Fiction / Récit

[Micro-fictions] Bob et Marie

Bob a 40 ans. Bob est agent d’entretien.

Le matin, vers 5h, son réveille sonne. Il lave son visage avant de déguster son café, qu’il agrémente d’une tartine au beurre avec de la confiture. Puis, il défèque durant quinze minutes avant de prendre une douche chaude. À la suite de ce court moment de délassement, il s’habille : caleçon décathlon, jean, chemise de bûcheron, bonnet noir. Il reluque sa moustache surplombant une barbe de trois jours. Bob habite en banlieue parisienne.

Il prend le métro vers 6h30 du matin et se dirige vers son lieu de travail : une chaîne d’hôtels luxueux du XVIe arrondissement. Après avoir sonné, la secrétaire lui ouvre.

7h15 : Il monte au premier étage, il doit nettoyer une chambre sale chambardée par deux qataris enrichis dans la vente de strings léopards. Il s’applique, récure les sanitaires où les nababs se sont délestés de leurs plus beaux étrons. Puis, il ramasse les bouteilles de whisky vides ainsi que les préservatifs percés des gentlemen venus pour « profiter » de notre belle capitale.

9h : Second étage. Le dos de Bob ploie sous les heures de ménage des dernières semaines mais le travail, c’est la santé. Chambre 212, un fils de ministre dépressif a cassé la télévision, façon rockstar. Aspirer le sol, mettre les morceaux de verres dans une pelle. Malencontreusement, Bob se coupe. Une pause s’impose. Après un bandage laborieux, il faut faire le lit en dépit de cette sciatique térébrante.

12h : Après plusieurs cas similaires, Bob déjeune. Sandwich triangle, sodas et cacahuètes font office de repas.

14h : on reprend.

14h-19h : sept étages l’attendent. Les chambres se succèdent : un mariage catho arrosé, une réunion de managers terminée sous la couette, une mère avec son enfant valétudinaire (nettoyer le vomi), puis un chien, certes mignon, mais qui a fait ses besoins dans une baignoire, chambre 701.

19h15 : Bob prend le métro. Il se délecte d’une chanson de Johnny et une de Dick Rivers grâce à son Walkman. Puis, il se rappelle que c’est bientôt l’anniversaire de Brandon, son neveu amateur de mangas. Avant d’entrer chez lui, il fume un cigare cubain cheap, pour imiter les gros durs des séries télévisées sud-américaines. « Je devrais aller voir le toubib » se dit-il.

Marie a 41 ans. Marie est directrice d’un grand journal économique français, French Growth.

7h : le réveil de Marie sonne. Après avoir dégusté son café en capsule deluxe, elle s’entiche de la vie amoureuse tourmentée du prince anglais Gabriel sur le trône. Fardée, épilée, parfumée, habillée, la coquette directrice fonce chez l’esthéticienne pour une French manucure.

9h : Marie est toute belle. Elle prend un taxi et lui laisse un pourboire. Marie est généreuse. D’ailleurs, son entreprise philanthropique a pour habitude de verser une partie de ses résultats nets aux sans-abris de Calcutta. Une fois au bureau, la Parisienne est à l’affût de l’actualité : Quel est l’état de la bourse ? Quels plans sociaux de restructuration des entreprises est à l’œuvre aujourd’hui ? Et les délocalisations ?

12h : Pause « dej ». Après le « coworking », propice au « growth-mindset », place au repos en présence du « chief happiness officer ». Marie est comblée dans cette tour en verre où les esprits s’échauffent au profit du Capital.

14h-18h : Marie s’occupe des articles, les met en ordre, et rappelle les grandes orientations libérales de son « newspaper » ouvert sur le monde.

Bob et Marie n’ont rien en commun. Rien n’indique un rapprochement entre eux. Pourtant, ils ont un goût en commun : la France. Ce mot les unit dans un tressaillement voluptueux. Électeurs du Front Républicain, ils s’accordent sur le manque de sécurité, le déclin de la France à l’international, sur le recul de la laïcité, et sur le remplacement des Français de souche par les étrangers. Ainsi, ils votent.

Mai 2027 : Marie et Bob se rendent dans le même bureau de vote. A voté. JT de TF2 : Karine La Peine, cheffe charismatique du mouvement républicain, remporte la présidentielle.

Juin 2027 : Le gouvernement expulse 200 000 sans-papiers. L’uniforme est de vigueur à l’école. On vouvoie les professeurs. Un policier surveille chaque rue de France. Le pays doit tenir, donc on passe des réformes d’austérité économique : le temps de travail augmente, les augmentations de salaire se font rare, la répression est forte. Résultat : Bob est licencié, se retrouve à la rue. Marie double ses profits. Bob porte des vêtements américains, chante des tubes anglo-saxons, utilise des termes arabes tout en aimant les BD nippones. Marie a un vocabulaire exclusivement composé de globish et ses ventes plaisent à l’international.

Tout les oppose matériellement. N’oubliez pas le plus important : ils sont Français.

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