L’épidémie de SARS-CoV-2 entraînant la maladie du Covid-19 est l’occasion, hélas, de constater de graves dysfonctionnements étatiques. L’un des manques les plus criants et dont tout un chacun pourra faire l’expérience reste l’absence de masques adéquats destinés aux soignants. J’exerce en tant que psychologue dans une structure médico-sociale qui accueille et héberge des jeunes en situation de handicap dont certains présentent une grande fragilité. Nous pourrions prolonger notre réflexion éthique à ce propos quant à l’obligation d’accompagner, sans port de masque, des enfants en situation de handicap. Nous pourrions élargir ce questionnement aux soins en général tandis que tous les soignants, quelle que soit leur condition d’exercice, sont en proie à un pareil questionnement. Si, tel Hippocrate, et en tant que psychologue clinicien, je ne peux faire fi de la cause des causes, cette réflexion me mène, comme à l’accoutumée, à travers l’Histoire, sur les structures humaines et institutionnelles au sens spinozien du terme. Aussi, je souhaite aborder cette question sous l’angle de l’espoir en lançant des pistes.
Les crises entraînent-elles une cassure civilisationnelle temporaire avant de permettre une renaissance louable et plus pérenne ?
Nous pouvons nous risquer à un exercice synthétique répondant à l’impératif du format et ce, conscient de la profondeur vertigineuse du gouffre qui se creuse avec la crise économique à venir dont le COVID-19 n’est qu’un révélateur.
Du « tumulte » aux progrès
Début du XIXe siècle, la Révolution Française habite encore les esprits. Les aliénés et autres « citoyens » dissidents ont longtemps été enfermés et isolés, notamment avec les fameuses lettres de cachets jusqu’en 1790. Leur traitement, on peut s’en douter, n’avait rien d’humanisant. Bien que la Première République eût rapidement sonné son glas dès 1804, un bref moment de progrès inscrivit une démarche faisant Histoire, pour les aliénés notamment.
Philippe Pinel, Jean-Baptiste Pussin, Jean-Etienne D. Esquirol, etc, ont ainsi contribué à l’instauration d’un « traitement moral » laissant une place particulière à l’écoute. De plus, dès 1810, le « criminel » et « l’aliéné » ne sont plus confondus, le Code Pénal énonçant dans son article 64 qu’il n’y a pas infraction s’il y a démence au moment des faits.
Quelques siècles plus tard, au cours de la Seconde Guerre Mondiale, la souveraineté française n’est plus : l’occupation rêve de refonder un Saint-Empire Romain Germanique avec le concours de la « Nouvelle Europe » dont la trame démagogique prône le prétexte uniquement raciste, tandis que la trame économique propose un agenda néolibéral étrangement très familier en 2020. Durant cette période de conflit, « des dizaines de milliers de malades mentaux sont morts de faim dans les hôpitaux psychiatriques français entre 1940 et 1945 »[1]. Le nombre de victimes est alors estimé à 40 000. Qu’on ne s’y méprenne pas, l’hécatombe était sans doute plus mue selon une logique eugéniste que d’un manque de moyens à proprement parler. Exterminer les malades mentaux était la volonté sous-jacente mais non exprimée.
La « mémoire du drame » s’est progressivement construite dans le milieu psychiatrique depuis 1945. Le rôle qu’a joué la référence à la période de la guerre, fréquemment mobilisée par les pionniers de la « révolution psychiatrique » et inspiré par la démarche psychanalytique, a permis des mutations profondes de l’institution psychiatrique française depuis le début des années 1950 (désaliénisme, psychothérapie institutionnelle, sectorisation…).
Tout ce mouvement n’a pas été sans impacter l’ensemble des secteurs sanitaires et médico-sociaux où la question de la bientraitance, de la bienveillance, a, petit à petit, pris le pas sur l’autoritarisme soignant magnifiquement caricaturé par l’infirmière en chef Mildred Ratched dans le film Vol au-dessus d’un nid de coucou de Miloš Forman (les Etats-Unis étant alors en retard sur la vieille Europe). Le temps où les enfants en situation de handicap étaient attachés aux radiateurs des structures médico-sociales n’est pas si loin.
Aussi surprenant soit-il en 2020, le tableau interpelle. La France n’est à nouveau plus souveraine. Les lettres de cachet font leur retour subreptice lors de la crise des Gilets Jaunes[2] par l’inscription au fichier TAJ (traitement des antécédents judiciaire) sans qu’un jugement ne soit prononcé. De prétendus transhumanistes très proches du pouvoir ne cachent même plus leur propension à l’eugénisme en attribuant l’efficience des aptitudes cognitives au seul génome[3]. En parallèle, il faut se demander si un discours démagogique relatif à une présupposée bienveillance et faisant les louanges de la démarche inclusive quoiqu’il en coûte, ne vise pas à démanteler le tissu médico-social à dessein économique. Ainsi les contours d’une tarification à l’acte – sur laquelle tous s’accordent pour souligner son échec patent en milieu hospitalier – semble poindre tel l’oreiller sur le visage de celui qu’on assassine dans son lit.
La crise du COVID-19
Permettez-moi un peu de storytelling. L’autre jour, en allant faire mes courses dans une grande surface, je n’ai pu m’empêcher de constater que les employés disposaient tous de masques FFP2. Au même moment, ma compagne qui est pharmacienne n’avait toujours pas reçu de masque, ne serait-ce que chirurgicaux. Enfin, les dotations données à l’institution (IME/EEAP) où j’exerce en qualité de psychologue clinicien, laissent de quoi nous interroger sur l’anticipation et la considération des pouvoirs publics à l’égard des plus fragiles. Comment prendre soin de jeunes enfants polyhandicapés, souvent très sensibles sur le plan respiratoire, desquels le Covid-19 serait très certainement fatal dans une forme symptomatique, sans masques adéquat[4] ? La crise du Covid-19 ne révèle-t-elle pas, une fois encore, le primat de l’économique sur la santé publique – des masques en grande surface, aucun pour les soignants ?
Si la question de la continuité du soin ne se pose évidemment pas (le dévouement des soignants est notable), n’est-ce pas celle des invectives intenables qui se poseront à l’issu de cette crise ? Quelle légitimité auront les pouvoirs publics à évaluer la bienveillance et l’efficience des structures sous leur tutelle quand eux-mêmes font montre de leur défaillance éloquente en cette période ? Quelle légitimité, en ce cas, auront les pouvoirs publics pour imposer un carcan économique hors-sol, promu par des corollaires aux théories transhumanistes et la seule normativité neuroscientifique tentaculaire alors que leur prétendue technicité a été mise en échec lors d’une crise pourtant annoncée mais étouffée depuis des années, tant par la condescendance d’éditorialistes serviles que, plus récemment, par des flashballs[5] desquels le coût de la commande bien anticipée a posé, semble-t-il, moins de problèmes que la commande de masques ?
L’absence d’une dotation convenable de masques aujourd’hui n’est-elle pas transposable à la contention au radiateur d’autrefois ? Voyez la gravité du problème tandis que le pronostic vital peut être en jeu !
L’indispensable populisme
Gardons espoir ! Après la crise sanitaire, viendra, certes, une crise économique mais les modèles historiques précédents ont souvent démontré qu’un soubresaut civilisationnel souhaitable émergerait du chaos. Il convient néanmoins d’être prudent. Depuis les théories de l’Ecoles de Chicago, les crises semblent être devenues l’occasion d’une « stratégie du choc » pour imposer un recul des droits individuels et des droits des travailleurs plutôt qu’un progrès (voir les travaux de Naomie Klein), profitant ainsi d’un effet de sidération de la société. Aussi, les progressistes (l’extrême centre ?) annoncent-ils leur usurpation sémantique dans leur propre dénomination, le tout dans une logique très orwellienne. Il est donc indispensable que des penseurs expriment très clairement leur pensée sans mâcher leurs mots pour prévenir la catatonie intellectuelle et la confiscation des mots. Alors, il devient probable que les questionnements éthiques à venir ne permettent pas le maintien des structures actuelles car, comme le souligne Spinoza en substance, c’est la structuration des structures – si on m’autorise cette tautologie – qui détermine les conduites et les politiques.
Pointons du doigt ce mille-feuilles administratif généré par la décentralisation, laquelle s’inscrit dans la politique des eurorégions qui, non seulement, distance l’endroit de la prise de décision des praxies soignantes, mais en plus, permet un coup d’état énarchique sur le corps médical. Ce mille feuilles devra être mise en cause[6]. Pour sûr que d’aucuns, parmi les acteurs de terrain, auront à cœur de le dire pour que ça soit une prophétie auto-réalisatrice : en politique, c’est l’offre qui fait la demande.
Ainsi, cette juste désignation des responsables sera-t-elle certainement une action nécessaire pour soulager la culpabilité des soignants du quotidien qui redoutent de tuer ceux dont ils sont supposés prendre soin. Du reste, les autres éléments de souffrance qui les habitent au cours de cette période aura certainement besoin d’une écoute plus individuelle tant les mouvements psychiques à l’œuvre relèvent-ils, eux aussi, d’une dynamique intrapersonnelle. Il faut y prendre garde. Un soignant malheureux est un soignant sujet à des risques psycho-sociaux mais aussi à de la maltraitance malgré lui.
Se poser les bonnes questions éthiques pour questionner les structures mais également proposer des temps d’élaboration individuels s’annoncent comme incontournables pour qu’émerge une mutation louable et pérenne.
Il est désormais indispensable que cette crise du Covid-19 soit l’occasion de redonner de l’autonomie aux structures sanitaires et médico-sociales par le concours de la suppression des ARS (qui ne promeuvent que des ambitieux prompts à serrer la vis des établissements pour monter en grade) et des échelons de gouvernance inutiles comme l’Union Européenne. En parallèle il faut redéployer les échanges entre les structures, les départements et le Ministère de la Santé à condition que ce dernier soit sous l’égide d’un état souverain, État du peuple, pour le peuple et par le peuple.
Nos Desserts :
- À lire sur Le Comptoir « Le populisme, c’est le camp du peuple »
- Lire également « Laurent Alexandre, prophète du QI artificiel »
- Lire également : « COVID-19 et euthanasie en question »
- Voir sur Youtube : Roland Gori : « Le soin à l’ère du numérique »
Notes :
[1] Isabelle von Bueltzingsloewen, Les « aliénés » morts de faim dans les hôpitaux psychiatriques français sous l’Occupation, Vingtième Siècle. Revue d’histoire 2002/4 (no 76), pages 99 à 115
[2] Dominique Simonot, « Les incroyables consignes du parquet sur les gilets jaunes », Canard Enchaîné, 30/01/2019
[3] Public Sénat, Pour Laurent Alexandre, la génétique explique en grande partie « l’échec naturel de l’école », https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/pour-laurent-alexandre-la-genetique-explique-en-grande-partie-l-echec-naturel
[4] Quels sont les risques spécifiques des personnes polyhandicapées face au Covid-19 ? Les personnes polyhandicapées présentent une fragilité respiratoire maximale en raison :-de restrictions respiratoires neuromotrices, orthopédiques (déformations du tronc) et dystoniques, -d’antécédents de pneumopathies liées aux fausses routes et aux reflux gastro-oesophagiens, -d’une incapacité à tousser efficacement, à se moucher, engendrant une tendance rapide à un encombrement majeur, -d’une impossibilité absolue pour les aidants de respecter les distances préventives préconisées en raison de la dépendance totale des personnes accompagnées. Certaines personnes polyhandicapées sont porteuses d’une trachéotomie. (Groupe Polyhandicap France – Flash Info – N°83 – Mars 2020).
[5] Robin Gabaston, Prévoyant, le gouvernement commande des grenades lacrymo pour 4 ans, publié dans Marianne le 21/08/2017, https://www.marianne.net/societe/prevoyant-le-gouvernement-commande-des-grenades-lacrymo-pour-4-ans
[6] Au même titre que la construction communautaire laquelle ne s’est pas distinguée par les élans de solidarité habituellement vantés par les fameux « progressistes ».
Catégories :Politique
Ce n’est absolument pas par simple provocation que dans un texte –« Sors d’ici Jean Moulin »– j’ai désigné le clan au pouvoir comme n’étant que « les nouveaux collabos » de la nouvelle « souveraineté européenne ». Si, tant la création de « grandes régions » que l’octroi à l’Allemagne d’une « zone transfrontalière », montrent clairement la volonté d’effacer les souverainetés populaire et nationale, la fascisation étatisée mise en place pour réprimer tout mouvement populaire et toute opposition n’a plus rien à envier au régime de Vichy. Quand j’avais titré « Immondialisation: peuples en solde! » le blog présentant de vieux textes, je visais en premier la pandémie…financière capitaliste. La virale, en faisant éclater un de ses aspects les plus mortifères nous révèle tous les autres…pour qui veut bien s’interroger sur les forces menant le monde…
Est-ce qu’un nouveau CNR au programme actualisé plus radical serait envisageable?…Il semblerait bien s’avérer nécessaire…Mais avec quelles forces? Certaines assemblées de gilets jaunes, des syndicalistes et militants « dissidents »,… ?..
Méc-créant.