Culture

La fiction qui dérange : « Very bad mood »

Le 7ème art est en rut. Personne n’a encore vu le nouveau film du réalisateur islandais, Tütüt Klacksson, mais tout le monde en bave d’excitation. Le synopsis : « Demain, le monde se réveille, les yeux bouffis et la tête dans le cul, l’Homme a perdu le goût de la vie ».

« À partir d’aujourd’hui, il se leva tous les jours du pied gauche ». C’est ainsi que commence le film, parait–il. Science fiction, surnaturel, dystopie, tragi–comique, humour noir, c’est un peu tout ça Very bad mood. Une expérience cinématographique dont on ne sortirait pas indemne, selon les dires. Raflera t’il tous les prix ? « Je m’en branle », prévient déjà le créateur de la bête. On peut le croire. Déjà lauréat de multiples récompenses pour ses court métrages hypnotiques, « mes trophées sont tous aux chiottes, à droite des rouleaux de PQ », nous confie t’il.

Le film aurait laissé les producteurs perplexes, ce qui est plutôt bon signe. Tellement perplexes, qu’ils n’auraient pas su quoi faire des trois heures de projection : « Où couper la bande ? » Même l’exercice du final cut n’aurait finalement pas été exercé par les producteurs, ces derniers se montrant incapables d’apprécier en bien ou en mal la touche finale.

Le film partirait dans tous les sens, les acteurs également. Aucun rapport entre les personnages principaux, qui ne se connaissent pas, ne se croiseront jamais. Mais tous finiront par converger vers le même point aveugle : la chienlit existentielle, le spleen merdique. Et tous finiront par aller chercher des réponses chez le libraire, comme s’il n’y avait plus rien d’autre à faire que lire du Cioran ou du Pessoa, en attendant la tombe.

Le film commencerait sur fond gris–bleu, par un soliloque dont la voix ne sera plus jamais reconnue par la suite : « Dépourvue de tout but vers lequel se hâter, ma vie se passe à attendre un avenir qui n’en finit pas de venir », une fulgurance d’un philosophe pur et dur, Nicolas Grimaldi. Ce début du film nous laisserait alors le choix, durant une plage de dix secondes, de saisir l’occasion pour se lever du strapontin ou d’errer trois heures durant.

Les hostilités commencent alors

Sigrid serait celle qui épouse le mieux l’esprit du film, dit–on. Pétrie d’idéaux, de rêves, et d’ambitions, elle bouffe la vie à pleines dents. Et puis pschitt, de chlorose en phtisie, puis d’abysses en abymes, elle ère de CDDébrouille en CCDéprime, sans voir plus loin que son découvert CB. Sigrid serait l’incarnation d’une génération jetable et recyclable. Sur le mur de sa chambre elle finit par écrire : « Si demain est comme aujourd’hui, je crois que j’’ai déjà tout vu. »

Et puis il y a Thomas, plus amer-aigri, qui finit même par en vouloir à son chat. Certes, un chat qui trouve le moyen de chier à côté de la litière, tous les matins. Mais ce n’est pas cela qui le fera monter en température, c’est plutôt ça : « If the rules fuck me, I fuck the rules. » Tout est dit. Le personnage éprouverait les pires difficultés à jouer à la vie en suivant les règles.  On imagine alors qu’il se montrera de moins en moins réceptif aux injonctions du système. Mais curieusement, il ne pètera pas les plombs. Non, il sombrera plutôt dans une profonde détresse psychologique et sociale, l’anagramme mélancolique du « carpe diem »… le « ça déprime ».

Il y a aussi celui qui sera le plus affecté par ce changement d’humeur universel. Un changement improbable pour un tempérament comme le sien. Lui c’est Björn, le roc, impénétrable, inaltérable, infrangible chef d’une entreprise florissante et qui n’en veut. Mais Björn finit par bugger. Tout ça à cause d’un bout d’article qu’il lit par hasard en attendant son avion : « Un homme produit nécessairement l’image des choses qui satisferaient un besoin physiologique qu’il ressent. La soif engendre des boissons. » (Paul Valery). Il avait déjà lu des trucs similaires, mais qui ne lui avaient fait ni chaud ni froid. Peut être là, les mots l’avaient cueilli au bon moment, là où il était le plus vulnérable. Il ne sera plus jamais comme avant.  

Encore un, Grüdd ; qui passe du burn out professionnel au burn out existentiel. Un jour, le même jour que les autres personnages, il décide de ne plus écouter cette voix qui lui dit d’avancer. Il se tourne sur le côté, voit un banc, et décide d’y poser son cul. Il réalise alors qu’avec ou sans lui, « l’aiguille du temps brille et court dans la soie noire » (Philippe Jaccottet). Pas le plus fun de la bande, mais peut être celui qui réalise le mieux que la bougie n’est pas là pour éclairer le chemin à prendre, mais pour trahir l’absence de toutes perspectives à l’horizon.

Enfin, il y a Sofia, déjà très angoissée dès le départ. D’un naturel peu joisse, elle est peut être la seule qui finit par se réjouir de la tournure des évènements. « Enfin, cette bande de blaireaux a fini par s’apercevoir qu’ils n’étaient que des blaireaux… ». Effectivement, pour une raison inconnue, on est toujours moins malheureux si les autres sont frappés des mêmes maux que les vôtres.   

Mais pourquoi tout ça ?

Science, théologie, marabouts, tous les grands penseurs sont alors convoqués pour expliquer la chose, cette « very bad mood » qui finit par ensorceler tous les personnages. Parmi les explications invoquées par le film, il y aurait une forme de prise de conscience universelle ; tout le monde réaliserait enfin que « l’expérience de la vie finit toujours par donner le même résultat », un résultat dont la solution se trouve toujours au même endroit, dans la tombe. L’Homme se réaliserait incapable de supporter sa triste condition, et finirait par se poser la question de Pessoa : « Qui donc me sauvera d’exister ? »

Autre explication proposée par le film, l’Homme post Covid n’aurait pas simplement perdu le goût des choses, mais le goût de la vie. Le virus aurait muté. Enfin, dernière explication retenue : L’Homme sans qualités de Robert Musil serait devenu l’Homme sans, tout court. Un contenant sans contenu, une chimère en chair, amère.

Mais le temps presse, le mal insiste, et déjà les lèvres des personnages principaux balbutient de nouvelles questions, plus glauques : « Le souci de mon avenir n’est rationnel que s’il y a dans l’avenir quelque chose qui sera moi », Stéphane Chauvier, un philosophe, encore. Comme s’il n’y avait qu’eux pour poser des questions qu’on avait pas envie de poser.  

Au fait, au cas où certains chercheraient encore à googler « Very bad mood » ou Tütüt Klacksson, c’était du bullshit. Désolé d’avoir pris sur votre temps.

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