Éducateur sportif, AMM (accompagnateur en montagne diplômé d’état) et formateur en milieu naturel, avec une orientation milieu montagnard, Chris Cotard forme et encadre des groupes de personnes désireuses de renouer avec la nature. Nous avons souhaité nous entretenir avec lui afin de faire un état des lieux des publics concernés, et des raisons qui les poussent à entreprendre ce cheminement.
Le Comptoir : Peux-tu nous présenter tes multiples activités ?
Chris Cotard : Sur mes formations, les sujets abordés sont vastes, mais en gros on peut les regrouper sous trois étiquettes générales : recherche d’autonomie, gestion du risque en milieu naturel et survie. En 2017, j’ai créé La Forge Formation Immersion Montagne, qui se fixe comme but de permettre aux personnes de se former au milieu montagnard, d’acquérir les bases pour éviter de se mettre en danger ; et aussi des immersions qui sont l’occasion de partir en montagne pour des treks en très petit groupe afin de vivre l’expérience de la montagne sur la durée, en autonomie. Je travaille aussi comme guide de caravane muletière avec Artahe Voyage Muletier, un magnifique projet imaginé par Delphine, ma compagne de vie, qui mélange itinérance en montagne et transmission de valeurs et de savoir-faire de terrain à destination des familles avec enfants.
Troisième étiquette enfin, depuis 2008, j’ai rejoint l’équipe du CEETS (Centre d’étude et d’enseignement des techniques de survie). Pour ce faire, j’ai validé en 2012 un peu plus de trois années de formation pour apprendre à transmettre et à gérer des groupes sur le terrain. Et c’est ce que je fais depuis.
Quel est ton parcours personnel ? La raison qui t’a conduit à suivre cette voie somme toute atypique ?
Si je devais faire un énorme résumé de ce qui m’a mené à ce que je fais aujourd’hui, je dirais : mon éducation familiale et quelques rencontres… Je crois que l’ambiance dans laquelle on débarque dans ce monde laisse une trace indélébile en nous qui doit orienter malgré nous nos choix de vie. Dans mon cas, cette ambiance était bonne… Et aujourd’hui, si je monte de plus en plus de projets avec des familles et des jeunes, c’est sûrement avec l’idée en tête que si on veut améliorer notre monde ça passe par l’éducation des jeunes, le plus tôt possible. Une enfance passée au contact de la nature, aussi bien dans la campagne, qu’à l’océan, près de la mer et surtout, beaucoup de montagne. Très jeune, je bivouaque, campe, grimpe, pêche, cueille et apprends en regardant faire mon entourage. Tout cela va tisser entre la nature et moi un lien très fort qui va me permettre d’éviter d’aller me paumer sur des chemins un peu pourris en me ramenant à chaque fois à ce besoin de grand espace.
Mais c’est uniquement avec la rencontre de quelques personnes que je découvre et comprends que tous ces acquis pourraient être utiles à d’autres et surtout, que je pourrais en faire un métier-passion.
On constate que de plus en plus de personnes désirent renouer avec la nature, d’une manière ou d’une autre. La sensation d’être cernés par le béton et de ne plus avoir la moindre prise sur leurs vies conduit beaucoup de nos contemporains à prendre le chemin de la verte. Comment expliques-tu cela, toi qui les côtoies au quotidien ?
Nous sommes faits pour vivre au contact de la nature. Nous sommes la nature. Le besoin de contact avec la verte, le besoin d’y retourner, quels que soient la durée et le moyen choisi ne m’étonne pas. Ce qui m’étonne, c’est le fait d’avoir pu s’en couper aussi rapidement, jusqu’à en développer un vrai mal-être, conscient ou inconscient. Et surtout de participer à plus ou moins grande échelle à la détérioration de notre environnement naturel, si essentiel à notre équilibre profond. Sur l’ensemble de mes activités professionnelles, le nombre de personnes qui viennent me voir en recherche d’autre chose, de réorientation de vie, de calme, de besoin de faire des choses concrètes est significatif. Il y a un réel besoin d’immersion, de coupure d’avec le quotidien. Je le comprends d’autant plus que pour en arriver à ce que je fais, des changements de vie, des formations, des réflexions avec tous les hauts et les bas que ça implique, j’en ai connu quelques-uns…
J’essaye à mon niveau de répondre aux attentes en livrant mon expérience et ma vision de ce retour à la nature sans filtre, de la façon la plus pragmatique possible.

© La Forge
Les gens qui se rendent à un stage de survie ou à une formation en immersion sont mus par une volonté d’autonomie évidente. Or, on imagine qu’allumer un feu ou tendre une bâche relève du simple bon sens. Pourquoi est-ce que ces savoirs ont été oubliés par une large part de la population ?
Oui, bien souvent. En tout cas c’est ce que je constate en premier lieu : il y a le désir de renouer avec le milieu naturel, et puis on se rend compte qu’il nous manque la compréhension de ce milieu, voire même des savoir-faire de base. Là, il y a ceux qui viennent se former dans l’idée de se préparer au mieux et ceux qui échaudés par une situation délicate dépassée à un moment X ne veulent plus revivre ce moment galère. Et je peux te dire qu’en une dizaine d’années, le nombre de fois où j’ai dit « Et bien toi, tu as une sacrée chance… » je ne les compte plus… Ces savoir-faire sont oubliés car dans la majorité des cas, nous n’en avons plus besoin.
Avec l’exode rural, l’accès au confort, la modernisation de nombreuses tâches, la spécialisation des métiers, etc. pourquoi encore passer du temps à maintenir des savoir-faire anciens ? Le problème, c’est que lorsque tu oublies comment démarrer un feu, tu perds dans le même temps le fait de savoir choisir ton bois et d’utiliser les outils de bûcheronnage, tu ne travailles plus la capacité d’observation qui va te faire dire « Tiens, ici, il y a de la ressource pour entretenir mon feu, de l’eau à proximité pour l’éteindre ». Tu perds aussi la simplicité de rester assis devant ton feu, à te griller les rétines jusque tard dans la nuit.
Le confort moderne donne un faux sentiment de sécurité, nous rend moins résistants, moins rustiques et par conséquent, plus dépendants… Tout cela fait prendre conscience que le fameux « bon-sens » n’est pas inné, qu’il est le fruit de l’expérience et de la connaissance. Dans le cas contraire mon boulot n’aurait aucun sens, je ferais autre chose et je ne trouverais pas régulièrement du bois vert abandonné à coté de foyers de feu de camp sauvages mal organisés.
Quels sont les retours des gens qui viennent dans ces stages ?
Positifs, bien sûr, mais je dirais même forcément positifs puisqu’à la base ils viennent apprendre des techniques de survie, à être autonomes dans la préparation de leur prochaine aventure ou juste profiter d’une grosse bouffée d’oxygène, et qu’ils repartent avec des outils qu’ils n’auraient pas imaginé utiles à leur quotidien. Sûrement une des raisons qui fait que tout le monde colle aujourd’hui dans ses intitulés de stage de survie « Vie et survie ». Je n’ai pas le souvenir d’une seule personne ayant eu l’impression d’avoir perdu son temps ou son argent en suivant un stage, et pourtant j’ai eu sur mes formations des personnes qui avaient déjà bien traîné leurs guêtres un peu partout.
Qui plus est, si tu axes tes formations sur ce qui est vraiment utile, sans branlettes esthétiques pour coller à la dernière mode, sans rogner sur la sécurité pour faire du divertissement, et bien, tout simplement, les gens en recherche de contenu utile y trouvent forcément leur compte. Je ne fais pas dans le divertissement, j’essaye d’être utile et pour le moment, les retours que j’ai me donnent envie de continuer et de m’améliorer.
Est-ce déjà arrivé que l’un d’eux revienne vers toi plusieurs mois ou plusieurs années plus tard pour te dire : « Chris, la technique que j’ai apprise en stage a été décisive un jour où ma vie ou celle d’un de mes proches était en danger » ?
La réponse est oui. Après un stage de survie qui devait être annulé par manque de participants, d’ailleurs. J’ai une règle implicite qui va à l’encontre de la logique économique qui veut qu’un humain qui a BESOIN d’une formation, je ne vais pas lui dire : « Non ce n’est pas rentable de passer 36h ou 48h dehors juste pour ta gueule ». Donc je contacte les personnes et leur explique la situation. Là, pour le coup, il s’agit d’un couple qui partait faire une traversée hivernale quelque part en Amérique du Nord.
On fait donc le stage. Quelques semaines plus tard, je reçois un message qui m’explique qu’après une panne de leur système de réchaud, ce qui leur à permis d’avoir de l’eau liquide ET potable ce sont les principes d’allumage de feu en conditions bien dégradées et dans la neige que je leur ai enseignés. Tu ne peux pas savoir comme ce genre de messages te font plaisir et te permettent de te sentir à ta place.
On a vu lors du dernier hiver des files de voitures arrêtées sur le côté de la route et remplies d’individus livrés à eux-mêmes, et qui pestaient contre leur situation. Tout cela à cause de la neige. Ton avis de formateur là-dessus ?
Mon premier avis, c’est qu’il me reste énormément de boulot (rire).
En fait, le sujet est énorme, ce genre de situations n’est pas vraiment gérable en soi. Les voitures sur la route lorsqu’il neige, c’est comme une chaîne : il suffit d’un maillon faible et c’est le chaos pour tous les maillons en aval… Évidement, ma vision est faussée, l’autonomie, la préparation font partie de mes réflexions et préoccupations quotidiennes, ajoute à cela que je vis à la montagne et que forcément je trouve ce type de situations hallucinantes. Mais si tu ramènes ça à la personne dans son véhicule câblée sur son rail mental, son agenda rempli, à la bourre, qui voit la neige à la télévision ou une fois par an au sport d’hiver (ce qui lui donne peut-être aussi l’occasion de râler lorsqu’il doit mettre ses chaînes neuves de nuit sous la neige en montant à la station), et bien les quatre flocons font un peu office de grains de sable dans la mécanique.
Si j’étais malin, je développerais un kit de survie « Routes enneigées » à vendre avec les paires de chaînes : une couverture en laine, deux chaufferettes, une pelle et un guide « Rester courtois dans l’adversité ». Plus sérieusement, je crois que l’on peut s’appuyer sur ce type d’événements pour faire comprendre que l’intérêt d’être autonome n’est pas juste un truc pour les asociaux qui veulent vivre seuls au fond des bois. Que bien au contraire, chaque petit maillon autonome peut participer à créer une chaîne résiliente. En cas de situation de crise, on réagit plus vite, on ne devient pas le problème soi-même, et une fois gérées ses priorités on peut aller filer un coup de main. Mais bon, après, je ne vais pas réussir à vendre mes kits de survie… (rire)
Que l’on parle donc d’être bloqués dans une voiture, dans une gare ou encore dans une salle de concert, la problématique semble la même : il faut s’être préparés en conséquence au préalable. On imagine que tout relève du bon sens, en général, et la réalité vient contredire cela…
La même problématique : bug de notre quotidien, savoir se gérer afin d’aider les autres ensuite, mais avec des niveaux de priorités vitales très différents. Bloqué dans une gare pour cause de gréve ou dans une salle de concert sous des tirs d’armes lourdes, ça ne tue pas à la même vitesse. Par contre, la réflexion, les formations et l’entraînement en amont sur la préparation, l’anticipation, l’autonomie, les réactions, forment un tout qui outille pour répondre à ces situations. En tout cas, être capable de ne pas rajouter du merdier au merdier, c’est déjà pas mal. Et on ne peut pas juste brandir le « bon-sens » en attendant qu’il règle les choses pour nous… sauf à aimer les réveils brutaux et douloureux.
Évidemment, lorsque l’on parle de formations traitant de ces sujets, mieux vaut ne pas atterrir n’importe où et savoir où l’on met les pieds.

© La Forge
Il semble qu’une prise de conscience générale se fasse cependant par rapport au secourisme : les attentats ont poussé un bon nombre de citoyens à se former. Peut-on espérer que ce ne soit qu’un début ou est-ce à craindre que ce ne soit qu’un effet de mode ?
Les attentats, effectivement, et aussi le fait que la France soit présente sur plusieurs zones de conflit armé. Ça nous reconnecte à la violence du monde et les expériences de terrain font évoluer les techniques et les consciences. Du coup, la formation Premiers Secours Civique Niveau 1 (PSC1) a évolué ces derniers temps. Je ne sais pas répondre à ta question, sinon je pourrais ouvrir un cabinet de voyance.
Si l’intérêt du public pour se former aux secours d’urgence retombe il faudra espérer que ce soit corollaire avec la baisse de la menace terroriste. D’un autre coté, je ne peux pas dire avoir constaté une franche différence dans le ratio de personnes formées aux premiers secours sur mes formations. C’est d’ailleurs assez troublant de voir des personnes s’intéresser à la survie et ne pas être formées aux premiers secours ! On vit une période assez particulière dans le vaste monde de la survie. Les annonces, il y a une dizaine d’années, de fin du monde, les émissions de survie orientées divertissement, la menace terroriste… tout cela marque la population.
Espérons que lorsque la mode passera – et forcément elle passera – elle aura contribué à former un socle de citoyens alertes, conscients, désireux de transmettre le goût de l’autonomie et de la résilience.
Nos anciens avaient tous quelques objets dans le fond de leur poche qui pouvaient leur permettre d’améliorer leur quotidien, et qui permettaient aussi et surtout de faire la différence entre subir et ne pas subir. On pense d’instinct à l’Opinel en carbone du pépé, qui permettait de couper du saucisson mais également de pouvoir découper une bande de tissu rapidement pour faire un garrot lorsque la faucille dérapait. Aujourd’hui, les gens ont dans leurs poches leur smartphone dernier cri et une carte de crédit…
On adapte nos outils à nos besoins, à l’environnement dans lequel on vit.
Je vis dans une région ou les gens ont encore le couteau pliant dans la poche, sont capables de passer la journée en montagne sous la pluie à chercher leurs bêtes simplement avec un pull en laine et une gourde. La carte de crédit, personnellement, je ne m’en sers pas beaucoup, ma carte IGN et ma boussole, par contre, pratiquement chaque jour. En fait, la plupart des gens ont sur eux ce qui leur est nécessaire pour répondre a leur problème quotidien. Leur faire prendre conscience que ce quotidien peut parfois déraper prend du temps si la réflexion n’a pas déjà été amorcée. Il faut y aller en douceur. Je suis souvent étonné de partir avec quelqu’un et de m’apercevoir qu’il n’a pas d’eau… La simple question « Tu ne prends pas à boire ? » est un bon moyen d’aborder le sujet de l’hydratation et de digresser sur la gestion des risques, les besoins vitaux d’un être humain, et de commencer à planter les graines de l’autonomie.
Les outils ne sont néanmoins qu’un prolongement des techniques. La pyramide de Wiseman l’explicite bien : on y trouve au sommet les outils, puis viennent successivement la condition physique, les techniques elles-mêmes, et enfin, le mental ; ou dit autrement, l’attitude. On imagine mal que les membres de nos sociétés aseptisées soient capables de disposer d’une ressource mentale suffisante pour affronter des situations de crise, et pourtant, celle-ci est toujours à l’intérieur d’eux-mêmes, sans qu’ils en aient bien conscience.
L’être humain est une formidable machine à s’adapter et à survivre. Mais il me semble sur la mauvaise piste avec sa recherche de confort, son besoin de contrôle sur tout, et son refus de s’exposer un peu à la rudesse de la nature. On parle de nos sociétés à nous autres occidentaux là, bien sûr.
Par chance, pour le moment des siècles d’adaptation, d’inconfort, de lutte pour la survie ont imprimé profondément notre génétique, suffisamment pour que les quelques dizaines d’années de glissade vers un manque d’activité et de confrontation à la morsure de l’inconfort n’ont pas pu déséquilibrer. Lorsque je passe du temps dehors avec les participants à mes stages ou à mes séjours en montagne, je vois a quelle vitesse les corps et les esprits s’adaptent. Parfois, certains ont des problèmes pour voir les éléments précis de paysage lointain, parce qu’ils vivent dans des endroits où le regard ne peut pas porter à plus de 200 ou 300 mètres. Les muscles rétiniens responsables de la mise au point s’atrophient et ne fonctionnent plus correctement. Et puis ça revient au bout de quelques jours.
Les deux premières nuits, tout le monde a plus ou moins froid, et rapidement la machine s’adapte et augmente la thermogenèse. J’adore ça, j’adore observer ces changements chez les gens, mais aussi chez moi. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai appelé mon projet professionnel « La Forge ». Quand les gens repartent, c’est plus vraiment les mêmes qu’en arrivant. Et pour revenir à une de tes questions précédentes, je pense que ce besoin de retour à la « verte » est aussi dicté par ce besoin de sortir de son cocon, de s’exposer. Certains le font très bien seuls, d’autres ont besoin d’être accompagnés, guidés, conseillés.
On comprendra donc l’intérêt de garder le contact avec la nature pour notre équilibre de vie et aussi de faire en sorte de conserver une nature riche, sauvage pour nous y reconnecter. Histoire de ne pas finir comme dans certains bouquins ou BD futuristes qui montrent des humains aliénés, débiles, qui n’ont plus d’autres solutions que de se jeter du pont de Suicide Allée… Moebius inside…
Nos Desserts :
- Retrouvez le site de Chris Cotard, La Forge
- « La nature sauvage peut revenir en France » sur le site Reporterre
- Retrouvez le troisième numéro de notre revue, consacrée au thème de la décroissance : « Produire moins, vivre mieux »
Catégories :Société