Politique

Lutte et Contemplation : pour un christianisme de luttes

Fondé en 2023, le collectif Lutte et Contemplation entends porter une voix chrétienne dans les luttes sociales et écologiques. À travers leur engagement, ses membres veulent incarner une Église en mouvement et revendicatrice. Rencontre avec Stanislas Huet, militant de la branche lyonnaise du mouvement.

Le Comptoir : Comment est né le collectif ?

Stanislas Huet : À l’origine, Lutte et Contemplation était un groupe de prière, rassemblant des chrétiens de différentes confessions engagés sur les questions environnementales. Nous voulions créer un espace de partage et de fraternité pour des croyants unis par un même désir de préserver la Création. Pour nous, notre engagement écologique découlait logiquement de notre foi chrétienne ; or nous avions le sentiment que l’Église et la communauté des fidèles n’étaient pas assez investies sur ces questions.

En 2022, ce groupe s’est pour la première fois engagé concrètement contre le projet EACOP, porté par Total Energies, qui prévoyait la construction d’un oléoduc de 1500 kilomètres reliant la Tanzanie et l’Ouganda. Nous ne voulions pas rester spectateurs devant ce qui s’annonçait être un véritable drame social et écologique. Nous nous sommes mobilisés en signant une tribune parue dans le journal La Croix demandant aux évêques français de se positionner contre EACOP ; nous avons également organisé un cercle de prières devant le siège de Total pour sensibiliser les salariés aux enjeux environnementaux de ce projet.

Cartographie réalisée par Les Amis de la Terre

Suite à cette mobilisation, le groupe a décidé de se constituer en collectif militant en septembre 2023, pour mener de nouvelles campagnes sur le terrain des luttes pour la justice sociale et climatique ; aujourd’hui, nous comptons une centaine de membres répartis sur toute la France.

Quelles actions avez-vous mené depuis votre création ?

Notre but est d’interpeller et de sensibiliser l’opinion sur les questions environnementales, en nous saisissants de faits d’actualité : par exemple, nous nous étions mobilisés pendant la COP 29 en novembre dernier en Azerbaïdjan, ou en avril 2024 où nous avions rejoint la campagne « Halte au Tarmac ! » contre l’agrandissement de l’aéroport de Beauvais-Tillé. Tout récemment, nos membres se sont également engagés dans la lutte contre le projet d’autoroute A69 près de Toulouse.

Nous avons dès le départ pris le parti d’agir de manière exclusivement non-violente ; ce que nous voulons, c’est éveiller les consciences et interpeller les décisionnaires sur ces enjeux. Typiquement, nous avons organisé des cercles de silence ou de prière collective, comme nous l’avions fait devant le siège de Total lors de l’affaire EACOP ou à l’occasion des cent ans du groupe ; des campagnes de mailing aux autorités politiques ou ecclésiales, pour les inciter à se positionner sur un sujet donné ; ou encore des actions anti-pub en retirant les placards publicitaires des sucettes JC Decaux qui bordent les abribus. Nous avons une organisation relativement fluide et horizontale, ce qui permet à chaque groupe local de mener des actions très diverses et de manière autonome.

« Nous avions le sentiment que l’Église et la communauté des fidèles n’étaient pas assez investies sur les questions écologiques. »

En parallèle, nous organisons également des événements publics comme notre festival Festiv’Eté, qui se tient tous les ans au mois de juillet, avec des temps de prière, des tables rondes, des animations ; le reste de l’année, nous proposons des conférences ou des ateliers de formation sur la théologie, des questions scientifiques ou d’actualité. On cherche toujours à lier notre militantisme à la réflexion et au partage de notre conviction religieuse.

On comprend que vous cherchez à apporter un regard chrétien sur les questions écologiques. Pourquoi est-ce important, selon vous ? Qu’est-ce que le christianisme peut apporter aux luttes environnementales ?

La volonté qui était la nôtre, dès le début, était d’être « chrétiens parmi les écologistes et écologistes parmi les chrétiens ». Nous voulions montrer le visage d’une Église qui soit à la hauteur des questions fondamentales de notre époque ; et qu’en tant que chrétiens, ce n’était pas optionnel de se sentir concernés par ces enjeux.

Nous nous plaçons ainsi dans la continuité de l’encyclique Laudato Si et de l’appel du pape François à ne pas rester spectateurs et à agir dans le monde ; la Bible elle-même nous enseigne de protéger la Création, de pratiquer la fraternité et la charité. Il me semble précisément que l’Église, et les chrétiens en général, ne doivent pas être séparés du mouvement écologiste, mais qu’au contraire ces deux mondes doivent être unis, parce que notre volonté d’agir pour l’environnement découle directement de notre foi.

Le Pape François lors de l’audience générale du 2 septembre 2020

Une différence qui peut exister entre nous et nos amis militants non chrétiens, c’est peut-être cette espérance, cette joie qui nous caractérisent et nous animent. Cette idée d’avoir un Dieu sauveur à nos côtés et qui nous pousse à aller de l’avant, à être joyeux et pleins d’espoir dans nos actions, peut inspirer les personnes que nous côtoyons au sein des luttes, dans des milieux où parfois règnent le cynisme ou la colère. Quand on mène des combats difficiles, parfois sur des années, être capables se réancrer dans notre foi nous permets de sortir du découragement qui peut nous saisir.

Pensez-vous que l’Église, actuellement, en fait assez pour l’environnement ?

C’est vrai que depuis Laudato Si, il y a, au moins à la tête de l’Église en la personne du pape, une volonté d’engagement sur ces enjeux. Mais il y a encore une marge d’amélioration considérable ; dans les paroisses, dans les diocèses, les autorités ecclésiales peuvent en faire plus pour sensibiliser les fidèles et les amener à se mobiliser conformément à l’appel de l’encyclique. On a parfois le sentiment que certaines personnes au sein de l’Église font l’autruche, voire se mettent en opposition au mouvement écologique chrétien, parce qu’ils considèrent que ce n’est pas le rôle de l’Église que de s’impliquer sur cette question. Et c’est là l’objectif de Lutte et Contemplation : rappeler chacun à son devoir envers la Création.

« Nous nous plaçons dans la continuité de l’encyclique Laudato Si et de l’appel du pape François à ne pas rester spectateurs et à agir dans le monde. »

Lors des élections législatives de juin 2024, vous avez, comme d’autres organisations chrétiennes, appelé à faire barrage au Rassemblement National. Est-il incompatible d’être chrétien et de voter pour l’extrême droite ?

Pour moi ça l’est, sans doute possible. Le collectif a toujours voulu être clair sur cette question, parce que l’extrême-droite est pour nous un mouvement fondamentalement anti-chrétien. La Bible est parfaitement explicite quand elle nous enjoint à l’accueil de l’étranger, à la charité, au partage. Ce sont ces principes qui doivent prévaloir, pas des simples considérations de prospérité économique au sein d’un seul pays ; le Christ ne nous demande pas d’accueillir l’autre seulement « dans la mesure de nos moyens » et à condition que cela n’affecte pas notre confort matériel, mais inconditionnellement, parce qu’il est notre semblable.

Manifestation organisée par le collectif chrétien « Justice et Espérance » contre la montée des partis d’extrême droite, à Paris le 23 juin 2024. – Crédit : ZAKARIA ABDELKAFI

Le slogan qui est brandi par des partis comme le RN ou Reconquête, « les nôtres avant les autres » contredit totalement le message de l’Évangile. L’Église n’a pas de frontières, l’humanité non plus, et nous refusons de nous laisser enfermer dans un prisme de « guerre civilisationnelle » ; notre prochain, c’est l’autre quel qu’il soit.

On constate malgré tout au sein des catholiques, surtout chez les jeunes, une attractivité de plus en plus forte des discours de droite conservatrice et identitaire. Comment l’analysez-vous ?

Je pense qu’il y a d’abord une volonté de glorifier un passé révolu, et aussi un attachement à une vision particulière de la chrétienté ; ils se réclament défenseurs de la France chrétienne, « fille ainée de l’Église », quand bien même celle-ci n’a jamais été un territoire uniforme et homogène culturellement. J’y vois moins une volonté de promouvoir la religion chrétienne en tant que telle, qu’une certaine idée de la culture française, blanche, impérialiste et colonialiste, et qui serait menacée par le fait multiculturel.

« La Bible est parfaitement explicite quand elle nous enjoint à l’accueil de l’étranger, à la charité, au partage. »

Et bien sûr, il y a l’influence des médias, particulièrement les chaînes d’information en continu, qui procèdent à un véritable matraquage idéologique. Des gens comme Vincent Bolloré par exemple, qui utilisent leurs empires médiatiques pour promouvoir leur agenda politique et leur vision du monde réactionnaire.

Une fois encore, cette démarche est totalement contradictoire avec le message de l’Église, qui est par définition universel. Le christianisme ne doit pas servir de prétexte au rejet de l’autre et au repli sur soi, mais bien à l’acceptation et à l’enrichissement mutuel de tous les peuples.

Timothé Legrand

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