Politique

Emmanuel Macron, ce pâle fantôme de Joseph Schumpeter

Quel homme, ce Macron ! Non content d’avoir été parachuté à l’Économie en 2014 sans autre carte de visite que son joli minois, le banquier-ministre semble faire aujourd’hui la pluie et le beau temps au sein du gouvernement et dans le quotidien des Français. Ça y est, la gauche aurait trouvé son homme fort pour 2022, qu’on vous dit, m’sieur ! C’est une véritable révolution, un homme si jeune, si distingué, si anticonformiste en politique, mais oui madame ! La dernière cartouche du Parti socialiste, c’est sûr ! Redescendons sur terre : Macron n’est ni poli, ni novateur, ni économiquement hétérodoxe. Derrière le nouvel Adonis de la finance à la barbe mal taillée se dissimule simplement une vilaine caricature du célèbre économiste Joseph Schumpeter.

Acte 1 : « Le statut des fonctionnaires n’est plus adapté au monde tel qu’il va »

Contrairement à certains de ses collègues de fauteuil, Emmanuel Macron a une vision du monde : cela signifie-t-il qu’il est une chance pour la France ? Non, non, et re-non. Notre cher ministre de l’Économie n’a retenu de Marx que sa théorie du sens de l’Histoire. En voulant faire de l’histoire une science, le philosophe allemand réduit en effet le temps long historique à une simple succession des modes de production, qui conditionnent le mode de vie social, politique et intellectuel des hommes. Ainsi, pour Emmanuel Macron, la mondialisation serait inéluctable, la misère nécessaire, les plans sociaux incontournables, tout cela dans la logique d’un avenir nécessairement meilleur. D’ailleurs, qu’ont-ils à se plaindre, ces travailleurs qui bientôt ne feront même plus partie des petites fiches de nos politiques, tant ces derniers souhaiteraient gouverner en se passant du peuple ?

Le ministre de l’Économie croit dur comme fer à la théorie de la “destruction créatrice”, qui désigne un phénomène de destruction intégrale d’activités économiques jugés anciennes pour faire place à de nouveaux secteurs, et qui fut mise sur papier par l’économiste Joseph Schumpeter, dans un livre intitulé Capitalisme, socialisme et démocratie. Avec une différence fondamentale, toutefois : Macron éprouve une aversion profonde pour le vieux monde, ce monde − celui des services publics, de la protection sociale, des métiers réglementés par le code du travail − qu’il juge périmé, décrépit et bon à jeter tout entier à la poubelle. Lui veut déboulonner, et seulement déboulonner, notre façon de concevoir le travail. Le chômage monte en France ? Mais enfin, il suffit de ne pas ennuyer les gens avec des diplômes ! Qu’ils fassent ce qu’ils veulent, et en faisant fi de tout apprentissage, pardi ! Et en supprimant quelques branches professionnelles au passage, par-dessus le marché ! Les fonctionnaires coûtent trop cher dans la logique – qui prévaut aujourd’hui – d’optimisation économique ? Retirons-leur leurs privilèges, à ces fainéants, nivelons par le bas : tous précaires à terme, et tout le monde sera enfin logé à la même enseigne ! C’est le sens de la citation qui ouvre ce paragraphe, la direction à prendre, selon notre ministre de l’Économie.

À toutes fins utiles, rappelons qu’Emmanuel Macron est un pur produit du monde de la finance, et que le rêve avoué de cette dernière se trouve être – et de longue date – la fin du contrat à durée indéterminée (CDI). Entre dévalorisation du travail et mépris des travailleurs eux-mêmes, il regarde l’avenir en l’überisant déjà. Assez proche des thèses d’un Jacques Attali, il rêve d’un futur où les hommes auraient une valeur marchande, seraient changés en couteaux suisses, prêts à dégainer leurs compétences sur un marché du travail libre et dans le fossé. En d’autres termes, le ministre de l’Économie souhaite que la loi de la jungle redevienne la norme, dans une logique flattant uniquement les instincts consommateurs. Que fleurissent les taxis à 1 euro, les cars pas chers et les voyages dans l’espace en solde !

À la différence d’Attali cependant, la question du bien-être au travail n’entre pas en ligne de compte dans la grille de lecture d’Emmanuel Macron, car jamais ce n’est un sujet de préoccupation dans ses discours. Comme un enfant jouant aux Playmobil®, il donne un coup de pied à la structure qui s’effondre, sans être capable d’en proposer une autre. Et se dit qu’après tout, les petites figurines de son monde imaginaire se démerderont bien chacune dans leur coin. Ajoutons qu’à la différence de Schumpeter, Macron ne croit pas en une fin inéluctable du capitalisme, et encore moins au socialisme.

« Le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais apparaît à côté de l’ancien, lui fait concurrence jusqu’à le ruiner », J. Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942.

Acte 2 : « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires »

Lancée début 2015, cette petite phrase ne lasse pas depuis de faire sourire. Dans une France en pleine cure d’austérité, Macron aurait pu se contenter d’une macronade plus modeste, moins arrogante : « devenir riche » ou « devenir millionnaire ». Non, cela n’était pas encore assez fort, pas assez incitatif pour le philosophe-énarque. On sait notre ministre épris d’une vision idéale de l’entrepreneur capitaliste, l’aventurier, le besogneux, celui qui veut, celui qui peut − le self made man américain, modèle parmi les modèles − et qui se transforme soudain en celui qui doit. À l’instar de la théorie schumpeterienne, qui parie sur la volonté de puissance bienfaisante des entrepreneurs, Macron croit – car c’est une croyance – que la jeunesse de son pays parviendra un jour à détrôner des monopoles mondiaux déjà fort bien installés, grâce à l’appât du gain. Point final. Sans protectionnisme, sans aucune aide face aux requins mondialisés et à la finance toute-puissante : on prend les mêmes, et on recommence !

L’envie de richesse de quelques uns profiterait donc, sur le long terme, à tous. On attend impatiemment que Macron nous explique alors pourquoi les inégalités ne cessent de se creuser d’année en année. Devenir milliardaire, oui, mais comment ? Manu ne répond pas à la question. En entreprenant, donc ? Tous patrons, voilà l’utopie macronienne ! Oubliant au passage que le taux d’échec des jeunes entrepreneurs s’élève à environ 50 % en France. Et si l’on s’intéresse aux raisons de ces échecs, on s’aperçoit que c’est justement parce que certains entrepreneurs souhaitent devenir milliardaires que les autres n’ont pas la possibilité d’imposer leur activité dans la durée ! L’équation est simple à résoudre : Macron encourage certains jeunes à bâtir un empire économique, à se couper des réalités, à écraser leur génération. Pour quelques Bernard Arnault de plus, il serait prêt à sacrifier la jeunesse toute entière.

Pourtant, Emmanuel Macron l’assure : il est de gauche. Comme François, Manuel, et les autres larrons avec qui il fait la foire. D’ailleurs, “le libéralisme est une idée de gauche”, pas vrai ? Du moins, d’une certaine gauche , celle de Benjamin Constant ou Frédéric Bastiat, ce dernier faisant d’ailleurs partie des influences avouées de Ronald Reagan et Margaret Thatcher. En d’autres termes, la gauche, oui, mais celle des puissants. Le discours de Macron est clairement un discours de lutte des classes prononcé par un homme qui se rallie délibérément au camp des vainqueurs. On ne peut même pas faire l’honneur au ministre de l’Économie de l’appeler “social-traître”, parce qu’il n’y a même jamais rien eu de social en ce sinistre – et cynique – personnage.

« S’il n’y a que des petites entreprises, on restera dans la zone des rendements constants. L’économie risquera de demeurer dans l’état stationnaire […]. Au contraire, les grandes entreprises vont prendre l’initiative du progrès en finançant des recherches », J. Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942.

Acte 3 : « La vie d’un entrepreneur est bien souvent plus dure que celle d’un salarié »

Il y aurait beaucoup à dire sur cette dernière provocation, dont la violence rivalise avec l’idiotie. Surtout parce que la phrase a été prononcée tout dernièrement par notre banquier-ministre qui ne connaît pas, à l’évidence, la vie des entrepreneurs, et encore moins celle des salariés. Une nouvelle fois, Macron tente de s’inscrire dans le sillage intellectuel de Joseph Schumpeter, pour qui l’entrepreneur est « le révolutionnaire de l’économie », à savoir une sorte de surhomme qui serait capable de faire advenir l’innovation seul, sans la participation des salariés ou d’autres acteurs sociaux. Une différence fondamentale existe cependant entre les deux hommes : Schumpeter se contentait, à son époque, de pointer le rôle moteur des petits et des grands entrepreneurs dans l’économie capitaliste. Macron, lui, non seulement choisit de confondre petits et grands patrons, mais s’empresse de vanter les mérites d’un patronat fantasmé sur un salariat qu’il méprise profondément. Pour lui, les salariés ne font, après tout, que travailler, modestement, dans leur coin : en d’autres termes, ils ne servent à rien et doivent retourner dans les poubelles de l’Histoire.

Si on peut reconnaître que la vie d’un petit entrepreneur est parfois aussi dure que celle d’un salarié, il n’en est pas de même pour les très gros, les entrepreneurs monopolistiques, qui parasitent l’économie mondiale, empêchant toute concurrence en tuant des secteurs économiques entiers. Schumpeter et Macron se rejoignent bien en un point : ils considèrent que l’économie n’a pas à rester à un “état stationnaire”, et croient tous deux au progrès technique infini. Le premier donnait une pleine confiance aux grandes entreprises, qui selon lui devaient inévitablement réinvestir leur capital dans la recherche ; le second ne semble croire en l’enrichissement qu’en tant que fin en soi. Si on peut reprocher à l’économiste d’avaler un certain nombre de couleuvres, on doit reprocher à Emmanuel Macron de ne valoriser l’ambition que lorsqu’elle implique un profit. Nous sommes là loin, très loin, de ce que l’on peut aujourd’hui appeler le socialisme.

encart 2Dans le monde post-moderne de Macron, on cueille les emplois comme des brins d’herbe et on change de métier comme de costume : que M. le ministre de l’Économie passe ne serait-ce qu’un mois dans la peau d’un salarié moderne, et il comprendra que la dureté d’une vie ne se mesure pas uniquement à l’aune des heures de travail effectives. Le stress, les cadences – parfois infernales – à supporter, la diversification des activités qui dévoie parfois certaines professions, le souci de pouvoir nourrir ses enfants, avec le licenciement comme épée de Damoclès : voilà autant de réalités que l’encravaté ne connaîtra jamais.

Entre 2007 et 2012, chaque fait divers voyait naître une loi inutile. Sous le quinquennat Hollande, à chaque fois que Macron prononce une ânerie, Le Monde pond un article. Preuve, si besoin est, que l’animal politique post-moderne est la dernière trouvaille à la mode des partisans du libéralisme sans limite pour lancer de faux débats. Des âneries, Macron en dit beaucoup, et déjà il peine à conserver sa left credibility dans l’opinion publique. Ses propositions ne viennent jamais contredire l’ordre établi, même si les grands médias le vendent comme un révolutionnaire. Et si révolution il y a avec Macron, nul doute qu’elle sera celle de la « société liquide », annoncée par Zygmunt Bauman : plus de collectif, mais uniquement des individus, des monades ; plus de citoyens, mais uniquement des consommateurs.

Le niveau des babillages du ministre n’a d’égal que la petitesse avec laquelle il embrasse sa fonction. Ne surtout pas sous-estimer l’adversaire, toutefois. En bon énarque, il est évident qu’Emmanuel Macron connaît le poids des mots, d’autant qu’une armada de petits communicants s’agglutine autour de lui. Ne surtout pas croire non plus qu’il serait en bisbille avec d’autres membres du gouvernement : ceux-ci sont ses amis de classe, et ce camp-là, envieux mais solidaire, est notre ennemi de classe. Les contemporains de Schumpeter jugeaient que ses travaux faisaient de lui un économiste hétérodoxe. Soixante-dix ans après sa mort, Macron est un ministre de l’Économie orthodoxe, désespérément orthodoxe.

 

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La jeune garde du Président : communicants, énarques et encravatés. Le bonheur selon Macron. © Paris Match

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