La grève des éboueurs de ma ville vient finalement de prendre fin, si j’en juge par l’absence d’ordures et d’immondices en tas sous mes fenêtres. Je suis déçu.
Déçu d’une part parce que notre coquin de maire aura semble-t-il eu le dernier mot ; déçu, d’autre part (et même, dirais-je : surtout) parce qu’une grève des éboueurs est un événement extrêmement noble en soi.
C’est d’abord la ville jonchée de saloperies, comme au bon Moyen Âge. C’est un joyeux désordre, un aspect anormal des choses qui procure à l’aventurier d’intenses sensations. Les voyages forment, dit-on, la jeunesse, et nous voilà à Naples ! Allons, mon âme, traîner par les rues qui descendent, enjambons les amas d’ordures pour rejoindre le fleuve, nous dirons que c’est la mer et les mouettes hystériques œuvreront au décor.
C’est ensuite une heureuse occasion de rire de nos frères citoyens. On dit beaucoup des jeunes et des personnes âgées, mais, pardon ! c’est qu’on n’est pas allé voir les actifs « pris en otage ». Promenons-nous de par les rues qui montent, et ici la bourgeoise bio qui râle… qui en a assez des grèves, marre de la France : il lui tarde d’aller vivre à Singapour où l’employé, en attestent les reportages-évasion sur France 5, est dévoué et serviable. Les Français sont des brutes, l’élection du bel Emmanuel ne leur a même pas fait entendre que le temps du tabac, des grèves et des bistrots était bel et bien mort. Place aux bars à salades, au service impeccable !
Enfin, une bonne vieille grève des trains, des poubelles ou de La Poste, voila qui remet quelques pendules à l’heure. On aimerait aller dire à qui veut bien comprendre que si, précisément, la grève dérange, perturbe le quotidien, c’est que les grévistes occupent une fonction clef, donc noble. Mettez un commercial de chez SFR en grève, qui s’en apercevra ? Un Youtubeur ? Un acteur, une chanteuse ? Un directeur replet de chez Etam ?
Le fait est : la possibilité d’une grève opère un tri. La grandeur fondamentale des postes occupés par les individus dans la société est proportionnelle à la mesure dont ils emmerdent le monde quand ils cessent le travail. Une fois posé cela, toute disproportion entre le prestige, économique ou symbolique, accordé à une fonction et son utilité effective éclate au grand jour.
C’est, grands enfants que nous sommes, que nous plaçons tout en haut de l’échelle de complets parasites (au premier rang desquels toutes les « stars », sans exception) et tout en bas des gens dont nous ne pouvons nous passer plus de quatre jours.
Tout passe, tout lasse, cependant, et le train qui va glisse encore sur ses rails. Le tas d’ordures n’est plus, madame Bio (ma non troppo) peut garer son Austin.
Et nous, nous ne sommes plus à Naples, les vacances sont finies, hélas.
On attend les prochaines : les grandes.
Catégories :Fiction
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