Il semble se dégager dans la population française un assez large consensus en faveur de la PMA pour toutes (femmes seules ou femmes vivant en couple). Mais avons-nous bien réfléchi aux conséquences à plus ou moins long terme de ce glissement d’un acte médical destiné à trouver une solution pour des couples hétérosexuels infertiles pour des raisons médicales, à l’application de ces méthodes pour des couples homosexuels qui ne peuvent avoir des enfants pour des raisons biologiques ? Au nom d’un « droit à l’enfant » n’allons-nous pas renier notre éthique de la non marchandisation du corps humain ?
Aux origines de la PMA, une solution contre l’infertilité
Les premiers services de PMA datent du tout début des années 1970 avec les CECOS crées par le professeur Georges David. Ils ont permis de montrer que contrairement à une croyance bien établie à l’époque, les causes de stérilité dans le couple n’étaient pas que du côté de la femme et que dans plus de la moitié des cas c’était l’homme qui était infertile. Grande avancée pour les femmes, car trouver une cause d’infertilité chez l’homme est infiniment plus simple et moins traumatisant en explorations. Il suffit en effet d’un éjaculat, chose simple à obtenir, et d’une analyse de la concentration et de la mobilité des spermatozoïdes pour se faire rapidement une idée. Chez la femme, on passe usuellement par des courbes de températures sur plusieurs cycles, des dosages hormonaux, scanners, IRM, laparotomies exploratrices… ce qui est bien plus long, plus coûteux et plus traumatisant. La procréation médicalement assistée (PMA) s’adresse à des couples hétérosexuels stables (ce qui à l’époque veut dire mariés) dans le but de résoudre un problème de stérilité médicalement prouvé. Même dans ces cas, la PMA est précédée d’entretiens psychologiques et de propositions d’autres solutions comme l’adoption. Ce n’est jamais considéré comme le seul recours en cas d’infertilité. La conservation de sperme par congélation est chose relativement facile (azote liquide à moins 270°C), et le don anonyme et gratuit est la règle en France (ce qui n’est pas ou plus le cas dans de nombreux pays soit par marchandisation soit par perte de l’anonymat). Pour les ovules la conservation a été plus compliquée et puis il faut aller chercher les ovules au moment de leur émission (qu’on appelle l’ovulation) par l’ovaire, ce qui nécessite une intervention chirurgicale (laparotomie). Il faut donc être sûr de leur présence, ce qui suppose un traitement de “déclenchement” par des substances hormonales (gonadotrophines) et des inducteurs de l’ovulation injectées à la femme qui, comme tout médicament, comportent des risques. Ce court rappel pour souligner qu’il est plus simple côté homme que côté femme de résoudre les problèmes de stérilité.
« La PMA pour les femmes seules ou pour les couples de femmes nous sort donc complètement de cette logique médicale »
Vers la fin d’une logique médicale…
La PMA pour les femmes seules ou pour les couples de femmes nous sort donc complètement de cette logique médicale : pour faire un enfant il faut et il faudra toujours un homme par ses spermatozoïdes et une femme par ses ovules. Que deux femmes ne puissent pas avoir d’enfant ensemble ne relève pas d’un problème d’infertilité ou de stérilité mais d’une impossibilité biologique. Faut-il démédicaliser la PMA pour aller vers ce droit à l’enfant qui est mis en avant ? On peut en toute honnêteté s’interroger : ne vaudrait-il pas mieux faciliter l’adoption, ou bien comme cela se passe depuis des temps immémoriaux, se faire faire un enfant par un ami et ne pas passer par la loi ? Que vient-elle faire là d’ailleurs : les juges ont largement montré leur incompréhension du problème dans des jugements des années 1980 quand ils ont forcé la restitution des paillettes de sperme congelé d’un homme décédé depuis plus d’un an à sa veuve à fin d’insémination sans se préoccuper du statut de l’enfant à naître, qui aurait découvert grâce au livret de famille que son père était décédé deux ans avant sa naissance ! On peut être favorable au libre choix des orientations sexuelles, au mariage pour tous, être hostile à toute forme d’homophobie et en même temps se poser des questions sur la PMA pour toutes.
« Comment ne pas voir que derrière la PMA pour toutes les femmes se profile la GPA, la grossesse pour autrui ? »
… à une logique de commercialisation du corps humain
Il est un principe fondamental que la France est sans doute un des derniers pays à défendre : la non commercialisation du corps humain. On donne son sang, ses organes, son sperme, ses ovules pour en faire bénéficier d’autres qui en ont besoin ; donner ses spermatozoïdes pour résoudre un problème non biologique mais sociétal revient à commencer à s’éloigner de ce principe. On ne donne pas un organe sain pour remplacer un organe qui tout en fonctionnant correctement est moins bien qu’un organe plus jeune ; on considérerait cela comme hautement immoral (mais peut-être que dans ce monde ultra libéral cela se passe ou s’envisage). Et comme nous sommes attachés au principe d’égalité de traitement par la loi, comment ne pas voir que derrière la PMA pour toutes les femmes se profile la GPA, la grossesse pour autrui ? Combien de temps les homosexuels hommes vont-ils attendre pour exiger eux aussi leur “droit à l’enfant” ? La greffe d’utérus étant encore du ressort de la science-fiction, la seule solution pour les couples d’hommes reste la GPA. Il y a une petite dizaine d’années, l’Académie de Médecine réfléchissait à cette éventualité : comment encadrer le recours à la GPA dans la mesure où elle est légale dans certains pays ?
Le roman La Servante Écarlate nous en propose un avant-goût en nous décrivant une société qui généralise la GPA au profit de couples dominant stériles. Donner son sperme peut rester un don gratuit (ou peut-être pas puisqu’ailleurs ce don est commercialisé) mais “louer” son utérus pendant 9 mois certainement pas : on rentre dans un rapport marchand et on abandonne brutalement la non commercialisation du corps humain ! Quel recul sur nos principes ou comment l’ultra libéralisme gangrène tout ce qu’il touche, et quelle claque pour les militantes féministes qui scandent « notre corps n’est pas à vendre » ! Combien se monnayera l’utérus d’une blonde aryenne ou celui d’une femme du tiers monde ? Et comment se gérera la séparation inévitable de ce petit bébé et de sa maman biologique vers ses “propriétaires légitimes” puisqu’ils auront payé ce “service” ? Comment ignorerons-nous ce lien si particulier entre un bébé et sa maman qu’un célèbre pédiatre a défini comme une “enveloppe” et qui dure plus d’un an après l’accouchement ? On sait les répercussions de ces séparations brutales entre mère et enfant à l’occasion d’hospitalisations par exemple (hospitalisme) et que l’on a combattu en réorganisant complètement les services de pédiatrie pour y faire une place aux mamans. Il n’est pas question ici de douter de l’amour que des couples homosexuels peuvent apporter. Les infirmières et les pédiatres en donnaient aussi dans leurs services mais ce n’était jamais équivalent à la présence de la mère. On rétorquera que c’est pareil dans le cas d’accouchement sous X et d’abandon à la naissance mais au moins ce n’est ni organisé ni systématisé.
Encore une fois il ne s’agit pas de mettre en doute l’amour que n’importe quel couple peut porter à un enfant, mais est-ce que toutes les conséquences de la PMA pour toutes ont bien été soulignées ? Il n’est pas certain que la marchandisation du corps humain pose problème à nos gouvernements actuels (et même aux précédents) tant ils se posent en chantres du libéralisme le plus échevelé, mais peut-être n’en est-il pas de même pour les femmes qui demandent la PMA pour toutes sans se douter de l’enchaînement probablement inexorable qu’il y a derrière. Dans un premier temps la loi précisera que la GPA sera et restera interdite. Pour combien de temps ?
Thierry Barge
Nos desserts
- Au Comptoir, nous avions déjà interviewé le docteur Barge affirmant qu’« On médicalise des situations qui trouvaient naguère leur solution dans l’entraide »
- Nous avions également interviewé Jacques Testart, “père” du premier bébé-éprouvette français
- L’association CQFD Lesbiennes Féministes fait partie de ceux qui s’opposent à la GPA
- Des personnalités telles José Bové, Jean Leonetti ou Laure Adler avaient signé une tribune pour affirmer leur opposition à la GPA
Catégories :Société
Démédicalisation de la PMA ou médicalisation de la procréation? je trouve qu’il y a deux questions non evoquées par et article:
1/ actuellement, la PMA est prise en charge par la collectivité pour les couples heterosexuels en couple ayant des rapports sexuels à visée de procreation depuis au moins 2 ans. Tout ça c’est sur le papier ; en pratique ce délai est rarement respecté, la normalisation de la vie entrainant les couples (surtout de plus de 35 ans ) à consulter des centres spécialisés dans des délais plus court (6 mois, un an) (normalisation de la vie dans le sens que ce ne serai « pas normal » de ne pas arriver à être enceinte 6 mois après, un an après…et que si ce n’est pas vous qui trouverez ça anormal ce sera votre mère, votre grand mère, vos ami.e.s…) . En pratique on attend des médecins de freiner cette demande de médicalisation ce qui en pratique n’est pas toujours simple, la neutralité médicale étant quelque chose de fluctuant et certains médecins ayant parfois du mal à dissocier sympathie et empathie…Bref on va se retrouver avec des couples heterosexuels qui sur le papier devront attendre 2 ans et en parallèle des couples homosexuels qui auront le droit à la PMA « à la demande ». Comment faire alors accepter à des couples heterosexuels demandeurs « d’efficacité » la nécessité d’attendre ; de ne pas médicaliser à tout va un processus naturel qui finalement aurait toute raison d’aboutir? Comment organiser cette PMA à deux vitesse?
2/En extension de la première question; est ce à la collectivité de prendre en charge le désir d’enfant des couples homosexuels? Peut on arriver à un système avec des couples heterosexuels pris en charge et des couples homosexuels qui paieraient leur PMA?on revient à la question de l’égalité des droits…
Argh ! Le « libre choix » de son orientation sexuelle ?
Non, on ne choisit rien, et c’est bien d’ailleurs la source du problème.
Si c’était le cas, si ce besoin (?) d’enfant est trop fort, pourquoi se laisser souffrir à rester homo plutôt que de tourner tranquillement le commutateur et de trouver un parti de l’autre sexe qui nous le fera naturellement ?
Merci pour cette tribune qui pose posément les bonnes questions.