Pour montrer l’incompétence des élus et fonctionnaires à (essayer de) répondre à la catastrophe climatique en cours, il n’y a qu’à se pencher : à tous les échelons, ils abondent. Exemple en Bretagne, à Saint-Brieuc, ville qui se dépeuple mais où la municipalité fait construire des lotissements résidentiels riquiqui, contre le bon sens, contre les recommandations de la Région… et à rebours de ses annonces. Ou l’art de parler d’écosystèmes et de nature tout en bétonnant et cimentant à tout-va et sans raison. À moins qu’il n’y en ait une, de raison : faire construire n’importe quoi, n’importe comment, « parce que ça crée de l’emploi ». Quitte à foutre en l’air des zones humides, à ne pas vendre les maisons, à artificialiser des sols et enlaidir plus encore l’environnement humain.
Fin juin 2019, la municipalité de Saint-Brieuc co-organise, avec le réseau Cohérence [i], une réunion dans le cadre de la « Breizh Cop », déclinaison bretonne de la Cop 21 par le Conseil régional. Dans leur invitation commune, est écrit : « Avec plus de 65 000 associations actives en Bretagne, le levier est énorme pour entraîner l’ensemble du territoire vers les transitions. Nous pouvons tous être acteurs des transitions pour la Bretagne, associations sportives, d’éducation populaire, du secteur culturel, social, environnemental, de la jeunesse (…). Mais de quel genre d’engagement parle-t-on ? Concrètement, comment je m’engage ? Quels types d’engagement prennent les autres associations ? Qui peut m’aider ? Comment mes adhérents peuvent-ils s’engager individuellement ? »
Ce 25 juin, dans la salle du conseil municipal, une partie du très actif monde associatif local est présente. Militant de l’association CitéWatt [ii] et boulanger bio, Emmanuel de Bressy, avec un franc-parler ici bien connu, interpelle : « Pourquoi la mairie demande-t-elle des choses à la société civile, aux associations, alors qu’il n’y a aucun engagement politique ? Que fait-elle pour engager la transition ? »
Réponse : elle communique, surtout. « Valoriser la nature dans les quartiers répond à une attente de la population », déclare Marie-Claire Diouron, maire MoDem de Saint-Brieuc et présidente de Saint-Brieuc Armor Agglomération. Déclinaison plus niaise et mièvre : « Planter des arbres fruitiers, c’est mettre en avant la nature nourricière [iii]. » Plus langue de bois : « Cela fait de nombreuses années déjà que la ville et l’agglomération sont engagées pour l’écologie, l’environnement, dans une approche transversale qui concerne aussi l’économie et le social [iv]. » Cette prose « barbe-à-papa », qui remplit les pages des supports de communication, n’a aucune épaisseur de réalité. Littéralement sans effet, elle est donc une parole inconséquente. Elle est aussi mensongère.

Marie-Claire Diouron, maire de Saint-Brieuc (MoDem), depuis que le précédent, Bruno Joncour, devenu un député absentéiste et discret de la larbinesque majorité présidentielle, a dû dénoncer pour cause de non-cumul de mandats.
Par exemple : « Depuis 2005, nous entretenons les espaces verts sans produits phytosanitaires. La Ville de Saint-Brieuc se veut précurseur en matière de biodiversité. Nous avons conscience que la nature a toute sa place en ville [v] », explique-t-elle. Or, ce prétendu souci de la biodiversité est de ces discours qui effacent la réalité du monde sous la communication, ce que le « moment La République en marché » incarne jusqu’à la nausée. Car il y a de quoi être perplexe, à parcourir les environs rénovés de la gare (fibre optique et arrivée de la Ligne à grande vitesse obligent), après que le chantier a débarrassé tout un quartier de nombreux arbres et minéralisé à tour de bras. À l’heure où les grandes villes végétalisent toits et trottoirs et comprennent l’urgence de planter des arbres, il faut croire que l’information du réchauffement climatique et de ses premières – insuffisantes – réponses urbanistiques n’est pas encore parvenue aux élus et fonctionnaires du chef-lieu des Côtes-d’Armor.
Lotissement neuf construit en zone humide cherche occupants
Une illustration parmi d’autres : les « Jardins de Coquelin », lotissement résidentiel de onze maisons, construites dans le quartier de la Ville-Jouha. Un projet qui n’était ni fait ni à faire et qui, sorti de terre, occupe à présent le site d’un ancien étang, remblayé d’inertes et de ferrailles au cours des années 1970 et 1980. Des témoignages d’habitants du quartier rapportent que ces détritus auraient été ensevelis sous une couverture d’argilo-sableux vers 1982. De plus, l’aquifère se trouve à très faible profondeur (environ trois mètres, comme en attestent les puits toujours actifs des environs). Si cet historique a été signalé lors de l’enquête publique de modification n°4 du Plan local d’urbanisme (PLU) de Saint-Brieuc [vi], les services municipaux n’en ont pas moins poursuivi les procédures jusqu’à la délivrance des permis de construire, ceci alors qu’une partie de ce terrain était une zone humide… Résultat : pour les acheteurs, la désillusion est grande car le terrain, instable, a nécessité des surcoûts de fondation atteignant 25 000€ pour certaines maisons, d’après le témoignage d’un proche d’un des acquéreurs. Et ne nous attardons pas trop aux émanations de gaz qui ont pu être senties, peut-être dues à ce que des cuves de fuel abandonnées de longue date et enfouies auraient été percées lors desdits travaux.
Le site est actuellement en partie bâti, avec huit lots occupés sur onze proposés. L’instabilité du terrain étant connue, impossible au lotisseur de vendre les trois derniers sans en informer les acquéreurs potentiels, c’est-à-dire de leur faire savoir que l’achat du bien impliquera un surcoût.
Voici donc un habitat pavillonnaire de type péri-urbain, mais en plus petit, sur un terrain incertain, pollué et plus onéreux que ce que pourraient trouver les acquéreurs dans des communes voisines.
Une vision arriérée de l’urbanisme

« Le Cauchemar pavillonnaire », de Jean-Luc Debry, éditions L’échappée (2012).
Surtout, ce type d’aménagement interroge sur la vision des décideurs, manifestement encroûtés dans une pensée de l’urbanisme des années 1970-1980, et sur leur connaissance réelle de la situation démographique et des besoins en matière de logement. La ville de Saint-Brieuc a, d’après l’Insee, perdu 1174 habitants entre 2011 et 2016 : en quoi la construction de lotissements à Saint-Brieuc aurait-elle un effet sur le maintien de sa population ou l’attraction de nouveaux arrivants, alors que, à offre égale, les prix sont plus attractifs hors de la ville [vii]?
Or, l’agglomération comptait, en 2016, près de 7000 logements vacants : elle serait donc en mesure d’accueillir l’intégralité du flux global de population sans construire de logement supplémentaire pendant une quinzaine d’années. « Saint-Brieuc concentre près de 60 % des logements vacants depuis plus de deux ans sur l’ensemble du territoire de l’Agglo, expliquait Le Télégramme en septembre 2018. Et son centre-ville compte 18 % de logements vacants. » Cette conjonction d’une démographie en déclin et de besoins en logement auxquels la rénovation de l’existant pourrait répondre au moins partiellement rend inopportune la création de nouveaux habitats, d’autant que l’existant peine déjà à trouver acquéreur. Selon le baromètre de l’immobilier des notaires bretons de juin 2019, le pavillon neuf ne séduit plus les jeunes ménages, qui préfèrent se tourner vers la rénovation, qui bénéficie d’aides publiques (isolation à 1€, crédits d’impôts sur les travaux de rénovation thermique), surtout en période de durcissement de l’octroi du PTZ (prêt à taux zéro). Sur le terrain, cela se vérifie par le nombre de lots vacants sur les lotissements alentours, parfois plusieurs années après les débuts de la commercialisation [viii].
Vice-présidente à l’Agglomération en charge de l’habitat, Thérèse Jousseaume déclarait : « On constate qu’on a encore beaucoup trop d’extension urbaine. Si on veut la limiter tout en continuant à accueillir de nouveaux habitants, cela passe forcément par la mise sur le marché de logements vacants. » Dont acte ? Hé ben non.
Cauchemar pavillonnaire VS. voisinage convivial et décroissant

Vue zénithale du quartier de la Ville-Jouha. Une partie de la zone verte est menacée par un projet pavillonnaire inutile, dans une ville qui perd des habitants et dispose d’un parc de logements anciens suffisant pour accueillir de nouveaux résidents.
En effet, comme si la leçon du lotissement « Coquelin 1 », dont les dernières maisons ne trouvent pas d’acquéreurs, n’avait été tirée, la municipalité a réalisé une enquête publique cet été pour examiner la modification n°7 du PLU, susceptible de convertir une parcelle proche, actuellement cultivée, en constructible. Coïncidence, le début de l’enquête avait lieu le 20 août, quelques jours après la parution d’un énième rapport alarmiste du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat…
Depuis 2008, des discussions avaient eu lieu, dans le quartier pavillonnaire « vieillissant » de la Ville-Jouha, afin d’en préparer l’avenir. De départ en Ehpad ou décès en rachat et rénovation de maisons par de nouveaux propriétaires, la démographie du quartier est en effet vouée à se rajeunir. En 2018 la municipalité donne un coup d’accélérateur afin de laisser « la population » décider de ce qu’elle souhaite faire d’une zone en friche. Deux projets, deux visions du monde ont été présentées : artificialisation intégrale par le pavillonnaire privatif ou familial construit pour l’automobile, d’un côté ; de l’autre, habitat partagé transgénérationnel, voisinant avec une zone verte à usage collectif.
Le collectif « Transition Saint-Brieuc », qui se veut coordinateur des actions de transition existantes, mais souvent isolées et dispersées sur le territoire, a en effet émis une proposition : construire un habitat partagé, plus condensé, et conserver le terrain cultivable en tant qu’espace public, dédié à la permaculture et à la promenade, planté de vergers communaux. Dans un quartier sans espace vert, ne serait-ce pas une vraie bonne idée ? Plutôt que de juxtaposer des maisons sur des micro-terrains non cultivables, généralement ceinturés de bandes de pelouse, et poursuivre l’étalement urbain, pourquoi ne pas développer des constructions verticales (deux ou trois étages), d’habitat partagé, mixte – jeunes et vieux – pour briser l’isolement social ? Outre que le lieu de production agricole permettrait aux urbains d’acquérir un peu de conscience de la production de ce qu’ils consomment, eux qui en manquent souvent cruellement, un lieu de promenade ou de pique-nique en famille pourrait propitier la rencontre et l’échange dans des lieux publics, non dévoués à la consommation – ce dont le mouvement des gilets jaunes a illustré le besoin social.
Simulacre de démocratie, la Mairie a délégué le choix, parmi les deux projets, au comité de quartier… lequel, au lieu d’organiser un débat puis un vote parmi les habitants de la Ville-Jouha, a pris une décision à huis-clos, favorable au bétonnage pavillonnaire. Il se dit que la présence dans ledit comité d’un ou deux proches d’élus municipaux aurait joué… Même si c’était le cas, cela ne saurait servir d’unique explication…
« Deux projets, deux visions du monde ont été présentées : artificialisation intégrale par le pavillonnaire privatif ou familial construit pour l’automobile, d’un côté ; de l’autre, habitat partagé transgénérationnel, voisinant avec une zone verte à usage collectif. »
Consultant indépendant auprès d’entreprises pour réduction de l’empreinte carbone, économie d’énergie et eau et membre de l’association Agir pour le climat, Régis Janvier avance qu' »il faut densifier l’habitat et non pas étaler : le logement à l’ancienne, qui génère plus de gaz à effets de serre, a vécu. Rapprocher la production alimentaire implique aussi moins de transport. »
Il est vrai que le bilan carbone des zones pavillonnaires n’a rien de brillant. Isolées les unes des autres, les maisons nécessitent une consommation d’énergie nettement supérieure à celle de logements mitoyens et a fortiori d’appartements, moins facilement refroidis, puisque des murs communs, chauffés des deux côtés, en définissent certaines limites.
Par ailleurs, le mode de conception et l’esprit même de l’aménagement pavillonnaire sont indissolublement liés à un mode de consommation dont les dégâts environnementaux sont très documentés. À l’exception d’un unique bar, le quartier de la Ville-Jouha ne propose aujourd’hui aucun service, ce qui oblige les habitants à en sortir pour tous les besoins de la vie quotidienne. La disponibilité des voiries limitrophes incite à l’usage de la voiture, pour l’alimentation, les loisirs, la culture, du seul fait de la facilité d’usage du véhicule individuel. Le bilan carbone est donc encore aggravé par tout cet imaginaire de « liberté » et d' »indépendance » qui sous-tend l’aménagement pavillonnaire.
Bureaucratie : dire une chose, faire son contraire
N’est-il pas, en effet, plus pertinent de proposer un autre modèle d’habitat que des lotissements au rabais, construits avec des matériaux non écologiques, voués à une dégradation et donc des rénovations à moyen terme ? Ne faudrait-il pas plutôt engager une rupture ? De façon inattendue, c’est ce que propose… l’État. Ainsi de la Breizh Cop, qui évoquait en juin 2019 « la nécessité d’une « rupture » dans ses manières de produire, d’occuper l’espace, de consommer, de se déplacer, de décider etc. avec la conviction que la simple continuation de nos pratiques actuelles ne suffirait pas à répondre aux enjeux. Mais ces ruptures, pour être réelles et efficaces ne peuvent, en Bretagne, qu’être négociées (…). [La rupture] doit plus résulter de la volonté et de l’engagement de chacun, sur le terrain et au titre de ses responsabilités, que d’une contrainte venue de haut. Elle appelle une mobilisation collective, la plus large possible, tant l’action publique n’est plus, seule, à la mesure des défis. Ceci étant d’autant plus nécessaire et indispensable que beaucoup sera affaire de modification de comportements individuels. Ces comportements sont souvent la résultante d’une « norme sociale » qui doit évoluer, mais ces évolutions ne sauraient être le seul fait de la puissance publique, car la société ne se transforme pas par décret. La rupture appelle enfin des dispositifs publics d’accompagnement, traduction du principe de solidarité, consistant à soutenir ceux qui ressentent ces transitions comme une menace et un risque de rester au bord du chemin. »
Et même l’Agglomération prétend relayer cet objectif : « Jusqu’en 2023, l’élaboration du PLUi [Plan local d’urbanisme intercommunal] offrira de nombreux moments d’échanges avec les habitants, invités à s’en approprier les enjeux et à devenir ainsi acteurs de l’avenir de leur territoire [ix]. » Déclaration sans valeur, puisque la Mairie, au moment de choisir entre deux projets, opte pour le moins écologique, le moins social, le moins sensé – à rebours des recommandations de la Région, pourtant l’échelon administratif supérieur…
Nos Desserts :
- « La ‘ville sûre’ ou la gouvernance par les algorithmes », sur Le Monde Diplomatique
- « Le Grand Paris ou le pactole pour les bétonneurs », sur Le Monde Diplomatique
- « Quand on habite en ville », chronique d’Hervé Gardette sur France Culture
Notes :
[i]Cette association « œuvre pour une transition globale sur le territoire breton à travers notamment l’engagement des associations » (communiqué de l’association). Site du réseau Cohérence.
[ii]Celle-ci s’est d’ailleurs dissoute quelques mois plus tard, en septembre.
[iii]Le Griffon, magazine de la ville de Saint-Brieuc, n°273, juillet-août 2019, p. 15.
[iv]Le Griffon, magazine de la ville de Saint-Brieuc, n°273, juillet-août 2019, p. 10.
[v]« Saint-Brieuc. Des espaces verts au service de la faune, de la flore et des Briochins« , Ouest-France.fr, 29 mai 2019.
[vi] »L’assise foncière du projet a servi de dépôt de ferraille et d’huile de vidange stockée dans des cuves en béton. L’ensemble a été « remblayé « en l’état » [sic] en 1982″.
[vii]Alors que le prix de vente attendu au lotissement « Coquelin 2 », à Saint-Brieuc, est de 106 €/m² (et un prix moyen, dans la ville, de 120 à 130 €/m²), dans la commune de Saint-Donan, à une quinzaine de kilomètres, le prix est de 49 €/m².
[viii]Un exemple parmi d’autres de lots qui peinent à trouver acquéreurs : « le Domaine de Saint-Hélier », 74 lots de 241 à 594m² à Saint-Brieuc.
[ix]Le Plédranais, n°489, mai 2019, p. 7.
[x]Le Griffon, magazine de la ville de Saint-Brieuc, n°273, juillet-août 2019, p. 10.
Catégories :Politique
Je suis d’accord avec l’analyse, mais pourquoi proposer la construction d’un collectif après avoir argumenté contre la bétonisation et insisté sur l’existence de tant de logements vides à St Brieuc?
pas si inattendu pour l’Etat, o artificialisation nette, nature en ville, eco-quartiers, modes actifs, sont des enjeux portés par l’Etat au niveau national, comme local… les citoyens et associations doivent mettre le maximum de pression sur les élus car les enjeux et la pression est énorme. evidemment, tous les fonctionnaires ne sont pas indentiques, tous les citoyens non plus, et tous les elus, non plus. reste qu’aujourd’hui les outils de l’amenagement et du logement favorisent le neuf, les filières de construction évoluent trop lentement, la demande aussi…