Aux origines anarcho-libertaires, la nouvelle technologie de la blockchain bouleverse les conceptions du droit contemporain. Si son potentiel de décentralisation et de désintermédiation est considérable, cette technologie reste toutefois exposée à l’influence des États ou des intérêts privés.
La formule est placée sous le signe de la provocation mais l’idée d’un Dieu créateur de la blockchain a le mérite de mettre en lumière cette naissance mystérieuse qui dépasse l’entendement humain. L’idéologie libertaire qui sous-tend la blockchain implique le recours à de pseudonymes, ce qui enfreint l’identification des acteurs. Aujourd’hui, pas une semaine passe sans qu’un colloque se tienne sur la blockchain, pourtant c’est bien l’anonymat qui caractérise cette nouvelle technologie.
Le Lexique de l’informatique définit la blockchain – ou « chaîne de blocs » en français – comme un « mode d’enregistrement de données produites en continu, sous forme de blocs liés les uns aux autres dans l’ordre chronologique de leur validation, chacun des blocs et leur séquence étant protégés contre toute modification« . Cette chaîne de blocs « est notamment utilisée dans le domaine de la cybermonnaie, où elle remplit la fonction de registre public des transactions« . Comme un processus de certification, la technologie blockchain est réputée infalsifiable permettant des applications dans des domaines aussi variés que les monnaies électroniques ou la création de bases de données.
L’ethos libertaire qui sous-entend la blockchain implique le recours à des pseudonymes qui protège ses acteurs de l’identification. Les idées crypto-anarchistes considèrent que le développement et l’utilisation de la cryptographie sont l’ultime défense contre Big Brother, autrement dit la surveillance des communications informatiques, notamment sur Internet. En effet, les anarcho-libertaires s’élèvent contre les réglementations de lutte contre la criminalité financière, qui autorisent le décodage d’informations chiffrées sur demande d’une autorité judiciaire et imposent que des intermédiaires financiers comme les banquiers identifient avec précision l’identité de leurs clients.
Historiquement, l’anarchisme a pour essence l’auto-émancipation collective des travailleurs vis-à-vis des pouvoirs qui les exploitent et les oppriment. Ce courant est associé à l’adjectif libertaire qui implique l’auto-libération des individus à l’égard des normes et des croyances qui aliènent les victimes du capitalisme. Ainsi, les concepteurs et premiers utilisateurs de Bitcoin et des cryptoactifs s’inspirent en majeure partie des idées crypto-anarchistes en prônant la liberté des transactions par le droit à l’anonymat et l’absence de contrôle étatique. Aussi, les crypto-anarchistes plébiscitent l’anonymisation des données, en particulier des correspondances et des transactions et prônent une finance indépendante des États et des gouvernements.
« L’ethos libertaire qui sous-entend la blockchain implique le recours à des pseudonymes qui protège ses acteurs de l’identification. »
La blockchain utilise le chiffrement asymétrique, une méthode adaptée à l’échange de contenus sécurisés, qui repose sur une bi-clé. La clé publique est utilisée pour chiffrer le message et la clé privée pour déchiffrer le message. La clé publique n’est pas confidentielle, elle peut être déposée sur un serveur afin que tout individu puisse l’utiliser pour chiffrer le message tandis que la clé privée associée est gardée secrète et peut permettre de déchiffrer le message. La blockchain Bitcoin exploite quant à elle les propriétés de l’Arbre de Merkle, qui permettent de réaliser le chaînage des transactions entre elles. Il s’agit d’un arbre dont chaque niveau est l’empreinte des niveaux inférieurs. Alors que les transactions n’ont rien à voir entre elles, l’arbre de Merkle matérialise une interdépendance.
Cette activité de « minage » propre la technologie de la blockchain nécessite une grande puissance de calcul afin de résoudre le problème mathématique permettant de valider la transaction. Extrêmement énergivores, ces calculs sont réalisés à l’aide de puissants logiciels. Le premier « mineur » à résoudre le problème permettant la validation est récompensé à l’aide de la cryptomonnaie propre à la chaîne. Portés par une compétition assez relevée, ces « mineurs » tendent donc à se réduire à un très petit nombre d’acteurs.
Et l’État entra en jeu
L’anonymat inquiète et le droit n’aime pas les intrigues. Cette opacité crypto-anarchiste est inadmissible au regard des objectifs de la lutte contre le blanchiment d’argent ou celle contre la drogue. L’anonymat relatif aux transactions a fait de la blockchain un refuge privilégié pour la criminalité financière. Les cryptomonnaies adossées aux blockchains apparaissent ainsi comme l’argent liquide du net. Un glissement des opérations effectuées sur le darkweb du bitcoin vers d’autres cryptomonnaies a été observé, en particulier Monero, qui confère une confidentialité accrue par rapport à Bitcoin et Ethereum. Aux États-Unis, les autorités ont procédé en octobre 2013 à la fermeture du site Internet Silk Road et arrêté son responsable, après qu’elles aient découvert que ce site servait de plaque tournante de la drogue où les vendeurs et acheteurs du monde entier s’échangeaient des substances illicites en profitant de l’anonymat des transactions en Bitcoins.
« L’anonymat relatif aux transactions a fait de la blockchain un refuge privilégié pour la criminalité financière. »
Une blockchain n’a au-dessus d’elle aucune autorité hiérarchique et n’est soumise à la supervision d’aucun État. Elle est ainsi sujette à l’arbitraire de milliers d’ordinateurs de particuliers et d’algorithmes qui la génèrent automatiquement à chaque transaction, sans qu’il soit possible de connaître l’identité de l’auteur de cet algorithme, protégé par l’anonymat. La dilution de la responsabilité trouve ici appui dans l’anonymat. La notion même de la responsabilité en est bouleversée. Qui sera tenu responsable d’une mauvaise certification s’il est quasiment impossible d’identifier l’auteur de l’algorithme ? Un autre problème s’ajoute : la traçabilité des montants réels des transactions est rendue illisible par l’usage de ces protocoles permettant de fractionner les sommes virées en passant par les comptes tiers intermédiaires.
En France, les juristes se sont demandés si, au nom de l’impératif de sécurité juridique, une régulation spécifique de la blockchain s’imposait. Les avis sont partagés même si dans l’attitude générale, l’attentisme est de mise. Aujourd’hui, un certain consensus semble se détacher: une réglementation de la technologie blockchain est prématurée car elle risque d’entraver l’esprit innovateur de cette nouveau phénomène.
Le législateur n’est toutefois pas resté inactif puisqu’il existe aujourd’hui des réglementations parcellaires, qui visent des domaines d’application particuliers de la blockchain. À titre d’exemple, l’ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 autorise l’échange des minibons, bons de caisse dématérialisés, sur des plateformes internet de financement participatif (crowdfunding). L’article L. 223-12 du code monétaire et financier, issu de cette ordonnance, énonce, en effet, que l’émission et la cession de minibons peuvent être inscrites dans un « dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opérations« . En d’autres termes, une transaction sur une blockchain équivaut dans l’esprit du législateur à un contrat écrit.
« Comme pour l’histoire du courant anarcho-libertaire, la dissolution des deux concepts se fera probablement au profit du capitalisme. »
Les investisseurs, et le monde des affaires en général, ne comptent pas laisser ce nouveau puits de croissance leur échapper. Le PDG d’une start-up qui a levé 4,2 millions de dollars lors d’un tour de financement, et dont le but est d’aider les institutions financières à prévenir les risques liés aux transactions en crypto-monnaies, ne tarit pas d’éloges sur cette nouvelle technologie. Ce dernier est d’ailleurs convaincu que « la crypto-monnaie et la blockchain peuvent démocratiser l’accès aux services financiers et responsabiliser des milliards de personnes« . L’objectif qu’il se fixe est alors de bâtir « un système financier plus sûr« .
Comme pour l’histoire du courant anarcho-libertaire, la dissolution des deux concepts se fera probablement au profit du capitalisme. Tandis que l’esprit anarchique de la technologie se voit de plus en plus marginalisé, la pose libertaire de celle-ci jouit d’une vogue accrue au sein de la galaxie des juristes et des entrepreneurs pour peut-être un énième renouvellement de la dynamique capitaliste. Le double processus de diabolisation et de neutralisation de la cryptoanarchie offrira probablement l’opportunité à l’esprit libéral-libertaire la possibilité de brandir la blockchain au profit de l’inoxydable « modernisation de l’économie ».
Nos Desserts :
- Au Comptoir, les réflexions sur le droit contemporain ne nous sont pas étrangères
- Dans Le Monde diplomatique, un article de Jean-Pierre Garnier sur les anarchistes et les libertaires
- Dans la Vie des idées, Primavera De Filippi se demande si la blockchain est synonyme d’émancipation ou de domination
Catégories :Société
Bonjour et merci pour l’article,
Perso j’ai eu quelques mauvaises expériences avec la crpyto,
Du coup je me suis tourné vers le crowdfunding, et récemment vers le crowdlending, ça reste un investissement risqué.
Il faut donc bien choisir sa plateforme (wesharebonds et lookandfin.com) et bien se diversifier.
Et Dieu créa la CHAÎNE DE BLOCS