Politique

Maïlys Khider : « Cuba est un pays à regarder dans toute sa complexité »

Maïlys Khider est journaliste. Elle a publié il y a peu le livre « Médecins cubains : les armées de la paix » (LGM éditions), une enquête sur le système de santé cubain, qui est venu en aide de l’Europe durant la crise de la Covid-19.

Le Comptoir : Pourquoi vous intéressez-vous aux médecins cubains ?

Maïlys Khider : Je me suis rendue à Cuba plusieurs fois avant de commencer à écrire ce livre. En 2019, j’y ai rencontré des médecins qui m’ont raconté leur mission à l’étranger, leur métier, leur vision de la santé. Lorsque nous avons été confinés en mars 2020, j’ai lu que des brigades de médecins cubains avaient été envoyées en Italie et dans des territoires ultramarins français. C’était historique.

« Le modèle cubain est une exception mondiale qu’il est important de documenter. »

Il s’agissait des  premières missions cubaines en Europe. Rendez vous compte, des pays aussi riches que la France ou l’Italie appellent cette île très pauvre au secours. Cuba envoie depuis soixante ans ses médecins dans le reste du monde. J’ai alors décidé de me pencher sur l’histoire de ces missions internationalistes. Elle est non seulement une plongée dans la révolution cubaine, elle permet aussi de parler d’une autre philosophie du soin et de mener une réflexion sur les failles de nos systèmes de santé occidentaux gangrénés par l’argent. Les marchés financiers sont en train d’engloutir discrètement notre système de santé public français. Le modèle cubain est une exception mondiale qu’il est important de documenter.

En quoi “les brigades en blouses blanches” sont un élément de la révolution cubaine ?

LGM Éditions, 120 p. 2021

Elles sont l’un des piliers de la Révolution de 1959. Cette année, lorsque Fidel Castro et ses compagnons renversent le dictateur Fulgencio Batista, des milliers de médecins fuient vers les États-Unis, craignant pour leur pratique libérale (la santé étant avant 1959 fondée sur l’exercice privé de la médecine). La Révolution forme un très grand nombre de médecins. L’idée était de mettre fin à la misère installée par les États-Unis en maillant tout le territoire de médecins (et de professeurs) et d’instaurer une santé et une éducation entièrement gratuites.

Cela s’est développé dans l’esprit internationaliste fertile des années 60. En 1963, des soignants sont envoyés en Algérie pour porter assistance au FLN (et au pays tout juste indépendant dont les médecins, français, ont fui vers l’Hexagone). À partir de là, les missions s’enchaînent : en Angola, en Afrique du Sud, en Haïti. Dans le monde entier.

« Il n’est pas tant question de performance que de culture et de philosophie de la santé. »

Les médecins cubains sont formés aux interventions en terrains victimes de catastrophe naturelle ou d’épidémie. Ils sont intervenus en Sierra Leone et au Liberia pour soigner Ebola, après des tremblements de terre, glissements de terrain, ouragans et autres, en Amérique latine et centrale, en Afrique.

Comment expliquer que le système de santé cubain soit si performant ?

Il n’est pas tant question de performance que de culture et de philosophie de la santé. Cuba forme encore beaucoup de médecins et possède la plus grande densité de soignants au monde. Que vous soyez à La Havane ou en plein milieu des montagnes, vous trouvez un médecin.

« Cuba est un pays qui a développé une impressionnante industrie pharmaceutique. »

La santé est gratuite et communautaire (les soignants travaillent dans le quartier où ils vivent et connaissent leurs patients). Elle repose sur la prévention. Dans un pays pauvre où la santé n’amène pas de profit, il est mécaniquement préférable d’éviter que les gens tombent malades. L’attention portée aux jeunes mères (suivi médical constant), aux nouveaux nés (à travers les vaccins notamment) est fondamentale.

Cuba est un pays qui a développé une impressionnante industrie pharmaceutique à travers la création de BioCubaFarma. Un ensemble de sociétés qui développent et produisent des médicaments contre le cancer, la méningite, le diabète. L’île est le premier pays au monde à avoir trouvé un traitement reconnu par l’Organisation mondiale de la santé contre la transmission du VIH de la mère à son fœtus.

Le hic, c’est que les États-Unis ne laissent pas Cuba commercer. Le blocus empêche d’importer et d’exporter des médicaments, des matières premières, des seringues, des gants, des masques, des logiciels pour les scanners, et même de la nourriture. Le blocus est un crime qui a des effets délétères sur la population.

La Havane

Ce que montre votre livre, c’est que les médecins cubains sont un élément de géopolitique important pour Cuba…

Tout exportation de savoir-faire ou de service est en soi un élément géopolitique. Ce qu’il est important de souligner, c’est que l’envoi de médecins en mission à l’étranger rapporte entre six et huit milliards de dollars par an à Cuba, la première source de revenus de l’île. Les États-Unis cherchent à tout prix à mettre fin à ces missions afin d’assécher les ressources cubaines.

« Les États-Unis souhaitent couper toute source d’argent à Cuba afin d’affamer sa population. »

Et les gouvernements qui suivent cette ligne en renvoyant les médecins sont peu légitimes à adopter des postures morales : Jair Bolsonaro ou encore Jeanine Añez après le coup d’État en Bolivie… Il faut bien le comprendre : les États-Unis souhaitent couper toute source d’argent à Cuba afin d’affamer sa population et que celle-ci se retourne contre ses gouvernants (une ambition assumée dans des documents d’État).

Les médecins cubains ne sont-ils pas une vitrine reluisante pour une arrière-boutique peut reluisante, à savoir un régime autoritaire ?

Ce que je dis dans mon livre, c’est qu’il est primordial de commencer à séparer le peuple cubain et son gouvernement. On analyse toujours ce pays à travers ses dirigeants. Quel dommage ! C’est un pays à regarder dans toute sa complexité. Sa population a énormément de choses à raconter.

« Les médecins cubains sont des travailleurs hors pair. »

De plus, il est indéniable qu’il y a eu et qu’il y a une volonté politique de maintenir la santé gratuite à Cuba. En outre, les médecins cubains sont des travailleurs hors pair. Ils ont beaucoup à nous apprendre. Il est important d’arriver à se focaliser sur ce point pour ne pas perdre de vue qu’en matière de santé, nous avons perdu toute vision politique d’intérêt général.

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