Culture

Cédric Monget : « Lovecraft s’est rêvé mahométan »

Né en 1973, Cédric Monget est docteur en histoire moderne et auteur des deux essais sur Lovecraft. Ces lectures d’essais et de correspondances du romancier américain l’ont amené à s’intéresser à la relation qu’entretient le gentleman de Providence avec le monde arabo-musulman. « Lovecraft, l’Arabe, l’horreur : Orient et islam chez le gentleman de Providence » est publié cette année chez La Clef d’Argent.

Votre dernier essai sur Lovecraft remet en cause l’idée d’un quelconque mépris de l’écrivain américain à l’encontre de l’islam et des Arabes. L’absence d’hégémonie politique américaine sur le monde arabo-musulman est-elle décisive sur sa représentation de l’islam et des Arabes ?

Aujourd’hui, il est difficile de ne pas voir l’hostilité foncière d’une culture de masse largement américaine ou américanisée envers le monde arabo-musulman. Il est évident que cela est lié à la situation géopolitique du moment. C’est parfaitement explicite, par exemple, quand ce musulman arabe est un terroriste, un fanatique religieux ou, plus rarement, un nationaliste. Certes, il y a encore des méchants blonds — russes ou allemands — et bien sûr les fameux « albinos villains », mais là encore l’arrière-plan géopolitique existe, du moins pour les premiers.

Ainsi donc, l’antagonisme entre la puissance américaine et une partie du monde arabo-musulman entraîne une représentation négative de celui-ci dans la culture de masse. À ce titre, on peut, en effet, de bonne fois supposer qu’en l’absence de cet antagonisme il est plus aisé de le représenter positivement. Est-ce là une explication suffisante au regard plutôt positif voire bienveillant que porte Lovecraft sur l’islam et le peuple arabe ?

Pour répondre à cette question il me semble nécessaire de faire un détour par les relations conflictuelles qui existent entre les États-Unis et ses voisins hispaniques, Mexique et Espagne, à l’époque de la jeunesse de Lovecraft. Sans trop nous égarer dans le détail historique, il faut rappeler qu’à l’issue de la guerre américano-mexicaine en 1848, les États-Unis ont conquis d’immenses territoires dont la Californie, que durant la révolution mexicaine (1910-1920) les États-Unis sont de nouveau intervenus au Mexique ou encore qu’en 1898, les États-Unis ont été en guerre avec l’Espagne. À chaque fois, cela a été l’occasion de campagnes de presse extrêmement violentes et souvent parfaitement mensongères. Ainsi, en 1898 la presse américaine n’hésite pas à fabriquer de toutes pièces des récits de massacres imaginaires commis à Cuba par les Espagnols ; pire, cette presse invente même un attentat pour justifier l’entrée en guerre du pays — « remember the Maine ». Mais si l’Espagnol ou le Mexicain sont un objet d’horreur et de mépris pour ces journaux et leurs lecteurs, leur cadre de vie, lui, fascine et séduit. Cela explique le « Spanish revival » architectural en Californie des années 20 contemporain du succès du Zorro de Douglas Fairbanks (The Mark of Zorro, 1920).

On voit bien ici que si les impératifs géopolitiques entraînent une propagande extrêmement violente dans le champs de la culture de masse que domine la « presse jaune », cela n’empêche pas, au même moment, une vision positive et romantique d’apparaître dans la culture populaire à laquelle appartient encore le monde des pulps (où naît Zorro sous la plume de Johnston McCulley et où écrit Lovecraft) et dans le cinéma qui s’en inspire encore largement.

« L’arabo-musulman de Lovecraft n’est pas seulement celui, imaginaire et littéraire, des Milles et Une nuits, il est aussi le Palestinien bien réel que la politique anglaise et l’immigration juive dépossèdent de sa terre. »

Toutefois, cette dissociation entre la logique politique de la propagande et celle esthétique de la fiction n’est possible que dans la mesure où leur objet commun est proche de soi : Zorro est blanc, il est d’origine européenne ; la Californie hispanique que l’on fantasme dans les projets architecturaux de Los Angeles ou de Santa Barbara est un fragment d’Europe inscrit dans les paysages méditerranéens dominant le Pacifique… Cette dissociation ne semble plus possible, en tout cas moins aisée, lorsqu’il s’agit des Asiatiques, par exemple. Les concernant, l’idée de « Péril jaune » est tout autant politique que littéraire et cinématographique.

Lovecraft, pour revenir à lui, s’inscrit tout à fait dans ce contexte. Quand il s’agit du migrant « arabe », disons, « oriental » Lovecraft tend à réagir de la même façon que tant d’autres auteurs à propos de l’immigration asiatique et du « Péril jaune », c’est-à-dire avec une grande hostilité, pour dire le moins ; quand il parle de l’arabo-musulman lointain, vivant dans son Orient natal, il est capable de s’abstraire, par son relativisme foncier, de l’altérité raciale. Il parvient à en donner une image positive qui n’est, d’ailleurs, pas uniquement de l’ordre de la fiction. Son arabo-musulman n’est pas seulement celui, imaginaire et littéraire, des Milles et Une nuits, il est aussi le Palestinien bien réel que la politique anglaise et l’immigration juive dépossèdent de sa terre. Il est ici on ne peut plus clair que Lovecraft est capable d’aller à l’encontre des intérêts géopolitiques apparents de l’« Anglo-Saxondom » et d’échapper aux déterminismes identitaires raciaux superficiels.

L’écrivain a été repris sur le nom du personnage d’Abdul Al-Hazred par l’un de ses amis arabophones. De quelle manière les arabisants et le monde arabophone a-t-il reçu l’œuvre « arabe » de Lovecraft ?

E. Hoffmann Price (1898 – 1988)

Tout d’abord, je dois rappeler que mon travail a porté sur la place qu’occupe la civilisation arabo-musulamne dans la fiction comme dans la pensée de Lovecraft et non sur la réception de Lovecraft en langue arabe. Je n’ai pas du tout les compétences requises pour une telle recherche et, malheureusement, elle reste à faire. À ce propos, j’ai la naïveté d’espérer que mon travail puisse inciter des arabisants à s’intéresser à cette réception, car je crois le sujet important. Certes, je sais qu’il existe des traductions de Lovecraft en langue arabe de même que les références lovecraftiennes abondent chez les groupes de musique black et death metal des pays arabophones. Mais je ne pense pas qu’à ce jour cela aille très au-delà.

En fait, c’est toute la question de la réception de Lovecraft en général qui se pose ici. Il faut bien comprendre qu’elle est, dans l’ensemble, tardive, très inégale et souvent superficielle. En premier lieu, elle est posthume. Ensuite, elle s’est, sans doute faite, en France, dans le champs universitaire, avant de l’être aux États-Unis. Enfin, elle a pris des formes très différentes suivant les pays. Par exemple, le cas du Japon, où elle est très ancienne et très profonde, est tout particulièrement intéressant car c’est aussi de là qu’elle est a rayonné dans le monde sous une forme très superficielle (Moe, le kawai cthulhien, etc.) ; en tout cas, cela démontre que Lovecraft n’est pas seulement une affaire d’Occidentaux.

Concernant le monde arabophone, la réception est, autant que je sache, tardive et plutôt superficielle. De plus, les rapports de l’œuvre de Lovecraft au monde arabo-musulman ont souvent été réduits à l’influence des Mille et Une nuits, c’est-à-dire à une veine purement orientaliste, au sens souvent péjoratif du terme, ce qui n’avait rien pour séduire un public qui pense être victime de cette vision du monde.

Il est vrai qu’un rendez-vous a sans doute été manqué. L’anecdote de la rectification de l’orthographe du nom de l’auteur du fameux Necronomicon, par Hoffmann Price, l’illustre fort bien. Lovecraft et Price s’appréciaient, se connaissaient, s’étaient même rencontrés et souhaitaient travailler ensemble. Leur œuvre commune est, malheureusement, très restreinte. C’est d’autant plus dommage qu’une collaboration plus suivie aurait certainement accordé une place majeure à la culture arabe que Price connaissait bien. Peut-être cela aurait-il rendu plus évident, au monde arabophone, l’importance, pour lui, d’un auteur comme Lovecraft et, plus généralement, de cette littérature d’imagination.

« Lovecraft n’est pas seulement une affaire d’Occidentaux. » 

La littérature critique orientaliste lui semble avoir été indulgente quant à la figure « de l’Arabe dément »…

Edition illustrée de L’Appel de Cthulhu

En vertu de ce que j’ai dit précédemment sur la réception de Lovecraft dans le monde, cet « arabe dément » a longtemps été considéré comme un personnage somme toute convenu de la culture populaire du temps. Il était une sorte de résurgence de magicien arabe des Mille et Une nuits mâtiné de « vilain » de pulps, rien de plus. Plus largement, on ne prenait pas forcément au sérieux un auteur considéré comme étant somme toute mineur dans un genre lui-même mineur.

Désormais, non seulement l’auteur est pris au sérieux (en grande partie du fait de la publication de sa colossale correspondance), mais la question de l’altérité devient centrale au sein d’un monde universitaire anglo-saxon où abondent les lectures en terme de « genre », de « préjudice », de « blanchitude », etc. La question de la place du monde arabo-musulman est donc de plus en plus posée. Mais ce n’est plus l’indulgence qui domine. Certes, rares sont ceux qui exige que l’on éradique Lovecraft des mémoires, mais ceux qui voudraient, en quelque sorte, le réécrire, lui faire dire autre chose que ce qu’il dit, de le retourner contre lui-même (ou l’homme de paille qu’on imagine), eux, sont nombreux — songeons à la série télé Lovecraft Country, par exemple, ou au concept de « chthulucène » par Donna Haraway (quoi qu’elle en dise)…

Dans le monde universitaire anglo-saxon (je ne parle que de lui, ici) on est donc passé, en quelque sorte, de « l’arabe dément, personnage typique des pulps de l’époque, apparu sous la plume d’un auteur mineur en-dehors du fantastique » à « l’arabe dément, personnage typique du racisme éternel, apparu sous la plume d’un auteur majeur quoique blanc, mâle et hétérosexuel ». Et que l’on ne croit pas que j’exagère, j’atténue même fortement ce qu’on peut lire d’absurde, de grotesque et de délirant dans certaines publications universitaires…

À l’indulgence de lectures complaisantes et condescendantes se substitue désormais l’intransigeance maniaque de lectures hostiles et militantes. En soi, le savoir étant cumulatif, il est légitime d’espérer qu’il sorte de ces lectures aberrantes, quelque chose de bon, ne serait-ce que par les réfutations qui en seront faites. Et puis on peut toujours croire qu’il vaut mieux de mauvaises questions et de mauvaises réponses que pas de questions du tout… Cependant, il n’est pas sûr qu’une place soit laissée à cet éventuel regard critique, à ce dépassement futur. En tout cas, j’ai peur que cette façon de dépeindre Lovecraft, son œuvre et son personnage « arabe » en éloigne les arabisants.

La perte de la foi en terre chrétienne précédent l’athéisme et l’intérêt pour l’orient arabo-musulman n’est pas sans rappeler aujourd’hui le fameux roman Soumission (2015) de Houellebecq. Avons-nous affaire à la même littérature ?

Le parallèle entre les deux auteurs est tentant, nul ne le niera : Houellebecq a consacré un livre à Lovecraft (où il parle plus de lui que du gentleman de Providence, d’ailleurs) et tous deux accordent une grande importance à la question du matérialisme et de l’athéisme dans leurs fictions et dans leur pensée. Pour autant, les différences sont majeures, même si elles sont moins évidentes qu’il n’y paraît.

Au premier abord, il saute aux yeux que le sexe et l’argent, si présents chez Houellebecq, sont absents chez Lovecraft. Pourtant, s’il n’y a pas, chez ce dernier, de sexe au sens propre du terme, c’est-à-dire dans son acception la plus sale, il y a de la reproduction, de la (dé)génération, de la filiation, etc. et si Lovecraft semble négliger tout réalisme social, ce n’est pas pour autant que la question de l’argent, de la dette, des rapports de domination économique ne sont pas centraux dans certains de ses écrits comme Gérard Klein l’avait deviné il y a déjà bien longtemps et comme je chercherai à le démontrer dans un prochain essai. Ce n’est donc qu’une différence illusoire.

Paradoxalement, c’est plutôt dans ce qui semble les rapprocher qu’il faut chercher le plus grand éloignement. Ainsi, dans Soumission, Houellebecq fait dire à un de ses personnages : « le passé est toujours beau, et le futur aussi d’ailleurs, il n’y a que le présent qui fasse mal. » Lovecraft pourrait avoir fait siens ces mots, est-on tenté de penser. Il vénère le passé, craint nullement le futur et ne souffre, in fine, que de la situation présente. Mais la ressemblance s’arrête là, car le héros houellebecquien est presque toujours un homme hors filiation, un bâtard ontologique qui n’a ni père ni fils, qui n’hérite de rien et ne peut ou ne veut rien transmettre. Lovecraft et ses héros, de leur côté, sont surdéterminés par cette inscription dans la dynamique généalogique. Certes, on opposera à cela que Lovecraft n’a pas eu d’enfants, qu’il ne semble pas en avoir voulu et qu’il n’en donne que rarement à ses personnages, mais ce serait ignorer la posture (grand-)paternelle qu’il adopte systématiquement à l’égard de ses nombreux correspondant plus jeunes que lui ou encore la place que la possibilité de la paternité occupe dans certaines de ses nouvelles. Lovecraft est un homme de la tradition, au sens authentique du terme, c’est-à-dire de la transmission. Il a conscience du temps qui passe parce qu’il sait ce qui passe à travers le temps. De là vient qu’à partir d’un certain âge, il n’y a plus de nostalgie mal placée chez lui, plus de confusion entre le biographique et l’historique, entre le contingent et le nécessaire, entre l’être et le temps.

De même l’athéisme de Lovecraft est pensé et conçu comme l’aboutissement du déploiement historique de la raison occidentale. Il est un gain, pas une perte ; une force, pas une faiblesse. L’enfant croit au père Noël ou aux djinns, les hommes du passé (et dépassés) aux dieux ; ce sont là des faits, mais des faits neutres. Certes, on peut avoir la nostalgie de l’enfance, et on sait à quel point elle est forte chez Lovecraft, mais c’est une affaire de sentiments privés et particuliers. Cela peut nourrir l’imagination, non susciter une conversion. Lovecraft peut être ému en songeant à l’enfant lecteur des Mille et Une nuits qu’il était et qui se rêvait mahométan ; cela irrigue son œuvre et cela lui permet d’éviter l’écueil de l’ethnocentrisme vulgaire, mais cela ne risque pas de le pousser à réciter sincèrement la chahada. Ni besoin ni désir de « soumission » à quoi que ce soit, donc.

« Lovecraft est un homme de la tradition, au sens authentique du terme, c’est-à-dire de la transmission. » 

Alors, est-ce la même littérature ? Pour ce qui est du regard sur l’islam, certainement pas. Le contexte seul est, déjà, par trop différent. Il y n’avait pas plus de musulmans dans le monde que d’Européens à l’époque de Lovecraft ; il y en a aujourd’hui quatre fois plus que d’habitants en Europe occidentale et une partie de ces derniers sont musulmans… De plus, Houellebecq, comme beaucoup d’autres, sans doute, a découvert, dans l’islam, quelque chose de très nouveau et de réellement terrifiant — terrifiant pour tout le monde, musulmans y compris. Cette chose est la stupéfiante compatibilité de certaines de ses formes avec le libéralisme le plus bas, le plus sordide, mais aussi le plus confortable pour ceux qui en acceptent les règles avec le plus de cynisme conscient ou non. Mohammed Ben Abbes, c’est presque Emmanuel Macron, a-t-on dit, sans doute à raison — à raison contre Houellebecq lui-même, peut-être.

Alors, est-ce la même littérature ? S’il y a bien une horreur économique chez Lovecraft, comme je le crois, peut-être que oui, alors, finalement…

Necronomicon

Est-ce que les polémiques actuelles ne sont-elles pas le reflet de nos préoccupation contemporaines et à notre manie à perdre toute nuance en matière de littérature ? Lovecraft est-il victime de cela ? Qu’est-ce que cela dit de notre époque ?

De même qu’il n’y a d’histoire que contemporaine, il n’y a de lectures qu’actuelles. La lecture nous dépayse, elle nous arrache à notre quotidien, à notre temps, à nous-même, certes, mais le lecteur de son côté confronte ce qu’il lit dans son environnement, à son époque, à sa subjectivité. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les présentes lectures de Lovecraft soient marquées par les « polémiques actuelles ». Cependant, on a trop souvent tendance à parler de polémiques ou de débats là où il n’y a ni l’un ni l’autre, mais seulement la tentation d’imposer, par le bavardage et l’hystérie, un régime de domination culturelle.

En tout cas, Lovecraft occupe une place importante et toujours croissante dans la culture de masse. Nuançons de suite cela en précisant que c’est moins Lovecraft lui-même que les références à une partie de son œuvre qui sont omniprésents. Reste que son nom est partout : dans les jeux, les films, les séries, les bandes dessinées, les livres… Contrairement à d’autres auteurs, ni son antisémitisme ni son racisme ne semblent faire obstacle à son succès. Certes, cela peut changer. Sans craindre aucunement une censure de cet auteur, il est très possible d’imaginer sa marginalisation. Après tout, les librairies et les bibliothèques sont pleines de livres qui mériteraient d’être lus et qui prennent la poussière que, par ignorance le plus souvent, par choix parfois, on décide de n’en pas parler. Lovecraft pourrait très bien, un jour, être traité comme tant d’autres auteurs de pulps ou à peine mieux. Or, ce n’est pas encore le cas, pourquoi ?

« À l’indulgence de lectures complaisantes et condescendantes se substitue désormais l’intransigeance maniaque de lectures hostiles et militantes. » 

La réponse à cette question est complexe. Tout d’abord, son œuvre est, non seulement, d’une grande qualité, mais elle est aussi fondatrice : tout un pan de l’horreur et de la science-fiction repose sur elle. De ce fait, la fiction lovecraftienne est d’une très grande fécondité. Les œuvres qui s’en inspirent, avec plus ou moins de qualité ou d’exactitude, d’ailleurs, sont très nombreuses et parfois très rentables du point de vue commercial. C’est que, qu’on le veuille ou non, Lovecraft est un produit de consommation. Et c’est là que se situe le nœud de l’affaire : le consommateur de « Lovecraft culture » est, bien souvent, de par ses caractéristiques sociologiques, le même auquel on a vendu tout ce qui aboutit à la trop fameuse « cancel culture » !

Necronomicon

Or, si on manque de nuance en matière de littérature, on ne risque pas, en revanche, de manquer de ressources casuistiques pour justifier d’une consommation qui pourrait facilement être qualifiée de schizophrène. D’où l’infinie palinodie autour du racisme et de l’antisémitisme de Lovecraft, vaste valse où toujours reviennent, se contredisent et s’épuisent les mêmes arguments : il n’était pas si raciste que ça puisque sa femme était juive ; il n’était plus antisémite puisqu’il est devenu socialiste ; il était fou ; il a « changé » en vieillissant ; c’est anecdotique dans ses fictions ; de toute façon, il faut distinguer l’homme et l’œuvre ; etc. À la décharge de ceux qui tiennent ces discours, il faut rappeler que les concepts de « racisme » et d’« antisémitisme » sont, chez eux, bien souvent plus fantasmés que clairement définis. Cela leur suffit, bien sûr, pour qualifier de raciste ou d’antisémite un auteur qu’ils ne lisent pas et justifier ainsi qu’il ne soit pas lu, mais, Lovecraft, justement, ils le lisent et en le lisant ils se rendent bien compte que ces concepts-là ne s’appliquent pas ou alors fort mal… Or, ne pouvant les remettre en cause sans se remettre en cause et sans tout remettre en cause, ces lecteurs en viennent aux arguments qui viennent d’être dit. Ils veulent sauver Lovecraft auteur de fiction quitte à sacrifier sa pensée en lui refusant toute cohérence.

Dans une certaine mesure, l’un des aspects de mon essai est de montrer que Lovecraft n’a pas besoin d’être sauvé, mais qu’en revanche, sa pensée, elle, mérite de l’être. Il n’y a pas de paradoxe à ce que Lovecraft soit raciste et philo-arabe, c’est simplement que le concept de « racisme » est mal défini, voilà tout. Sans doute est-ce là que mon essai risque de rencontrer le plus d’oppositions, même si ce n’est pas l’essentiel de son propos. Reste qu’il est, pour moi, important d’affirmer la cohérence, la complexité et la richesse de la pensée de Lovecraft. Tout se tient, chez lui, et découle, en dernière instance, de son matérialisme. J’ai voulu le dire avec Le dernier puritain, j’en ai tiré les premières conséquences avec Lovecraft, l’Arabe, l’Horreur, j’y reviendrai, encore, à propos de la place de l’argent dans ses fictions. Là, j’essaierai de démontrer qu’il n’est pas seulement un Copernic de l’horreur comme disait Fritz Leiber, mais qu’il en est aussi une sorte de Marx.

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1 réponse »

  1. « La perte de la foi en terre chrétienne précédent l’athéisme et l’intérêt pour l’orient arabo-musulman n’est pas sans rappeler aujourd’hui le fameux roman Soumission (2015) de Houellebecq. Avons-nous affaire à la même littérature ? »

    Très juste

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