Fiction

[Micro-fictions] La violence des jeunes

C’est tandis que sa mère étendait le linge sur le fil que l’idée vint à Albert. Trop, c’était trop. À trente-cinq ans, il n’était plus tolérable qu’on lui parlât ainsi, il n’était plus pensable qu’on lui dictât tout, qu’on ne lui laissât aucun loisir d’agir à sa façon. C’était décidé, ce soir, il se conduirait en homme.

On prit le souper dans la salle à manger comme de coutume. Comme de coutume, on ne parla pas, on laissa l’antique horloge rythmer le paisible moment. Tout allait pour le mieux : la mère d’Albert ne semblait se douter de rien, son plan allait marcher. La grosse dame débarrassa la table, fit la vaisselle, et, à huit heures sonnantes, s’apprêtant à gagner sa chambre, posa à Albert toutes les questions d’usage :

– Tu as bien fermé la porte ?

– Oui, maman.

– Tu as donné à manger au chat ?

– Oui.

– Tu as brossé tes souliers ?

– Oui, oui.

– Tu t’es lavé les dents ?

– … Oui.

Albert s’enfonça dans ses couvertures encore tremblant du terrible épisode. Alors que sa mère se couchait à l’autre bout du couloir, lui, qui venait de commettre l’irréparable, ruminait son forfait.

Il culpabilisa un peu à l’idée qu’elle ne saurait sans doute jamais rien de ce qu’il s’était passé… S’il avait certes fermé la porte, donné à manger au chat et brossé ses souliers, trois quart de vérité restent un mensonge, ainsi qu’il l’avait appris, et les faits étaient là : il ne s’était en aucun cas lavé les dents.

Enivré des parfums du délit et de la transgression, Albert dormit d’un sommeil lourd.

 

Photo de Une : © Alberto Montoya

Catégories :Fiction

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