Le 11 juin 2021, Emmanuel Macron a acté la fin prochaine de l’intervention française au Sahel, sans toutefois annoncer de calendrier précis et en contestant l’idée d’un retrait massif des troupes envoyées sur place. Cette décision, qui va dans la continuité de la politique erratique de l’État français dans cette zone, intervient dans un contexte où la menace du terrorisme islamique menace plus que jamais l’équilibre des pays d’Afrique de l’Ouest, laquelle a déjà provoqué le déplacement forcé de deux millions de personnes et une crise humanitaire majeure.
La France est engagée militairement dans le Sahel depuis 2013 avec le lancement de l’opération Serval lors du mandat de François Hollande, devenue l’opération Barkhane en 2014. La vocation de l’opération Serval était alors de neutraliser immédiatement la menace terroriste née de la collusion des rebelles touarègues avec les groupuscules islamistes proches d’Al Qaeda et de l’État islamique implantés dans le nord du pays, et qui menaçaient les frontières d’autres pays voisins comme la Mauritanie et le Niger. Or, en l’espace d’une année, les autorités françaises ont modifié leur stratégie, engageant les 5 100 soldats présents au Sahel dans une guerre systémique, c’est-à-dire impliquant un engagement au long cours et dont la durée est incertaine. Dans ces conditions, l’opération Serval est devenue en 2014 l’opération Barkhane. En parallèle, la Minusca, mandatée par l’ONU, a envoyé sur place un contingent de 12 000 femmes et hommes, qui ont avant tout un rôle de support et qui ne peuvent cependant pas prendre part aux opérations militaires contre les djihadistes.
Seulement, malgré la présence de l’aviation française et de troupes au sol de différentes nationalités, la menace islamiste a fait tâche d’huile et s’est considérablement étendue en huit ans. Les groupuscules terroristes profitent en effet de la faiblesse des États sahéliens pour infiltrer des territoires qui échappent au contrôle du pouvoir central en plus de souffrir d’inégalités criantes et d’un manque de perspectives d’avenir pour les populations locales. Ainsi, les islamistes d’organisations comme l’AQMI, qui étaient jusque-là implantés dans le nord du Mali, sont parvenus à descendre dans le centre du pays, dans la région de Gao ; or cette région a la particularité d’être une zone marécageuse traversée par le delta du Niger et donc difficilement accessible depuis Bamako, d’où un sentiment d’abandon très ancré chez la population locale. De même, ces groupuscules se sont multipliés et se sont étendus aux frontières d’autres pays comme le Burkina Faso et le Tchad, qui étaient en-dehors de la zone menacée avant l’intervention française au Sahel. Tous les jours, les explosions, enlèvements et attaques contre les populations ne cessent de proliférer, l’événement tragique le plus récent remontant au 5 juin 2021, où une attaque dans le nord-est du Burkina Faso a causé 160 morts. Cette aggravation de la situation suscite de nombreuses interrogations, notamment sur la stratégie adoptée par l’exécutif français et la pertinence de l’opération Barkhane ; jusqu’ici plus de 50 soldats français sont tombés, et plusieurs enlèvements de civils ont déjà eu lieu.
Pour comprendre la situation, il est nécessaire de revenir sur les origines et les causes de la menace terroriste au Sahel, avant d’aborder la stratégie adoptée par la France, les États du Sahel et les organisations étrangères.
Les origines de la menace islamiste au Sahel
La menace islamiste qui sévit aujourd’hui au Sahel trouve son origine à la fin des années 1990, lors de la guerre civile algérienne ; le pays était à l’époque en proie à un bras de fer entre le pouvoir central et les rebelles islamistes. Ces derniers nécessitant des bases arrières se sont alors implantés dans les pays limitrophes comme le Mali et le Niger, grâce à la grande porosité des frontières dans le Sahara, parvenant à tisser des liens avec les populations locales et à disposer de vivres, d’armes et de carburant. Parmi ces rebelles, se démarque la figure de Mokhtar Belmokhtar, à la tête du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Dans les années 2000, faute d’avoir pu infiltrer le pouvoir algérien, ces rebelles dirigés par Belmokhtar se replient au Mali et cherchent à étendre leur influence dans les pays limitrophes, profitant des contestations locales et de la fragilité des institutions étatiques en place depuis la décolonisation. En 2007, à la suite d’une alliance avec Al Qaeda et son chef Ben Laden, le GSPC deviendra Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI). L’organisation est alors engagée dans une politique d’expansion, et profite de tous les soubresauts politiques dans la région pour étendre son influence.
À cet égard, les années 2010, le Printemps Arabe tout comme la chute de Mouammar Kadhafi en Lybie, dont l’armée était constituée de nombreux mercenaires originaires des pays d’Afrique sahélienne facilitent un certain nombre de contestations au sein des États concernés ; l’on peut citer par exemple dont notamment la révolte des Touaregs au Mali ou encore les contestations populaires contre Idriss Déby au Tchad.
« Tous les jours, les explosions, enlèvements et attaques contre les populations ne cessent de proliférer. »
C’est du pain béni pour les groupuscules terroristes comme AQMI, qui décide de se réorganiser et acte un partage des différents territoires du Sahel entre différents chefs. À partir de ce moment-là, les différentes factions nouent des alliances avec des populations locales, dont les rebelles touarègues. Un phénomène inédit prend alors de l’ampleur, avec la multiplication des milices locales d’autodéfense et parfois, leur fusion avec les groupuscules terroristes. Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), est par exemple né en 2017 de la fusion de quatre groupes islamistes armés et dirigé par un rebelle touarègue, qui vise in fine la création d’un État islamique au Sahel.
Des facteurs multiples de déstabilisation
Depuis la fin de la présence coloniale française et leur accès à l’indépendance, les États de la bande sahélienne peinent à s’affirmer et à être légitimes auprès de leurs populations, faute de projets collectifs fédérateurs et de structures politiques fiables. Les dirigeants en place s’appuient le plus souvent sur des réseaux clientélistes, adoptent des politiques contraires aux intérêts de leurs populations, et font systématiquement usage de la répression face aux contestations de la rue. Par exemple au Mali, l’armée nationale est généralement mal vue par la population en raison de son caractère autoritaire et peu protecteur – les soldats procèdent souvent à des arrestations abusives et injustifiées au nom de la sûreté d’État et tuent plus de civils que les milices d’autodéfense et les groupes terroristes mis ensemble.
Sur le plan économique, les pays du Sahel, riches en ressources minières et pétrolières, sont loin de s’être développés depuis plusieurs décennies, leur économie étant essentiellement fondée sur l’extraction de matières brutes en échange d’une rente captée par les partis au pouvoir. Le Niger est à ce titre un paradoxe à lui tout seul, quand l’on sait que le pays a un sous-sol est riche en uranium qui sert à alimenter les centrales nucléaires françaises alors que ses villages sont sous-équipés en équipements électriques.
En outre, de nombreux outils néocoloniaux constituent des freins à l’économie des pays du Sahel : l’on peut évoquer notamment le franc CFA ou les diverses zones de libre-échange qui mériteraient un article à part. Enfin, même si les intérêts économiques français ont diminué, les États sahéliens ne prennent pas pour autant le chemin de l’émancipation en créant de nouveaux partenariats avec la Chine, dont les parts de marché à l’exportation ont été multipliées par six, passant de 3% à 18% entre 2000 et 2017. Or, la puissance asiatique, en échange de prêts exorbitants importe essentiellement des matières premières et inonde les marchés africains de produits de consommation qui tuent les économies locales dans l’œuf. Dès lors, il n’est pas étonnant qu’en l’absence de perspectives, de nombreux jeunes africains le plus souvent issus de familles qui pratiquant islam modéré et tolérant soient plus facilement séduits par les discours extrémistes des organisations terroristes.
« Au Mali, les soldats tuent plus de civils que les milices d’autodéfense et les groupes terroristes mis ensemble. »
Enfin, le facteur environnemental est devenu primordial depuis une dizaine d’années et participe à la déstabilisation des modes de vie traditionnels, engendrant des tensions intercommunautaires entre peuples qui vivaient jusque-là en bonne intelligence – tensions dont tirent profit à merveille les terroristes islamistes. Au Mali, la cohabitation entre Peuls, peuple nomade, et Dogons, peuple sédentaire, a toujours été pacifique. Seulement, le changement climatique occasionne une réduction des surfaces agricoles disponibles, et par conséquent des conflits de ressources entre éleveurs et agriculteurs qui n’existaient pas avant. Les États de la bande sahélienne étant déjà en situation de stress hydrique, cette situation est amener à s’aggraver si l’État malien ne reprend pas en main la situation et ne met pas en œuvre des solutions viables pour nourrir sa population.
Les errements des acteurs politiques face à la situation
Face à la menace des groupes terroristes, les réponses tant des pays du Sahel que de leurs alliés ont été plus que balbutiantes, et les décisions prises souvent erratiques. Premièrement, il a fallu deux ans pour que la formation d’une force militaire anti-terroriste conjointe annoncée par les États du Sahel à Ndjamena en 2015 se concrétise. Et même en 2017, le Conseil de sécurité des Nations unies « salue le déploiement de cette force » sans pour autant lui accorder de financement ni de mandat des Nations Unies en raison de la réticence des Etats-Unis et du Royaume-Uni, alors que le budget s’élève à 400 millions d’euros, un coût bien trop onéreux pour les pays sahéliens. Et même malgré le fait que la communauté internationale ait finalement réussi finalement à lever 415 millions dans les mois qui ont suivi, moins de la moitié de la somme a été versée fin 2017. Ainsi, les forces du G5 étant mal préparées et organisées, elles n’ont pu livrer mener un seul combat contre les djihadistes, qui ont gagné du terrain, notamment dans la zone de la triple frontière entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
La stratégie française au Sahel n’est pas non plus dépourvue d’incohérences, comme l’illustrent les prises de position contradictoires d’Emmanuel Macron ces derniers mois. En effet, le président français a soutenu le coup d’État au Tchad intenté par l’un des fils d’Idriss Deby, qui dirigeait le pays d’une main de fer jusqu’à sa mort en mars 2021. A contrario, quand le vice-président Assimi Goïta annonce avoir destitué l’exécutif et pris le pouvoir, la France annonce le 3 juin la suspension à titre temporaire des opérations menées avec les forces armées maliennes. Le soutien de Macron au fils d’Idriss Deby est loin d’être anodin ; d’une part, l’armée tchadienne est l’une des plus puissantes d’Afrique subsaharienne et a un rôle primordial dans la lutte antiterroriste, contrairement aux armées des autres États sahéliens qui sont plus désorganisées et moins professionnelles. D’autre part, Idriss Deby était un allié de longue date des différents présidents français et aurait contribué au financement de la campagne de candidats français à la présidence en 2017, notamment celles d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen.
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