Société

Ligue du LOL, la non affaire qui ne fait rire personne

Il y a un an, la « Ligue du LOL faisait bouillir de rage les féministes autorisées et les milieux journaleux. Mais ce que cette « affaire » représente en premier lieu, c’est le gouffre abyssal entre la représentation du monde de ses protagonistes et celle des « petits français », alors concentrés sur les Gilets jaunes.

Vincent Glad

Dans un article publié sur le site Medium le 23 février dernier, Vincent Glad revient sur « l’affaire » de la « Ligue du LOL ». Le journaliste crée en 2010 un groupe privé Facebook pour ses amis, évoluant essentiellement dans des milieux de la représentation : graphisme, journalisme, communication, publicité. Les premiers membres du groupe invitent à leur tour leurs amis, jusqu’à ce que le petit groupe recense au faîte de sa popularité une quarantaine de membres des deux sexes. Le groupe n’affiche aucun programme politique ni aucune ambition claire ; il s’agit de partager des blagues de potaches et des moqueries, sur le ton du Twitter de l’époque, encore épargné par les social justice warriors. Le réseau social au piaf bleu était alors une vaste cour de récré où régnait un esprit salace, plus proche des langues tirées et des dégueulis d’étudiants états-uniens en plein spring break que de la vitrine qu’il est devenu pour les professionnels de l’indignation et de la représentation. Autre décennie, autres mœurs.

La « ligue du LOL », loin de déclencher les foudres de son « vivant », va faire son apparition sur la scène médiatique près de dix ans après les faits. Un tweet de Thomas Messias, journaliste pour Slate et auteur d’un podcast consacré à la masculinité, met le feu aux poudres en février 2019 en accusant Glad de « s’être bien amusé au sein de meutes de harceleurs de féministes ». Dans la foulée de ce tweet, une question orientée est posée au « Checknews » de Libération : « La ligue du LOL a-t-elle vraiment existé et harcelé des féministes sur les réseaux sociaux ? ». Parler d’un simple groupe privé Facebook comme d’une organisation dévolue à rabaisser des femmes dans la sphère numérique oriente déjà le traitement médiatique à venir. Contacté au Chili où il est en vacances par un journaliste de Libération, Glad reconnaît l’existence du groupe incriminé et brille par son talent à s’enfoncer en affirmant : « C’était du trolling, on trouvait ça cool. Aujourd’hui, on considérerait ça comme du harcèlement ». Face aux critiques sur le manque de bases factuelles de cet article, Checknews expliquera que c’est sur cette dernière phrase que s’appuie l’accusation de harcèlement. Le site fera un discret erratum en précisant qu’il ne s’agissait pourtant ni de harcèlement moral, ni de harcèlement sexuel, mais simplement de « critiques et moqueries répétées ».

« …cette capacité à se couper du monde, le vrai, le grand, avec une flopée de saillies verbales sans intérêt, un scandale qui ne scandalise et ne mobilise que ses ressources propres, une incapacité formidable à se joindre à la mêlée lorsque c’est nécessaire. »

La foudre s’abat sur Glad après un tweet dans lequel il présente ses excuses aux personnes qui ont pu « se sentir harcelé[es] » ; personne ne connaît les détails de cette histoire brumeuse, pourtant, tout le monde (ou presque) a un avis. Le délire gagne les esprits qui se mettent à fantasmer une confrérie de l’insulte ; des témoignages bidon affluent sur la Toile. Sur un site antifa, il est donné de voir au sujet de la « Ligue » que ces « sales vermines sexistes » doivent être poursuivies « jusque dans les chiottes », une référence claire au sémillant gauchiste Poutine. De vieux tweets de Glad sont déterrés, sortis de leur contexte et une tempête d’emmerdes se lève pour un journaliste jusqu’alors certifié conforme, officiant à Libération. Un mois plus tard, Glad perd son emploi. Le même sort est réservé aux ex-membres pris la main sur la souris.

Nous n’allons pas ici blanchir Glad ni lui cracher au museau un an après, ce n’est pas le style de la maison. De cette petite histoire qui a excité la Toile en pleine crise des Gilets jaunes, plusieurs points sont à relever : la capacité d’un petit monde à tourner en rond comme un hamster dans une roue, générant ses propres dissonances cognitives, ses propres scandales, ses propres bourreaux à partir de ses propres ex-chouchous, ses propres passe-droits corrélés au gabarit du mec mis en accusation (Booba ou PNL qui passent toujours entre les mailles des filets des activistes « féministes » là où un Glad quasi-imberbe et à l’œil de Bambi prend bien cher) mais aussi cette capacité à se couper du monde, le vrai, le grand, avec une flopée de saillies verbales sans intérêt, un scandale qui ne scandalise et ne mobilise que ses ressources propres, une incapacité formidable à se joindre à la mêlée lorsque c’est nécessaire. Cette « gauche » hyper présente sur la Toile et dans les médias faute d’être occupée par un poste qui sent le cambouis ou la friture, qui jette des anathèmes à ses anciens poulains et qui détourne constamment son regard de la chose sociale.

Dix ans ont passé depuis la création de la « Ligue du LOL » et Glad semble regretter une légèreté et une insouciance propres à la genèse de Twitter. On s’en tape. Royalement. Nul mal souhaité à Glad, mais à l’heure où des enfants dorment dans la rue, où les hôpitaux entrent en concurrence avec des dispensaires du tiers-monde, et où l’école forme à l’analphabétisme pendant que les enseignants manifestent de plus en plus bruyamment leur sentiment d’abandon, les génuflexions d’un ex-journaliste de Libération qui n’aurait pas craché sur l’éventualité de jouer les procureurs nous laisse de marbre. Le ton de son article ressemble à une flagellation expiatoire croisée avec une validation de tout ce qui se fait, comme si la France de 2010 eût été une vaste contrée mérovingienne où la femme risquait pour sa vie (« je vais m’expliquer, vous vous êtes emballés ! Mais pour les autres vous avez raison, les femmes souffrent »). Les choses ont bougé en dix ans, oui : notre pays est de plus en plus pauvre, nos compatriotes tirent de plus en plus la langue et une certaine « gauche » hors-sol regarde de plus en plus à l’opposé, sans craindre le coup du lapin.

Laurent Joffrin

Le problème de Glad, c’est qu’il semble n’avoir toujours pas compris la nature profonde de son ex-milieu professionnel. Il s’enfonce sous l’eau en marée haute, mouline des avant-bras et s’étonne de sa condition tandis qu’il pensait marcher tranquillement sur la plage. Écrire un texte long, avec les captures d’écran et archives personnelles idoines, peser chaque mot, détailler l’histoire presque heure par heure pour tenter de se disculper est absolument inutile. On sent ici le journaleux à chemises à carreaux qui peine à réaliser que son rêve les yeux ouverts (croiser Laurent Joffrin à la machine à café) est terminé. Pour toujours. Comme si l’ethos de ce type de gusse était hostile à la normalité, à la petite vie, celle des boulots dans des coins sans polémiques, celle où les chemises à carreaux sont portées par des gars un peu grossiers, parfois un tantinet mufles, qui ont des boulots de mecs à chemises à carreaux. Les fameux bûcherons, manutentionnaires ou camionneurs dont on aime tant se moquer depuis sa chaise ergonomique d’open space qui sont prêts à foutre des droites, faire des blagues volontiers « nauséabondes », mais qui prêtent leurs gros bras pour un déménagement sans chercher l’appli via laquelle être payés du coup de main. Tendre la croupe, implorer le pardon, fournir les preuves, compter sur la mansuétude d’une bande de hyènes plutôt que disparaître élégamment.

« Fatalement, tu devais, un jour, fuir ce territoire américain de l’art et chercher, au loin, une région plus aérée et moins plane ». Huysmans, Là-bas

Il n’y a pas de seconde chance avec ces gens. Il n’y a rien à faire sinon accepter de revenir à la case départ. Se retirer de ces petits jeux, de ces complots de la cafetière, supprimer son compte, se faire petit, grandir dans son coin. Dans les épreuves à venir, dans la catastrophe qui vient, il ne sera plus question que d’écrire et survivre – avec ses mioches, ceux à concevoir, ses voisins, son coin de campagne (à ne jamais sublimer, expérience personnelle ornaise à l’appui). Le reste c’est du virtuel, comme Twitter. Courage, Monsieur Glad, la vraie vie loin des mièvreries et des scandales institutionnalisés, des boucs-émissaires et des pasionarias, elle est bien, aussi.

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