Lors de la course électorale de 2012, l’équipe de Jean-Luc Mélenchon avait déjà mis au point toute une stratégie pour la communication 2.0 avec une forte présence impertinente sur Twitter. Cette fois-ci, les réseaux sociaux sont tous couverts et surtout une chaîne YouTube a été développée. Décryptage.
La chaîne YouTube de Jean-Luc Mélenchon compte aujourd’hui 214 000 abonnés et certaines vidéos totalisent plus de 200 000 vues. Pour la chaîne d’un homme politique français, c’est beaucoup. Comme il l’affirme lui-même, il s’agit d’une première. Même aux États-Unis, la chaîne d’Hillary Clinton ne dépasse pas les 130 000 abonnés. Il y a donc un véritable phénomène.
Il faut dire que toutes les recettes de succès sur YouTube sont appliquées. Tout d’abord les codes : les vignettes photos avec le liseré blanc autour de lui, les titres en majuscules, plusieurs types de vidéos, et une émission régulière appelée la « Revue de la semaine ». Pour cette dernière, le dispositif scénique classique est lui aussi respecté : un homme seul assis dans une petite pièce, comme l’est le spectateur. Il est ainsi à égalité avec lui en toute intimité permettant un transfert et une identification. Le contenu des vidéos est didactique, vulgarisant et sans détour, sans langue de bois. Le relai sur les médias sociaux est lui aussi très bien réalisé, assurant une parfaite communication à la sortie de chaque nouvelle vidéo.
Consécration du succès, l’adoubement par les autres youtubeurs, une tradition sur ce média. D’abord un retweet de Cyprien, premier vidéaste à atteindre les dix millions d’abonnés en France. Ensuite, une allusion dans une vidéo de Squeezie dont chaque vidéo affiche un million de vues minimum. Une autre allusion dans une vidéo du Joueur du Grenier et même dans une vidéo consacrée à la rhétorique du meilleur tribun de France sur Linguisticae, une chaîne animée par un linguiste. L’intégration à la communauté 2.0 est donc réussie. L’équipe de campagne a parfaitement compris les codes et les méthodes de communication pour envahir cet espace de liberté presque sauvage.
Le web-électorat
Il faut dire qu’il y a un enjeu de taille ici. Le web, c’est la réunion des geeks, des jeunes, des chômeurs, des diplômés frustrés qui s’ennuient. Bref, la cible électorale parfaite pour Jean-Luc Mélenchon. C’est dans ces tranches de la population que traîne aussi une bonne partie de la réserve électorale que constituent les abstentionnistes. Consciente de l’enjeu, l’équipe de campagne a d’ailleurs mis le paquet sur la communication au sujet de l’abstention, invitant un maximum de monde à s’inscrire sur les listes électorales avant le 1er janvier. Curieusement, ce sujet a été repris, ici et là, par les médias 2.0. Le site internet de geeks Hitek a ainsi joué la “putaclic” en proposant de cliquer sur un lien qui amène vers le site officiel pour s’inscrire sur les listes électorales. Cyrus North, autre youtubeur célèbre, a aussi réalisé une vidéo pour promouvoir l’inscription citoyenne.
Jean-Luc Mélenchon ne se contente pas pour autant d’investir un média en utilisant ses codes. Il n’hésite pas à flatter la pop culture geek de l’électorat ciblé. Ainsi se montre-t-il fier d’avoir un manga à son effigie. Son équipe de campagne n’hésite pas à faire de lui un mème avec le slogan « Can’t stenchon the Mélenchon » (en référence au « Can’t stump the Trump », mème utilisé par les supporters de Trump indiquant qu’il est impossible de le “coller”). Les autres youtubeurs, notamment ceux parlant politique, se voient complimentés dans ses émissions (pour ne pas dire caressés dans le sens du poil). Il s’agit là d’un véritable processus de séduction.
Et pour l’instant cela fonctionne. La viralité propre au web permet à sa présence sur la toile d’augmenter. Jean-Luc Mélenchon a réussi son intégration dans la communauté 2.0 dont il bénéficie apparemment du soutien tacite.
Intégration réussie
Ce que fait Jean-Luc Mélenchon avec cette stratégie, n’est rien d’autre que l’équivalent 2.0 de la distribution de tracts sur un marché. Il marque son respect pour une population en allant à sa rencontre là où elle se trouve et en utilisant ses méthodes et ses mots pour communiquer.
Cependant les vidéos sur Youtube ont ceci de spécial, qu’elles sont regardées souvent seul par le biais de dispositifs intimes (portables, tablettes). Il faut donc mettre de la proximité, de la franchise et de la régularité dans cette communication très émotionnelle. Il s’agit d’un tête à tête, d’un “rendez-vous” permis notamment par son émission hebdomadaire.
Le parti communiste a donc eu infiniment tort de condamner « l’homme providentiel ». La campagne de Jean-Luc Mélenchon, bien que tournant autour de son personnage, n’est pas verticale. Il s’agit d’établir une relation horizontale avec l’internaute. Ce qu’il tente d’incarner par cette stratégie, c’est l’image d’un “pote” virtuel qui va vous parler droit dans les yeux.
En se pliant au jeu, le tribun a donc été le premier homme politique français à réussir à parler en ligne à la population et, plus important, à s’y intégrer. Peut-être arrivera-t-il à séduire suffisamment cette tranche de l’électorat pour l’amener à voter pour lui. C’est ce que tout semble indiquer puisqu’un sondage en ligne lui donne plus de 50% d’intention vote.
Et les autres ?
Les autres candidats semblent saisir l’enjeu petit à petit mais ils sont à la traîne. Or, l’historicité a une importance cruciale pour réussir sur YouTube. Même si l’on peut y bénéficier de “coups de pouce” en étant plébiscité par un youtubeur déjà célèbre, la recette de la réussite sur YouTube est rarement miraculeuse. Il faut du temps, de la patience et produire beaucoup de contenu pour attirer le spectateur ou l’électeur potentiel.
Autant dire que les autres politiciens sont totalement distancés dans ce domaine. Benoît Hamon est aussi entré dans l’arène sans réussir à percer, sa chaîne YouTube est plus ancienne mais sans énormément de contenu. L’intégration des codes a aussi été plus longue, la première vraie vidéo destinée à YouTube date du 21 décembre 2016 seulement. Il s’agit de l’émission « 3mn pour parler ».
Le FN, en la personne de Florian Philippot a créé sa chaîne début janvier 2017. Et il a déjà dépassé Benoît Hamon en terme d’abonnés. Il a bien respecté tous les codes scéniques précédemment cités, avec beaucoup de maladresse cependant, mais il y a de fortes chances que cette initiative n’intervienne que beaucoup trop tard pour influencer l’électorat. Considérant le FN, il faut bien sûr parler de Jean-Marie Le Pen qui est peut-être le premier politique à avoir réussi son intégration YouTube même s’il n’y contrôle pas vraiment son image. Sa chaîne YouTube compte 6 700 abonnés et chacune de ses vidéos est vue près de 20 000 fois en moyenne. Il y produit une émission pratiquement conforme aux codes YouTube intitulée « Journal de bord ». Il est lui aussi devenu un mème plutôt sarcastique et il a été détourné dans une série de vidéos parodiques « Jean-Marie Lepen Gaming » sur la chaîne David, de la chaîne Ganesh 2.
Le reste de l’échiquier politique est pour ainsi dire absent de ce média. Il y a bien quelques chaînes, comme celle de François Fillon, mais elles se cantonnent à archiver les interviews télés, les meetings et les clips de campagne. Notons la chaîne d’Emmanuel Macron En Marche, qui réussit l’exploit d’avoir plus d’abonnés que le nombre de vues moyen sur chaque vidéo. Un paradoxe très parlant.
Jean-Luc Mélenchon possède donc une avance sur ce terrain médiatique, qui pourrait être tactiquement crucial pour grappiller les quelques points qui le sépareraient d’un hypothétique second tour.
Nos Desserts :
- Télérama décrypte l’analyse d’un youtubeur sur les chaînes des personnages politiques
- Le Monde a publié un article sur le YouTube de Jean-Luc Mélenchon
- Usul et Mediapart ont produit une vidéo qui compare les campagnes YouTube de Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon
- Le meeting holographique de Mélenchon a fait réagir les geeks
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Hamon fait un copié/collé de la campagne du Front de Gauche de 2012, il n’a donc pas copié la stratégie YT qui date de 2017.
Hamon: faire perdre la gauche en 2017 pour permettre le retour de Valls en 2022.
les gens sentent la sincérité dans son discours, son programme est cohérent. ce sont surtout les gens, ceux qui ne votent pas ou plus qui sont d’accords avec JLMélenchon.
« Le web, c’est la réunion des geeks, des jeunes, des chômeurs, des diplômés frustrés qui s’ennuient. Bref, la cible électorale parfaite pour Jean-Luc Mélenchon. »
Quel honte d’écrire une chose pareil! Vincent Froget vous êtes pitoyable
Je ne pense pas que l’auteur est pitoyable – Ah ! Les commentaires d’article sur internet ! Leur véhémence est toujours inversement proportionnelle à leur longueur – mais je crois qu’il exagère. Le web, tout le monde ou presque, s’y rend régulièrement, parce qu’il devient peu à peu le lieu de base de l’information et du divertissement, en tant qu’il est à la fois le produit et à l’origine de l’écroulement des autres médias. Là où l’auteur a raison, c’est que Mélenchon a largement intégré les codes d’un internet « jeune » et « alternatif », et que ces codes sont ceux qu’adoptent communément l’ensemble des catégories citées plus haut – à savoir, en exagérant toujours un peu, celles qui ont le moins de prise sur (ou le moins d’intérêt pour) leur quotidien non virtuel qui est, au choix, pas assez divertissant ou trop déprimant.
Mais je crois qu’il y a d’autres raisons qui participent encore de son succès. La chaîne de Mélenchon (où celui-ci est à la fois le chroniqueur et l’homme politique) parle une autre langue politique que celles que l’on pratique sur les médias vidéos traditionnels, qui oscillent presque tous entre l’expertise froide et « neutre » en costard cravate ou l’information « alternative » et décérébrée en jean (pour ne retenir que quelques exemples télévisuels, François Lenglet et David Pujadas versus Actuality et Yann Barthès). Et, comme l’a évoqué un journaliste dans un quotidien de ma région (les DNA) dans un petit article dont le thème était le même qu’ici, Mélenchon parle du fond ; si ce n’est pas parfait, il n’a cependant pas peur d’ennuyer son public, il lui parle avec conviction et ne le prend pas pour un enfant immature qu’il s’agit d’éduquer. Et à une heure où l’affaire Fillon occupe les 3/4 de l’actualité (pseudo-)politique des médias télés et radios, je pense que ça ne peut qu’entériner la démarche qu’il a entreprise.
Les médias disent tellement de bêtise à son sujet. Essayent de faire passer Mélenchon pour quelqu’un a gros égo, alors que le PS et Hamon font une magouille et sont en train de mettre en place une Hollande bis.