Le Comptoir : Avant Leurs enfants après eux tu avais publié ton premier roman, déjà très remarqué, Aux animaux la guerre (2014). Ce n’est pas un titre insignifiant, il y est question de guerre déclarée aux ouvriers, au monde du travail et indirectement à la vie d’une frange très importante de la population. Comment expliquerais-tu que la guerre soit déclarée avec une réaction aussi faible des attaqués, malgré les Gilets Jaunes ?
Nicolas Mathieu : Ce titre est tiré d’une fable de Lafontaine, Les animaux malade de la peste. On y trouve d’autres vers restés fameux : « Tous n’en mourraient pas, mais tous étaient frappés. » « Qu’on soit puissant ou misérable. » « Haro sur le baudet. » Des expressions passées dans le langage courant et qui me semblaient refléter exactement ce qui s’était produit lors de la crise des subprimes, qui sert de toile de fond à mon histoire. Des actifs pourris concoctés par des financiers véreux à Wall Street et qui ont conduit à la destruction de milliers d’emplois à travers le monde, jusque dans les coins les plus reculés du Pas-de-Calais.
Mais ce titre évoque aussi une guerre en cours, celle que le libéralisme mène contre tout ce qui n’est pas lui, et notamment contre les structures de solidarités collectives qui ont été édifiées pour protéger les plus fragiles. Sécu, droit du travail, droit social, retraite, etc. Mais cette guerre est menée après qu’une victoire idéologique a été remportée. Culturellement, les classes populaires sont largement acquises aux mots d’ordre du libéralisme. Elles sont individualistes, consuméristes et, pour reprendre le mot de Steinbeck, chaque prolo aujourd’hui se rêve en millionnaire en puissance. Nos cerveaux post modernes, colonisés par le divertissement et la triste pensée de nos maîtres, offrent une faible résistance aux assauts du camp adverse. Jusqu’au moment où la situation devient intenable. Il y a toujours, dans l’histoire, un moment où la situation devient intenable.
Avec l’année très riche en promotion qui vient de s’écouler, tu as pu traverser la France des libraires et des salons du livre. Observes-tu un « profil type » du lecteur en France ? Penses-tu que les héros de tes romans, ceux des hauts fourneaux, pourraient finir par devenir des lecteurs engagés avec la perte continue de qualité des médias traditionnels ?
Le lecteur type est une lectrice. Elle a entre 30 et 70 ans. Plutôt éduquée. Dans les rencontres, les librairies, ce sont ces visages-là qu’on croise. Toutes les études sur le sujet le confirment d’ailleurs. Quant à la possibilité de voir des soutiers, des dominés s’emparer des livres qu’on écrit, j’aimerais y croire. À la sortie de Aux animaux la guerre, je disais partout avoir choisi le polar pour faire un livre populaire sur le peuple. Une éditrice, plus décillée que moi, m’avait dit : « Vous me faites marrer les auteurs de polars. Vous écrivez pour le peuple, mais à la fin, vous n’êtes jamais lus que par des bourgeois. » Les couches les moins favorisées de la population lisent très peu, de moins en moins sans doute. Je ne crois pas qu’elles puissent se tourner massivement vers la littérature pour trouver des alternatives à la médiocrité ou à l’univocité politique des médias traditionnels.
« Nos cerveaux post modernes, colonisés par le divertissement et la triste pensée de nos maîtres, offrent une faible résistance aux assauts du camp adverse. «
Les aspirants écrivains ou écrivains en attente de publication se demandent souvent s’il faut se compromettre pour être édité. Dans quelle mesure faut-il être prêt à revenir sur son texte ?
Je vais partir d’un fait. Chez Actes Sud, il y a une politique auteuriste qui fait qu’on n’est pas amené à se renier beaucoup. Cela étant dit, je pense qu’il faut interroger les termes de la question. Cette vision de l’artiste probe, intransigeant, qui cherche une identité maximale entre lui et l’œuvre qu’il produit, c’est une idée moderne. C’est un leurre individualiste, même. Une œuvre peut parfaitement être collective. C’est le cas au cinéma. C’était le cas dans les ateliers de la Renaissance. C’est le cas en concert.
Qu’est-ce qu’une œuvre peut céder au marché dans l’espoir d’élargir son audience, c’est une autre question. Et j’ai envie de répondre « ça dépend ». Des œuvres qui peuvent sembler radicales sont en réalité totalement dénuées d’intérêt. Des œuvres a priori commerciales peuvent distiller un venin qui les rends infiniment plus opérantes au point de vue politique ou esthétique que les précédentes. Ce fut tout le travail des réalisateurs contrebandiers de l’âge d’or à Hollywood.
Aux animaux la guerre a été adapté pour la télévision dans le cadre d’une mini-série. Comment vois-tu le processus d’adaptation ? Y a-t-il des choses propres au roman qui ne peuvent absolument pas être à l’écran ? Quelle force supplémentaire cela donne-t-il à un roman et, inversement, qu’est-ce qui est ôté en force à un texte ?
Ce qui est perdu dans une adaptation, c’est le style. L’écriture. Ce qui appartient en propre à la littérature. C’est aussi un certain rapport d’intimité à l’œuvre, avec les personnages, l’histoire, etc.
« Des œuvres a priori commerciales peuvent distiller un venin qui les rends infiniment plus opérantes au point de vue politique ou esthétique que les précédentes. »
Le processus d’adaptation est à concevoir comme une mutation. Parfois une trahison. Quoi qu’il en soit, il faut faire le deuil de l’œuvre de départ, car le film, la série, c’est un objet en soi, pas moins noble a priori que celui qui l’inspire. Il m’est difficile de dire ce qu’ajoute ou retranche le passage à l’écran. En tout cas, le cinéma réussit quelque chose mieux que la littérature, les images ont cela de plus efficaces que les mots : elles ressemblent davantage au monde, et comme lui, donnent à penser. Les mots ont toujours ce fâcheux penchant de penser par eux-mêmes.
Michel Houellebecq avec les années et le succès est devenu une sorte de consultant en sociologie française, aussi bien ici qu’à l’étranger. Penses-tu qu’un écrivain peut être observateur de son temps au point de pallier les lacunes « émotionnelles » des intellectuels installés ?
Des observateurs, il y en a de toutes sortes. L’écrivain, et plus largement l’artiste, n’est pas supérieur par sa vision, ses intuitions, sa puissance affective. Ce qui le distingue peut-être, et c’est particulièrement frappant chez Houellebecq, c’est le côté Diogène, son indifférence quant à certains codes, une certaines monstruosité sociale, la possibilité d’une parole qui blesse. « Le poète est un parasite sacré » disait justement Houellebecq.
Nos Desserts :
- Nicolas Mathieu fut interviewé par Le Média sur « La fin de la classe ouvrière ? »
- Il fut l’invité de l’émission Par les temps qui courent sur France Culture
- Au Comptoir l’écrivain Sophie Divry affirmait qu’un « écrivain ne doit pas penser son livre en termes de prix »
- Nous avions également interviewé Franck Lepage à propos des Gilets jaunes
- Nous avions aussi fait une recension de Soumission de Houellebecq
- Double interview de Sophie Divry et Denis Michelis sur Le Média sur « Comment raconter notre époque monstrueuse ? »
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Je vais peut-être dire une bêtise, mais il me semble que certains romans – dont le thème étaient les « classes laborieuses » – paraissaient d’abord en feuilleton dans les journaux. Cela en rendait peut-être l’accès plus facile.
Quand aux classes les plus pauvres « acquises » au libéralisme, c’est du jugement à l’emporte pièce, du gauchisme facile. Mais le gauchisme rase gratis… demain. Nous ne sommes plus dans la pure théorie, les dogmes ont été expérimentés : en URSS, en Chine, à Cuba, au Cambodge, en Corée du Nord, en Érythrée aujourd’hui. Les classes laborieuses lisent peut-être moins, mais elles regardent la télé, regardent quelques films. Si vous avez le talent d’écrire, il serait plus intéressant d’essayer de comprendre pourquoi elles ne votent pas – ou plus – massivement à gauche. Mais le projet est-il d’essayer de comprendre, ou de faire des pseudo-démonstrations d’idées préconçues. Je n’ai pas de statistiques à donner, juste l’expérience d’avoir vécu dans un monde prolétaire, et je n’y ai pas rencontré beaucoup de révolutionnaires dont l’ambition première était de « tout foutre en l’air », Et la plupart des gens, sans avoir lu Marx, sont bien conscient d’être exploités, et encore plus aujourd’hui, mais ils vivent la philosophie du jour le jour, ou au moins celle du mois le mois, en tous cas pas celle des salons des maisons d’édition;Moi je voudrais savoir si l’auteur du livre est devenu propriétaire, ou s’il est toujours locataire ? Et s’il a pu acheter grâce à l’apport financier des copyrights, qui paye en réalité le crédit – sous forme de loyers mensuels – du logement dont il deviendra ainsi propriétaire sans le payer lui-même ? Ce que je veux dire, c’est qu’avant d’accuser les classes laborieuses de se soumettre au libéralisme, qu’il nous parle de lui-même pour qu’on puisse comparer : mais il l’a dit, un écrivain n’a pas à être en phase, dans sa vie privée, avec ce qu’il écrit. Voilà qui est pratique.A ce compte là, il devient très facile de porter des jugements sur la marche du monde, mais que valent-ils ?.
En effet. Les propos de Nicolas Mathieu sont prodigieux de sottise prétentieuse. Le mec est un prototype de bobo-gaucho pseudo-intello dans ce que cela peut avoir de pire. Bien représentatif de la déliquescence intellectuelle de la France et de la Folie française.
http://fr.liberpedia.org/Voyage_au_pays_des_horreurs_ou_l%E2%80%99Invention_de_l%E2%80%99enfer_lib%C3%A9ral
Oui, « les gens », et notamment les classes populaires, ont bien conscience d’être exploités, et ils ont raison, mais ils n’arrivent pas très bien à savoir comment et par qui, et ce « grâce » au bourrage de crâne socialiste et étatiste. Peut-être un jour comprendront-ils que leurs exploiteurs (http://fr.liberpedia.org/Caste_exploiteuse ) s’appellent l’État, les hommes de l’État, la classe politico-étatique et tous ceux qui vivent grassement de l’État, à commencer par les hauts fonctionnaires. Mais pas seulement…
http://fr.liberpedia.org/L%E2%80%99analyse_de_classe_marxiste_et_celle_des_Autrichiens
Nicolas Mathieu : « les classes populaires sont largement acquises aux mots d’ordre du libéralisme ». Dans ce titre-résumé, il y a un mot qui me gêne, c’est « acquises ». Le sociologue Alain Accardo, qu’on lira avec grand intérêt, explique bien dans son opuscule « De notre servitude involontaire : lettre à mes camarades de gauche » (édition Agone) que c’est plus compliqué que ça de faire la part, y compris même et surtout dans le camp de la gauche, entre ce qui est soumission consciente, par intérêt, au libéralisme, et ce qui est la part inconsciente qui fait qu’on adopte le mode de vie capitaliste.
Oui
« Vous me faites marrer les auteurs de polars. Vous écrivez pour le peuple, mais à la fin, vous n’êtes jamais lus que par des bourgeois. » Les couches les moins favorisées de la population lisent très peu, de moins en moins sans doute. Je ne crois pas qu’elles puissent se tourner massivement vers la littérature pour trouver des alternatives à la médiocrité ou à l’univocité politique des médias traditionnels.
Nos cerveaux post modernes, colonisés par le divertissement et la triste pensée de nos maîtres, offrent une faible résistance aux assauts du camp adverse. »
Les écrivains qui sortiront toucherons le peuple parce qu’ils offriront une nouvelle genèse et ce après un constat pessimiste donneront le désir d’autre chose, d’une autre façon de vivre libre mais peut-être sans la notion de Propriété, fondement de la bourgeoisie, du capitalisme, de son avatar le libéralisme, néo-libéralisme et ultra-libéralisme. Mais il est nécessaire que les autrices et auteurs possède déjà ce désir !
Quelques remarques. La « différence » entre littérature et cinéma, c’est essentiellement la différence entre lecture et visionnage. Dans la lecture c’est le cerveau du lecteur qui fabrique ses propres images, dans le visionnage ciné-vidéo c’est le film qui imprime les images dans le cerveau (en agissant sur plusieurs sens à commencer par l’audition « multipliée » par les effets sonores et la musique). En ce sens, le film est plus facilement manipulateur, démagogique voire fascisant que la lecture en imposant ses images dans notre cerveau et notre mémoire: on peut avoir détesté le film et n’avoir trouvé aucun aspect positif pouvant le justifier, cela n’ôtera pas de notre mémoire la vision d’un enfant déchiré par un obus.
Les classes populaires largement acquises au libéralisme? Sans doute. Mais. Quelques mais. Les classes populaires ne sont pas devenues libéralo-capitalistes par la rencontre avec une comète extra solaire. Elles ont subi des décennies de matraquage idéologique qui a gangréné les directions de partis, organisations et syndicats censés défendre les travailleurs, ce qui ne pouvait qu’entraîner une diffusion idéologique. Et pourtant: « c’est parce que son ennemi était la finance » qu’un bas-pays se fit élire président. Mais ce n’était, comme aurait dit Coluche « que des paroles verbales »…Car, face à cette domination idéologique nous avons eu …des décennies de vide politique, social, intellectuel, philosophique. Rien pour endiguer ou freiner cette domination.
On lit beaucoup moins, peut-être, mais surtout on lit du roman pas compliqué et à la mode, au gré des promotions « littéraires ». Des médiathèques ont surgi dans bien des villes et villages. Vous trouverez combien de Voltaire, Rousseau, Marx, Engels, Fournier,…combien d’ouvrages philosophiques, politiques ou économiques sérieux? Certes, ils ne seraient pas forcément lus mais ne pas les proposer n’est pas neutre.
Devrait-on admettre que les capacités intellectuelles des classes populaires ont disparu? Or, n’ayant plus 20 ans depuis longtemps, j’ai côtoyé des secrétaires de section et de cellule du PC (oui, il existait des cellules d’entreprise et de quartier!) s’efforçant d’articuler « les lois de la dialectique » (que je préfère nommer « relations », car il convient de saisir les conditions permettant de les établir…). De « simples ouvriers » bien plus hautement intellectuels que les penseurs de pacotille actuels. Quand l’ensemble de la classe politique, des syndicats, des écolos, des intellectuels, des « leaders »,…court vers « L »Europe », c’est-à-dire vers la soumission absolue à l’idéologie répandue par la finance, que restait-il aux classes populaires pour résister à cette déferlante? Peut-être quelques vieux-cons, comme moi, ce qui m’avait poussé à rédiger, il y a longtemps, des textes, peu diffusés évidemment et dont certains sont sur le blog. Comment s’étonner que dans un tel désert les gueux soient contraints à porter un gilet jaune pour exprimer leur colère?
Méc-créant.
(Blog: « Immondialisation: peuples en solde! » )
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