Société

Pardonne-nous nos offenses…

Dans le torrent de choses entendues et lues depuis l’assassinat de Samuel Paty, certaines reviennent souvent : « oui, mais tout de même, ces caricatures sont insultantes … » d’un côté, et « quiconque ne les affiche pas partout dès demain est complice », de l’autre. Certains interpréteront la première comme : « … donc il l’a bien cherché », d’autres liront dans la seconde : « humilions les musulmans ». Les deux sont ineptes. Les uns essayent par un chantage macabre d’imposer leur conception d’un monde où plus rien n’est sacré, les autres, comme des footballeurs italiens, geignent très hypocritement. Tandis qu’entre nous tous croît une irréversible mésentente.

A priori, on ne saurait prétendre que Samuel Paty revendiquait le propos des caricatures projetées durant son cours. Il les utilisait comme support. Au même titre, un professeur d’histoire est fondé s’il le juge utile à soumettre à ses élèves des documents présentant, par exemple, le martyr de Blandine, les pendaisons du Ku Klux Klan, la fin de Benito Mussolini ou de Saddam Hussein. A lui de jauger, en fonction de l’âge des élèves et de l’éventuelle crudité des documents, ce qu’il est pertinent de montrer ou ce qu’il convient de simplement évoquer. Sans que tout cela ne dise rien, bien sûr, de ce qu’il pense en privé.

Affirmer que tel ou tel document, en tant que support, a droit de cité en cours est donc une chose, qui relève de la pure liberté pédagogique. Expliquer en quoi et pourquoi tel document tombe ou ne tombe pas sous le coup des lois françaises – ce qui était exactement l’objet du cours de Monsieur Paty – s’entend également très bien et ne suppose ni n’implique aucune adhésion ou condamnation.

Demander, en revanche, que chacun exhibe demain ces caricatures, et donc fasse sien leur message, c’est raisonner comme les islamistes. Lesquels, par calcul hypocrite et/ou débilité profonde, ne distinguent pas de sa revendication le commentaire d’un propos. Un peu comme un crétin léger confondrait au cinéma le méchant et l’acteur qui l’incarne.

Or, l’Etat français, et à travers lui l’Education Nationale, n’est pas et n’a pas lieu d’être blasphémateur. Les lois prévoient que le blasphème en France n’est pas un délit… mais n’en font aucunement un devoir. Ici s’arrêtent leurs prérogatives et à ce seuil s’arrête aussi l’éducation morale et civique ; l’école dira à son élève : « nul ne peut t’interdire le blasphème et l’Etat te doit protection si quiconque s’y essaye ». Elle ne lui dira cependant pas : « blasphème, car Dieu n’existe pas ». Celui qui veut qu’elle dise cela et celui qui croit ou feint de croire qu’elle le dit font une paire de scélérats.

« Demander que chacun exhibe demain ces caricatures, et donc fasse sien leur message, c’est raisonner comme les islamistes.  » 

La bouillie qui est faite du principe si mal compris de laïcité explique une certaine part du problème.

Principe de laïcité, élémentaire au fond, qui serait sans doute moins sensible s’il était purement et simplement enseigné et non pas débattu. Aux législateurs de débattre les lois, aux professeurs, le cas échéant, de les expliquer. L’opinion et la sensibilité des élèves en la matière ne devraient entrer en rien dans l’équation : elles ne concernent pas l’institution.

La manie du débat, d’abord dans la sphère médiatique (et quoi de plus stérile que ces émissions où cinq contradicteurs jacquassent en même temps…), puis dans la sphère civile et scolaire, est malsaine. Elle empêche tout propos de se dérouler, interdit le temps long, favorise l’épidermique. Qui plus est, elle donne à la parole de l’élève une valeur qu’elle ne devrait pas avoir. Car, non : la démocratie à l’école, que certains persistent à confondre avec les thérapies de groupe ou le yoga, ce n’est pas laisser le premier venu déballer ses impressions. L’école explique, l’élève apprend, puis tisse les opinons qu’il veut, mais les garde pour lui et le monde extérieur.

On nous dit parfois dans les INSPE (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation, ex IUFM) que nous ne devons pas nous positionner en détenteurs du savoir. Ne nous étonnons pas dès lors que les élèves et leurs parents se comportent comme le public d’un talk show. Dans un pays plus sain, le maître serait précisément ce détenteur, et il serait précisément maître pour cela, et nul, sinon ses collègues ou sa hiérarchie, n’oserait émettre quelconque « oui, mais… » quant au contenu de son cours. Un père demi-illettré, dans un pays plus sain, ne se permettrait pas les tartines d’idioties qui, ici, ont mis le feu aux poudres. Il respecterait le maître de sa fille et tiendrait pour acquis qu’il est maître, ce que lui-même n’est pas, et qu’à cela il y a de bonnes raisons.

Par cette ingérence des élèves et de leurs familles, qui en bons clients rois encouragés par diverses instances se croient autorisés à en remontrer aux professeurs à tous sujets, on tient une autre part du problème.

Mais il faut aussi considérer l’hystérie ambiante.

Au fond bien moins orientale qu’anglo-saxonne, hystérie qui porte à hurler à l’offense toutes les cinq secondes. C’est parfois sincère, et donc bête, parfois très hypocrite, mais la mode est à battre pour tout et rien des paupières et demander des sels.

Hypocrite ou totalement stupide quiconque prétend qu’en 2020 un élève de 4e puisse être « traumatisé » par un dessin de nu. Stupide ou hypocrite qui considère qu’en évoquant celui qui blasphème, on blasphème soi-même. Diaboliquement hypocrite et stupide qui se drape en défenseur de l’honneur de Dieu quand il est lui-même (ce que ne manquent pas d’être les plus virulents) un pécheur accompli.

Cette susceptibilité de vieille fille est une des sources directes des crimes abjects qui se multiplient depuis Mohammed Merah. Elle n’est pas née de rien ; l’obsession identitaire qui parcourt notre pays et d’autres la précède et l’accompagne ; le sang bleu que confère désormais le statut d’offensé enfonce le clou. Tout peut alors se passer comme dans la fable : tu troubles mon eau, je peux te tuer de plein droit.

« La démocratie à l’école, que certains persistent à confondre avec les thérapies de groupe ou le yoga, ce n’est pas laisser le premier venu déballer ses impressions. » 

Disons les choses bien nettes : ce repli dit communautaire et la violence qu’il engendre sont, en l’état, insolubles. La guerre de tous contre tous est si avancée que chacun mise sur le semblant de clan qu’il a, quitte à se l’inventer. Ne nous y trompons pas : ceux qui jurent « wAllah » à tours de mots ne croient pour beaucoup ni à Dieu ni à diable. Et si l’Islam n’était en France que la paisible coutume de commerçants prospères, ce qu’il sait être sous d’autres cieux, ils s’en détourneraient. Ils ont simplement trouvé dans sa version furieuse une protection, y compris par ricochet ; qu’un cinglé deux fois l’an commette le pire, au fond, les arrange : sans risque, les voilà associés à une force qui intimide et donc protège. Les francs islamistes sont peu nombreux, mais pléthore, qui bien sûr s’en défendent, succombent par petites touches à la beauté du diable.

Les discours phrasuleux de la « classe politique » n’y changeront rien. Il n’y aura, demain, pas l’ombre d’un vivre ensemble ; l’économie moderne a fait de nous pour de bon des particules élémentaires, qui s’unissent à l’occasion en tant seulement que l’union fait la force. Au mieux, les groupes constitués s’ignoreront. Au pire, ils se livreront des guerres épileptiques. Nous n’avons pas fini de déterrer les anciennes haches de guerre, nous n’avons pas fini de nous haïr, en meutes ou en loups solitaires.

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8 réponses »

  1. Tant que les religions usent de salive et d’encre, elles sont acceptables. Tant qu’elles ne font pas couler le sang…
    La religion disait K Marx est l’opium du peuple. C’est une illusion pour se cacher les réalités de la vie, c’est une drogue pour endormir l’esprit et comme toutes les drogues elles servent à certains pour se masquer les épreuves que tôt ou tard nous aurons à subir, c’est un baume qui nous console et nous aide à vivre. Rien d’autre.

  2. Eh bien personnellement je n’aurai certainement pas été choqué, bien au contraire, de voir monsieur Macron, président de la république, se présenter devant la presse avec une de ces caricatures en expliquant justement comme vous le faites que le blasphème est légal dans notre république et qu’en montrant un tel dessin il n’était pas forcément pour autant lui même un blasphémateur. Qu’on le veuille ou non, ces caricatures font désormais partie de notre histoire et sont devenues un symbole de la liberté d’expression dans notre pays.

  3. Ok avec la tonalité et le fond du papier. C’est précieux de trouver des mots entre deux écueils mortifères.
    Par contre non désolé le prof n’est pas le détenteur du savoir c’est une invention 🙄.
    Que les règles du débat et de la démocratie soient à redéfinir bien sûr. Qu’une saine autorité (celui qui fait ce qu’il dit la possède) soit encouragée pour ne pas suivre n’importe qui bien sûr.
    Mais décréter une autorité morale au prof ou même à la République, c’est pour moi dangereux et justement une des causes des maux. Respecter une prof et la République bien sûr. C’est le cadre de notre société. Mais lui donner une autorité morale et en faire un phare à suivre, non.

  4. « Qu’on le veuille ou non, ces caricatures font désormais partie de notre histoire et sont devenues un symbole de la liberté d’expression dans notre pays. » ben j’espère bien que non, le cacapipiboudinesque de charlie hebdo est d’un niveau si bas qu’il rabaisse la France, ces caricatures ne sont pas de la liberté d’expression, c’est de l’insulte pure et simple , dans un pays laic, on respecte le choix de la religion, on ne l’insulte pas !
    Rabaisser notre pays en lui donnant comme symbole les caricatures ? non mais, on va où ?

    • La France protège la liberté du culte et permet le blasphème, entre autres, par des caricatures dont certaines sont devenues des symboles de la liberté d’expression depuis le massacre des journalistes de Charlie Hebdo, ce sont des faits !

      • Je n’ai moi-même jamais acheter Charlie Hebdo, non parce qu’il n’y a rien à lire et à retenir, mais parce qu’on voit souvent leurs meilleurs dessins repris par d’autres médias. Comme les bandes dessinées d’ailleurs vers lesquelles je ne suis jamais tourné pour la bonne et simple raison qu’on peut les parcourir en quelques minutes dans n’importe quelle librairie ou toute grande surface. En ce qui me concerne, je préfère les beaux dessins, les belles peintures, les belles sculptures… qui suscitent émotion et admiration, mais je peux admettre qu’un simple dessin même mal « dessiné » peut faire sourire quand il est moqueur, ironique, et persifleur. Il permet la dérision, soulever le débat, éveiller les contradictions. Encore faut-il de la distance, du recul, un esprit critique pour l’aborder…. Mais c’est peine perdue vers des gens qui sont dépourvus d’humour, savent-ils d’ailleurs ce qu’est l’humour ? Sans accès au retour sur soi, ces gens sont peu sûrs d’eux, psychorigides, axé sur une vérité, celle qu’on leur a infusée dans leur prime jeunesse, incapable de penser par eux-mêmes, incapables d’évolution vers un esprit d’analyse critique, incapable de contradiction car on ne leur a jamais appris ce que peut apporter un débat, une discussion, une critique, une autocritique sous peine de sévices, tortures, rejet voire mort. La crainte leur est insufflée en eux et ne leur permet aucun épanouissement…

  5. Marx disait aussi que la religion, « opium du peuple », était la conséquence de conditions sociales désespérantes et qu’il faudrait changer ces dernières pour faire disparaître la première.

  6. Bonne analyse. Un angle mort des discours autour de l’assassinat de M PATY est celui de savoir si pour éveiller les enfants à l’esprit critique, à la libre pensée et à la laïcité, les caricatures de Mahomet étaient le meilleur matériel pédagogique. Je ne cherche pas de circonstances atténuantes à ce crime commis par un fou de Dieu. Je m’interroge simplement si la présentation de dessins à caractère explicitement sexuel et très « racisés » devant des gamins de 13 ans n’est pas de nature à bloquer la réflexion. Un thème sur la répression des gilets jaunes et la liberté d’expression aurait été peut-être plus « œcuménique », plus laïque et beaucoup plus politique. Pour être clair et éviter le point goodwin ou l’anathème d’islamo-gauchiste ou fasciste, je précise que je suis profondément athée et rationaliste et que j’ai du mal à comprendre les croyants pour rester poli. Pour autant, les discours véhiculés par les caricatures et par les dessins de Charlie me semblent trop souvent axés sur la description paresseuse de gens pratiquant intensément la sodomie entre eux ou sur des enfants pour être vraiment de nature à éduquer et éveiller les enfants. Nulle pudibonderie dans mes propos et nulle envie de censure. Je constate simplement que cette pratique sexuelle a souvent les faveurs ou défaveurs humiliantes de Charlie Hebdo. On se demande ce que font les ligues LGBT. Cependant en tant qu’enseignant, je crois que la lecture des livres de Jack London sont infiniment plus instructifs.
    Amicalement

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