Politique

Garance Branca : « On est en train de créer une éducation à deux vitesses : une pour ceux qui peuvent payer, l’autre pour ceux qui ne peuvent pas »

Professeur de lettres classiques et de latin dans un collège de l’Essonne, Garance Branca est déléguée au Syndicat national des enseignements de second degré (Snes). Elle s’oppose à la réforme du collège portée par la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, et adoptée par le Conseil supérieur de l’éducation, le 10 avril 2015. Une réforme largement réprouvée par le corps enseignant, considérée comme un coup de grâce porté à un système éducatif déjà défaillant. De grèves en manifestations, les professeurs du second degré s’époumonent pour faire comprendre à un gouvernement imperturbable que le problème essentiel de l’école reste celui des classes surchargées, vectrices d’inégalités. En vain. La ministre l’a redit il y a quelques jours, « la réforme du collège a été adoptée, elle sera appliquée ». Cette année, donc, comme bon nombre de salariés du service public, les profs ont repris les armes… et le mégaphone. Alors que les syndicats d’enseignants appellent une nouvelle fois à la mobilisation le 10 octobre prochain, réclamant l’abrogation de la réforme et “la réouverture de discussions sur d’autres bases”, certains font la grève de la faim, d’autres s’organisent en collectifs, à l’instar de Jeune et contre, ou s’appuient sur une erreur juridique pour porter la réforme devant le Conseil d’État, comme l’association Arrête ton char. Garance, elle, s’emploie à informer les parents d’élèves sur les conséquences concrètes de cette réforme à coups de lettres, de vidéos pédagogiques et de happenings. Aux journées portes ouvertes de son établissement, elle installe des bambous et se grime en panda. Détournant l’emblème bien connu du WWF, elle alerte les parents et les futurs élèves : en tant que professeur de latin, elle est une espèce en voie de disparition.

Le Comptoir : Si cette réforme est appliquée en 2016, comment va-t-elle changer votre manière d’enseigner ?

Garance Branca : Déjà, il n’y aura plus de latin. Ensuite, la prise en charge des élèves ne fera qu’empirer : il y a trois ans, le seuil pour ouvrir une nouvelle classe était de vingt-huit élèves, là on en est à trente et un. Rien n’étant proposé pour réduire ce nombre, dans trois ans, il faudra sans doute trente-cinq élèves pour créer une classe de 6e. Personne ne semble se rendre compte qu’avant de réformer quoi que ce soit, il faudrait réduire les effectifs par classe. Pour ce faire, il faut donner des heures, ce qui coûte de l’argent. Tant qu’on n’aura pas compris que le service public n’est pas fait pour être rentable, on continuera à passer à côté des problèmes fondamentaux.

Ma façon d’enseigner en classe, en soi, ne va pas changer, puisque je vais refuser les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) et l’enseignement de complément. Est-ce que je vais vouloir continuer à œuvrer pour ce système-là ? Je ne sais pas. C’est déjà de la débrouille de travailler pour l’Éducation nationale, ça va vraiment devenir du bricolage. On n’a pas le matériel et, très souvent, pas les locaux adaptés. Passer le seuil des trente élèves cette année a été un électrochoc, je me suis dit : “Est-ce que j’ai encore envie de cautionner ce qu’il se passe ?” Le problème, c’est que, quand on est prof, on ne peut pas aller travailler ailleurs. On a la sécurité de l’emploi, mais on ne peut pas choisir son patron.

Si les conditions d’enseignement continuent de se dégrader, seriez-vous prête à quitter le public au profit du privé ?

Enseigner dans le privé me gêne beaucoup, car je n’approuve pas de payer pour avoir une instruction de qualité. Il est assez clair, en revanche, que les élèves qui voudront et pourront faire plus, prendront cette direction. J’ai toujours la possibilité de n’enseigner que le français. Ça ne me déplaît pas en soi, mais j’aimais tellement le rapporter au latin… Faire une croix dessus, je ne sais pas si c’est surmontable pour moi.

En mars dernier, j’étais la seule prof du collège à avoir parlé de l’attentat du Bardo aux élèves, parce que j’étais la seule capable de leur expliquer pourquoi un musée d’Antiquité romaine était ciblé, pourquoi il y avait un tel musée à Tunis, etc. J’ai pu prendre le temps de faire quelque chose qui n’était pas dans le programme, mais qui me paraissait important. Une élève est venue me voir à la fin de ce cours pour me dire que c’était super intéressant, alors qu’elle avait fait la gueule toute l’année. Rien que pour ça, je pense que ça valait le coup.

D’après les chiffres du gouvernement, un peu plus de 19 % des collégiens français apprennent le latin. Est-ce que vous avez l’impression que les élèves se désintéressent de cette matière ?

En 6e, j’ai toujours trente-cinq demandes pour vingt-huit places. J’aimerais presque qu’il y ait un désintérêt… ça m’éviterait de devoir faire une sélection !

Donc, non seulement il y a encore des élèves qui veulent apprendre le latin mais, en plus, certains s’en voient refuser l’accès par manque de places…

Exactement. L’octroi d’heures pour ouvrir une deuxième classe m’est systématiquement refusé, on m’empêche d’avoir deux classes par niveau.

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Publication annuelle de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, “Repères et références statistiques”

Dès 2016, la réforme prévoit de remplacer le latin par un module d’EPI intitulé “langues et cultures de l’Antiquité”. Qu’est-ce que c’est ?

Les EPI[i] ont vocation à être “pratiques”, il faut donc qu’ils s’organisent autour d’une “réalisation pratique”. Par exemple, les profs de SVT ou de géographie sont en charge du module “transition écologique et développement durable”. Sauf que ces notions étaient déjà dans leurs programmes ! Seule différence : ils ne les enseignaient pas en faisant fabriquer des éoliennes en allumettes à leurs élèves… Pour l’EPI “langues et cultures de l’Antiquité”, la ministre a dit « c’est pas pareil », donc on ne sait pas ce qu’on fera, il n’y a pas encore de programme… mais ce sera de la “civilisation”. Peut-être qu’on fabriquera des toges !

Pourtant, d’après la ministre,« la réforme n’enterre pas le latin » mais vise, au contraire, à le “démocratiser” puisque les élèves qui le souhaitent pourront suivre un “enseignement de complément” en latin, en plus de l’EPI qui est obligatoire. Cela ne permettra-t-il pas d’atteindre le nombre d’heures qu’un élève peut suivre en latin actuellement ?

Najat_Vallaud-Belkacem_par_Claude_Truong-Ngoc_juin_2013Cela représentera cinq mois de cours sur trois ans, à raison de trois heures par semaine, maximum ! Najat Vallaud-Belkacem affirme que les heures de latin ne seront pas diminuées mais cet enseignement de complément est censé être pris sur les heures de marge, au nombre de trois par classe selon la réforme. Alors, effectivement, au total, il y a un ajout, mais uniquement si on oublie qu’avant, il y avait le latin sur ces trois heures-là. Ces heures supplémentaires, concrètement, on ne les aura pas en latin : des matières comme la physique, la techno ou les SVT les prendront d’office, puisqu’elles sont obligées d’avoir les classes par demi-groupes, faute de place dans les salles. Ces trois heures doivent également servir au grec et aux langues étrangères ou régionales, si jamais il y en a. Elles ne suffisent absolument pas à pallier tout ce qui a été supprimé. S’il faut prendre des heures sur les enseignements disciplinaires pour placer celui de complément, je ne le ferai pas. Je ne priverai pas toute ma classe d’une heure de français pour que les quelques oiseaux qui ont choisi latin puissent le faire, parce qu’effectivement, là, ce ne serait pas juste.

Le latin, avant, c’était 288 heures sur tout le collège ; deux heures en 5e, trois en 4e et trois en 3e. Maintenant, si je fais le calcul, en comptant l’EPI avec le maximum d’heures possibles, plus l’enseignement de complément (une heure en 5e, deux en 4e, deux en 3e), ça fait 252. Ce n’est pas la même chose ; c’est comme si on avait supprimé toute une année à une heure par semaine !

En disant qu’elle n’enterre pas le latin, la ministre ment aux journalistes et aux parents d’élèves car, sur le papier, il est écrit exactement le contraire. Et ça ne pose de problème à personne. Il n’y a pas un journaliste qui va lui balancer : “écoutez, vous dites que les horaires de latin ne seront pas diminués, mais on a fait le calcul, et on voit que c’est faux”.

Qu’arrive-t-on à enseigner en un cours de latin de cinq mois, concrètement ?

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Le latin jusque dans la peau… – Photo : Lily La Fronde

Eh bien, rien, en fait. Je peux leur faire la première séquence, où on voit les mots latins qu’on utilise souvent dans la langue française, les marques publicitaires qui utilisent le latin, vaguement ce que fait un écolier pendant l’Antiquité, des choses comme ça, mais ça n’ira pas loin. Concernant la langue, ils n’auront rien appris. Ce sera comme une petite initiation, rien de plus.

Et si on met le nez dans la circulaire d’application de la rentrée, il y a des choses totalement incompréhensibles. Dans le cadre des EPI, il faut que les élèves fassent « au moins six des huit thématiques interdisciplinaires sur trois ans », et la ministre dit qu’on peut faire un EPI de trois heures sur un semestre, ou bien deux d’une heure sur un trimestre. Or, il est écrit noir sur blanc sur la circulaire qu’on pourra suivre la thématique “langues et cultures de l’Antiquité” sur les trois années. Mais comment fait-on pour suivre un EPI sur les trois années, si les élèves doivent en faire au moins six, sur huit au total ? Ça n’a aucun sens. Et puis, surtout, chaque établissement va s’organiser différemment, ce qui veut dire qu’en fonction de l’établissement que l’élève choisira, il n’y aura pas la même formation. C’est ce que le gouvernement appelle l’“autonomie des enseignants”, mais c’est surtout le chef d’établissement qui va devoir faire avec ce qu’il a.

La réforme prévoit aussi la disparition des classes bi-langues, au profit d’une LV2 allemand dès la 5e. Y a-t-il des classes bi-langues dans votre collège ?

Non, parce qu’on est l’un des derniers collèges de France à avoir encore une LV1 allemand. En général, ces classes bi-langues sont mises en place quand il n’y a plus assez d’élèves pour faire une vraie LV1. La LV1 va donc elle aussi disparaître du cursus, car l’anglais deviendra le seul choix possible, sauf peut-être dans les cas où, à l’école primaire, les élèves auront fait de l’allemand, ce qui n’arrive jamais, à part peut-être en Alsace… Pour continuer de laisser le choix aux élèves de faire de l’allemand LV1, soit les établissements publics vont faire du forcing, soit les établissements privés prendront la main. Les élèves qui voudront avoir le choix iront dans le privé, c’est évident.

« Il n’y aura plus d’élitisme au mérite, mais de l’élitisme à l’argent. »

Un beau moyen de créer une autre forme d’élitisme…

Oui, mais là, ce sera de l’élitisme économique ! Ceux qui voudront faire des options, qui, à la base, étaient certes élitistes, mais au mérite – ce qui n’est pas du tout la même chose – pourront toujours les faire, mais en payant. Jusqu’ici, quelle que soit la famille dont on venait, on pouvait suivre ces enseignements optionnels au collège quand on travaillait, mais là, ce ne sera plus le cas. Il faudra payer pour faire du latin. Pourtant, on sait très bien qu’il y a des épreuves de langue ancienne aux concours des grandes écoles. Évidemment. Parce que ceux qui les dirigent ne sont pas idiots, ils ont bien compris que c’était une méthode de sélection très efficace. Les élèves qui voudront apprendre une autre langue que l’anglais et l’espagnol en LV2, c’est pareil : ils iront dans le privé. Les profs d’allemand se retrouveront sur trois établissements à la fois pour pouvoir compléter leur service. Je n’en connais pas beaucoup qui tiendront. D’ici peu, il n’y aura donc plus d’allemand LV2. La ministre embauche des profs d’allemand, alors que les horaires ont baissé. Pourquoi ? Personne ne le comprend.

Ces classes bi-langues n’étaient pas si élitistes que ça, finalement ?

Non, car les élèves étaient volontaires. La seule raison pour laquelle il y a des sélections à l’entrée des classes de latin, bi-langues ou européennes, c’est qu’on ne nous donne pas les moyens d’ouvrir plusieurs groupes par niveau. Tout simplement ! À l’époque où j’avais les heures pour faire deux groupes par niveau, il n’y avait jamais de sélection en latin, donc pas d’“élitisme”.

On nous a obligés à faire des sélections en nous privant des moyens. C’est exactement comme avec les horaires de La Poste dans les petites communes rurales ; on fait baisser l’efficacité des services publics pour en justifier la fermeture ! On n’ouvre le bureau de poste que de 8 h 30 à 9 h pour pouvoir dire ensuite : « Plus personne ne le fréquente, alors on peut le fermer. » Dans le cas de l’école, c’est la même chose. Ce que le gouvernement veut faire, c’est transformer le clivage gauche-droite en opposition élite-peuple. On est en train de créer une éducation à deux vitesses : une pour ceux qui peuvent payer, l’autre pour ceux qui ne peuvent pas. Il y a ceux qui dirigent et qui savent parce qu’ils ont les bonnes relations, qu’ils sont nés au bon endroit, qu’ils ont les moyens. Et puis il y a les autres, qui ferment leur gueule, qui ne comprennent rien et qui applaudissent. Pour moi, clairement, c’est vers ça qu’on se dirige. Il n’y aura plus d’élitisme au mérite, mais de l’élitisme à l’argent.

« L’élite, elle est dans la classe dirigeante, pas dans les classes de latin.« 

Et comme ça, nos chers dirigeants politiques seront tranquilles dans leur petite sphère. Il n’y aura plus personne pour les remettre en question, ou en tout cas, “la masse” ne remettra pas en question ce qu’ils disent, et ce sera beaucoup plus pratique pour eux. L’élite, elle est dans la classe dirigeante, pas dans les classes de latin.

Pensez-vous qu’au lieu de supprimer ces classes bi-langues, il aurait mieux valu faire l’inverse, en ouvrir plus, quitte à supprimer la LV2 ?

Oui, clairement. La ministre pense qu’elle a inventé l’eau chaude en mettant la LV2 en 5e, alors qu’évidemment, les élèves qui sortent des classes bi-langues sont bien plus compétents en langues que ceux qui vont avoir fait moins de LV2, même si elle commence plus tôt. Il faut savoir que, pour pouvoir la démarrer en 5e, la ministre ne fait que baisser les heures de LV2 par niveau, sans rajouter aucune heure. Toutes ces heures “ajoutées” dans la réforme ont été prises au latin, aux classes bi-langues et aux classes européennes. Quand la ministre dit qu’elle crée des postes, c’est la même chose. Elle n’a créé aucun poste : elle a récupéré ceux qu’elle a supprimés par ailleurs.

Parlons de l’AP (accompagnement personnalisé). C’est très beau sur le papier, mais une heure d’AP par semaine, dans des classes surchargées, c’est réaliste ?

Non. Ça n’existera même pas. Si certains en ont plus besoin que les autres, il n’y aucun élève pour lequel il est inutile de réexpliquer quelque chose de temps en temps. Et si le reste du temps, en classe entière, les gamins ne peuvent pas poser de question, parce qu’ils sont tellement nombreux qu’on n’a pas le temps de répondre, ça ne sert à rien. Ce n’est pas en une heure d’AP qu’on va rattraper ce que l’élève n’a pas compris pendant quatre heures de cours dans la semaine, hélas.

Comment vous le voyez, alors, cet AP ?

Je refuserai de le faire. Sachant qu’il faut prendre sur nos horaires d’enseignement disciplinaire pour pouvoir le mettre en place, si j’accepte, je devrais faire une heure de français en moins avec ma classe. Et ça, c’est hors de question.

Selon vous, un collégien en 2015 a-t-il des raisons de ne pas aimer l’école ?

Il a plus que des raisons. Qu’il n’aime pas l’école, c’est logique. On n’a pas les moyens de faire les choses correctement et ça fait des années qu’on a consenti à ce qu’on n’aurait jamais dû accepter. On pleure pour avoir des demi-postes de surveillants, on doit passer des DVD avec des bouts de ficelle, on n’a plus de subventions pour renouveler les manuels scolaires depuis deux ans…

« C’est pas de l’enseignement, c’est de l’élevage intensif !« 

Dans mon établissement, les locaux ne sont toujours pas accessibles aux élèves handicapés. La loi est passée, mais si un élève handicapé moteur se présentait, on ne pourrait pas l’inscrire, faute de locaux opérationnels. Et même si on le pouvait, accepter des classes de trente avec des élèves handicapés… Il faut penser aux relations avec les autres élèves, ça n’est pas toujours facile. Sans même parler du handicap, il y a des élèves qui ne se sentent pas bien en classe. On le voit dès leur première après-midi, quand ils se rendent compte qu’ils sont noyés dans une espèce de masse, que le prof ne va pas pouvoir faire attention à eux. Ceux qui restent sur le côté, on ne peut rien faire pour eux, on n’a pas le temps de s’en occuper. Voilà. C’est pas de l’enseignement, c’est de l’élevage intensif !

Vous n’enseignez pourtant pas dans une zone défavorisée… Quels effets aura la réforme dans une zone d’éducation prioritaire (Zep) ?

Je pense que ça accentuera encore plus les inégalités entre les établissements. Dès que les élèves qui veulent avoir un enseignement de qualité auront la possibilité d’aller ailleurs, ils s’en iront, et forcément, dans l’établissement d’origine, la situation s’aggravera. Une fois qu’on a mis les doigts dans l’engrenage, le reste suit.

« Les cadeaux qu’on fait aux entreprises sont payés par le désengagement de l’État dans le service public. »

Vous sembliez dire précédemment, que le problème était lié au service public dans sa globalité…

Vous savez, j’ai pleuré devant le discours de Tulle quand Hollande a dit qu’il ferait passer la justice et la jeunesse en premier, j’y ai vraiment cru. Eh bien, maintenant, on se sent con, hein ! Le problème n’est pas confiné à l’Éducation nationale ; il faut regarder les choses globalement, il faut regarder l’hôpital et les entreprises, et je crois que la réponse est là. Les cadeaux qu’on fait aux entreprises sont payés par le désengagement de l’État dans le service public. En Creuse, ça fait des années qu’on le voit arriver, et ça se généralise. C’est la volonté de faire plaisir à ses potes, en abandonnant le reste du monde, parce qu’une fois qu’on est dans ces sphères-là, on a surtout envie d’y rester, et de continuer de profiter gentiment sur le dos des autres. On enlève les fonds des hôpitaux et de l’école, alors que c’est le minimum, c’est ce que l’État doit aux gens qui payent pour lui.

« La jeunesse qu’on bousille maintenant, c’est celle qui va nous marcher dessus dans cinq ans.« 

Je voudrais qu’on applique à François Hollande ce qu’on applique dans les entreprises. Jusqu’à preuve du contraire, c’est nous qui le payons. On l’a payé pour un service que, visiblement, il ne nous rend pas, alors qu’on le vire. C’est comme ça que ça se passe quand quelqu’un n’est pas compétent à son poste. Ce n’est pas en tant que prof que je le dis, c’est en tant que femme de 27 ans qui sait que, dans cinq ans, trois pour les plus âgés, certains de ses élèves voteront et qu’il s’agit de notre avenir, de la France de demain. La jeunesse qu’on bousille maintenant, c’est celle qui va nous marcher dessus dans cinq ans.

Le retrait de cette réforme, vous l’attendez vraiment, vous y croyez encore ?

Si je l’attends, oui. Si j’y crois, moyen. Ce n’est pas normal d’être obligé de se battre pour pouvoir faire ce pourquoi on est payé, qui plus est pour le minimum. J’espère vraiment que cette réforme sera retirée, parce que cette fois, c’est la fois de trop. C’est le point de non-retour ; si celle-là passe, revenir en arrière sera extrêmement compliqué. Structurellement déjà, parce qu’on aura perdu des postes dans tout et partout, à cause de la diminution des heures. Le gouvernement le sait. Je pense même que c’est pour ça qu’il est autant accroché à cette réforme. Les dirigeants savent bien que si on ne fait pas tout péter maintenant, après ce ne sera que du rattrapage, et encore.

Comment les enseignants anti-réforme peuvent-ils encore faire barrage, à ce stade ?

Honnêtement, je pense que les enseignants ne peuvent rien. Quand un enseignant fait grève, tout le monde s’en fout, ça n’embête personne. Pire, ça fait économiser des millions au ministère. Si on additionne le nombre de grévistes, sachant qu’il y a un trentième du salaire de chacun qui n’est pas versé ce jour-là, rien qu’avec les dernières heures de grève de juin, on aurait sans doute pu payer les heures qu’on demandait en plus ! C’est ça qui est magique ! Une grève de profs, ça ne sert à rien.

C’est pour ça que j’étais plutôt du côté du Snalc (Syndicat national des lycées et collèges), qui voulait boycotter le brevet, parce que l’organisation d’un diplôme national, ça coûte la peau des fesses, et mettre des bâtons dans les roues du ministère à ce moment-là l’énerve particulièrement. C’est le moment où il peut se faire mousser en disant : « Regardez, on a 90 % de réussite, tout s’est bien passé. » La rentrée est également un moment charnière. Là, la pré-rentrée s’est « très bien passée », parce qu’il y avait des profs devant les élèves. Des profs qui n’ont pas le concours, des profs qui n’ont pas de diplômes, des profs qui n’ont jamais eu d’élèves, mais des profs quand même, donc on est content. On peut faire grève toute l’année, ça ne changera rien. L’avant-dernière fois qu’on a fait grève, la ministre a publié le décret le lendemain à 8 h. Si ça, ça ne s’appelle pas du “mépris”, alors qu’est-ce que c’est ?

Pour embêter le ministère de l’Éducation nationale, il faut que les cours n’aient pas lieu, sans qu’il puisse gagner de l’argent sur le dos des profs grévistes. Pour ça, il faut que ce soit les parents d’élèves qui bloquent les établissements. Les profs seront payés sans assurer de cours, et là, ça posera un problème au ministère, qui commencera peut-être à nous écouter.

Comment les parents d’élèves prennent-ils vos actions localement ? Est-ce qu’ils sont prêts pour ce “combat” de longue haleine ?

Au collège, les parents sont plutôt de notre côté ; ils participent aux discussions, ils signent les motions au conseil d’administration avec nous. Si on déclenchait une grève de longue durée, je ne sais pas s’ils se mobiliseraient, parce que le problème, c’est que, comme on dit, “le diable se cache dans les détails”. Le texte de la réforme, pour le commun des mortels, a l’air bien. Les trucs “pluridisciplinaires”, “l’accompagnement personnalisé”, si on ne lit que le titre, c’est génial, sauf qu’il faut regarder ce qu’il y a derrière et faire quelques calculs…

Je pense que les parents en ont marre aussi. On se bat, non pas pour améliorer le système, mais juste pour éviter que ce soit pire. Franchement, ça ne donne pas envie, quoi ! Les parents savent qu’ils ne gagneront pas de meilleures conditions d’enseignement pour leurs enfants. Et puis, je pense que ça arrange tout le monde, aussi, d’être dans le déni et de se dire : « Ils se débrouilleront quand même. » Puisque, effectivement, comme on a une conscience professionnelle, on fera tout ce qu’on pourra. Il n’empêche que ce sera une catastrophe.

Nos Desserts :

Notes :

[i] Aux noms tous plus “gadgets à la mode” les uns que les autres : “corps, santé, bien-être et sécurité”, “culture et création artistique”, “information, communication, citoyenneté”, “langues et cultures étrangères” ou, le cas échéant, “régionales”, “monde économique et professionnel”, “sciences, technologie et société”

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9 réponses »

  1. Discours populiste,misérabiliste Qui présente une école actuelle et en devenir bâtie sur la théorie du complot selon laquelle l’abrutissement et l’inculture des élèves seraient programmés.
    Discours d’extrême droite ou du front de gauche?Le lexique à tant de similitudes..
    Vous décidez de ne pas assurer les cours qui ne vous conviennent pas?
    Et ce gouvernement(incapable et payé
    par nos impôts etc etc etc )ne vous sanctionnera pas?
    Une professeure de lettres classiques est sans doute capable de convaincre par un discours plus nuancé.

  2. « Il faudrait que les parents d’élèves bloquent les bahuts », non Madame, il faudrait que les professeurs se réapproprient leur outil de travail (l’école) dont ils sont dépossédés au fil des ans sans broncher. Un jour de grève par ci, un autre par là, c’est effectivement risible, et plus encore vu depuis les fenêtres du ministère. il faut une action syndicale cohérente. Vous allez bientôt être « formés » pour appliquer vous-mêmes la réforme qui supprimera des postes et créera parmi vous des petits chefaillons. Pourquoi ne pas vous mobiliser pour investir massivement cette « formation » managériale avec calicots, brassards, revendications et contre-propositions?

    L’EN est le dernier service public à n’avoir pas été mis en concurrence. Dans votre majorité, vous avez la sécurité de l’emploi. Cela vous donne une responsabilité politique considérable.

    • Bonjour Salve,

      Vous dites « il faudrait que les professeurs se réapproprient leur outil de travail (l’école) dont ils sont dépossédés au fil des ans sans broncher. »
      En tant que parent d’élève, je ne suis pas d’accord; le corps des enseignants n’est pas propriétaire ni meme dépositaire de l’école, ni de l’éducation nationale. De la même façon que les fonctionnaires des impots n’ont pas de role particuliers dans la définition de la politique fiscale. Vous (le corps enseignant) etes des acteurs de l’éducation , essentiels certes, mal considérés par votre employeur certes, vous avez l’expertise sur les facons d’enseigner mais vous n’avez pas la légitimité pour décider des moyens ni des objectifs de l’enseignement.

      je m’excuse par avance d’etre un peu trop direct, je voulais juste proposer le point de vue d’un usagé de l’instituion. L’attitude des enseignants a un role au moins aussi important que le contenu des programmes pour la promotion de l’école privé.

      • Bonjour Albert,

        Le savez-vous? Le Conseil supérieur de l’éducation se prononce sur toutes les réformes de l’Education nationale, sur les programmes, sur le fonctionnement de l’école…Il est constitué (entre autres) de représentants de professeurs ET de de représentants de parents d’élèves. Envisager les uns comme des usagers et les autres comme des simples exécutants constitue donc une régression par rapport à l’état de nos institutions actuelles, qui ne les opposent pas mais au contraire les rassemblent pour les faire travailler ensemble. Elle n’est sans doute pas si mal faite que ça, cette école française…

        Au lieu de s’inquiéter pour une sorte de (très, très hypothétique!) « coup d’état corporatiste », certains parents d’élèves inquiets feraient bien de s’intéresser de plus près aux travaux de l’OCDE sur l’éducation, à la stratégie de Lisbonne par exemple, pour mieux comprendre ce qui attend réellement l’école de la république.

        Bien à vous!

  3. L’école publique française est sur le point d’être mise en concurrence avec le privé et avec elle-même, et voilà l’heureux directeur d’une école privée à 400 euros par mois qui vient se goberger sans vergogne après qu’une prof de lettres classiques de l’EN a expliqué son désarroi ici-même.

    Au passage, il en profite pour faire la propagande de la Fondation pour l’école, un lobby qui s’agite pour la privatisation de l’école (et donc enfonce l’école publique à la moindre occasion), en cheville avec l’IFRAP, c’est-à-dire de ce qui se fait de plus violemment libertarien ces temps-ci.

    Mais ce brave M.Feye n’apprend rien à personne, car les profs de l’école publique savent déjà bien que la réforme de Vallaud-Belkacem fait le jeu de l’école privée. Mais nom de Dieu, quand vont-ils se réveiller et entamer avec elle un véritable bras de fer?

  4. Je suis enchanté de me voir traiter de « brave ». « Horum omnium fortissimi sunt Belgae », disait quelqu’un qui parlait la future langue de l’Europe… Oui, votre ministre nous fait de la pub. Personnellement, j’aurais aimé que l’Etat fût encore capable de former des érudits. C’est donc à contre-coeur que j’ai été remballé vers le privé, après plusieurs essais de contacts, infructueux, avec l’Etat. Le directeur de la Commission d’homologation, jadis, n’a même pas répondu à mes lettres recommandées, dans lesquelles je proposais une collaboration. Je n’ai jamais pensé, du reste, que Coca-Cola ou Nestlé allaient améliorer la Culture…
    Mais voilà, quand une grand-mère se meurt, si on l’aime vraiment, il faut avoir le courage de l’avouer et de tout faire pour la soigner. Si la seule manière de sauver l’Enseignement est de tout recommencer à zéro en reconnaissant la faiblesse et la mort de celui de l’Etat, il faut retrousser ses manches. C’est ce que j’ai fait à Schola Nova, en perdant beaucoup d’argent, mais j’en suis heureux: je vis, et des centaines de petits aussi. Cela n’a rien à voir avec la politique.

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