Culture

The Truman Show ou l’hyperréalité selon Baudrillard

Sorti en 1998, « The Truman Show » rencontre un immense succès critique et public ; Jim Carrey, qui incarne le protagoniste principal, obtiendra le Golden Globe du meilleur acteur pour sa performance. Le film fait partie de cette série d’œuvres de la fin des années 90, qui, à l’instar de « Matrix », « Fight Club » ou encore « Dark City », mettent en scène un héros questionnant la réalité de son monde.

Jean Baudrillard (1929-2007)

Résumé des faits : courtier en assurances, Truman Burbanks coule des jours paisibles dans la petite bourgade de Seahaven en compagnie de sa femme Meryl. Ce que Truman ignore, c’est que la ville est en réalité le plateau de tournage d’un show de TV réalité au succès international dont il est la star depuis sa naissance : « The Truman Show ». Petit à petit, des événements étranges vont se succéder qui vont lui faire questionner sa réalité et le mettre en quête d’un sens à son existence.

Critique du pouvoir despotique de la télévision et de son emprise sur les esprits, le film préfigure également le flot d’émissions de TV réalité qui vont déferler sur les écrans du monde à partir des années 2000. Nombre de références sont présentes, on peut bien sûr penser au 1984 d’Orwell et son terrible Big Brother, Network de Lumet, la série TV The Prisoner, ou encore aux sociétés de contrôle de Deleuze.[1]

Une autre référence omniprésente dans l’œuvre, et qu’on retrouve jusque dans le concept même du film, est le concept d’hyperréalité de Jean Baudrillard. « Pape de la post-modernité », le philosophe français constitue une référence essentielle pour nombre de films de la fin du siècle dernier ; les frères Wachowski, après avoir contacté en vain Baudrillard pour qu’il collabore à leur projet, y font même directement référence dans Matrix en mettant en scène Simulacres et simulation (1981), l’ouvrage majeur du penseur.

Hyperréalité : la réalité et la simulation indiscernables

Dans Simulacres et simulation, Baudrillard définit l’hyperréalité comme la «substitution au réel des signes du réel, c’est-à-dire d’une opération de dissuasion de tout processus réel par son double opératoire […] qui offre tous les signes du réel et en court-circuite toutes les péripéties ». Ainsi, il n’y a plus de distinction possible entre réel et simulation, tous deux sont imperceptiblement entremêlés, imbriqués, et si, contrairement à la fable de Borgès[2] où le réel (le territoire) précédait la simulation (la carte) et où une distinction nette demeurait entre réel et abstraction, au stade de l’hyperréalité c’est la carte qui précède désormais le territoire et l’engendre, le réel étant devenu une abstraction sans origine ni réalité. S’il subsistait chez Borgès des lambeaux de carte sur le territoire, aujourd’hui ce sont des lambeaux de réel que l’on retrouve sur la carte : ce que Baudrillard nomme le « désert du réel ».

Éditions Galilée, 1981, 240 p.

La simulation est partout : les marchés financiers sont pilotés par des algorithmes ; les décisions politiques sont basées sur des sondages ; postés devant un écran, les pilotes de drones ont davantage l’impression de jouer à un jeu vidéo que de tuer de « vraies personnes » à l’autre bout du monde…

Dès l’ouverture de The Truman Show mettant en scène des séquences d’interview des comédiens et de Christof, le créateur du show, le spectateur est conscient qu’il s’agit d’une émission de télévision, d’une simulation. La distinction entre The Truman Show (le film) et « The Truman Show » (l’émission de TV) est claire : les plans de l’émission sont entrecoupés de plans qui ne peuvent pas avoir été tournés par les caméras du studio, comme lorsqu’un projecteur tombe du ciel et où la caméra fixe le projectile dans sa chute – les caméras de « The Truman Show » n’auraient pas pu planifier que le projecteur allait tomber à cet instant ni à cet endroit précis. De même, lorsque Truman retrouve son père dans la rue ou embrasse Sylvia sur la plage, le montage offre des champs contrechamps littéralement impossibles à prévoir pour une équipe de tournage.

Cependant, un peu plus tard dans le film, on comprend que les spectateurs de l’émission ont vu ces mêmes scènes. Ainsi la scène du baiser avec Sylvia apparaît dans l’émission « Tru-Talk », démontrant qu’elle était également disponible pour les téléspectateurs de « The Truman Show » : «Cela se fait par des lignes de balayage ajoutées, le cadre dans le cadre (de Truman prenant son petit-déjeuner) et la teinte verte associée aux caméras sensibles à la lumière, qui soulignent toutes la télévisualité et l’immédiateté des prises de vue. Ces plans sont, impossiblement, à la fois des plans de « télévision » et de « cinéma ».»[3] De même, lorsqu’à la fin du film Truman s’échappe en bateau de Seahaven et atteint la « fin de son univers », et que Christof, dont la voix amplifiée n’est pas sans évoquer Dieu s’adressant à Moïse, l’exhorte à rester, le montage montre que le producteur a accès aux mêmes images que le spectateur du film, ce qui paraît invraisemblable « étant donné qu’il est peu probable que l’émission de télévision positionne des caméras permanentes près du faux horizon après tout, dans le cas improbable où Truman arriverait dans cet espace, l’émission serait effectivement terminée. »[4] La caméra de télévision «assume la position de la caméra « film » invisible et potentiellement omniprésente»[5] Au final, les frontières entre film et télévision, réalité et simulation « qui ont jusqu’ici structuré The Truman Show, deviennent ambigus et toute représentation scénique de Truman peut être perçue comme une scène du film ou comme la représentation d’une scène du programme télévisé. »[6]

« Les marchés financiers sont pilotés par des algorithmes ; les décisions politiques sont basées sur des sondages. »

L’individu post-moderne et les marques

An American Family (1973)

Lorsque fut diffusé au début des années 70 l’émission An American Family, prototype des émissions de TV réalité, Baudrillard y vu «la dissolution de la télévision dans la vie et la dissolution de la vie dans la télévision» (Serge July, Dictionnaire amoureux du journalisme, 2015). Comme l’explique Meryl (l’actrice qui joue la femme de Truman) : « For me there is no difference between my private life and my public life, my life is The Truman Show. » De même Louis / Marlon déclare : «It’s all true, it’s all real. Nothing here is fake, nothing you see on this show is fake. » Ces déclarations suggèrent que les acteurs eux-mêmes ne sont plus en mesure de distinguer la réalité de la simulation, et que, pour reprendre l’exemple de Baudrillard sur le malade qui feint la maladie[7] : «Ils ont commencé […] à « simuler » plutôt qu’à « feindre », produisant en eux-mêmes certains des symptômes. »[8]

Baudrillard explique que, dans la société de consommation, pour qu’un objet devienne objet de consommation il lui faut devenir un « signe ». (La société de consommation, 1970). La consommation vient renforcer l’hyperréalité en multipliant les simulacres vides de sens à travers la valeur signe. Cette dernière va alors effacer le sens premier de la matière première pour ne plus devenir que la consommation d’une marque : ainsi on ne possède pas un téléphone mais un iPhone, on ne porte pas un jean mais un Levis, le logo Starbucks importe plus que le café à l’intérieur de la tasse, le M de McDonald’s ne représente rien en tant que tel mais la promesse d’une nourriture en quantité illimitée… En somme, l’individu de la société de consommation est devenu un écran à projeter des marques.

Ainsi de Meryl qui passe son temps à faire la publicité pour toutes sortes de produits (« The Chef’s Pal, it’s a grater, dicer, peeler, all in one ! », « Why don’t you let me fix you some of this new Mococoa drink ? All natural cocoa beans, from the upper slopes of mountain Nicaragua, no artificial sweeteners !», etc.), de même il ne se passe pas une scène sans que Marlon ne fasse une apparition un pack de Penn Pavel’s Beer à la main. À l’instar des chaînes d’infos en continu, le show est diffusé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, chaque détail de la vie de Truman étant aussitôt incorporé au script de l’émission, « créant un continuum visuel ininterrompu, un champ d’immanence maximale englobant spectacle et spectateur, marchandise et consommateur» (Wise). Les relations sociales au sein du simulacre sont placées sous le signe du spectacle, avant d’être transformées en marchandises vendues via le catalogue. En effet, tout est à vendre dans « The Truman Show », «de la garde-robe des acteurs, aux produits alimentaires, jusqu’aux maisons mêmes dans lesquelles ils vivent, le tout disponible dans le catalogue Truman. » Ce dernier constitue le double référentiel du simulacre filmique : «Le « pseudo-monde » du « Truman Show » se trouve doublement articulé selon la loi de l’hyperréel et ses modèles médiatisés de réalité : le cadre télévisuel du spectacle et l’espace virtuel du catalogue»[9]

Seahaven : bienvenue à Disneyland

La ville de Truman est une refiguration de la ville étasunienne des années 50 «Avec la couleur immaculée, pastel et excessivement saine» (Knox). Mais il s’agit d’une ville fantasmée, irréelle : un simulacre. Comme le rappelle Baudrillard, le simulacre «est la copie à l’identique d’un original n’ayant jamais existé ». Le « simulacre » Seahaven donc, renvoie à Disneyland chez Baudrillard : «Disneyland est posé comme imaginaire afin de faire croire que le reste est réel, alors que tout Los Angeles et l’Amérique qui l’entoure ne sont déjà plus réels, mais de l’ordre de l’hyperréel et de la simulation. Il ne s’agit plus d’une représentation fausse de la réalité (l’idéologie), il s’agir de cacher que le réel n’est plus le réel, et donc de sauver le principe de réalité. » La ville de Truman est si parfaite (il fait tout le temps beau, tout le monde est souriant et avenant, etc.) qu’elle en devient fausse, donnant l’impression aux spectateurs de « The Truman Show » que leur ville à eux est réelle.

The Truman Show (1998)

The Truman Show a été tourné à Seaside, « communauté planifiée » en Floride, qui pour les besoins du film sera renommée Seahaven. Il fut un temps envisagé de tourner en studio afin de rendre compte au mieux de l’artificialité requise par le scénario, mais, paradoxalement, les studios hollywoodiens « faisaient trop réalistes. »[10] Seaside fut construite selon les principes du New Urbanism, mouvement de design urbain repris également par Disney pour la construction de sa propre ville : Celebration. Le New Urbanism est régulièrement critiqué pour sa nature « Disney-esque »[11], et pour le fait qu’il « a l’air « faux » ou a l’air trop « délibérément nostalgique » ».[12]

Les habitants de Seaside / Seahaven sont comme les spectateurs d’un film à qui on demande de « suspendre leur incrédulité », d’accepter sa prémisse nostalgique sans critique. Mais, plutôt que de constituer une critique du New Urbanism ou même de Celebration, The Truman Show « entend en fait critiquer l’effacement des différences de classe et de race si commun au design urbain de Disney. Pour ce faire, le film présente Seahaven au public, un  »parc-à-thème-construit-pour-un » où chaque article est à vendre et où les concepts de design innovants se déforment en caricatures des maisons de banlieue télévisées, dans les comédies familiales des années 1950»[13] En un sens la ville « Disney » est la matérialisation du spectacle debordien, à savoir une immense positivité incontestable où les conflits de classe, de race, de même que les sans-abris sont inexistants, et où se côtoie la seule upper middle-class blanche. Christof se fait le porte-voix de cette conception : «The world, the place you live in, is the sick place. Seahaven is the way it should be. »

La ville de Truman « devient, à bien des égards, similaire à la  »cellule protectrice du confort » créée dans un parc à thème Disney où,  »Vous êtes enhardi et apaisé par des rues propres, des visages souriants, des couleurs joyeuses et la promesse implicite qu’ici, au moins, tout sera OK. Ce sera amusant, vous ne vous perdrez pas et il y a plein de bancs au cas où vos pieds se fatigueraient. » Vous ne serez pas accosté par les sans-abris. »[14] Ou, comme le dit Baudrillard : «La seule fantasmagorie, dans ce monde imaginaire, est celle de la tendresse et de la chaleur inhérente à la foule, et celle d’un nombre suffisant et excessif de gadgets propres à entretenir l’affect multitudinaire. Le contraste avec la solitude absolue du parking – véritable camp de concentration – est total. »

The True Man

Comme le déclare Christof au début de The Truman Show : « There is nothing fake about Truman himself. No scripts, no cue cards. It is no way Shakespeare, but it’s genuine. It’s a life », ou encore, à la fin du film lorsque Truman s’apprête à quitter le studio et qu’il demande au producteur «Was there nothing real ? », Christof lui répond : «You were real»

The Truman Show (1998)

Ainsi, alors que l’ensemble de son univers est contrefait et n’est rien d’autre qu’un gigantesque simulacre, Truman, lui, serait la chose authentique du show, le seul élément qui soit réel. Le nom du personnage dénote cette authenticité : the « True-man », an « authentic human ». Mais dans le même temps, accolé à son prénom, on trouve aussi « Burbank », à savoir un complexe de studios de télévision hollywoodiens, qui « évoque le commercialisme impétueux de la TV » (Wise). On retrouve donc une tension entre réalité et simulation, authenticité et performance dans le nom même du personnage.

Au début, Truman ne sait pas qu’il vit dans une simulation, son monde se présente comme « un décor spectaculaire fondé sur la loi ultime de l’hyperréel : la ‘précession des simulacres’» (El Moncef). Même l’objet de son désir, Sylvia, est réifié sous la forme d’une simulation à travers un collage de photos de mode récoltées dans des magazines et «repose sur un simulacre de son indice anthropomorphique (Sylvia-comme-image-synthétisée), et sur des résidus métonymiques de sa présence matérielle (le cardigan de Sylvia et son épingle)»

Pourtant, à un moment donné – au moins la moitié du film – Truman a conscience qu’il est observé et «change son comportement en fonction» (Wise). Il va alors déjouer le contrôle exercé sur lui en agissant comme on attend qu’il agisse dans l’attente de son évasion. Cela démontre que « quelque chose au sujet du contrôle et de la surveillance fonctionne (c’est-à-dire qu’il produit une performance adaptée à la télévision) et que quelque chose au sujet du contrôle et de la surveillance ne fonctionne pas, car cela montre que ce contrôle et cette surveillance ne lui sont pas complètement cachés.»

« La ville « Disney » est la matérialisation du spectacle debordien, à savoir une immense positivité incontestable où les conflits de classe, de race, de même que les sans-abris sont inexistants. »

Happy end ?

Le film se termine par l’explosion de joie des spectateurs lorsque Truman passe la porte du studio et disparaît à tout jamais de l’écran : il a percé à jour le simulacre et s’apprête à découvrir le monde réel, enfin libre… Mais s’agit-il vraiment d’un happy end ?

Comme l’exprime Susee Bharathi T. : « C’est la fin heureuse parfaite pour les téléspectateurs lambdas, mais qui suscite la réflexion pour les autres.»[15] En effet lorsqu’il s’échappe du studio, on a l’impression qu’il va entrer dans le monde réel, mais il s’agit d’une illusion car, comme l’explique Christof, qui se fait le relais des thèses de Baudrillard : «There is no more truth out there than in the world I created for you. » Pour reprendre l’idée de Disneyland, la réalité et la simulation ne sont pas interchangeables ni même séparées l’une de l’autre, «Au lieu de cela, les deux royaumes, l’intérieur et l’extérieur, ne sont jamais complètement complets en eux-mêmes, dépendant l’un de l’autre pour leur définition et leur signification mêmes. »[16]

The Truman Show (1998)

Au stade de l’hyperréalité on assiste en effet à la «substitution au réel des signes du réel », ne subsiste désormais plus que le « désert du réel ». Cette idée est matérialisée par le carré sombre qui donne sur l’extérieur, par opposition à la blancheur du studio (« le spectacle se présente comme une immense positivité »). En somme, il s’agit du double négatif de l’allégorie de la caverne de Platon où le philosophe voit la lumière de la réalité : « la présence du réel dans le film est précisément comme cette ouverture obscure sur une vie après le « Truman Show » : c’est un événement ambigu qui se manifeste en termes négatifs […] la promesse d’une vie d’expérience authentique « dans le monde réel » est fortement subversive même si elle reste une idée hypothétique enveloppée de ténèbres » (El Moncef).

L’autre moment qui contredit ce happy end intervient dès la fin du show : les deux agents de sécurité prostrés devant leur téléviseur depuis le début du film changent aussitôt de chaîne pour voir « what else is on ». En dépit du dénouement de leur programme favori, les spectateurs restent collés à leur téléviseur, incapables de sortir de la simulation : «Malgré l’excitation et la souffrance par procuration des téléspectateurs face à ses plans d’évasion et à sa passion odysséenne à bord de la Santa Maria, à la fin du film, ils restent incapables de sortir de leur monde d’expérience médiatisée» Il s’agit sans doute là de l’une des leçons du film : « Le spectaculaire n’est pas seulement partie intégrante de notre réalité, il a aussi une manière d’« absorber » celle-ci dans son vide médiatisé. »

En conclusion, il y a tout lieu d’affirmer avec Wise que : «The Truman Show takes Baudrillard seriously. » Si, au premier abord, il existe une différence nette entre The Truman Show et « The Truman Show », à mesure que le film progresse les contours entre film et émission de TV deviennent flous. Les mass media et le marketing font partie intégrante de la simulation, et les individus finissent par se comporter comme des publicités vivantes, oubliant la frontière entre réalité et fiction, semblables au malade qui feint la maladie de Baudrillard. Le film démontre également que ce qu’on appelle « TV réalité » n’a rien à voir avec la réalité, mais que tout est au contraire minutieusement planifié ; les imprévus, qui sont le surgissement de la réalité dans ce ballet soigneusement orchestré, sont récupérés et intégrés au scénario de façon à offrir un continuum visuel au téléspectateur-consommateur.

À première vue la fin du film pourrait être perçue comme un happy end, Truman quittant la simulation pour découvrir la réalité, mais cette dernière a disparu depuis bien longtemps, désormais indiscernable de la simulation. Christof illustre à merveille le concept d’hyperréalité lorsqu’il déclare : « We accept the reality with which we are presented. » Cela peut ainsi faire référence aux exemples de Baudrillard sur Disneyland ou le Watergate, où la société est manipulée pour nous faire croire en sa réalité et nous empêcher de voir la simulation.[17]

Matrix de Lana Wachowski et Lilly Wachowski (1999)

Finalement on pourrait dire que The Truman Show est plus fidèle au concept d’hyperréalité qu’un film comme Matrix, car, comme l’explique Baudrillard : « Les acteurs sont dans la matrice, c’est-à-dire dans le système numérisé des choses ; soit, ils en sont radicalement extérieurs, comme à Zion, la cité des résistants. Mais ce qui serait intéressant, c’est de montrer ce qui se passe quand ces deux mondes se heurtent. » Ainsi, il existe une démarcation claire entre le monde réel (Zion) et la simulation (la matrice), l’idée de réalité est préservée. De même, Matrix dénonce l’omniprésence de la simulation et le danger de la technologie, tout en utilisant abondamment cette dernière pour en faire un spectacle (Néo esquivant les balles, apprenant le kung-fu en téléchargeant un programme informatique, etc.), cette contradiction faisant dire à Baudrillard que « Matrix est sûrement le genre de film sur la matrice que la matrice aurait pu produire ».

« Le spectaculaire n’est pas seulement partie intégrante de notre réalité, il a aussi une manière d’« absorber » celle-ci dans son vide médiatisé. »

Bien sûr, The Truman Show n’est pas non plus exempt de contradictions, la plus évidente étant qu’il est lui-même un simulacre (un film qui simule la réalité), et par conséquent une marchandise destinée à faire du profit qui s’insère parfaitement dans la société de consommation hyperréelle. Cependant existe-t-il un autre média qui soit en mesure de matérialiser le concept d’hyperréalité ? Probablement pas, car « L’hyperréalité concerne principalement le langage visuel », et « repose sur la forme plus que sur le fond» (Bharathi).

C’est là toute l’ambiguïté de ces œuvres : dénoncer l’hyperréalité tout en étant soi-même pur produit de la société hyperréelle. Dès lors, aucune issue ne semble possible comme le regrette amèrement Baudrillard : «C’est exactement ce qui rend notre époque si oppressante. Le système produit une négativité en trompe-l’œil, qui s’intègre aux produits du spectacle comme l’obsolescence est intégrée aux produits industriels. C’est le moyen le plus efficace d’intégrer toutes les alternatives authentiques» (International Journal of Baudrillard Studies).

Julien Champigny

Nos Desserts :

Notes

[1]Wise, J-M. (2002). Mapping the Culture of Control, Television & New Media Vol. 3, No. 1, pp. 29-47.

[2]Dans « De la rigueur de la science », Borgès imagine un Empire qui dresse une carte si détaillée de son territoire que celle-ci finit par recouvrir l’intégralité du territoire. Mais, suite au déclin de l’Empire, ne subsistent que des lambeaux de la carte « encore repérables dans les déserts ».

[3]Knox, S. (2010). Reading the Truman Show Inside Out, Film Criticism Vol. 35, No. 1, pp. 1-23, p. 12.

[4]Ibid., p. 13.

[5]Ibid.

[6]Ibid.

[7]Comme l’explique Baudrillard : « Dissimuler est feindre de ne pas avoir ce qu’on a. Simuler est feindre d’avoir ce qu’on n’a pas. L’un renvoie à une présence, l’autre à une absence. Mais la chose est plus compliquée, car simuler n’est pas feindre : Celui qui feint une maladie peut simplement se mettre au lit et faire croire qu’il est malade. Celui qui simule une maladie en détermine en soi quelques symptômes. »

[8]Knox, S. (2010), op. cit., p. 3

[9]El Moncef, S. (2004). « Life after “Truman”? The Televisual Imaginary and the Symptomatic Eruption of the Real in Peter Weir’s Truman Show ». Revue française d’études américaines, n°102, pp. 117-125.

[10]Edward Ross (trad. de l’anglais par Hélène Duhamel), Filmo Graphique, Bussy-Saint-Georges, Çà et là, 2017, 200 p. (ISBN 978-2-36990-243-0), p. 69.

[11]Cunningham, D-A. (2005). A theme park built for one, Critical Survey, Volume 17, Number I, p. 117.

[12]Ibid., p. 118.

[13]Ibid., p. 123-124.

[14]Ibid., p. 124.

[15]Bharathi T, S., Ajit, I. (2018). « Hyperreality as a Theme and Technique in the Film Truman Show », Global Media Journal 2018, 16:30.

[16]Ibid., p. 15.

[17]Gill, S. (2020). Introducing Jean Baudrillard’s concept of hyperreality. Medium.com

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