Le 21 janvier avait lieu la marche pour la Vie. Manifestation conservatrice assumée, celle-ci avait pour mot d’ordre la défense de la vie face aux assauts d’une société désenchantée ayant perdu la foi. Qu’en est-il vraiment ?
Paris, 21 janvier 2024. Un cortège arpente la place Saint Sulpice. Une kyrielle de bannières flottent au vent et une jeune femme vociférante se fait entendre. Du haut de son promontoire imposant, elle assène à une foule en liesse : « Nous sommes pour la Vie, nous sommes contre la mort ! » Sur cette lapalissade, mon esprit circonspect se bloque : De quelle bouche peut émaner un discours tout aussi obvie que creux ? « La marche pour la vie » : mais qui sont-ils ? D’où parles-tu camarade ?
Avant tout, une certaine physionomie : jupes plissées, cols Claudine et lunettes rondes pour les filles ; polos et pantalons marrons pour Messieurs. Une certaine prosodie : un français châtié, une inflexion de la voix surannée accompagnés d’un vouvoiement légèrement compassé. Une sociologie : grande bourgeoisie parisienne, VIe et XVIe arrondissements, majoritairement dévouée au catholicisme. Nous y voilà, le décor et les corps sont plantés.
Une rhétorique frauduleuse
Un signifiant remporte la première place : la Vie. Pour la vie, les jolies têtes blondes défendent avec leurs parents LA vie sous toutes ses formes. À défaut d’être concret, on se lance la tête la première dans l’essentialisme, au risque de se prendre les pieds dans le tapis des concepts, sans se donner la peine de définir un tel terme. Biologique, la vie renvoie avant tout à « l’ensemble des fonctions qui luttent contre la mort » (Bichat), Plus tard, le physicien Schrödinger, la définit comme ce qui « échappe temporellement et spatialement au processus d’entropie », dissipation d’énergie à l’œuvre dans la Nature. Ici, le contexte chrétien pourrait nous faire songer au « Je suis le chemin, la vérité, la vie » évangélique (Jean 14, 6-14). Défendre la vie revient pour eux à s’opposer à l’avortement et à l’euthanasie. Les pancartes assimilent d’ailleurs l’IVG à un crime. Première antienne réactionnaire et biaisée.
Ensuite, « défendre le faible, c’est fort », « défendre l’humain » : nous planons à 3000, nous fendons les airs tel la colombe décrite par Kant. Or, « c’est de la terre au ciel que nous montons ici » (Marx). Défendre le faible, dans leur bouche, revient à empêcher les IVG, mais qu’en est-il concrètement ? Quelles peuvent bien être les conditions matérielles objectives des femmes qui recourent à l’avortement ? Élever un enfant est onéreux, et nous savons qu’il est plus aisé d’éduquer ses bambins dans un 100m2 à Neuilly que dans un 20m2 à Argenteuil.
Quant à « l’humain », il n’est que le délire verbal du formalisme bourgeois : mot fourre-tout, c’est au nom de l’humain que nous commettons parfois les pires forfaits. « Qui dit humain, veut tromper » écrivait Proudhon, ce à quoi l’on pourrait ajouter « Qui fait l’ange, fait la bête » (Pascal).
En marche, pharisiens !
Enfin, leurs interventions braillardes ont le défaut de duper leurs auditeurs. Afin de défendre « l’humain », le « faible », il faut s’opposer à « la marchandisation » de la vie humaine. Réifiés, les citoyens basculeraient dans le libéralisme-libertaire qui braderait les corps des femmes ainsi que leurs enfants.
Encore une fois, ces marcheurs ne sont pas des tomates hydroponiques, leurs revendications émanent d’un cadre de vie favorable : la marchandisation est brocardée lorsqu’elle a des atours émancipateurs, mais elle ne l’est pas lorsqu’elle défend activement les intérêts des multinationales. Leurs téléphones intelligents dernier cri ne sont possibles que si l’on extraie le minerai en amont, leurs manteaux n’existeraient pas sans les petites mains indiennes ou chinoises qui l’ont créé. Nous comprenons que certains marchands du temple les gênent si cela va dans le sens de la gauche radicale.
Dernier point, le Christ : défenseur des pauvres, contempteur des institutions et des puissants, ce prophète n’aurait pas œuvré à la pérennisation de la classe des marcheurs. Jacques Ellul l’a dit : rien de plus éloigné du Christ que le christianisme.
Faible et peu sensible aux problèmes de ce bas-monde, la marche pour la vie verse dans la caricature, façon La vie est un long fleuve tranquille. Un conseil avant la fin : restez chrétiens, devenez marxistes !
Nos Desserts :
- Sur le Comptoir, Falk Van Gaver affirme que « Le christianisme est incompatible avec le capitalisme et le système-argent »
- Lire aussi notre article « Christianisme : un autre regard sur le corps et la nature »
- Notre recension du roman de Joyce Carol Oates Un livre de martyrs américains
- « IVG : 40 ans après la loi Veil, un droit encore à défendre » sur France Culture
- « Défendre l’IVG au-delà des principes » sur Alternatives Économiques
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Facile caricature qui vous permet de faire partie des idéologues dominants…
Je ne suis ni un doctrinaire, ni un songe-creux, ni un sectateur de Destutt de Tracy. Quant aux dominants, ils sont pour moi les détenteurs des moyens de production. Vous me taxerez peut-être de marxiste orthodoxe mais je m’en soucie comme d’une guigne. Dans cette manifestation, peu gauchisante, j’ai vu les bannières royalistes, gaullistes, et plus généralement de droite : favorables à la bourgeoisie, donc au capitalisme, ils soutiennent les dominants, ce qui n’est pas mon fait, ni celui du Comptoir. Votre argumentaire, cher Monsieur, est donc bancal.
L’IVG, la PMA, Euthanasie, autant d’instruments du rouleau compresseur libéral qui détruit tout ce qui l’empêche d’assoir sa domination sur les âmes, les esprits, les corps. Un seul but, consommer plus, l’Argent.
Seul réponse : Écologie Intégrale, Vie Ordinaire et catholicisme traditionnel.
Monsieur,
Notre goût immodéré pour l’argent vient du mode de production dans lequel nous sommes englués.
Il me semble reconnaître dans votre critique une antienne réactionnaire : revenir à la société verticale d’antan endiguerait les pulsions de consommation liées au libéralisme-libertaire.
Or, ce n’est pas mon propos : certaines émancipations sociétales peuvent être bonnes, même si elles prennent place au sein du capitalisme actuel. Le but d’un progressisme (au bon sens du terme) est de viser l’émancipation sociale sans oublier l’émancipation sociétale.
Je ne suis pas sûr que « l’écologie intégrale », la « vie ordinaire » (terme vasouillard et fourre-tout), et le catholicisme traditionnel (peu enclin à l’émancipation des femmes) aillent de pair avec un réel progressisme. Je dis cela mais je respecte vos opinions.
F.B
ERRATUM : F.L