Politique

Laurent Obertone : Français, encore un effort si vous voulez être identitaires !

Laurent Obertone est un écrivain proche de la mouvance identitaire. Auteur de « La France, Orange Mécanique » et de « Guérilla », il sillonne les divers plateaux réactionnaires friands de ses constats alarmistes concernant l’état de notre pays. Accueilli par le média d’extrême-droite Livre Noir au Cirque d’Hiver, il trône, tout de noir vêtu, sur son siège d’où il dispense la bonne parole conservatrice. S’il présente plutôt bien, sa langue n’en occulte pas moins des segments entiers de réel dont il se réclame abondamment.

Le cirque d’Hiver se trouve plongé dans l’obscurité, un fauteuil vermillon occupe le centre de la salle. Une voix féminine, tout à la fois enjouée et mièvre, annonce la venue du journaliste dont le dernier ouvrage se nomme Raisonnablement sexiste. La foule, en proie à l’enthousiasme, applaudit afin de célébrer celui qui nous plongerait, d’après la présentatrice, dans « un bain de réel ». Terme qui reviendra plusieurs fois dans son discours.

D’emblée, il s’agit pour le polémiste d’embrayer sur le sujet clivant de l’immigration. La « population » française serait en majorité hostile à cette dernière, tandis que les « grands médias », la « machine » alias Big Brother en ferait constamment la promotion. Voilà une première réponse à la serpe.

Éditions Séguier, 2020, 112 p.

La population renvoie à l’ensemble des personnes qui habitent un territoire donné ou un lieu défini. À l’instar du peuple, cette notion vague occulte le caractère antagonique des classes sociales qui composent ce dernier. Frédéric Schiffter, auteur de Contre le Peuple, démontre que ce dernier désigne d’abord le Tiers-Etat (dont les propriétaires font partie), puis un groupe humain dépeint avec romantisme. C’est ce dont témoigne Michelet dans son ouvrage Le Peuple (1846) : l’historien exclu les ouvriers de ce dernier puisqu’ils n’ont pas accès à l’héritage et à la noblesse de l’artisanat qui peut se transmettre de génération en génération.

Puis, la rengaine réactionnaire sur le socialisme putatif des médias est mise sur la table. Au sein de de ses interventions, Obertone met en lumière l’étymologie du « média », censé demeurer une courroie de transmission entre les journalistes et le peuple souhaitant connaître la vérité (medium). La majorité silencieuse, vent de bouche, ne serait pas représentée par les journalistes français dont nous connaissons le goût prononcé pour la révolution permanente.

Le gauchisme des médias français, qui pourrait croire en une telle billevesée ? Revenons à la définition rigoureuse de la gauche circonscrite par Frédéric Lordon : tous ceux qui veulent lutter contre l’hégémonie du capitalisme au sein des sociétés humaines sont de gauche. En somme, il s’agit de tendre vers une socialisation progressive des moyens de production dont les commandes sont entre les mains d’une classe arrivée au pouvoir vers le XVIIIe siècle. Ainsi, la gauche sociale-démocrate, appelée « sociale-traître » par les communistes, ne qualifie point la « gauche de gauche » dont parlait le sociologue Pierre Bourdieu. Au moins, nous pouvons en rire : bientôt, BFM TV aura ses locaux à Tolbiac et CNews diffusera chaque jour L’Internationale. Quant à la référence à Orwell, elle charrie l’univers mental du « totalitarisme », notion originellement pertinente, mais vidée de toute sa force par les bateleurs des plateaux télé. Obertone, fieffé libertarien, aurait été brocardé par l’auteur de 1984 dont nous connaissons les positionnements anarchistes.

Au milieu de cet épandage de termes brumeux, notre inénarrable homme en noir parle d’un phénomène « sans précédent », la France risque de ne plus être. Plus que cela, l’État obèse ne « remplit plus ses fonctions régaliennes » et le « monopole de la sécurité » échoue, ce dernier doit donc conditionner les « foules » dans le but de se maintenir. Libéral assumé, il s’agit pour le polémiste d’« affamer la bête » pour reprendre la formule de Reagan (Starve the beast) : comment peut-on croire qu’un tel discours puisse être réellement subversif ? Dégraisser le mammouth, diminuer les dépenses étatiques, se responsabiliser, reprendre sa vie en main, traverser la rue pour trouver un travail, tout cela n’est-il pas la ritournelle épuisante entonnée par les proches d’Emmanuel Macron ? Fait intéressant à noter, la présentatrice se réjouit du « coup de menton » de M. Darmanin aux milieux droitiers : « Pas suffisant » réplique l’invité. Sandra Lucbert, autrice du Ministère des contes, a épluché les C.V des ministres et des patrons en vogue : elle note à ce propos que Gérald Darmanin fut un temps proche de l’Action Française.

« Le français moyen demeure la saillie verbale fantoche d’une mouvance politique qui nie la lutte des classes. »

Des fariboles identitaires

Peu soucieux de l’exactitude des faits qu’il énonce, Laurent Obertone nous serine que « M. Moyen » serait complètement aliéné par les médias dominants. Il faudrait que la droite populaire impose ses idées avec vigueur dans la guerre livrée par les journalistes de gauche qui inonderaient les plateaux des chaînes en continu. Revenons-en aux termes de la discussion.

À quoi peut donc renvoyer l’expression fantasque « M. Moyen » ? Au Monsieur Madame de notre enfance ? Monsieur grincheux, Monsieur triste, Monsieur heureux ? Plus sérieusement, la droite brandit la « classe moyenne » à tout va : la France travailleuse qui se lève le matin, âpre au gain et qui ne la ramène pas trop. Le béret, la clope au bec et la baguette, la France des bistrots et du folklore. Pas celle du Front Populaire et de la Commune.

François Guizot (1787-1874)

Ce qui est « moyen » renvoie à un milieu entre deux extrêmes : ni très riche, ni très pauvre, « le français moyen » demeure la saillie verbale fantoche d’une mouvance politique qui nie la lutte des classes, dont la première formulation explicite revient pourtant au très libéral François Guizot. En dépit de cet amour louche des « idées », Obertone brasse du vent conceptuel : M. Moyen, en plus d’une connotation légèrement méprisante, demeure une lapalissade qui n’embraye sur aucune position objective dans un corps social, en l’occurrence celui de la société française.

De plus, le journaliste emploie tout un tas de mots ambigus comme la « barbarie » montante, la « domestication » supposée des citoyens, taillables et « corvéables » à merci par le pouvoir. Si une conscience désarmée pourrait y voir des éléments de langage anarchistes, c’est tout le contraire.

La barbarie, désignant originellement des bruits d’estomac (borborygmes), est toujours dénoncée par un individu provenant d’une certaine culture : on appelle barbare « ce qui n’est pas de notre usage » (Montaigne), et le barbare est celui qui « croit en la barbarie » (Lévi-Strauss). Inutile d’évoquer Michel Henry auquel le journaliste ne fait évidemment pas référence. Quant à la « domestication », à la sonorité très nietzschéenne, elle n’évoque rien de précis. Le pouvoir qui astreint les corps à accepter la propagande supposément gauchiste ne veut rien dire : encore une fois, rien de concret sous le soleil.

Justement, le réel, « la réalité déjà là » abordée par Obertone, parlons-en : son réel charrie la « guerre civile » qui couve, la « guérilla » obérée par les ONG, les associations humanitaires mais aussi par la gauche considérée comme niaise et sirupeuse. Contre le conformisme du « troupeau », il s’agit de réhabiliter le « loup » qui sommeille dans nos entrailles meurtries par le multi-culturalisme. Il est frappant de constater une telle luxuriance du champ lexical animalier.

À l’instar d’Éric Zemmour, Obertone conçoit les sociétés humaines comme des zoos où nous devons nous défendre en permanence d’éléments extérieurs qui pourraient nous détruire : c’est la lutte pour l’existence, le darwinisme social d’un libertarien qui a tout intérêt à ne pas mettre le doigt sur la guerre sociale autrement plus importante. La langue identitaire animalise les hommes : irrationaliste, elle promeut la vitalité, la force dont l’ouvrage d’Obertone fait l’éloge. Ce qui existe pour elle n’est pas l’employé qui perd son emploi faute de compétitivité. Ses signifiants troubles n’affleurent même pas le sans-domicile fixe qui trépasse à cause du froid. Rien de tout cela, mais l’ordre, la violence exacerbée, l’autorité sans tergiverser, l’exclusion de l’altérité et cerise sur le gâteau, la relégation des femmes au foyer.

« Obertone chante les louanges du bien commun de la société libertarienne et conservatrice, attachée à défendre son intégrité face aux méchants immigrés propagateurs de barbarie. »

Enfants, Cuisine, Église

À la suite de ces réjouissances multiples, la présentatrice de Livre Noir parle de l’ouvrage Raisonnablement sexiste rédigé par le polémiste dans le but de « remettre les hommes et les femmes à leur place ». Tout un programme. En guerre contre les « néo-féministes » (qui sont-elles ?), l’homme en noir réhabilite le « bon sens » afin de protéger la gent féminine des agressions qu’elle subit au quotidien. À cela, il ajoute en toute tranquillité « Émancipation, piège à cons ». En plus de détourner une phrase réellement émancipatrice de son sens originel (le fameux « Elections, piège à cons » soixante-huitard), il critique ouvertement les « sciences sociales » idéologiques et propose de « remettre l’Église au centre du village ». Pour la caricature, nous n’en demandions pas tant.

Felix Albrecht, Mütter, berufstätige Frauen – wir wählen National-Sozialisten Liste 8, (1932)

À rebours de plusieurs siècles d’humanisme d’arrachement aux forces aliénantes, Obertone réhabilite l’adage allemand Kinder, Küche, Kirche : la société contractuelle et individualiste doit se transformer en communauté au sens sociologique du terme. Les Français en dépit de ce qui les sépare objectivement deviennent des organes dont le travail est de maintenir le corps France en vie.

Le mépris de la langue identitaire pour les sciences sociales est extrêmement récurrent : tout ce qui est systématique et matérialiste éreinte les personnes de droite. Du bon côté du gouvernail, qui voudrait être montré du doigt par un chercheur qui accuserait votre place objective dans un système économique inique ? Personne, ce n’est que trop humain de procéder ainsi.

« Animalier, violent et rance, le discours identitaire d’Obertone joue sur des affects archaïques dont le but est de nous détourner des problèmes sociaux dont souffrent notre pays. »

À défaut de lire Bourdieu, Foucault, Derrida, Marx, Engels ou Lénine, nous les renverrons dans les poubelles de l’Histoire en les cantonnant aux goulags et aux massacres du XXe siècle. La lutte antique contre les préjugés est encore à poursuivre : Au XVIIIe siècle, Edmund Burke vantait déjà ces derniers, ressources issues de sagesses millénaires ; ainsi, il préférait confier le pouvoir politique à un paysan plein de bon sens populaire qu’à un Jacobin. Au XIXe, Tocqueville tançait les révolutionnaires qu’il qualifiait de « cartésiens qui descendent dans la rue », ivres de table rase et de lendemains qui chantent. Aujourd’hui, avec beaucoup moins de talent, Obertone chante les louanges du bien commun de la société libertarienne et conservatrice, attachée à défendre son intégrité face aux méchants immigrés propagateurs de barbarie.

Irrité par les femmes souhaitant « ressembler aux hommes », Obertone dénonce les procès en sorcellerie de certaines féministes. Une fois de plus, pas d’argument mais le recours à l’affect. Il n’évoque en aucun cas Simone De Beauvoir ou Judith Butler : peut-être n’est-il pas de taille ?

Enfin, il termine son laïus sur « les rapports de force » qu’il s’agirait de remporter : à chacun son rapport de force, ce qui est sûr, c’est que le sien n’est point social.

Animalier, violent et rance, le discours identitaire d’Obertone joue sur des affects archaïques dont le but est de nous détourner des problèmes sociaux dont souffrent notre pays. Pas de lutte des classes, mais la guerre civile, pas d’émancipation mais remettre les femmes à leur place, pas de sciences sociales mais des anathèmes dénués de fondement. À la manière de Raymond Devos, lorsque Obertone n’a rien à dire, il le dit.

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3 réponses »

  1. J’ai lu « La France Orange mécanique » et « La France interdite », c’est franchement mauvais, l’auteur prend vraiment le lecteur pour un idiot. Par contre il faut vraiment que la gauche, politique et intellectuelle, fasse un contre-récit crédible sur les questions de sécurité et d’immigration, sans quoi ce type de personnage continuera à avoir du succès.

    • Bonjour,
      Cet article s’ancre dans un projet général : celui d’analyser et de démonter les éléments de langage identitaires. Obertone fait partie de cette mouvance, je me suis donc évertué à démanteler ses raisonemments fallacieux.
      F.L

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