisme de masse et la bétonisation rampante, les campings pour vacanciers en recherche de “vert” fleurissent en plein milieu des pinèdes.
Des personnes certainement éprouvées par un quotidien stressant, ayant du mal à dormir à cause de la canicule, se retrouvent avec une dizaine de tondeuses à gazon cigales autour de leur bungalow surchauffé. De quoi péter un câble, non ?
Folklore et tradition
Dans le troisième numéro de la Revue du Comptoir, un article revient en profondeur sur la différence entre folklore et tradition. Pour résumer, le folklore n’est qu’une reprise commerciale d’une tradition morte. Un ersatz, une reproduction frauduleuse d’une réalité malheureusement (ou heureusement) disparue.
Prenons, par exemple, le cas de ce couple se plaignant de la présence de cloche autour du cou des vaches dans l’enclos derrière leur maison. Un jugement hâtif, sans prise de recul, nous fait immédiatement penser à une plainte grotesque. Comment se plaindre du bruit des vaches à la campagne ? Allez habiter en ville ! Mais à y regarder de plus près, ce n’est pas aussi évident. Le couple se justifie : « [Les cloches autour du cou des vaches], ce n’est pas dans les habitudes ici. C’est une tradition du Cantal qu[e l’éleveur] a importée et qui gêne beaucoup de monde. Nous avons recueilli une cinquantaine de signatures dans le village. » Le fait que cet agriculteur élève des vaches de race Salers (du Cantal, donc) en Haute-Loire remet ainsi en question sa démarche de recherche “d’authenticité”.
Ce que les cloches représentent ici, pour le lecteur au jugement hâtif, c’est un élément d’un imaginaire folklorique. Dans la représentation imaginaire, la campagne est verdoyante, les forêts sont claires et les vaches ont des cloches. Dans la réalité, les jachères sont sèches, les forêts sont remplies de ronces par manque d’entretien et les vaches n’ont des cloches que l’été en pleine montagne.
En cherchant à faire coller la réalité à leur imaginaire, certains ne sont aucunement dans une démarche d’authenticité mais de corruption de la réalité. On voudrait que la campagne soit identique (et/ ou folklorique) en tout lieu. Légitimer ainsi une action selon l’argument de suivre la tradition n’a donc pas lieu d’être ici, puisque celle-ci est absente.
La campagne, une double ressource
Avec 1,9 % d’agriculteurs en France en 2014 sur l’ensemble de la population active contre 42 % en 1968, la campagne n’est, de toute évidence, plus seulement l’apanage des personnes travaillant la terre. Avec l’augmentation des prix pour se loger en villes et les nuisances des mégalopoles, beaucoup de Français choisissent le déplacement pendulaire entre leur travail à la ville et la campagne. Et cela sans même parler du tourisme.
La campagne est devenue le lieu de deux ressources opposées. La nature offre en effet des matières premières ainsi que l’espace et le calme. Seulement, l’exploitation des matières premières, via l’agriculture industrielle, entraîne des nuisances réduisant le deuxième pôle de ressource : le calme et plus largement “l’agréabilité”. En effet, en plus du son émis par la nature environnante, l’agriculture intensive peut aussi émettre des polluants et des odeurs nauséabondes (vous pouvez aller visiter un élevage de poules en batterie pour vous en convaincre).
Remettons dès lors le clocher au milieu du village. Les paysans continuent de se comporter comme les possesseurs légitimes et uniques de la campagne bien qu’y étant aujourd’hui minoritaires. Cette attitude cache un paradoxe. D’un côté, ils sont totalement dépossédés de leur autonomie par les grands groupes phytosanitaires et alimentaires. Ils ne sont aujourd’hui que des exécutants comme n’importe quelle PME de sous-traitement. De l’autre, ils veulent continuer à véhiculer une image d’authenticité et de pérennisation de savoir-faire ancestraux.
Le deuxième point sert certainement à pouvoir sauver son honneur du premier. Ne jetons pas la pierre aux paysans cependant car ils ont été les victimes d’une intense propagande planétaire en faveur de la modernité. Les solutions des laboratoires et des constructeurs d’engins devaient tout changer. C’est vrai, tout a changé… Mais pas qu’en bien.
Dès lors, les envies de campagne “carte postale” pour les néo-ruraux ressemblent à un caprice irréalisable. Cette demande d’un folklore et d’une nature préservés est, elle aussi, directement issue d’un développement publicitaire mensonger.
Fidélité et territoire
Mais le paysan a pour lui d’être fidèle à ses terres et d’essayer malgré tout d’en prendre soin. Le citadin ou le touriste ne peut souvent pas s’enorgueillir de cet engagement. Du moins, c’est ce que l’on pense. Car si le citadin et le touriste ne s’occupe pas des terres, il faut bien avouer qu’ils redynamisent parfois des territoires endoloris. Par le travail associatif et l’organisation d’événements, c’est tout un “pays” qui peut renaître et notablement… se rajeunir.
Plutôt que de se confronter, ces deux populations auraient tout à gagner de se fédérer, d’apprendre à se connaitre et à se respecter mutuellement. Si les paysans réussissent le pari de fidéliser des citadins à leur territoire, ils éviteraient la double fatalité d’un devenir de banlieue dortoir à mourir d’ennui et d’un paysage défiguré par les lotissements. Voire, on peut rêver, ils participeraient à faire renaître les sols en pratiquant une agriculture plus familiale, plus saine, plus humble.
Certains endroits de France sont déjà des exemples de cette vitalité retrouvée et d’une nouvelle organisation campagnarde faite de festivals culturels, d’agriculteurs biologiques et de renaissance de l’artisanat comme le sud de la Drôme. Preuve en est, le taux de nouveaux agriculteurs dans cette région a augmenté de 28 % en trois ans (chiffre de 2016), un des plus élevés de France.
Nos Desserts :
- Au Comptoir, on vous proposait un entretien avec Pierre Bitoun, co-auteur de Le Sacrifice des paysans, une catastrophe sociale et anthropologique, qui nous disait que « Le sacrifice des paysans, c’est celui de tous les autres »
- Si la question de la dépossession des paysans vous intéresse, vous avalerez avec plaisir Lettre à un paysan sur ce vaste merdier qu’est devenu l’agriculture
- Le Monde résumait quelques statistiques récentes concernant l’agriculture en France
- Il n’y a pas que les citadins pour se plaindre de la nature, les agriculteurs manifestent régulièrement contre la réintroduction des grands prédateurs
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