Politique

Tous nazis !

L’une des singularités de notre époque se révèle fabuleusement dans l’une de ses créations les plus monstrueuses, les plus absurdes : la pensée dite « maraboutdeficelle ». Il semblerait qu’avec la perte de repères stables et la disparition de la pensée critique[i], une manie des plus désagréables et des plus sottes ait conquis les sphères intellectuelles, touchant souvent des esprits boursouflés de culture, parcourus par les livres comme par des vers, et peu avares en références. Sorte d’alliage combinant les pires aspects de la pensée contemporaine – psychologisme, politiquement correct, relativisme culturel absolu, manichéisme, etc. – elle en vient à pourrir les débats et à empester partout où elle passe.

Soyons plus précis, qu’est-ce que la pensée maraboutdeficelle ? Au sens strict, il s’agit d’une pensée fonctionnant sur le mode du non sequitur et du paralogisme, c’est-à-dire à l’aide de combinaisons logiques en apparence justes, mais concrètement erronées. Exemple type : si je pense X et que Y pense X et Z, c’est que je dois penser Z. Moins abstraitement : si j’approuve une affirmation d’un homme de droite, c’est que je suis de droite. On voit déjà les impasses effrayantes d’une telle pensée. C’est en effet par ce type de raisonnements qu’ont fonctionné de nombreuses troupes militantes, de nombreux esprits clos et sectaires. Deux types de personnes semblent appliquer ce genre de logique perverse : d’un côté, les honnêtes gens, bien souvent naïfs ou spontanés, dont la bonne foi ne mérite ni le mépris ni l’opprobre ; de l’autre, au contraire, une catégorie infâme de penseurs et d’hommes d’action, qui s’en sont servi à des fins cyniques d’orthodoxie et d’exclusion. Cette dernière a joué un rôle important au sein des divisions disciplinées du stalinisme : quiconque déviait un tant soit peu de la ligne du Parti était vilipendé d’une forme ou d’une autre de réaction, de collaboration avec l’adversaire, voire tout simplement d’adhésion à ses thèses.

camus

Albert Camus

Albert Camus en avait fait les frais à son époque : pour avoir affirmé quelques vérités aujourd’hui communément admises, l’homme s’est vu attaquer par la meute germanopratine coordonnée par leur vigilant maître Sartre. On se souvient de sa réponse : « On ne décide pas de la vérité selon qu’elle est à droite ou à gauche et moins encore selon ce que la droite et la gauche décident d’en faire. À ce compte, Descartes serait stalinien et Péguy bénirait M. Pinay. Si, enfin, la vérité me paraissait à droite, j’y serais. »[ii]

Le temps du cynisme stalinien est passé, mais il en reste quelques fragments, comme quelques moisissures restées collées dans les coins sombres et difficilement atteignables de la vieille bâtisse occidentale. Désormais, l’hégémonie libérale étant acquise, ce n’est plus tant pour assurer la fidélité à un parti que pour faire perdurer la bonne pensée, la bien-pensance, et assurer l’adhésion entière et complète des gens à « l’Empire du Bien » (comme l’appelle Philippe Muray), qu’on use et abuse de cette ficelle bien connue. Le moindre faux pas, la moindre référence « connotée », « sulfureuse », « de droite », et voilà les immédiats cris d’orfraie poussés pavloviennement par d’innombrables inquisiteurs de la pensée – des penseurs-tanceurs comme me le fit remarquer un jour un camarade amoureux des formules.

Tous nazis !

BHL

Bernard-Henri Lévy

L’expert actuel de cette pratique n’est autre que le glorieux, que dis-je, le Magnifique[iii], Bernard-Henri Lévy. Ce sartrologue parigot s’est donné pour sacerdoce de retrouver la moindre parcelle de Mal chez le plus reculé des intellectuels. C’est certes une prouesse qui n’est pas des moindres que de réussir à passer, comme le maître du maraboutdeficellisme qu’il est, et dans une séquence aussi pure et linéaire que possible, de la critique des États-Unis d’Amérique à l’antisémitisme, ou encore de la critique de l’Argent à la critique du Juif…

Le tout à l’aide de sophismes d’une roublardise sans équivalent : « critique des USA = antiaméricanisme = antisémitisme ». Serge Halimi, dans une critique[iv] de son livre Ce grand cadavre à la renverse, a réussi à retrouver une quantité considérable de citations allant dans ce sens : le sens de la nazification, autre synonyme de cette logique détestable. Exemple-type :

« Le Monde diplomatique  : “ Prenez tel éditorial du Monde diplomatique expliquant comment l’Amérique […] a trouvé l’arme secrète pour ‘domestiquer les âmes’ […] – quasiment les mots de Drieu la Rochelle […]. Prenez encore, dans le même numéro du Monde diplomatique, […] les troubles relents qu’a la dénonciation de l’‘establishment cosmopolite de banquiers et de juristes d’affaires’ qui domine l’Amérique et, donc, le monde. Maurras ou, aujourd’hui, Le Pen n’aurait pas dit mieux… Et dans tel autre article signé Loïc Wacquant et Pierre Bourdieu, […] comment n’être pas sensible, encore, aux troubles assonances avec l’autre antiaméricanisme, le seul, le vrai, celui d’Arthur Moeller Van den Bruck, inventeur de la formule ‘Troisième Reich’ ? ” (p. 269-270) »

Castoriadis n’avait pas tort de parler de « fourberies staliniennes »[v] à son sujet. À l’heure où la pensée dominante se veut bonne conscience, et où toute déviation de cette idéologie gazeuse est rétroactivement condamnée sans appel, le meilleur moyen de faire en sorte que les vaches restent dans leur enclos consiste à user de la Terreur intellectuelle, du chien de pâtre : procès en antisémitisme, en islamophobie, en conservatisme, etc. L’hitlérisation n’étant autre que la bombe atomique, l’arme de dernier ressort, pratique et efficace pour clouer le bec de l’ennemi politique à tout jamais. « On l’aura compris : pour le Nazificateur [B.-H.L. dans L’idéologie française], il ne s’agit pas de faire dans le détail. […] Tel est le propre des imprécateurs. Le Nazificateur n’échappe pas à la règle. Il traque ce qu’il considère comme le Mal chez les individus les moins soupçonnables, et, pour les confondre, prend les raccourcis les plus ridicules. Du Drumont à l’envers, en somme. Même frénésie paranoïaque, même boléro idéologique où les noms voltigent les uns après les autres dans un tourbillon inquisitorial, pour finir dans le grand bassin de l’infamie. Ceux qu’il cite, ceux auxquels il pense ou qu’il omet, et qui pourraient tout aussi bien suivre.

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Charles Péguy

Voltaire ? L’ancêtre de l’antisémitisme d’État. Ni plus ni moins (il n’a donc plus “l’âme juive” ?). Michelet : un continuateur, pour ses très ambiguës condamnations de “l’usure”. Les frères Goncourt, les frères Lumière, Gustave Eiffel et le jeune Hugo ? Idem. Baudelaire, qui s’oublie parfois, et Zola qui dépeint curieusement certains Juifs de la Bourse – certains ? Mais c’est suffisant ! Renan, tout autant, qui estimera que “l’inégalité des races est constatée”. Maurras, évidemment, et Barrès, bien sûr, en dépit de la rédemption de l’Union sacrée (ou plutôt : en raison de ce sursaut unanimiste ; l’union nationale n’est-elle pas, selon le Nazificateur, une pulsion protofasciste ?). Péguy ? Comment dites-vous ? Non : “Péguy-le-raciste”. Proust, hélas, admirateur de Maurras et fidèle abonné de l’Action française. Anatole France ? – voyez ce nom ! Bergson ? Son “élan vital” est gros d’ambiguïté ; on est ici, sans doute, “tour à tour” dans le bergsonisme et dans le prénazisme – et dire qu’Halévy ne ratait pas une de ses conférences… Alain qui, bien avant Laval, exprima le souhait de voir l’Allemagne gagner et se hasarda à évoquer “une guerre juive”. Claudel qui rédigea – en 1940, non en 1918… – une Ode au Maréchal ; et Berl qui fut son nègre fugace, mais immortalisé par “la terre qui ne ment pas”… »[vi]

Simplismes des adeptes de la complexité

En effet, le maraboutdeficelliste ne fait pas dans le détail. D’ailleurs, cela l’aide bien : lui qui se targue de faire dans la complexité quand il s’agit de gloser dans le ciel des idées – en réalité un marché –, aime au contraire l’attitude du bourrin lorsqu’il s’agit de rayer de la carte quelques « infréquentables ». Dans son univers, citer un auteur « de droite » revient à adhérer à toutes ses thèses, et donc être « de droite ». Un auteur « d’extrême-droite » et c’est le prix double : la Bête immonde est de retour. Ne surtout pas aller voir ailleurs que dans son enclos – de la Raison ? – bien confortable, ne surtout pas sortir des chantiers battus, et surtout – surtout ! –, ne pas admettre qu’un adversaire politique puisse avoir raison… Tel est son leitmotiv.

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Pourtant, cet homme, qu’on trouvera bien souvent dans les recoins les plus satisfaits de « la gauche » – car « la gauche », c’est bien connu, est le Bien incarné – n’arrive jamais à résoudre ses propres contradictions. À un moment ou à un autre, le voilà qui fait un faux pas et se retrouve à citer un monsieur peu recommandable, ou un monsieur qui aurait lui-même cité un tel monsieur, ou fréquenté, ou approché, voire, pourquoi pas, frôlé du bout de la manche. Et pour cause : l’Histoire démontre que les plus grands esprits, ceux qu’on retient, ceux qui demeurent, n’ont jamais été faits de cette matière pure et flottante des bons esprits contemporains. Bien souvent ont-ils entretenu des liens avec « l’autre camp ». Les exemples regorgent et je ne peux m’empêcher d’en énoncer quelques-uns.

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Jean Jaurès

Ainsi, qui sait que, malgré leurs inimitiés politiques et leurs tempéraments divergents, le socialiste internationaliste Jean Jaurès entretenait de très bonnes relations – je n’oserais dire amicales – avec le nationaliste anti-dreyfusard Barrès ? Qui sait que ce dernier, lors de la mort du premier, dit « je détestais ses idées, mais j’aimais l’homme » et en éprouva un sincère chagrin ? Aujourd’hui, quelques chafouins personnages médiatico-intellectuels dénoncent pourtant, avec la bonne conscience de l’Inquisiteur, les rencontres de Mélenchon avec des hommes de droite tels que Zemmour, Guaino ou Buisson… Comparaison n’est pas raison, mais l’analogie ne semble pas inopportune en l’occurrence : Mélenchon n’était-il pas soupçonné alors, par la valetaille médiatique et quelques gauchistes excités, de « fréquentations douteuses », voire de « sympathie pour la droite extrême » ? Avec la même logique, Jaurès aurait, de fait, été trainé par la peau jusqu’au Jugement suprême de ces jurés impitoyables : sa proximité personnelle avec le chauvin patriotard Barrès ne pouvant être que la preuve même de son manque cruel d’antiracisme ou de progressisme.

Que dire de ces amusantes grosses têtes du gauchisme ? Les premiers à flairer le « facho », « l’islamophobe » ou le « rouge-brun » dès que la moindre parole sort des sentiers battus, ils vont pourtant souvent puiser leurs sources chez des auteurs qui ne s’embarrassaient et ne s’embarrassent guère de telles précautions. Ainsi, toute une flopée de penseurs d’extrême-gauche – Derrida, Bensaïd, Bourdieu pour ne citer qu’eux – ont pu trouver intéressantes les idées de Carl Schmitt, juriste national-socialiste et néanmoins éminent intellectuel. Idem pour toute une gauche radicale qui a pu voir dans Heidegger un refuge antimoderne et écologiste, alors qu’il a, de même, soutenu le IIIe Reich. Et que dire de l’immense, l’incommensurable influence qu’exerça et exerce toujours Nietzsche sur tout un pan de la pensée de gauche[vii] – social-démocratie allemande, école de Francfort, et des penseurs aussi différents que Camus, Deleuze, Onfray, Foucault ou Bataille ? Nietzsche qui était pourtant un authentique aristocrate, profondément anti-démocrate, anti-révolutionnaire, raciste, etc. C’est-à-dire le summum de tout ce que nous, Modernes, condamnons, la gauche a fortiori.

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Karl Marx

Il faut dire qu’il existait aussi une époque où admettre la pertinence de certaines idées venant d’adversaires ou d’ennemis n’impliquait pas automatiquement la mise au ban pour blasphème contre la pensée unique. Karl Marx et Friedrich Engels pouvaient comme cela qualifier la critique réactionnaire et aristocratique du capitalisme, dans Le Manifeste, de « critique amère, mordante et spirituelle » qui « frappait la bourgeoisie au cœur ». Ces deux-là, comme le note bien Michaël Lowy dans une conférence sur le marxisme et le romantisme[viii], trouvaient par ailleurs très intéressant le penseur romantique Carlyle, qui se situait dans un horizon entre tradition et révolution. Dans cette même conférence, Lowy mentionne le marxiste Ernst Bloch et un propos qui devrait faire frémir les éclaireurs des heures sombres : il aurait dit, en effet, que la réaction de Marx et Engels contre le capitalisme provenait avant tout d’un sentiment d’injustice, de l’idée qu’il n’est pas « fair » (sic), et que celle-ci s’enracinait dans une vision de l’équité venue de la chevalerie. Et on ne rappelle jamais assez que Marx, enfin, adulait le monarchiste réactionnaire de droite Bal­zac.

À bas le maraboutdeficellisme !

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Michel Onfray

Nous constaterons en définitive que cette vision du monde a de l’avenir. Michel Onfray nous l’aura montré assez odieusement lorsqu’il prit part à la campagne de dénigrement de Mélenchon lors des présidentielles. Dans un amalgame invraisemblable, il réussit à imputer à Mélenchon un soutien au théocrate Ahmadinejad, parce qu’il aurait soutenu Chávez, qui était ami avec ce dernier ! Mieux encore : il fit sienne la comparaison entre Mélenchon et Le Pen. Comment ? Étant donné que Robespierre = Terreur, et Mélenchon cite Robespierre, Mélenchon = Terreur. Or, Robespierre, pour cette raison, n’a rien à envier à Brasillach. Donc Mélenchon citant Robespierre = Le Pen citant Brasillach. Et le tour fut joué ! Ne dénonçait-il pas déjà en 1992 la pensée écologiste comme une pensée profondément pétainiste[ix], proche de la pensée des « néo-fascistes du Front national », et où communieraient nazis, pétainistes, écologistes et gauchistes ? On ne lui fera pas remarquer, pourtant, que malgré son adhésion pleine et entière au maraboutdeficellisme, il en aura été, depuis ses débuts, et jusqu’à récemment avec l’affaire Valls, une véritable victime. Ni qu’il use lui-même de références sulfureuses, comme dans son livre sur Freud, où il mentionne un intellectuel du Club de l’Horloge. Le maraboutdeficelliste se caractérise aussi par sa capacité à refuser de s’appliquer ses principes de pureté doctrinale à lui-même.

« La tolérance, vertu héroïque, était avant tout la capacité à surpasser ses réticences pour accepter l’Autre, ne serait-ce que pour le combattre. Aujourd’hui, il s’agit de nier cet Autre au nom même de la tolérance. »

Il est manifeste qu’une telle pensée aveugle le camp socialiste, et le conduit à ignorer l’apport fécond de penseurs qui ont pu politiquement s’égarer, ou qui n’adhèrent pleinement à certains credo modernes à la mode. Des penseurs inclassables sont ainsi tout simplement ignorés ou méprisés, qu’ils aient pu remettre en cause des dogmes du libéralisme – pensons à Georges Sorel[x] qui pouvait fustiger la démocratie libérale représentative (qu’il confondait erronément dans les termes avec la démocratie) tout en valorisant la démocratie ouvrière directe, critiquer le rationalisme abstrait et vanter les vertus guerrières tout en fustigeant la violence étatique – ou qu’ils aient refusé le clivage gauche-droite – Jean-Claude Michéa, Christopher Lasch, Georges Bernanos. Les romantiques, admirablement remis en valeur par Michaël Lowy et Robert Sayre, sont gommés de l’histoire des idées ou relégués au rang de réactionnaires pour avoir critiqué l’idéologie du Progrès, l’optimisme des Lumières, leur culte de la Raison ou leur individualisme. Zeev Sternhell l’a assez bien montré : quiconque s’écarte de ce droit chemin libéral ne peut être qu’un précurseur ou un idéologue du fascisme. Michelet, Mussolini, De Maistre, Péguy, Lévy-Strauss, Nicolas Sarkozy, Finkielkraut, Maurras, même combat « anti-Lumière » pour cet éminent historien des idées !

Que ce soit par esprit militant, par ignorance ou par idéologie – les trois étant combinables – l’incapacité à admettre un point de vue différent ou dérangeant fait des ravages. Nous vivons dans des sociétés où la tolérance est érigée au rang de vertu cardinale, et on n’a jamais été aussi peu tolérant. La tolérance, vertu héroïque, était avant tout la capacité à surpasser ses réticences pour accepter l’Autre, ne serait-ce que pour le combattre. Aujourd’hui, il s’agit de nier cet Autre au nom même de la tolérance. Plutôt rejeter en bloc que de faire un travail d’inventaire, plutôt refuser qu’un point de vue adverse puisse contenir une part de vérité – y compris pour s’y opposer – que de le considérer. On peut observer sans trop exagérer que c’est ainsi que de faux conflits apparaissent, permettant le maintien d’un consensus qui refuse toute remise en question. Gauche/droite, progrès/tradition, raison/obscurantisme : toutes ces illusions caduques empêchent désormais de penser radicalement et concrètement les choses, afin de percevoir les oppositions réelles et pertinentes. Juger les idées à l’aune d’un critère aussi manichéen que gauche/droite est, par exemple, le meilleur gage d’une pensée médiocre et conformiste. Notre ère attend des penseurs critiques une grille d’analyse qui se débarrasse de ces scories dogmatiques. Le camp socialiste devra comprendre cela, sous peine de ne rien comprendre ou de continuer un psittacisme d’un autre temps.

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Pour les autoproclamés antifas, le journal Fakir est à classer parmi les sites dangereux, « confusionistes », « fascistes », « racistes » et tout plein d’adjectifs censés dissuader quiconque d’y jeter un coup d’œil. Fakir leur a répondu en dessins, et c’était la meilleure réponse possible.

Ce clivage a cela d’autant plus odieux qu’il convie de nombreux prétendus iconoclastes à se retrouver majoritairement dans les analyses du susnommé BHL. Ainsi, une extrême-gauche, qui a autant de rapport avec Jules Guesde ou Kropotkine que Ségolène Royal ou Clémentine Autain avec Louise Michel, se veut détective des mauvaises idées. Il y avait les caniches du Capital avec les Nouveaux Philosophes, nous avons désormais ces chiens de flic, dont le flair aguerri par d’interminables recherches sur google détecte la moindre odeur de « brun » sur les rouges. Face à ces deux caricatures de la gauche libérale, l’une aussi impopulaire que l’autre, le camp socialiste doit se dresser en insoumis. Revitaliser le conflit idéologique, social et donc politique – son rôle crucial – implique de préserver une autonomie de réflexion, sans quoi les sirènes de la Bonne Pensée se feront un malin plaisir de les obliger à désavouer de nombreuses personnes et idées. Les espaces de débat se réduiront – comme l’atteste le cas Escudero – et sur cette déliquescence de la pensée critique triompheront les ennemis du socialisme.

Nos Desserts :

Notes :

[i] « Sur les racines de la disparition de la pensée critique », Collectif Lieux Communs. Extrait : « Le projet d’autonomie, c’est-à-dire le projet pour une autotransformation radicale et démocratique de nos sociétés, ne peut se résumer à un changement de la structure politique et économique des régimes oligarchiques en place. Il nécessite en effet une mutation anthropologique, un changement radical en d’autres mots, qui toucherait toutes les sphères de la vie sociale, tant au niveau collectif qu’individuel. C’est précisément pour cette raison que toute tentative de revendiquer une telle perspective politique doit essayer d’élaborer une nouvelle forme de praxis, au sein de laquelle l’engagement proprement politique, au sens étroit du terme, se concilierait avec une tentative d’élucidation théorique. Dans le cadre de cette approche, il faut reconnaitre un fait fondamental : depuis la fin des années 1970, il n’existe plus de tradition majeure de pensée politique critique. »
[ii] Œuvres complètes, tome II, p.754
[iii] Nathalie Rheims, « Bernard-Henri Lévy, le Magnifique ! »
[iv] Serge Halimi, « Tous nazis ! », Le Monde diplomatique, 7 novembre 2007.
[v] Cornélius Castoriadis, « L’industrie du vide », Le Nouvel Observateur, 9 juillet 1979.
[vi] David Martin-Castelnau, Les Francophobes, éditions Fayard, p.78-79.
[vii] « M. Adolf Le­ven­stein a fait une enquête sur les goûts littérai­res des ou­vriers al­le­man­ds. Beau­coup ont lu Nietz­sche, et sur­tout Ainsi parla Za­ra­thous­tra. Le plus grand nom­bre ex­al­te le phi­lo­so­phe du sur­hom­me. Y au­rait-il quel­que par­enté in­ti­me entre le so­li­taire Nietzsche, qui tra­ver­sa la vie, comme le dit jus­te­ment M. Max Adler, “en étran­ger”, et l’ou­vri­er écrasé par la matière, et qui es­saie d’éch­ap­per à l’écrase­ment par l’in­ten­sité de la vie intéri­eu­re ? Un serr­uri­er écrit : “Celui qui est ca­pa­ble de com­prend­re Nietz­sche, était nietzschéen sans le sa­voir, par préde­s­ti­na­ti­on.” Il juge in­t­an­gi­b­le le droit de la per­son­na­lité. “So­yons des co­lon­nes qui forcent l’at­ten­ti­on, mais qu’on ne peut ébran­ler. So­yons comme chargés d’une force qui se répand et agit.” » Paul Lévy, 1913 ; cf. l’excellent ouvrage de Max Leroy, Dionysos au drapeau noir, Nietzsche et les anarchistes, éditions Atelier de création libertaire, 2014.
[viii] http://vimeo.com/30642099
[ix] « Les babas cool du Maréchal », Le Nouvel Observateur, 7 mai 1992, pp. 94-96.
[x] Le dossier « Existe-t-il une pensée fasciste ? » du Philosophie Magazine de mai 2014 a été une nouvelle fois l’occasion pour l’historien Zeev Sternhell de caricaturer grossièrement la pensée du syndicaliste révolutionnaire Georges Sorel. Pour sa critique des Lumières, de l’idéologie du Progrès, du rationalisme étriqué, ainsi que pour sa revalorisation des pulsions irrationnelles ou du mythe, il le présenta comme « ni plus ni moins, la matrice théorique du fascisme ». Semblant oublier par-là que Sorel était anti-nationaliste, partisan acharné de la lutte des classes et surtout, contempteur radical de l’État, dans une logique proche de l’anarchisme.
Il y est rappelé par ailleurs le fait que ses théories aient inspiré Mussolini, oubliant par-là que ce fut aussi le cas d’une personnalité aussi irréprochable que Jean Jaurès, dont l’ouvrage L’Armée nouvelle eut un impact majeur sur la pensée mussolinienne. Cf. Patrizia Dogliani, Marco Gervasoni, « Jaurès, le socialisme italien et les images de l’État » in Jaurès et l’État, colloque international – Castres 1999, p.230-231.

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5 réponses »

  1. Texte très intéressant mais comportant tout de même quelques erreurs : Voltaire était bien antisémite et raciste et en faisait doctrine politique. Son traité sur les moeurs de nations est le premier texte de l’histoire occidentale qui tente de donner une justification scientifique et philosophique à l’antisémitisme, c’est à dire une justification rationnelle. Diverses de ses lettres confirment qu’ils conserva ces idées et qu’il continua d’ne faire profession de foi. A contrario, Nietzsche n’a jamais été raciste ni antisémite, c’est même l’antisémitisme et le racisme de Wagner qui sont la cause de leur rupture. Dans plusieurs de ses oeuvres, Ecce homo, ou le cas Wagner, il s’exprime clairement à ce sujet. Quand à considérer qu’il était anti-révolutionnaire, c’est à dire réactionnaire, c’est là encore une erreur d’appréciation qui ne prend pas en compte qu’il prônait une autre sorte de révolution qui ne visait pas la conquête du pouvoir, mais la ré-appropriation de la culture et des sentiments par des hommes à qui ont avait confisqué ces éléments vitaux au profit des religions, des états etc … Le projet de Nietzsche est de re-fonder le cynisme et le stoïcisme grecs pour les porter à un nouveau stade de développement émancipateur, ce qui en soit est un projet à la fois anarchiste et révolutionnaire. Mais si l’on considère en plus qu’il exclue la religion et l’état, c’est pour l’heure que toute la portée révolutionnaire de son projet apparait. L’image que l’on a des ces deux philosophes est bien souvent un agrégat de clichés faux qui ne résistent pas à la lecture de leurs écrits (pour ceux qui les ont vraiment lus). Il ne faut jamais se fier aux apologies qu’on a fait de leur oeuvre, dans le cas de Voltaire par une droite désireuse de le rendre biocompatible avec la nouvelle pensée républicaine en expurgeant de son oeuvre à partir des éditions de 1802 tous els propos racistes et antisémites, et dans le cas de Nietzsche par la manipulation de son oeuvre apr sa soeur qui avait suivi les idées de Wagner et qui publia une falsification de sa pensée dans une version volontairement réécrite de la « volonté de puissance » qui fit le bonheur des nazis et connota la lecture des oeuvres de Nietzsche depuis.
    Malheureusement le confusionnisme qui voudrait nous faire prendre des vessies pour des lanternes (et réciproquement) ne date pas d’hier …

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