Politique

Les petits matins avant le grand soir : l’insurrection quotidienne

Une critique radicale qui déboucherait sur une pratique révolutionnaire conséquente se doit de ne pas se leurrer – et encore moins de leurrer ceux à qui elle s’adresse – sous peine de se briser violemment sur le mur de la réalité ; à plus forte raison lorsqu’elle se propose de renverser le paradigme dans sa totalité. Ce faisant, il apparaît évident que les émeutes, affrontements avec la police, et autres entreprises de ce genre, ne sont pas productifs – en l’état actuel des choses et du rapport de force – et desservent la lutte qu’ils souhaitent pourtant incarner par ailleurs.

Ce matin, en me rendant dans ma boulangerie habituelle, j’ai exigé de la vendeuse qu’elle me remette deux croissants et deux pains au chocolat. J’emploie à dessein le terme “remettre” puisque ce jour-là, il n’était pas question de payer ces viennoiseries. Je suis un partisan acharné de l’abolition de l’argent, qui constitue un rapport social entre les individus bien plus qu’unité de stockage ou moyen d’échange. En effet, comme le rappelait Debord : « Dans une société où la marchandise concrète reste rare ou minoritaire, c’est la domination apparente de l’argent qui se présente comme l’émissaire muni des pleins pouvoirs qui parle au nom d’une puissance inconnue. » Aussi ai-je décidé ce jour-là de mettre mes actes en adéquation avec mes idéaux.

Je suis bien évidemment rentré chez moi sans mes viennoiseries, et ma femme a fustigé mon immaturité. Personne ne comprend la lutte que j’ai essayé de mener dans cette boulangerie.

Que nous dit la réalité ?

La révolution à laquelle nous devons nous préparer tend tout d’abord vers une volonté d’autonomie. De création ou de récupération d’autonomie, c’est selon. Tout aussi bien individuelle que collective. Le système technicien nous a violemment dépossédés de nos existences par le truchement de différentes aliénations, et de la possibilité même d’assurer nos vies collectivement par la possession des moyens de production qu’elles nécessitent. Ellul ne disait pas autre chose lorsqu’il écrivait : « Faire des protestations contre la bombe à hydrogène sans attaquer l’ensemble de la société technicienne ne peut servir qu’à se donner bonne conscience et se tranquilliser ». Il est inutile de s’attaquer aux institutions sans avoir au préalable récupéré la plus entière autonomie quant à nos moyens d’existence. Qui plus est, il est inutile de s’attaquer à une partie des institutions aujourd’hui synonymes de coercition tout en éludant celles qui les soutiennent et leur permettent d’être efficientes par ailleurs.

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Paris, deux millions d’habitants intra-muros : 21 000 hab/km²

La complexité de notre système, la dépendance à laquelle nous sommes tous soumis envers celui-ci rend toute volonté de révolution concrète difficile – pour l’instant. Un fait concret et implacable est le suivant : les supermarchés ne disposent d’aucun stock. Ils fonctionnent sur un principe appelé « flux tendu ». Une fois que les rayons sont vides, ils le restent jusqu’au prochain acheminement.

Or, qui, aujourd’hui, dispose d’une autonomie alimentaire suffisante pour se permettre de se passer de ces entrepôts dédiés à l’alimentation quotidienne ? La classe bourgeoise saurait aisément se passer de ravitaillement alimentaire pendant plusieurs semaines, mais ce n’est pas le cas de la majorité d’entre nous. Non que je veuille signifier par là qu’ils seraient immunisés contre la faim, simplement, on comprend qu’il est bien plus facile de quitter la ville avec sa famille lorsqu’on a une résidence secondaire dans la Creuse, que lorsque la voiture ne peut plus être utilisée à cause de la casse du joint de culasse. Qui, comme le faisaient nos aïeux, cache encore sous son lit des bocaux de tomates préparés l’été et des conserves diverses et variées ? Quelques-uns d’entre nous, mais certes pas la majorité. Tâche ardue pour un étudiant croupissant dans un 8m2 du Crous d’entasser des boites de conserve. Un autre exemple peut être celui du traitement de l’eau. Des dizaines de millions de personnes boivent quotidiennement une eau qui nous rendrait malades, et c’est une réalité qui semble bien loin de nous, puisque le système technicien permet que nous n’ayons plus même la simple conscience des processus à l’œuvre pour que l’eau qui sort spontanément de nos robinets soit propre à la consommation. Une rupture de la normalité engendrée par une situation de simili guerre civile affecterait gravement les réseaux de toutes sortes, ferait dysfonctionner les services publics, et aurait des conséquences directes sur nos quotidiens et incidemment, sur la vie de nos proches.

« Si l’offensive exige d’abord audace et esprit tactique contre l’adversaire, la commune requiert des connaissances aujourd’hui dispersées dans l’ultra-spécialisation. » Gilles Lucas

Je rappelais dans un billet, il y a deux ans de cela (et dans un contexte totalement différent), « qu’il est important de comprendre que si un ou deux transformateurs venaient à tomber, le réseau tiendrait, en reportant automatiquement la production sur les centrales qui ne seraient pas touchées, et qu’EDF possède en outre quelques transformateurs en surplus pour un remplacement rapide et efficace. Seulement, si un nombre critique de transformateurs se retrouvaient hors service, l’effet immédiat serait de faire tomber la totalité du réseau électrique. » Qui dit absence de réseau électrique dit inefficacité totale de notre système : plus de pétrole à la pompe, plus de possibilité de retirer de l’argent, et on peut aisément continuer la liste sur de longs paragraphes. Gilles Lucas, dans la revue trimestrielle Offensive (septembre 2007) d’Offensive libertaire et sociale (relevé dans l’ouvrage collectif Construire l’autonomie) le dit très bien : « Tout laisse à penser que le développement de telles tactiques rencontreraient l’impérative nécessité pour les populations de penser des solutions de remplacement aux systèmes aujourd’hui en place. Reste que l’obstacle immédiat à de telles opportunités réside dans la perte devenue extensive des savoir-faire et d’un rapport direct aux choses (nourriture, objets, techniques). Si l’offensive exige d’abord audace et esprit tactique contre l’adversaire, la commune requiert des connaissances aujourd’hui dispersées dans l’ultra-spécialisation. Comment construire, faire du pain, réparer, soigner, planter ? Autant d’activités qui dépendent de spécialistes : cette limite appelle à la recomposition des pouvoirs, de délégations figées et de séparations. »

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« Des années plus tard, ils te demanderont où tu étais quand tes camarades mouraient de grèves de la faim. Diras-tu que tu étais avec eux ou diras-tu que tu te conformais au système qui nous a conduits à la mort ? »

Ce qui pourrait être un moyen particulièrement efficace de paralyser l’économie entière du pays lors d’une grève générale préparée à l’avance pourrait se révéler dramatique en cas de survenue brusque et brutale dans un contexte de violents affrontements horizontaux. David Galula, le principal théoricien de la contre-insurrection, explique bien que la tâche primordiale à laquelle doivent s’atteler les forces armées en cas d’insurrection est de couper les insurgés de la population, à la fois d’un point de vue stratégique (par l’usage du renseignement) et matériel (casser l’acheminement du ravitaillement, du matériel nécessaire). C’est aussi ce qui faisait la force de l’Ira (Irish Republican Army) : peu de combattants, mais un soutien logistique énorme, et une population soutenant activement les insurgés. L’Ira disposait d’une culture de résistance préalable, qui était également en continuelle évolution. Bobby Sands, avant de mourir de la grève de la faim qu’il a tenue avec acharnement plus de deux mois, avait ainsi initié lors de son emprisonnement à la prison de Maze ce que l’on connait désormais sous le nom de grève de l’hygièneLes prisonniers y participant refusaient obstinément de se laver et étalaient avec soin leurs excréments sur les murs de leurs cellules. Le but, simple : frapper les esprits. Marquer l’imaginaire collectif. Instituer des actes forts en résonance avec des idées tout aussi fortes.

Les enjeux sont immenses, et ce ne sont pas quelques pavés lancés sur les CRS qui arrangeront les choses. Pire, cela risque de créer les conditions d’une lutte de tous contre tous au sein même de la société – une guerre civile, ou une situation de la tension permanente – qui renforcerait l’oligarchie bien plus qu’elle ne la ferait vaciller. Jack London le disait parfaitement, dans son roman dystopique Le Talon de fer : « Voici donc notre réponse. Nous n’avons pas de mots à perdre avec vous. Quand vous allongerez ces mains dont vous vantez la force pour saisir nos palais et notre aisance dorée, nous vous montrerons ce que c’est que la force. Notre réponse sera formulée en sifflements d’obus, en éclatements de shrapnells et en crépitements de mitrailleuses. Nous broierons vos révolutionnaires sous notre talon et nous vous marcherons sur la face. Le monde est à nous, nous en sommes les maîtres, et il restera à nous. Quant à l’armée du travail, elle a été dans la boue depuis le commencement de l’histoire, et j’interprète l’histoire comme il faut. Dans la boue elle restera tant que moi et les miens et ceux qui viendront après nous demeureront au pouvoir. Voilà le grand mot, le roi des mots, le Pouvoir ! Ni Dieu, ni Mammon, mais le Pouvoir ! Ce mot-là, retournez-le sur votre langue jusqu’à ce qu’elle vous cuise. Le Pouvoir ! »

Si l’on s’accorde alors pour dire que l’un des principaux enjeux de la révolution à venir est de retirer le pouvoir contenu dans les mains de l’oligarchie capitaliste, il s’agit donc de commencer par nommer ce dit pouvoir, afin de ne pas faire erreur, et de risquer de l’attaquer de façon erronée.

Un agent de police peut tout aussi bien enfoncer sa matraque dans l’anus d’un détenu qu’il peut intervenir pour empêcher un viol. Ce n’est pas le cas d’un patron du Cac 40, qui, lorsqu’il s’adonne à diverses actions philanthropiques, ne fait jamais que s’assurer de redistribuer les stocks – monétaires ou matériels – et de s’éviter une quelconque crise de surproduction. Quand bien même le ferait-il pour se racheter une image médiatique auprès d’un peuple de plus en plus méfiant envers ses élites hors-sol, il n’en reste pas moins que cela porterait toujours une charge négative dans la conscience collective.

Le résultat des émeutes urbaines que nous vivons cycliquement à quelques années d’intervalle dorénavant, est bien plus de pousser au vote FN que d’exprimer une réelle menace envers la classe bourgeoise. Georges Sorel, opposant la violence prolétarienne à la force bourgeoise, n’hésitait ainsi pas à dire que « C’est ici que le rôle de la violence nous apparaît comme singulièrement grand dans l’histoire; car elle peut opérer, d’une manière indirecte sur les bourgeois, pour les rappeler au sentiment de leur classe. » Or, lorsque des prolétaires brûlent les voitures d’autres prolétaires, ils ne représentent en aucun cas une menace pour la classe qui les domine réellement, et pire, ils créent une « confusion entre délinquance et revendication sociale [qui] tend à légitimer la violence. Tout se passe comme si le système considérait l’émeute urbaine comme un mode d’expression sociale acceptable destiné à remplacer une médiation traditionnelle, quasi inexistante sur ces territoires. » (Christophe Guilluy, Fractures françaises).

Soyons autonomes et conscients

Il y a des moyens d’agir sur nos vies, concrètement, dès à présent, et de représenter une menace pour le capitalisme.
Il y a pléthore de façons de récupérer un peu de dignité, quelque autonomie, et surtout de combattre autant que possible ce système qui nous asservit et nous broie. Le libéralisme s’est imposé dans nos têtes, et c’est bien de nos têtes même qu’il convient de le chasser. « Tous aliénés », tel pourrait être le mot d’ordre de notre époque : personne n’échappe totalement à l’hégémonie libérale, et c’est bien en cela que l’on peut pleinement évoquer un paradigme, le capitalisme comme « fait social total ».

livre.jpgIl s’agit de créer, comme nous l’avons vu plus haut, les conditions d’une récupération de l’autonomie individuelle et collective, et de participer à la création d’une culture révolutionnaire. Frances Stonor Saunders démontre bien dans son livre Qui mène la danse ? de quelle manière s’est faite la création de l’art contemporain, après la Seconde Guerre mondiale, et de quelle façon s’est mise en branle l’incroyable machine de propagande qui en a résulté – mise sur pied par la CIA – afin de faire de la culture le fer de lance de l’hégémonie américaine et de combattre le bloc soviétique par la même occasion. Littérature, musique, peinture, sculpture, financement d’une certaine partie de la presse : tout devait participer à imposer les vues de l’Oncle Sam. Dès lors, s’impose la compréhension que la création d’une culture révolutionnaire conséquente s’avère nécessaire. Nous ne saurions faire l’impasse sur une préalable « décolonisation de l’imaginaire », pour reprendre ici l’expression de Serge Latouche. Décolonisation de l’imaginaire qui peut dès lors prendre de multiples formes : tandis que certains travaillent à écrire eux-mêmes la constitution du peuple français, d’autres s’échinent à penser un monde qui se serait débarrassé de l’économie.

La première chose à faire semble être de créer du lien – tant nous apparaissons comme isolés les uns des autres – et de sortir de la virtualité des échanges permis par les réseaux sociaux, afin de participer à la création de communs. Un événement comme Nuit debout, annoncé d’abord sur Internet et matérialisé dans la rue a tout à nous apprendre sur ce plan-là : peu importe finalement qu’il n’ait été que temporaire, c’est ce qu’il a permis et les graines qu’il a su disperser qu’il faut retenir. Les échanges qui s’y firent et les relations qui s’y nouèrent sont les artisans de la culture de résistance qu’il faut encourager et à laquelle il nous faut participer.

« Il faut avoir une parfaite conscience de ses propres limites, surtout si on veut les élargir. » Antonio Gramsci

Nous passons trop de temps devant nos ordinateurs et nos téléphones, qui seront sous peu plus intelligents que nous, à regarder défiler notre vie par le biais de petites images animées. Une vie, c’est lorsque tout se passe bien et sans rogner les temps de sommeil, 30 000 jours. Méditons à cela, et gardons toujours à l’esprit que tout change tout le temps. Sherry Turkle parle à notre sujet de « machines à maximiser », évoquant en cela le multi-tasking inhérent à l’utilisation même de l’Internet ou d’un simple smartphone. On écrit un texto tout en répondant au dernier statut de sa belle-mère, tout en regardant d’un œil une vidéo YouTube qui nous crache sa musique dans les oreilles. Là également se niche le pouvoir libéral : des centaines d’heures sont totalement arrachées à la vie même. Une légende raconte qu’un livre s’ouvre chaque fois qu’un onglet Internet se ferme.

Débranchons nos postes de télévision, pour ceux qui les regardent encore, espérant malgré tout un quelconque sursaut d’orgueil journalistique, un spasme d’honnêteté émanant de ce satané tube cathodique. Cela n’arrivera pas. Lorsque cela arrive sporadiquement (on pense ici au rappel récent, ô combien salutaire, d’Aude Lancelin), ça n’est que pour rappeler des évidences désormais connues de – presque – tout le monde. Ce n’est plus la fonction de cet objet. L’époque d’Apostrophe appartient à un autre monde et semble même, pour nous autres trentenaires, relever d’une autre dimension, tandis qu’Hanouna règne désormais en maitre dans ce théâtre de tristes guignols. Espérer qu’une information émane du petit poste revient à attendre que Jésus revienne botter les culs des traders de la City.

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« Dégageons le capitalisme de nos assiettes » comme l’écrivait Ludivine Bénard dans La Revue du Comptoir. Inscrivons-nous massivement dans les Amap (Associations pour la maintien d’une agriculture paysanne), tout en prenant bien soin d’éviter tant que faire se peut les Ruches qui disent oui. Propriétés de Xavier Niel (dont on ne tient plus le compte de ses différentes propriétés lucratives), elles ne sont rien d’autre qu’une tentative d’uberisation du système des Amap. Bien sûr, c’est un moindre mal dont il faut être conscient : le capitalisme effectue une nouvelle mue, celle de la « consomm’action », de la « consommation directe », mue qui lui permettrait théoriquement de continuer à être opérant sans pour autant disparaître. Les initiatives de ce type prolifèrent, à mesure que le capitalisme comprend qu’il est menacé par celles et ceux qui lui refusent la place qu’ils lui accordaient avant. Moindre mal, certes : tout le monde ne dispose pas des moyens d’effectuer un retour à la terre. Il faut, une fois encore, composer avec les réalités qui sont les nôtres sans tomber dans le dogmatisme, voire pire, l’idéalisme. Réapproprions-nous les marchés de nos villes et de nos villages, et reprenons le pouvoir sur notre alimentation. Mieux encore, participons massivement aux initiatives que sont les jardins communautaires, semons des graines dans nos villes sans horizons. Cessons d’ingurgiter les poisons quotidiens et retournons au goût et au vrai. Ce n’est pas le choix de la simplicité, mais c’est celui du beau et du bon. Cuisiner est un acte d’amour, tout comme une réappropriation du temps : si l’on redécouvre que nous avons le temps de cuisiner, on peut par ailleurs découvrir qu’une multitude de tâches inutiles occupent nos soirées et qu’il serait aisé de s’en débarrasser. Réapprenons à cultiver les sols, les bases de la permaculture. Redonnons du sens aux choses. Retrouvons le lien qui nous unit avec la nature. Retrouvons-le, parce qu’il est nécessaire et vital, et que la société industrielle nous a dépossédés en premier lieu de ce lien précieux et singulier. Retrouvons-le, non pas comme des idiots en allant au parc le dimanche regarder bêtement les pigeons bétonneux pour y faire des selfies, mais en prenant le chemin des forêts, des monts et des collines, que ce soit pour y randonner ou même simplement pour s’y affaler et donner du temps au temps. Acceptons d’à nouveau écouter le silence, et cessons de nous remplir continuellement de choses superflues par crainte du vide. Être vide, c’est être plein. Moins, mais mieux.

Soyons des activistes et des militants prosélytes. Soyons autant de plaies pour nos familles, pour nos proches, pour nos collègues : immisçons du politique partout. N’hésitons pas à remuer l’apathie généralisée qui fait son lit devant la machine à café du bureau. Partout, tout le temps, propageons l’idée que la société dans son ensemble se meurt et se dirige d’un pas pesant dans le mur, et qu’il faut l’affronter, non pas par des réformes illusoires, mais par l’acceptation que ce système détruit ce qu’il contient de vivant et le détruira encore demain – sous une autre forme politique, si nous ne nous y opposons pas frontalement. Le déni qui accompagne l’avancée inéluctable du choc doit dès à présent être efficacement combattu. Un vieil adage chinois dit : « Puissiez-vous vivre des temps intéressants », et ces temps intéressants semblent être ceux dans lesquels nous évoluons aujourd’hui. Des médias alternatifs, il y en a mille, il en faut encore autant. Nous ne serons jamais assez nombreux, tant l’ennemi de classe est puissant. D’ERTV à BFM TV, nous n’allons jamais que de la peste au choléra en passant de Charybde en Scylla. Aucun média ne sera plus représentatif de vous-même que celui que vous aurez créé. Soyons nos propres médias, reflétons la réalité qui est la nôtre, brute. Il faut utiliser les outils de l’adversaire, il n’espère rien plus qu’un abandon de notre part. Or, cultiver son petit jardin en détournant le regard de celui qui crève de faim, c’est participer à sa mort, de manière directe. La neutralité est mortelle, et Antonio Gramsci le disait très bien : « Je vis, je suis partisan. C’est pourquoi je hais qui ne prend pas parti. Je hais les indifférents. »

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Le voyageur contemplant une mer de nuages, Caspar David Friedrich

Le fait de quitter la ville, lorsque cela est possible, semble être l’un des principaux sillons à creuser. Lassés de vivre enfermés dans une vie qui consiste en autant de boites de diverses tailles : nous dormons dans des petites boites, nous engloutissons des produits qui ressemblent à des boites contenus dans des petites boites, nous prenons des petites boites équipées de roues pour se rendre dans des boites un peu plus grandes afin de pouvoir acquérir les petites boites précédemment citées, une large part de nos pensées est à l’étroit, comme enfermée dans autant de petites boites, et enfin, nous finissons tous majoritairement enfermés dans une petite boite – nous sommes définitivement devenus une civilisation de la petite boite ; de plus en plus de gens mutualisent leurs moyens afin d’acheter une terre, de la mettre en commun, et décident d’y vivre alors dans une recherche constante d’autonomie – relative – tout en gardant un pied, une main et une oreille dans le système actuel. Que cela passe par la revente de produits fermiers sur les marchés alentour, en proposant des stages de permaculture ou de redécouvertes de savoirs nécessaires mais trop longtemps oubliés (on pense ici aussi bien au filage de la laine qu’à la greffe d’arbres fruitiers), ces groupes expriment une volonté évidente d’en finir avec une participation à la société actuelle de tous les instants sans pour autant rompre frontalement avec elle. Leur recherche est celle d’une autonomie, et pas celle d’une autarcie.

A l’heure de la mort programmée et systématique du monde paysan, que peut-il y avoir de plus subversif que de faire pousser des fermes partout ? Comme le rappelait Pierre Bitoun dans un entretien qu’il nous avait accordé récemment : « On pourrait même soutenir que sans réinvention, en agriculture et partout, du passé pré-capitaliste qu’incarne la paysannerie, il n’y aura pas d’après capitalisme. »

La révolution qui vient émergera du bas, permettra à sa base d’attaquer et renverser le sommet, et plus important : elle sera concentrique. Elle s’élargira, de manière croissante, dès que n’importe lequel d’entre nous aura créé un jardin collectif dans son quartier ou se sera mis à réapprendre l’usage d’une simple aiguille à tricoter afin de ne plus être contraint d’acheter des vêtements fabriqués par des enfants dans des conditions qu’il n’est pas utile de rappeler.

Le capitalisme s’est doté de la capacité de résister à n’importe quelle forme d’agression, et sa résilience n’est plus à démontrer. La crise de surproduction qui s’en vient, ainsi que la baisse tendancielle du taux de profit à laquelle nous assistons d’ores et déjà, ouvrent deux sillons dans lesquels il est possible de s’engouffrer. Le vieux monde est en train de mourir, à nous de faire un pas de côté et de le regarder s’éteindre, quitte à lui donner l’estocade finale si nécessaire, plutôt que de l’affronter directement et prendre le risque de le voir en sortir renforcé, générant de ce fait « les monstres surgissant du clair-obscur » qui effrayaient tant Gramsci.

Les individus ont besoin de s’émanciper autant que possible du carcan capitaliste afin de se retrouver des raisons collectives de renverser les structures qui les asservissent. L’un n’est pas possible sans l’autre, tandis que les deux sont intimement liés. Il ne s’agit donc certainement pas ni de ne rien faire, ni de refuser la violence par principe : simplement d’observer quelles sont les forces dont nous disposons en l’état, et de ne pas fantasmer ni notre nombre ni notre valeur réelle. Révolutionnaires, comptez-vous !

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6 réponses »

  1. Voilà un beau texte auquel je souscrit. Néanmoins, il me semble que créer un outil de production décent, à taille humaine et permettant l’autonomie ne peut pas se faire avec de simples jardins communautaires. Il faut nécessairement passer par l’Etat avec des mesures protectionnistes (autrement dit décider politiquement de produire nous-mêmes telle ou telle chose dont on considère que nous avons besoin) et d’accompagnement (formations rémunérée, prêts gratuits…) . Par exemple taxer fortement les importations agricoles pour racheter aux agriculteurs surendettés une partie de leur exploitation pour les désendetter et installer des nouveaux paysans. Au final chacun se retrouve avec une exploitation à taille humaine et peut vivre convenablement par qu’ils ne sont plus en concurrence directe avec les importations de lait allemand fabriqué dans des usines à vache, ou de fruits et légumes espagnols chimiques et ramassés par des immigrés sous payés. Si on veut en finir avec la grande distribution, qui est un fléau majeur, il faut bien organiser le changement pour que les salariés (ceux des grandes surfaces, de l’agro alimentaire…) ne se retrouvent pas le bec dans l’eau pendant la transition même si au final il y aura plus de métiers créés (épiciers, apothicaires et commerçants en tout genres) que d’emplois détruits. Étant entendu que tout cela ne pourra se faire que progressivement. Enfin bref, est-ce qu’un tel texte peut avoir la moindre chance de parler aux gens, notamment ceux dont la vie dépend au jour le jour de leur salaires pour manger, payer leur crédit ou se chauffer, sans évoquer le fait que le mouvement d’en bas, spontané, doit nécessairement s’accompagner d’un mouvement collectif au niveau national (sortie du marché unique et de l’euro et donc de l’UE, sortie de l’OMC et renégociation des accords de bilatéraux dans un sens acceptable pour chaque pays, mise en place de mesures protectionnistes et d’accompagnement)?

  2. Tu ne t’es jamais dis qu’au lieu d’essayer de changer les adultes, tu ne devrais peut être pas, toi qui est père maintenant, t’orienter vers la jeunesse ? Changer le monde à sa racine..
    Et non demeurer un Don Quichotte dans une croisade perdu d’avance, juste pour flatter son égo parmi ses semblables.. Le sage lui est professeur, son égo se nourrit d’être un modèle certes, mais lui au moins dissémine des graines, il contribue à éveiller les jeunes âmes et ainsi à changer le futur. Cela ne restera qu’une brique à l’édifice, mais cette brique là est concrète.

    • Salut Eric. Je n’ai pas particulièrement l’impression d’être un Don Quichotte : rien qu’ici, il y a 40 contributeurs. La toile regorge d’endroits où les bonnes volontés s’agrègent, et nul doute que cela se matérialisera un jour dans la rue. Quant au reste de ton message, je ne vois pas l’intérêt de nous étaler personnellement ici, on n’est pas sur Meetic. Puisque tu sais ma paternité récente, j’imagine que l’on se connait (encore que je ne connaisse qu’un seul Eric et qu’il est très peu probable qu’il pointe le bout de son nez ici un jour, m’enfin), aussi, je t’invite à passer un coup de fil ou à venir boire un coup à la maison.

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