L’un est donné favori par les sondages (Macron). L’autre risque l’échec cuisant (Hamon). Deux anciens ministres de François Hollande, deux produits du rocardisme, deux européistes convaincus, deux technophiles bienheureux, deux chantres d’une globalisation sympathique, deux “ubérisateurs” en puissance… Pourtant, les commentateurs et les militants (parfois peu scrupuleux) n’ont eu de cesse d’insister sur la sacro-sainte alliance “de gauche” entre le candidat de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, et le candidat des lambeaux du Parti socialiste, Benoît Hamon. Ces deux-là n’étaient pas loin de croire à leur proximité puisqu’ils ont pensé devoir établir un cocasse “pacte de non-agression” qui, comme souvent avec les choses peu consistantes, aura fait long feu.
François Hollande connaît un drôle de sort. On le croyait mort politiquement. Affaibli par un triste quinquennat qui l’empêche de se représenter, c’est-à-dire de rendre des comptes. Non, dans son incommensurable générosité, le “hollandisme” s’est réincarné en deux visages (pour le prix d’un) : celui du culot (dont l’euphémisme sera l’audace) avec Emmanuel Macron et celui de l’inconséquence (dont l’euphémisme sera l’imagination) avec Benoît Hamon.
Le culot a pris la forme sympathique du quasi-sosie de Boris Vian. Toute personne sensée confrontée à un discours de cet homme unanimement décrit comme brillant est saisie par le vide. Comme tétanisée par l’emphase qui se croit lyrisme (ce que montre bien la vidéo ci-dessus). Comment ne pas parler de culot quand un candidat à l’élection présidentielle est capable de paraphraser le général de Gaulle (“Je vous ai compris”) sans se sentir gagné par la honte ? Mais au-delà de l’emphase déguisée en lyrisme, du creux déguisé en profond, de l’absence d’alternance déguisée en “vraie alternance”, Emmanuel Macron est une invention déconcertante. C’est le système qui quitte son habitat naturel (celui des partis) pour se faire appeler ailleurs –dans une gigantesque opération de recyclage d’hommes et d’idées– “antisystème”.
Dire simplement qu’il n’a pas de projet n’est pas suffisant. Libéral intégral (et donc, de ce point de vue, conséquent), un peu comme le Canadien Justin Trudeau (dont les discours sonnent aussi creux mais dans deux langues), il souhaite libérer les individus et faire de la France une start-up efficace. Il rêve d’un monde plus fluide, où la liberté de l’employeur (un code du travail plus flexible) s’accompagne de celle de l’employé (la possibilité de bénéficier d’une allocation même en démissionnant, mais à condition de le faire peu et d’accepter vite un nouvel emploi). Une liberté certaine en haut (celle de l’employeur qui a moins de contraintes) et contingente et limitée en bas (celle de l’employé).
Le modèle caché d’Emmanuel Macron est en réalité Tony Blair. Londres semble être une véritable source d’inspiration pour cette campagne : du Brexit revigorant pour certains candidats au there is no alternative thatchérien défendu par François Fillon (dans sa version euro-compatible, bien sûr). Macron a choisi la “troisième voie” très européenne de Blair. Ce dernier, honni aujourd’hui pour l’abominable guerre irakienne, aura au moins inspiré à l’ancien banquier français l’un de ses slogans : “Il n’y a pas de politique économique de droite ou de gauche, il y a des politiques économiques qui marchent et d’autres qui ne marchent pas.” Ersatz de there is no alternative.
Benoît Hamon a, lui, le mérite de ne pas se croire détenteur d’un discours de “vérité”. Le Tony Blair du candidat socialiste s’appelle Bill Gates : il s’en est inspiré pour sa “taxe sur les robots”. Il ne pense pas que son programme est le seul possible, le seul qui “marche” (et il a bien raison), mais il partage avec Macron le même attachement au statu quo européen. Pour être honnête, le propos de Benoît Hamon est pire car insincère sur cette question, puisque c’est un statu quo qui refuse de dire son nom : il a fait sienne la formule mitterrandienne selon laquelle “on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment”.
La question européenne est évidemment celle qui le distingue le plus de Jean-Luc Mélenchon. Pour Hamon, celui-ci a tort de brandir la menace du “Plan B”, c’est-à-dire la sortie des traités en cas de renégociation impossible. Ce point innocent en apparence est en réalité révélateur d’un état d’esprit tout à fait préoccupant : Benoît Hamon considère que la renégociation des traités européens est purement cosmétique. Il semble dire aux électeurs : “Si on n’y arrive pas, tant pis ! Pas la peine d’insister ou de menacer de sortir.” C’est d’autant plus inquiétant que son programme économique est illégal dans le cadre européen (notamment pour ce qui est des déficits). Mais cela ne semble pas le contrarier : “On verra bien”, tel doit être son slogan caché.
Cette tendance à faire des propositions qui sortent d’un cadre sans proposer en même temps de le remettre en cause (la définition même d’une inconséquence chronique) est une constante chez cet ancien frondeur qui semble avoir conservé une âme d’adolescent nonchalant. Quand il propose une “Europe de la défense” (ce serpent de mer doublé d’une licorne) pour se débarrasser de l’emprise d’un Donald Trump dont il se méfie, il ne remet pas en cause l’appartenance à l’OTAN (le vecteur de ladite emprise américaine). Non, inutile d’avoir de la suite dans les idées. Seules comptent de vagues bonnes intentions.
De bonnes intentions, pas si sûr. Car derrière le sympathique bonhomme qui parle de robots et de perturbateurs endocriniens semble se cacher un véritable belliciste. Un belliciste qui rêve d’une Europe armée pour faire face à des dangers supposés : ceux de la Russie de Vladimir Poutine et de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. L’idée d’une diplomatie française indépendante lui semble bien plus aventureuse que ses désirs de défense européenne. En cela, il partage avec Emmanuel Macron la même méfiance à l’égard de l’échelle nationale. Méfiance qui le pousse à opposer, sans vaciller, socialisme et patriotisme (ce que révèle l’affiche ci-dessous).
En définitive, cette campagne illustre une dérive (parmi d’autres) du Parti socialiste. Benoît Hamon et les siens n’ont pas l’intention de diriger le pays, mais de “débattre”. Depuis quelques années, la gauche au gouvernement a décidé de se spécialiser dans les “débats” interminables : Manuel Valls en a fait une triste spécialité, de la chasse au voile à la chasse aux intellectuels (entre autres, Emmanuel Todd). François Hollande lui-même semble préférer le rôle d’éditorialiste à celui de président de la République, tant il se complaît dans le commentaire de la vie politique dans laquelle il peine à jouer un rôle. Quand Hamon avance son projet de revenu universel (si souvent torturé), ses sympathisants sont ravis de le voir “faire avancer le débat”. Le Parti socialiste imagine peut-être le pouvoir exécutif comme une vague instance de débats permanents, une interminable université d’été.
Nos Desserts :
- Au Comptoir, nous avons consacré quelques articles à la candidature d’Emmanuel Macron
- Nous avons aussi évoqué celle de Benoît Hamon
- Et celle de François Fillon
- Nous avons déjà traité la question du revenu universel
- Serge Halimi revient sur le “piège du vote utile”
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