Société

Petit guide de débunkage pour lecteurs de presse

Les médias restent des institutions légitimes, dont la critique demeure suspecte. Les sites de débunkage “citoyens” – qui consistent à démystifier les informations –, très réactifs contre des sites confidentiels, semblent ignorer la grande presse. Et pourtant, ces deux mondes se ressemblent. Petit guide de débunkage à l’usage du lecteur de presse assidu.

Le rôle des médias dans la « fabrication du consentement » a été disséqué plusieurs fois. Noam Chomski, le penseur à l’origine de l’expression, a brillamment analysé le rôle des médias dans la manipulation de l’opinion publique pour lui faire accepter la guerre du Golfe comme une guerre juste. Serge Halimi, dans une édition augmentée de L’opinion ça se travaille (Agone, 2014), s’est attaqué à la question de la guerre de Yougoslavie et de la guerre en Libye. Pierre Carles, caméra en main, a filmé le processus d’autocensure, portant à la connaissance du public des images édifiantes. Sur un plan plus social, le site Acrimed s’attache à démontrer les partis pris et les choix de langage des commentateurs de l’actualité. Mais, même si nous savons que les médias n’appartiennent qu’à quelques uns, ils restent encore souvent des institutions légitimes, dont la critique demeure suspecte.

Infographie réalisée par Marie Beyer et Jérémie Fabre pour Le Monde diplomatique

Le mensonge par omission

C’est le premier mensonge, celui qui n’est pas vraiment un mensonge, dont au fond, on ne sait rien. Des agressions sexuelles à Cologne ? Pas vues. Le jeune Adama Traoré tué par la police dans des circonstances suspectes ? Si le slogan « Black lives matter » est en anglais, c’est certainement parce que ce genre de choses ne se produisent pas chez nous.

Pris à parti sur les réseaux sociaux sur leur silence, les médias invoquent la “prudence” et les “responsabilités” liées à l’exercice de leur profession. Ben voyons…

Ce genre d’oubli n’est pas anecdotique. C’est la norme de l’information. Comme le rappelle Laurent Gervereau (Inventer l’actualité : La construction des imaginaire du monde par les médias internationauxLa Découverte, 2004), l’information est tenue par quelques pays. Au sein de ces quelques pays, une minorité de personnes sélectionnent une minorité de faits, qui feront l’actualité.

Mal nommer les choses

« Mal nommer les choses, c’est ajouter de la misère au monde », disait Camus. Il vise alors les intellectuels communistes qui, attachés à Moscou, prennent leur distance avec la réalité pour y plaquer les mots de l’idéologie. Ainsi en 1947, le Parti de classe ouvrière lutte activement contre les grèves de mineurs, organisées par “les sociaux-traitres hitléro-trotskistes” qui déterrent les armes et occupent les usines. Cherchez l’erreur.

Cette technique, qui vise à manipuler la “vision du monde” des individus en leur imposant des catégories de pensée et des mots pour penser les choses, est pratiquée bien au-delà de la sphère médiatique. Imposant leur vocabulaire aux journalistes, les agences de presse fabriquent ainsi une vision du monde biaisée tout en gardant une apparente objectivité.

Ainsi dans le conflit syrien, le terme “rebelle” désigne tantôt l’ensemble des opposants à Bachar el-Assad — par exemple pour dénoncer les frappes russes sur le Front al-Nosra — tantôt l’Armé syrienne libre — excluant ainsi des rebelles “légitimes” les groupes les plus ouvertement islamistes.

Cette stratégie de désinformation se décline à tous les niveaux d’analyse. Il est ainsi fréquent que des conflits politiques ou des luttes de décolonisation soient présentés comme des conflits religieux. La guerre en Syrie, opposant le nationalisme laïc et dur du Parti Baas à l’islamisme plus ou moins modéré de ces adversaires est dépolitisé pour être présenté comme un conflit sunnite/chiite. La lutte de décolonisation des Nord-Irlandais est présentée sous l’angle étonnant d’un conflit religieux catholique/protestant.

Mal nommer les sources

C’est un classique de la “désinfosphère” d’extrême droite : bâtir une analyse sur des données provenant de sources présentées comme neutres et respectables, quant il s’agit en réalité de coquilles vides ou d’organisations engagées. Les blogs d’extrême droite s’appuient parfois sur l’Observatoire de l’islamisation ou l’Observatoire des journalistes et de l’information médiatique, deux blogs d’apparence neutres et professionnels, en réalité tenus par des militants.

De même, depuis le début de la guerre de Syrie, la quasi-totalité des chiffres rapportés par les médias proviennent de l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Le nom peut laisser penser qu’il s’agit d’une ONG neutre ou de la branche locale d’une organisation internationale. Mais il s’agit, et on le dit trop peu, d’une association financée par les Qataris et dont la fiabilité est mise en cause par les chercheurs.

« Si vous voulez, moi je ne crois qu’on puisse ériger en principe qu’il y a pour les gens, un droit à tout connaître. » François-Henri de Virieu

Après la première guerre du Golfe et après la guerre de Yougoslavie, la presse a fait son autocritique, sans changer sa manière de fonctionner. C’est donc au public de s’adapter, afin de se faire manipuler, a minima, un peu mieux.

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