Nicolas se souvenait comment, jadis, il s’était vu marchant sous les grands arbres, parcourant les routes, se baignant dans des eaux incroyables. Il se souvenait qu’enfant, il lui tardait de grandir pour enfin connaître la vraie, la grande aventure, les coups de pistolets et les trains pris en marche. Qu’adolescent il sentait poindre, tout près, le moment de l’escapade, l’avion en partance pour d’époustouflants endroits. Quelques marches à monter, de vagues études, et il toucherait du doigt, vainqueur, les portes de la vie vraie.

Il s’était alors passé ce qu’il se passe souvent ; le temps avait pris Nicolas de vitesse, on lui
avait donné un diplôme, un travail, un logis. On lui avait appris à manier le bon vocabulaire, de réunions en réunions, de rendez-vous avec son banquier en after-work avec ses amis qui étaient ses collègues, tout coula tranquillement. Il était même nomade, et quel rêve : un jour en déplacement à Londres, les vacances de Noël aux Antilles, les week-ends ici, là.

Et puis surtout, il savait que c’était pour bientôt. Qu’un jour, oh oui, un jour, à lui les grands arbres et les routes roulantes, les sourires des paysages inconnus, le calme, les réveils heureux.
Il fallait juste prendre le temps de mettre de l’argent de côté, laisser voir venir. D’ailleurs, il vit : il rencontra sa femme, eut trente ans, emprunta pour une maison en périphérie de la ville, fêta la naissance de son premier, de son deuxième, de son troisième enfant. Des week-ends, toujours, et des déplacements à Londres, et Noël ici, là, les Antilles devenaient chères pour une petite famille.

Mais enfin il était sûr, c’était tout près, tout proche, bientôt les grands arbres, les nuages amis, les montagnes. Il ne savait juste plus très bien s’il attendait de s’endormir, ou de se réveiller.