Les lieux communs ont la vie dure et le nietzschéisme de plateau télé se porte à merveille : si nous avons encore aujourd’hui tant de mal à vivre avec notre corps, à assumer pleinement nos désirs et à habiter de façon un tant soit peu respectueuse cette planète déglinguée, la faute en reviendrait ainsi au christianisme ! Sans nier que la religion chrétienne ait pu jouer, à certains moments de son histoire, un rôle non négligeable dans la relégation du corps à une sphère inférieure de la vie humaine ou dans la dynamique écocide de l’Occident moderne, deux ouvrages publiés récemment nous invitent à jeter un regard nouveau sur l’héritage du christianisme, en montrant que celui-ci n’est pas incompatible avec une valorisation du corps et de notre séjour terrestre.
Dans Corps et âmes : Une histoire de la personne au Moyen Âge, l’historien Jérôme Baschet, qui s’était déjà signalé par une somme sur la civilisation féodale et par différents travaux inspirés par le mouvement zapatiste du Chiapas (dont le dernier en date, Adieux au capitalisme), part d’un constat similaire à celui que nous venons de dresser : il est désormais admis, pour un grand nombre d’intellectuels, que le christianisme, et singulièrement la chrétienté médiévale, a joué un rôle décisif dans l’avènement du « fameux dualisme occidental » entre le corps et l’âme. « Quoique l’opposition entre l’âme et le corps soit universelle, note ainsi l’anthropologue Marshall Sahlins, le fait de considérer qu’une guerre les oppose est bien une particularité de l’Occident. »
Une dynamique anti-dualiste
À l’encontre de cette vulgate, Baschet s’attache à montrer tout au long des deux premières parties de son livre que les « clercs médiévaux ont aussi pensé le rapport entre l’âme et le corps comme une union heureuse, une harmonie musicale, une amitié profonde ». Il n’hésite pas à parler d’une « dynamique anti-dualiste » de l’Occident médiéval, particulièrement manifeste chez des théologiens aussi importants que Thomas d’Aquin ou Hugues de Saint-Victor, dont l’un des textes cités pourrait être érigé en symbole de cette dynamique : « la musique entre les corps et l’âme (musica inter corpus et animam), c’est l’amitié naturelle par laquelle l’âme est reliée au corps, non par des entraves matérielles mais par des affects, afin de donner au corps mouvement et sensibilité ; une amitié selon laquelle personne ne peut haïr sa propre chair. »
S’il ne saurait être question de résumer, fut-ce sommairement, les pages denses et touffues que Baschet consacre aux conceptions de la personne dans la chrétienté médiévale, nous invitons vraiment le lecteur à se plonger dans cet univers spirituel et intellectuel complexe, d’une grande beauté, si différent du nôtre malgré la filiation historique censée nous y rattacher. Nous l’invitons à découvrir les liens qui unissent ces visions de la personne à l’ordre socio-politique de la civilisation féodale, largement dominé par l’Église, l’influence déterminante qu’elles ont exercé sur la relation entre les genres et sur les conceptions de l’union sexuelle, ou encore la façon dont elles irriguent toute l’iconographie médiévale, particulièrement soucieuse de montrer la corporéité des âmes, de figurer le corps glorieux et la topographie de l’au-delà.
Mais si l’Occident médiéval se caractérise, répétons-le, par sa dynamique anti-dualiste, comment expliquer alors que le dualisme entre l’âme et le corps se soit imposé avec une telle force dans la modernité occidentale, notamment dans la pensée de Descartes ? Comment expliquer, de surcroît, que ce dualisme ait-été accompagné d’une conception “a-relationnelle” de la personne humaine ? « L’Occident, constate en effet Jérôme Baschet, a conçu la liberté comme une triple dissociation d’avec les déterminations naturelles, les appartenances collectives et le poids du passé. Sur ces trois versants, il s’est construit contre la relationnalité ou, pour mieux dire, dans le déni de celle-ci. » Pourquoi ?
Afin de répondre à cette épineuse question, et c’est sans doute là l’intérêt majeur de son livre, l’auteur décide d’adopter une démarche comparatiste, en s’efforçant de cerner la “singularité occidentale” à la lumière des conceptions de la personne en vigueur dans d’autres sociétés. Pour ce faire, il s’appuie notamment sur le travail d’ores et déjà classique de Philippe Descola dans Par-delà nature et culture. Celui-ci proposait de distinguer quatre ontologies, soit quatre grandes façons pour les sociétés humaines de se rapporter à la nature et de concevoir les liens entre “corps” et “âmes” ou, pour être plus précis, entre “physicalités” et “intériorités”. Ces quatre ontologies sont l’animisme, le totémisme, l’analogisme et le naturalisme (présent uniquement dans la modernité occidentale).
D’après Descola, la civilisation médiévale doit être rangée dans la grande famille des ontologies analogistes, lesquelles, tout en insistant sur les discontinuités entre les différentes intériorités et physicalités – humaines, animales, végétales, astrales – qui composent le monde, soulignent néanmoins qu’elles sont également reliées les unes aux autres par un réseau complexe de correspondances. Dans cette perspective, l’homme n’est pas “seul dans l’univers”, car les divers éléments animiques et somatiques dont il est composé sont inscrits dans les grands cycles du cosmos, dont ils proviennent et auxquels ils retournent. Or c’est une toute autre conception qui prévaudra dans le naturalisme de l’âge moderne, pour lequel l’homme, désormais privé de toute profondeur spirituelle, se distingue de l’univers par son accès exclusif à l’intériorité. La question demeure néanmoins entière : comment expliquer un tel retournement ? Qu’est-ce qui, dans l’analogisme médiéval et dans l’anthropologie du christianisme, préparait une telle (r)évolution?
La réponse de Baschet est la suivante : la plupart des ontologies analogistes sont indissociables de ce qu’il nomme une « anthropologie fragile », où la personne, qui est dans une individualité relationnelle au cours de sa vie, voit les éléments qui la constitue se disperser rapidement après sa mort pour réintégrer les cycles naturels ou la communauté des ancêtres, assurant ainsi une sorte de continuité relationnelle de l’humain par-delà la mort. À l’opposé, l’analogisme médiéval se distingue par une « anthropologie forte », car « les conceptions chrétiennes présentent la singularité de pousser au maximum une logique d’unité-continuité de la personne par-delà la mort », qui tend à abstraire les individus de leurs relations au corps social et à la Création.
Autrement dit, « d’un côté prévaut le fait que l’humain est constitué de la même énergie que l’univers et que l’équilibre entre les composantes animiques et somatiques de la personne reproduit les oppositions complémentaires qui confèrent au monde son harmonie et sa dynamique. De l’autre, si le corps maintient une analogie avec les éléments qui composent le monde matériel, l’animique rompt tout lien avec son environnement pour faire prévaloir, dans son mode de constitution, une relation exclusive avec la divinité. Ceci contribue fortement à instaurer une dissociation entre la personne et le monde ». Or cette dissociation a de toute évidence joué un rôle majeur « dans le basculement, propre à l’Occident, vers la thèse de l’exception humaine et, plus directement encore, vers la conception moderne de la personne, c’est-à-dire vers l’individualisme au sens plein du terme », qui trouve selon l’auteur son expression philosophique la plus aboutie chez John Locke, lui-même pionnier des théories contractualistes du social et du libéralisme politique.
Une conception relationnelle de la personne
Pour contrer les effets délétères à ses yeux de cet individualisme et des fantasmes d’un homme auto-construit qui en sont indissociables, Jérôme Baschet propose de défendre une conception relationnelle de la personne, en nous invitant à considérer que « ce n’est pas la somme de ses constituants qui fait la personne, mais, au minimum, le réseau de relations que ceux-ci dessinent autour d’elle et en elle ». Entendons : il ne s’agit pas de dire « qu’il y a d’abord la personne et ensuite les liens qu’elle noue avec d’autres personnes ou d’autres instances. On parle ici, pour l’essentiel, de relations qui sont constitutives de la personne », qui lui « préexistent et par lesquelles elle accède à l’existence ».
À cet égard, l’ouvrage de Baschet s’inscrit dans ce que l’on pourrait appeler l’avènement d’un “paradigme relationnel” dans une frange importante de la pensée française contemporaine, qui s’exprime dans le cadre d’une phénoménologie du “vivre-de” chez Corine Pelluchon, d’une ontologie et d’une épistémologie de la physique chez Michel Bitbol ou d’une philosophie politique renouvelée du socialisme chez Jean-Claude Michéa (la liste n’est pas exhaustive, et il faudrait également rendre justice aux “glorieux ancêtres” d’une telle vision relationnelle, comme Pierre Leroux ou Gilbert Simondon).
« Ce n’est pas la somme de ses constituants qui fait la personne, mais, au minimum, le réseau de relations que ceux-ci dessinent autour d’elle et en elle » Jérôme Baschet
Ce “tournant relationnel”, dès lors qu’il s’inscrit explicitement dans un projet de refondation politique et de dépassement du capitalisme, comme c’est manifestement le cas dans la réflexion de Baschet, pose néanmoins certaines questions. Si, « dès lors que, récusant l’idée de l’individu auto-institué, on adopte une conception proprement relationnelle de la personne », suivant laquelle « les collectifs auxquels chacun appartient sont littéralement constitutifs de l’existence », comment faire en sorte que cette idée ne soit pas instrumentalisée au profit de conceptions essentialistes de l’appartenance au “commun” tissé par ces relations ? Comment s’assurer que la singularité des personnes ne soit pas dissoute dans une totalité sociale qui assignerait à chacune d’entre elles une identité figée ? Peut-être, comme nous y invite notre auteur dans un article critique consacré à Frédéric Lordon, en pensant « la complémentarité des appartenances particulières, ancrées dans des expériences territorialisées singulières, et le souci d’une communauté planétaire en quête de son accomplissement ».
Par ailleurs, si ces relations constitutives de l’existence ne sont pas seulement sociales mais aussi écologiques, il convient de s’interroger sur le statut à accorder à la nature dans une telle anthropologie, ce qui nous conduit à l’enquête de Frédéric Dufoing, Vers un écologisme chrétien. Un tel rapprochement ne semble pas abusif, puisque Jérôme Baschet lui-même indique que la valorisation du corps dans la chrétienté médiévale s’accompagne d’un « rapport au monde apaisé », tout en soulignant par ailleurs qu’à l’âge moderne, « l’accentuation de la séparation de l’âme et du corps est comme la réplique, à l’intérieur de l’homme lui-même, du grand partage entre l’homme et la nature ». Autrement dit, il existe un lien étroit entre la façon dont on pense le corps humain et la façon dont on pense le “corps du monde”, la nature.
Vers un écologisme chrétien ?
Or, là encore, comme nous le soulignions en introduction, le christianisme n’a pas bonne presse. Depuis le célèbre article de Lynn White Jr. publié en 1967 sur les racines historiques de notre crise écologique, il est tout simplement accusé d’être le responsable de la dévastation de la Terre. Résumons les termes du débat. Dans son article, White citait les célèbres versets de la Genèse : « Dieu bénit Noé et ses fils et il leur dit : soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre. Soyez la crainte et l’effroi de tous les animaux de la terre et de tous les oiseaux du ciel, comme de tout ce dont la terre fourmille et de tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains. » Il en concluait, pour le dire schématiquement, que le christianisme avait fondé sa relation à la nature sur un syllogisme pervers et particulièrement destructeur : 1) Dieu est transcendant au monde, 2) L’homme est à l’image de Dieu, 3) Donc l’homme est transcendant au monde et il peut l’instrumentaliser à sa guise. Admettons, en effet, que ces versets n’auguraient rien de bon quant à la relation du christianisme à la nature…
Sans s’appesantir sur la complexité de l’exégèse du texte de la Genèse (on peut renvoyer au chapitre qui a consacré le philosophe américain John Baird Callicott), Frédéric Dufoing admet lui-même volontiers que « l’imaginaire de maîtrise rationnelle du monde » (Castoriadis) qui caractérise la modernité capitaliste peut à bien des égards être perçu comme une sécularisation du message biblique, et que le christianisme n’a pas toujours joué un rôle positif dans le rapport à la nature. À cet égard, il n’est pas totalement infondé « que le christianisme ait pu poser problème à l’écologisme, et réciproquement », et l’auteur consacre d’ailleurs une partie importante de son ouvrage à revenir sur les différentes critiques écologiques de la religion chrétienne, celle de Lynn White bien sûr, mais aussi celles de Paul Shepard, de Roderick Nash, de Max Oelschlager et, dans une perspective très différente, celle d’Ivan Illich.
Dufoing souligne néanmoins qu’il n’est pas possible d’établir une continuité absolue entre l’univers intellectuel de la chrétienté, notamment médiévale, et celui de la modernité thermo-industrielle, et que la thèse de la sécularisation présente donc certaines limites. Il rappelle que « du point de vue de l’histoire des idées, certaines racines idéologiques de l’écologisme sont au moins partiellement d’origine chrétienne : la critique de l’industrialisme du XXe siècle et celle du totalitarisme, l’insistance sur les liens plutôt que sur les individus abstraits » ou encore l’idée selon laquelle « jamais l’homme ne doit se prendre pour Dieu. Autrement dit, jamais l’homme ne doit se prendre pour le Créateur, ne doit se croire ou chercher à devenir la source de tout, et de lui-même en particulier, sa volonté n’est pas suprême. Il y a donc, même si elle est difficile à déterminer, une limite à son action. »
Les attitudes écocides qu’a parfois inspiré le christianisme n’épuisent donc pas l’ensemble des possibles offerts par la religion chrétienne. Il est même parfaitement envisageable, selon l’auteur, de puiser en elles des ressources spirituelles susceptibles de nourrir un rapport apaisé et harmonieux avec la Création. Il existe ainsi aujourd’hui un véritable écologisme chrétien qui s’exprime à travers différents courants, chez différents auteurs et désormais, depuis l’encyclique Laudato Si du pape François, au cœur de l’Église elle-même. De ce point de vue, l’apport de l’ouvrage de Frédéric Dufoing est inestimable, car il est le premier en France à dresser un état des lieux de cet écologisme chrétien et à nous présenter de façon synthétique les pensées “vertes” d’auteurs comme Wendell Berry, Leonardo Boff, Willis Jenkins, Thomas Berry, Jacques Ellul ou encore Lanza del Vasto.
« Jamais l’homme ne doit se prendre pour Dieu. Autrement dit, jamais l’homme ne doit se prendre pour le Créateur, ne doit se croire ou chercher à devenir la source de tout, et de lui-même en particulier, sa volonté n’est pas suprême. Il y a donc, même si elle est difficile à déterminer, une limite à son action. » Frédéric Dufoing
S’il n’est bien évidemment pas possible de présenter ces différentes pensées dans leur détail et leur richesse, nous pourrions néanmoins les diviser, de façon quelque peu schématique et par delà la classification esquissée par l’auteur lui-même, en deux grandes familles, même si certains auteurs, comme Wendell Berry ou le Pape François, qui articulent éco-théologie et critique sociale, transcendent de toute évidence cette division.
Certains écologismes chrétiens mettent avant tout l’accent sur la beauté de la Création, sur son caractère théophanique, et sur les valeurs morales, spirituelles et esthétiques qui s’y trouvent déposées. Naturellement, c’est alors une éthique du respect et de la contemplation qui se trouve privilégiée, dans l’espoir que celle-ci puisse à son tour inspirer les indispensables transformations sociales et politiques dans notre rapport à l’environnement. D’autres auteurs se concentrent en revanche davantage sur les valeurs propres au monde social, en l’occurrence celles de la modernité industrielle, pour dénoncer leur incompatibilité avec la possibilité même d’une vie humaine accomplie, pourtant seule garante d’une relation riche de sens avec la nature. L’on peut par exemple, dans une perspective chrétienne, dénoncer “l’idolâtrie de l’argent” et lui opposer les qualités spirituelles de la simplicité volontaire et de la décroissance. Le souci pour la nature en soi sera alors second, indirect, et c’est une éthique sociale et une écologie politique qui seront privilégiées.

Wendell Berry dans sa ferme du Kentucky
Du corps à la nature, et retour
Mais l’intérêt de l’ouvrage de Frédéric Dufoing tient également à ses remarques conclusives, qui invitent les écologistes à tenir compte des effets destructeurs de la société contemporaine non seulement sur la Terre, mais encore sur les corps, et plus encore à saisir en quoi cette double destruction relève d’une même logique, d’une même dynamique. En effet, dès lors que la nature a été assimilée à une sphère ontologique inférieure, appelée à être dominée et exploitée, tous les aspects de la personne et de la vie humaine associés à la nature, au premier rang desquels le corps, sont logiquement eux aussi appelés à être dominés et exploités. À cet égard, et sans nécessairement partager par ailleurs toutes ses positions dans ce domaine, on doit bien reconnaître à l’auteur une certaine lucidité lorsqu’il affirme que « la logique qui se trouve en amont de pratiques comme l’avortement, la thérapie génique germinale ou la sélection des embryons par le dépistage préimplantatoire est également celle de la catastrophique logique consumériste… mais cette fois appliquée à l’homme lui-même ! »
Pour Dufoing, « le christianisme est là pour rappeler aux écologistes que, légitimement paniqués par la destruction physique de la nature et ses conséquences morales, esthétiques et matérielles pour l’homme, ils oublient qu’il y aussi en œuvre une destruction matérielle de l’homme qui a aussi un effet sur sa liberté et sa moralité, son rapport à l’autre : sa dignité ». La géo-ingénierie et le transhumanisme peuvent être considérés, chacun à sa façon, comme l’expression de ce fantasme de domination absolue de la nature en nous et hors de nous, la première se proposant de manipuler et de piloter le fonctionnement de la biosphère, le second d’optimiser nos corps par le formatage génétique. Tous deux sont révélateurs de ce « triomphe de la volonté sur le don » qu’évoque le philosophe américain Michael Sandel dans son beau livre L’éthique à l’âge de la perfection.
Or, voilà qui pourrait être une définition philosophique de l’écologie (parmi d’autres) : il y a du donné ; ce donné constitue bel et bien une forme de transcendance (avec ou sans Dieu) dans la mesure où il y a en lui quelque chose d’irréductible à tout “arraisonnement”, à toute entreprise de la volonté humaine ; et, plus important encore, les êtres humains ne peuvent vivre qu’à condition d’honorer ce donné à la façon dont on honore ses dettes. Cela ne signifie évidemment pas que tout soit bon dans le donné ni qu’il ne faille ménager aucune marge de manœuvre à la volonté humaine, mais cela signifie en revanche que la liberté ne peut plus être conçue dans les termes d’une toute-puissance qui nie purement et simplement le donné, auquel il faudrait à tout prix “s’arracher”, qu’il pourrait au contraire être judicieux de la redéfinir comme « une négociation permanente avec le donné » (Sandel).
Disons pour conclure que Corps et âmes et Vers un écologisme chrétien sont deux ouvrages qui donnent beaucoup à penser, et qui nous permettent d’envisager, à rebours d’idées encore largement prédominantes dans la pensée écologiste et philosophique en général, un christianisme réconcilié avec la nature, capable de valoriser notre foyer terrestre et corporel. À la lecture de ces deux livres, une évidence s’impose : les chrétiens ne sont pas voués à être les fossoyeurs de la Création. Peut-être l’heure est-elle venue de revoir, au moins partiellement, le jugement sans appel de Léon Bloy, selon lequel « les amis du Christ voient les chrétiens modernes autour d’eux et c’est ainsi qu’ils peuvent concevoir l’enfer ». Tout n’est évidemment pas parfait, et il n’est qu’à penser, dans le contexte français, à ces suppôts de Satan que sont les catholiques fillonistes, manifestement plus proches des voitures de luxe et des gisements pétroliers que de la parole du Christ ou de l’esprit de Saint-François d’Assise. Néanmoins, nous devons désormais admettre que les chrétiens du monde entier peuvent contribuer, dans le cadre de leur foi et des traditions spirituelles qui leur sont propres, qu’elles soient médiévales ou modernes, à exalter la beauté des lumières, des paysages et des corps qui composent la Création, et à leur témoigner tout le respect qui leur est dû.
Nos Desserts :
- Au Comptoir, nous vous proposions un entretien avec Robert Culat, un prêtre qui s’intéresse aux questions d’écologie et de théologie, mais aussi au heavy metal
- Nous avions partagé avec vous un article sur la plus longue étude longitudinale jamais menée dont une des conclusions stipule que le bonheur provient en grande partie de la solidité des relations sociales
- Nous vous parlions aussi de Pier Paolo Pasolini qui condamnait la subversion de l’Église et défendait le message originel du christianisme qui pourrait symboliser, selon lui, le refus du pouvoir de consommation
- Nous vous proposions de (re)découvrir l’aumônier et combattant dans l’Armée de libération nationale colombienne Camilo Tores, précurseur de la théologie de la libération
- Les éditions Wildproject proposaient il y a peu la réflexion de Callicott sur l’écologie de la Genèse
- Les éditions Dehors ont publié le meilleur livre de Paul Shepard, grand critique du christianisme
Catégories :Culture
Merci beaucoup pour cet article très intéressant. Une suggestion: s’il est vrai que des théologiens médiévaux n’ont pas adhéré au dualisme platonicien (corps/âme) et cela grâce à l’influence d’Aristote, il serait intéressant historiquement parlant de rechercher s’il n’y a pas eu dans les faits une fracture entre la grande pensée théologique médiévale et ce que le clergé prêchait au peuple (ici, peut-être le dualisme était de vigueur ainsi que la mise en valeur de l’âme au mépris du corps)? On ne peut pas confondre la grande théologie et les sermons des curés de paroisse… Par ailleurs le pape Jean-Paul II s’est beaucoup intéressé à ce sujet (il était un fervent défenseur de la philosophie personnaliste), cf. son étude La théologie du corps. https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/3453/la-theologie-du-corps
Dans cette question, l’important, hier et aujourd’hui, c’est que pour sauver l’âme il faut sauver avant le corps, les corps, la planète, la Nature…
Et pourquoi pas sauver l’univers tant que vous y êtes?
Laissez tout cela tranquille et cela se sauvera tout seul.
Essayez de sauver tout cela et vous le détruirez.
Et pour quoi pas? En tant qu’être vivant cela me concerne, et je crois avoir le droit de m’inquiéter de la dérive écocide de la société humaine, et, donc, de le dire.
Vous croyez vraiment qu’il faut rester « tranquilles », rien dire, rien faire?
@Octavio Alberola 28 juin 2017 à 9 h 18 min :
Opposez vous à ceux qui détruisent mais ne vous imaginez pas que vous sauvez le corps, la planète etc. sinon vous êtes dans la même hybris que les destructeurs.
Excellent article, merci! On regrettera juste le dernier paragraphe qui met de la polémique et de l’attaque ad hominem là où il n’y en avait pas besoin, mais c’est très secondaire. Globalement, votre papier ouvre des perspectives passionnantes et donne envie de lire les deux livres. Merci!