Culture

Swann Arlaud : « Il faut reprendre la rue »

Nous retrouvons Swann Arlaud au Lieu Dit. Dans ce café de Ménilmontant où la parole rouge se libère chaque soir autour de débats, tables-rondes et projections, la teneur de l’entretien s’annonce déjà politique. Primé « meilleur acteur » à l’occasion des Césars en 2018 pour son rôle dans « Petit Paysan » de Hubert Charuel, applaudis pour son jeu dans « Perdrix » d’Erwann Leduc, pour sa voix dans « Les Hirondelles de Kaboul » de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, bientôt à l’affiche du film « Comment je suis devenu super héros » de Douglas Attal, Swann Arlaud n’a pas hésité à soutenir les gilets jaunes en leur prêtant sa voix, le temps d’une lecture lors de la 72e édition du festival de Cannes. « Ce texte n’est pas de moi », insiste-t-il « c’est l’œuvre d’un ensemble de gilets jaunes ». Rencontre avec un individu qui, sous les projecteurs, n’a d’intérêts que pour le collectif.

Le Comptoir : Dans le documentaire Delphine et Carole, insoumuses, une journaliste demande à l’actrice Delphine Seyrig si celle-ci est militante : elle répond « Non, je suis actrice, militante c’est un métier. » Diriez-vous cela aussi ?

Swann Arlaud : Complètement. Exercer son métier de manière engagée et être militant sont deux choses différentes. Les militants donnent énormément de leur temps, le militantisme exige beaucoup de sacrifices.

Pour ma part, j’essaie de trouver du sens à ce que je fais dans mon métier et ailleurs. Mon engagement est assez banal : je manifeste, je lis, je m’indigne, j’écoute, j’apprends. Il m’arrive aussi de participer à des actions. Il faut absolument savoir pour quoi on milite. Depuis un certain temps, je me politise, mais je ne me considère pas comme ambassadeur d’un mouvement car j’ai encore quelques lacunes.

« Le militantisme exige beaucoup de sacrifices. »

Dans mon métier, l’engagement provient d’ailleurs, il est presque inconscient. Je choisis les films avec le cœur, parce que le sujet me touche ou m’indigne mais je ne me dis pas « Ah tiens je vais faire un film engagé ! ». Finalement, la politique est partout et le cinéma, à l’instar de la culture, est nécessaire parce qu’il raconte, transmet, engage à travers les émotions.

© Stéphane Burlot

Le cinéma n’est pas seulement engagé dans sa forme, il l’est aussi dans son industrie, dans ses rouages. Récemment, Adèle Haenel a dénoncé les agressions de Christophe Ruggia à son encontre. L’Affaire Polanski refait la une des médias, ce qui a mené à une censure militante du film « J’accuse ». Depuis, une grande question divise le cinéma, question que l’on vous pose aujourd’hui : peut-on séparer l’homme de l’artiste ?

L’intervention d’Adèle Haenel sur Mediapart ouvre le débat sur cette question et il est important de se la poser. Je trouve malhonnête de séparer l’homme de l’artiste, un corps et un esprit restent inextricablement liés, non ? Il me serait par exemple impossible d’aller à un concert de Bertrand Cantat et je suis profondément mal à l’aise de savoir qu’il en donne encore. Pourtant, adolescent, j’étais fan de Noir Désir, nom qui résonne aujourd’hui de manière funeste.

La séparation de l’artiste et de l’œuvre est encore plus complexe. De fait, une fois l’artiste décédé, il semble plus facile de faire cette séparation. Le temps permet de séparer l’homme de son œuvre, comme c’est le cas avec Céline par exemple, qui reste un homme profondément antisémite tout en étant admiré pour son écriture et son œuvre, presque malgré cela. Il existe nombre d’exemples de ce genre-là.

Ne devrait-on pas découvrir les œuvres avant d’en connaître l’auteur ? On peut évidemment passer devant un tableau et être ému sans pour autant savoir qui tenait le pinceau. Et si ça se trouve, c’était un enfoiré !

« Ce n’est pas leur talent qui les protège, c’est leur pouvoir. »

Doit-on aller voir ou non le film de Polanski ? Je n’ai pas la réponse. À chacun sa décision. En revanche, l’interdire c’est le censurer et la censure reste dangereuse.

Il m’est déjà arrivé de tourner pour ou avec des gens dont j’admirais le travail et qui se sont révélés êtres des tyrans. Je me suis senti trahi et j’éprouve aujourd’hui du mépris pour ces personnes, je n’en n’éprouve pas pour autant pour leurs films.

Ce que soulève cette question – comme l’a si bien dit Adèle Haenel – c’est la responsabilité collective. Nous vivons dans une société qui autorise certains mécanismes, qui les accepte ou qui ne veut pas les voir. Nous sommes tous responsables. Pour citer Adèle Haenel : « Il faut qu’ils se regardent en face, que tous, nous nous regardions« .

Weinstein, Polanski et les autres font partie des puissants du cinéma. Ce n’est pas leur talent qui les protège, c’est leur pouvoir. On protège les puissants, cela ne concerne pas seulement le cinéma mais toute la société. Et pour les protéger, on n’hésite pas à détruire ceux qui prennent le risque de dire la vérité.

J’veux du soleil de François Ruffin et Gilles Perret (2019)

Vous avez vu J’veux du Soleil de Gilles Perret, consacré aux gilets jaunes. Pensez-vous que le cinéma, particulièrement le cinéma documentaire, soit un vecteur de réalité brute ?

Non. D’ailleurs, le point de vue du film n’est pas omniscient, il dévoile ce qu’il a envie de montrer, sous un certain angle. Il est difficile de donner un regard totalement objectif sur les choses. J’veux du soleil nous donne à voir des gens qui peinent à vivre avec un maigre salaire. Chacun a son histoire. C’est important d’entendre leurs voix, c’est même bouleversant. Je n’ai pas été sur les ronds-points mais j’ai fait beaucoup de manifestations et j’y ai rencontré des personnes formidables. Mais je suis aussi attentif à ce qui est très largement diffusé sur internet autour des gilets jaunes. Au milieu de véritables informations se cachent aussi des contenus fallacieux émanant d’orientations politiques parfois très douteuses. Ce mouvement est complexe, à l’image du peuple. Le film ne montre pas ses ambiguïtés au sein même du mouvement.

Si l’idée consiste à donner à voir un mouvement dans toute sa complexité, alors on réalise un film dans ce sens-là. Gilles Perret et François Ruffin ont voulu prendre le contre-pied de ce que les médias de masse veulent bien nous faire voir et entendre. Et ils ont raison de le faire car il y a une bataille de l’information dans laquelle il est primordial de donner d’autres points de vue que ceux qui nous sont servis pour nous asservir.

À propos de Petit Paysan, vous insistez sur le fait qu’il s’agit d’un film de fiction. Pour autant, très en amont du tournage, vous êtes allé vivre en immersion dans cette ferme. Où se situe alors la frontière entre réalité et fiction ?

Je suis comédien et non paysan, tout simplement. Reconstituer une histoire ne signifie pas être cette histoire. Hubert Charuel, le réalisateur du film, avait des envies de cinéma. Avec Petit Paysan, Il s’approche du film de genre et bascule vers un film à la tonalité quasi fantastique. C’est là que se situe la fiction, différente d’une œuvre de Raymond Depardon, qui va filmer les gens en essayant de capter la réalité de leur vie quotidienne. Quand j’insiste sur cet aspect fictif, ce n’est pas du tout réducteur : ce film est donné à voir comme un film de cinéma avant d’être un film qui va nous dépeindre une réalité. L’avantage, c’est que ça incite plus de personnes à aller le voir et, par ricochets, à se questionner. Des spectateurs qui se moquent peut-être complètement des éleveurs laitiers en Haute-Marne vont voir ce film car c’est du cinéma. Ce qui va les pousser à s’intéresser ensuite à la réalité de ces éleveurs.

« Le documentaire s’attelle à nous restituer une réalité, à la refléter, là où la fiction cherche à discuter avec elle, à lui répondre. »

De plus en plus de fictions donnent à voir les luttes ouvrières et syndicales : En guerre de Stéphane Brizé, Deux jours une nuit des frères Dardenne, Sorry we missed you de Ken Loachetc. La fiction aurait-elle parfois un pouvoir plus fort sur le réel que le documentaire ?

La fiction permet de faire de ses personnages des madame/monsieur tout le monde. Le  documentaire dépeint une réalité, qui n’est pas dépourvue de fiction pour autant – suivant le cadre choisi par la réalisatrice ou le réalisateur – mais qui ne dépassera pas le cadre du réel. La fiction elle, opère une distorsion du réel qui nous plonge dans le regard des protagonistes. On n’observe pas des gens, on les incarne. En fin de compte, le documentaire est peut-être capable de provoquer cette même immersion. Seulement, le documentaire s’attelle à nous restituer une réalité, à la refléter, là où la fiction cherche à discuter avec elle, à lui répondre.

Petit Paysan de Hubert Charuel (2017)

Vous apparaissez dans le documentaire Satire dans la campagne. En période d’élections présidentielles, vous dites : « J’irai voter, mais ça me fait mal au cul. » Pourquoi ?

A priori, je n’ai pas envie de voter. Ce qu’on nous propose ne correspond pas à la société que j’ai envie de voir advenir. Mais en même temps j’ai peur, comme beaucoup de gens. J’ai eu beaucoup de discussions avec des amis, notamment étrangers, qui viennent de pays où la politique est beaucoup plus dure et qui m’ont dit « Tu te rends compte de ce que ça voudrait dire de ne pas aller voter ? Ça veut dire que tu donnes une voix au FN ». J’ai trouvé ça injuste.

La dernière élection présidentielle a divisé la gauche de manière hallucinante : la gauche est aujourd’hui disloquée. Je m’étais dit qu’avec le duel Lepen – Macron, il était hors de question de voter puisque je ne voulais ni l’un, ni l’autre. On voit très bien que lorsque les élections se rapprochent, les médias à la botte de Macron ont donné un large espace médiatique au FN pour qu’il puisse se poser comme seul recours. J’ai eu peur, j’ai voté. C’est paradoxal, pour quelqu’un qui a lu beaucoup de textes anarchistes pour préparer un rôle et s’en est inspiré pour forger ses propres convictions… Cette question du vote est complexe car on ne peut pas non plus faire comme si on vivait dans un autre monde que celui dans lequel on vit. Nous sommes forcés de faire avec les outils qu’on nous donne, avec la société telle qu’elle est. On peut la combattre, mais peut-on la nier ? Ou alors la rejeter en bloc, rejoindre des îlots libertaires et construire d’autres modes de vie, ignorant le vieux monde qui court à sa perte… Je ne suis pas certain d’en être encore capable. Quoi qu’il en soit, j’ai voté contre, et j’ai mal au cul. Je ne m’attendais pas à ce que Macron aille aussi loin…

Vous parliez de politisation, de conscientisation. selon vous que signifier « se politiser » ?

C’est réaliser qu’on vit dans une société qui nous appartient. Nous la faisons, nous pouvons la défaire. La questionner, se questionner. Il faut remettre le débat au centre de l’espace public. Il faut reprendre la rue, même si ça doit parfois passer par la force. La constitution d’assemblées citoyennes dans les quartiers, les villages, les campagnes, c’est une manière de reprendre l’espace, une tentative de démocratie directe, d’affirmer haut et fort que ce pays nous appartient, à nous qui y vivons ; que cette planète nous appartient, que c’est à nous de décider et non à la poignée de dirigeants censés nous représenter de le faire. La représentation politique est un problème, on voit bien que ça ne fonctionne pas. Quand nos gouvernants font des cadeaux faramineux aux plus riches et demandent toujours plus d’efforts aux plus pauvres, il y a un moment où on ne peut plus laisser faire.

Beaucoup de femmes et d’hommes n’osaient pas se soulever contre le système – peut-être par honte de leur condition, ou tout simplement car ils ne s’en sentaient pas la force. Depuis un an, certains d’entre eux se sont levés, se sont mis à réécrire la Constitution, à monter des maisons du peuple, à prendre l’espace comme on a pu le voir par exemple à Saint Nazaire et ailleurs ! Des tentatives de réappropriation de la cité, du pays, de la société dans laquelle on vit. Nous sommes plus forts ensemble que cette minorité qui vote des lois dans le seul but de s’enrichir. Ils sont en sous-nombre total. Quand on aura tous compris ça, on pourra leur faire très peur. Quand un projet d’agrandissement de la Gare du Nord en centre commercial est prévu, nous devons nous faire entendre. Ce n’est pas bon pour nous, pour l’écologie, pour les voyageurs. C’est un quartier dans lequel il y a énormément de précarité, de migrants. Ce n’est pas juste. Pourquoi ne pas monter un projet plus utile ? Dans le 10e arrondissement, des gens ont proposé un projet de bain-douche. Pourquoi on ne ferait pas ça plutôt ? Un endroit pour que les personnes en précarité puissent simplement se doucher ?

Pendant des siècles, on nous a inculqué le fait que ce n’était pas à nous de nous occuper de ce genre de choses. C’est faux. Les décisions concernant les hôpitaux devraient être prises par ceux qui y travaillent, même chose pour les écoles, les usines. Quand Macron dit qu’il n’aime pas l’expression « pénibilité au travail » car cela voudrait dire que le travail est pénible, Le Gorafi parodie en titrant « Je n’aime pas le mot de démocratie parce que ça donne le sentiment que le peuple aurait le pouvoir ». On en rigole mais dans les faits, on en est là !

Lors de le 72e édition du Festival de Cannes, en 2019, vous lisez un texte pour représenter le collectif des Sous-Marins Jaunes. Le fait de se servir de la parole de personnalités qui ont pignon sur rue pour porter un message de lutte, est-ce que ce n’est pas aller à l’encontre de la parole collective ?

C’est discutable, je suis d’accord. La valeur de la parole d’un acteur est discutable. Pour autant, en étant mis en avant, je n’ai pas plus de pouvoir que les autres.

L’idée, je pense, c’est que la parole portée par « une personnalité » sera plus relayée, aura plus de chance d’être partagée sur les réseaux sociaux, dans les médias. Au-delà de ça, le texte que j’ai lu était un assemblage d’écrits de gilets jaunes, une parole collective donc, qui n’aurait pas pu s’exprimer ici sans ça.

Quand le 23 août 1996, Emmanuel Béart a défendu la cause des migrants expulsés par les forces de l’ordre de l’église Saint-Bernard à Paris elle a donné à voir quelque chose qui, à mon avis, serait passé bien plus discrètement dans la presse si elle n’y avait pas été. Cette mise en avant aide à la sensibilisation du grand public. Mais pour la carrière d’Emmanuelle Béart, ça a été sacrificiel. Qu’on le veuille ou non, en tant qu’acteur/actrice, on nous donne des espaces pour parler, on l’exige même de nous : Que faire de ça ? Autant saisir cette tribune pour servir nos convictions.

Moi, Daniel Blake de Ken Loach (2016)

Gâchis alimentaires, pollution, oubli du recyclage, égéries et marques de luxe qui licencient à tour de bras : le Festival de Cannes peut-il être un bon relais des luttes avec de telles coulisses ?

C’est ce qui fait son grand paradoxe. C’est à la fois le déballage du luxe tout en étant un festival qui récompense souvent un cinéma social, engagé. En 2016 la Palme d’Or est attribuée à Moi, Daniel Blake de Ken Loach, son discours était fort et a été largement diffusé. C’est encore la question de la visibilité, a-t-on plus d’impact lorsqu’on s’exprime ici plutôt qu’ailleurs ? Je pense que oui. S’adresser à une audience non conquise est plus utile que prêcher devant des convaincus.

Sur la question écologique, c’est bien au-delà du Festival de Cannes qu’il faut changer les choses. Il est urgent que le cinéma agisse : sur les tournages, la quantité de nourriture gâchée et de plastique utilisé est catastrophique. Certaines choses sont en train de se créer et de bouger à ce niveau-là, doucement. Un nouveau poste est en train d’arriver sur les plateaux, celui d’une personne en charge de la transition écologique : c’est un bon début. Ce changement doit venir des décisionnaires. C’est à eux de faire des efforts, et aux individus de commencer à accepter de laver leur gobelet pour les réutiliser. Ce n’est pas très compliqué, mais c’est déjà ça. Le chemin est encore long.

« S’adresser à une audience non conquise est plus utile que prêcher devant des convaincus. »

Effectivement, au Festival de Cannes, en tant qu’acteur, on peut refuser de se faire habiller, a priori on a de quoi s’habiller tout seul. Et peu importe si on a mis la même veste l’an dernier. Ce sont des détails que l’on peut modifier à notre niveau mais on sait très bien que, même si les initiatives individuelles servent et bougent les choses, ce n’est pas suffisant. À un moment donné, ça doit venir d’en haut.

Vous est-il déjà arrivé de refuser des rôles car ils allaient à l’encontre de vos convictions ?

Non. Je pourrais refuser un film qui va à l’encontre de mes convictions mais un rôle, c’est différent. Jouer des salauds c’est nécessaire, à condition de savoir pourquoi. Si c’est pour leur donner bonne presse, ça n’a évidemment pas de sens. Ce qui est intéressant c’est d’incarner un sale type avec humanité, jouer avec la complexité de l’être humain. Le prêtre Preynat aidait sa commune par exemple, il faisait de nombreux dons. Un homme bien, en apparence ! Bernard Verley l’a interprété magistralement dans Grâce à Dieu, il en devient presque touchant. On n’excuse pas pour autant cet homme. Simplement, on comprend comment il fût difficile d’attaquer, de dénoncer quelqu’un qui était aimé et respecté par un grand nombre de fidèles. Je ne sais pas s’ils le font pour se protéger des crimes qu’ils ont commis : en faisant le mal d’un côté, ils font le bien de l’autre. Ils n’en sont pas moins condamnables. Interpréter ces rôles-la c’est tenter de donner à voir ce qu’ils sont, entièrement. Ne pas réduire le monde à une division entre les gentils d’un côté, les méchants de l’autre.

Grâce à Dieu de François Ozon (2019)

Est-ce que cela voudrait dire qu’il y a des gentils flics ?

Je dois dire qu’en ce moment, ils ne nous aident pas à les aimer. On est régulièrement témoins d’une extrême violence de la part des forces de l’ordre, totalement gratuite, perpétrée en toute impunité. C’est compliqué de ne pas être en colère. Mais ce serait idiot et injuste de mettre tout le monde dans le même panier.

Certains membres des forces de l’ordre dénoncent les ordres donnés par leur hiérarchie. On a même vu un policier gilet jaune qui se faire arrêter dans une manifestation. Ce qui nous a d’ailleurs permis de comprendre que, finalement, c’était super facile de les inculper puisqu’il est lui-même passé en comparution immédiate ! Si on pense tout noir ou tout blanc, on est aussi con que les autres. Heureusement qu’il reste des bons flics mais là, je dois avouer qu’on vit une sale période. Ce qui m’échappe c’est qu’ils sont eux aussi victimes de ce système : pourquoi ne retournent-ils pas les armes contre les dirigeants ? Pourquoi sont-ils les gardiens de la peur ? Le bras armé d’une politique qui les dessert eux aussi ? S’ils rejoignaient le peuple, dont ils font partie, alors ils auraient mon soutien.

« Ce qui est intéressant c’est d’incarner un sale type avec humanité, jouer avec la complexité de l’être humain. »

À la dernière grande manifestation pour le climat il y avait des familles dans le cortège, des enfants. Une vingtaine de minutes seulement après le début de la manifestation, les forces de l’ordre ont commencé à tirer des dizaines de grenades lacrymogènes en direction du cortège, le vent venait vers nous et nous nous sommes retrouvés piégés sous un épais nuage de gaz. Dans le même temps, ils bloquaient les rues adjacentes pour nous empêcher de sortir. Mouvement de foule, panique. Des enfants étaient au sol, ils pleuraient, toussaient… Gardiens de la paix, Sérieusement ? Et encore je ne parle pas du nombre de mutilés, d’éborgnés, de morts sous les coups de la police. Définitivement, la réconciliation semble difficile.

Certains disent que le cinéma peut changer les choses. Quand on observe le type de public qui va voir des films sur les gilets jaunes, sur les causes féministes ou sur l’écologie, on se dit que finalement, le cinéma prêche des convaincus…

Le cinéma peut sortir les sujets de leur traitement analytique et journalistique. La culture est fondamentale pour faire bouger les esprits. Il donne à voir les choses différemment. Grâce à Dieu a été un outil de travail magnifique pour les bénévoles de l’association La Parole Libérée. D’un coup, leur discours est passé du particulier à l’universel. Dans le film, on raconte des choses intimes de leur vie. Quand ils travaillent au sein de l’association, il n’y a pas de place pour leur vie personnelle. Ils ne parlent pas d’eux au sein de l’association. Les choses doivent être dites de manière clinique et analytique dans ces luttes-là. Le cinéma a cette faculté de rentrer à l’intérieur de nos vies, de susciter des émotions. Il apporte une dimension personnelle et donc, un processus d’identification. Quand on entend parler des abattages d’animaux et de la grippe aviaire dans les fermes, on constate les dégâts, mais quand on voit Petit Paysan, on réalise véritablement ce que ces éleveurs vivent dans leur quotidien.

Plusieurs films nous ont donné à voir la situation des combattants kurdes au Rojava. Sans ces films et le relais médiatique, nous n’aurions été encore moins nombreux à être sensibilisés à la mise en place d’une société paritaire, laïque, une réelle démocratie a l’instar de la Commune de Paris.

A priori, les médias de gauche ne sont lus que par les gauchistes. Mais on ne sait jamais, on n’est pas à l’abri d’un petit dommage collatéral. Un jour, la salle de cinéma est pleine et celui qui voulait voir tel film mais n’a plus de place est obligé d’aller voir un autre film qui va finalement le toucher. Il va en parler à d’autres personnes et ça va faire son petit bout de chemin.

Les Anarchistes d’Élie Wajeman (2015)

Dans Les Anarchistes, Elisée Mayer, le personnage que vous incarnez, clame « le bonheur c’est d’être libre ». La liberté, c’est l’anarchie ?

L’anarchie a été systématiquement détruite et discréditée au fil des époques. Aujourd’hui, pour le commun des mortels, l’anarchie c’est le chaos. Nous sommes loin des textes de Bakounine, de Proudhon, de la Commune de Paris qui sont plein de bon sens.

Qu’est-ce qu’être libre ? La liberté, c’est peut-être et avant tout, parvenir à penser par soi-même. Avoir le temps et les outils pour pouvoir le faire. Avec toutes les fausses informations qui circulent dans les médias et sur internet, il est de plus en plus complexe de penser par soi-même et de ne pas être influencé. Quant au fait d’avoir le temps de jouir de cette liberté, il est étirable et modulable. On peut être pressé et courir toute la journée, ou à l’inverse être en retard du matin au soir sans s’inquiéter. Tout le monde ne peut pas se permettre d’avoir le temps et l’espace pour penser par soi-même. Personnellement, j’ai la liberté de disposer de mon temps comme je le souhaite, en ce sens je suis un privilégié. Mais à l’intérieur d’une société néolibérale qui diminue nos libertés, nous surveille, nous abrutit, nous impose son modèle, je ne me sens pas plus libre qu’un autre. La liberté c’est de pouvoir se déplacer, penser, vivre par soi-même.

On entend souvent l’expression « cinéma militant », comme s’il était différent du cinéma en soi. Pensez-vous qu’il faille faire la différence entre ces deux catégories ? Si oui, pourquoi serait-elle importante à faire ? Si non, en quoi cette dichotomie pourrait-elle nuire au cinéma ?

Le cinéma est militant par définition, c’est un art. L’art est censé ouvrir une fenêtre sur la connaissance et la compréhension du monde. C’est ce qui fait son essence même : l’éveil des consciences. Si on fait la différence entre un cinéma militant et un autre, on risque de le marginaliser. Bien sûr les films de divertissement prennent chaque jour plus de place dans les multiplexes. C’est l’offre qui correspond de plus en plus à une économie de marché. Et ce qui fait peur, c’est de voir des films relégués au second plan parce qu’ils sont moins rentables, voire un jour disparaître de nos écrans.

« Le bien, le mal, tout ça…question de point de vue » ? pour reprendre la réplique citée en voix off  par votre personnage dans la bande-annonce du prochain film de Douglas Attal Comment je suis devenu super héros, en salle le 14 octobre 2020.

Qui définit les règles ? Chaque époque, chaque culture, chaque individu établit ses propres règles. Il y a l’ombre d’une morale judéo-chrétienne derrière cette question : est-ce bien ou mal ? Je ne me pose pas de questions en ces termes. Il existe malgré tout des cas où le mal est indiscutable, si l’on pense aux camps de concentrations, aux génocides entre autres atrocités. Le viol, la pédophilie. Je reviens encore une fois sur cette affaire du père Preynat, parce que je la connais bien et qu’elle m’a profondément marqué, là non plus il n’y a pas de discussion possible : ceux qui se rendent coupables de tels agissement sur des enfants font le mal et il n’y a aucune excuse à leur trouver.

Photo de Une © Stéphane Burlot

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