Fiction / Récit

Démondialise-moi

Le détricottage du monde est en cours. Du hérisson de Schopenhauer aux lucioles de Pasolini, en passant par le chapeau de Vermeer puis Taylor Swift, pour finir par l’ensemble antinomique et l’idiot utile de la finance, personne n’en sortira indemne.  

D’abord, mondialisation n’est pas globalisation. La nuance peut paraitre stérile, elle ne l’est pas. La globalisation fait un focus économique, alors que la mondialisation vampirise tous les domaines. La globalisation se résume aux échanges de bons procédés entre homo economicus désireux d’améliorer leur bien être. La mondialisation touche à tout ce qui fait culture : les arts, les sciences, l’histoire, la politique, la connaissance. Finalement, la globalisation nous parle des espaces à combler, la mondialisation nous parle des Hommes à combler aussi : Globus vs Mundus. Tout a déjà été dit sur la déglobalisation. Mais à quoi ressemblerait une démondialisation ?

Arthur Schopenhauer (1788-1860)

D’un point de vue comportemental, la démondialisation ressemblerait au hérisson du philosophe Arthur Schopenhauer, ce hérisson qui choisit de s’éloigner de ses congénères après s’être piqué de s’être trop rapproché. Cette lecture reste à ce jour la métaphore la plus aboutie des avantages et inconvénients du bien-vivre ensemble. « Transis de froid, les hérissons se rapprochent afin de se réchauffer. Mais une fois trop près, les pics de leurs voisins les incitent à s’éloigner de nouveau ». Tout le monde aura compris que nous sommes plutôt dans la phase de pics. On peut même être plus précis encore, et remarquer que les premiers hérissons à être irrités soient d’un tempérament plutôt agressif, autoritaire.

D’un point de vue pictural, la démondialisation pose quand même un problème sérieux. Vermeer va-t-il devoir avaler son chapeau ? Dans son célèbre livre Le chapeau de Vermeer, Timothy Brook s’attardait notamment sur cinq peintures de l’artiste hollandais, identifiant nombre de détails trahissant l’aube de la mondialisation. « Ces tableaux sont des fenêtres qui ouvrent directement sur un autre temps, un autre lieu ». En particulier, le chapeau de Vermeer évoquerait le commerce de la peau de castor, chapeau que l’on reconnait dans L’officier et la jeune fille riant. On imagine alors la démondialisation. Un à un, les détails identifiés par l’écrivain canadien disparaitraient des peintures de l’artiste néerlandais. D’autres œuvres d’autres artistes subiraient le même sort.

D’un point de vue littéraire, le démondialisation pourrait être le théâtre d’un phénomène improbable, le retour des lucioles, celles de Pasolini. L’écrivain visionnaire usait alors de la métaphore des lucioles disparues pour illustrer la perte d’identité du peuple italien, perverti par un pouvoir sans âme, transformé en machine à consommer. « Au début des années 60, à cause de la pollution atmosphérique et, surtout, à la campagne, à cause de la pollution des eaux, les lucioles ont commencé à disparaître. Le phénomène a été fulminant, foudroyant. Au bout de quelques années, c’en était fini des lucioles », Extrait du El Correo, 1975. Difficile de trouver un article conjuguant aussi bien les méfaits contemporains de la mondialisation, même cinquante ans après. Difficile aussi d’imaginer un retour en arrière, le retour des lucioles, la démondialisation.   

Éditions Gallimard, 2016, 416 p.

D’un point de vue ensembliste, la démondialisation sonnerait la révolte du particulier sur le général. La fièvre universaliste baisserait en température, permettant la réapparition de particularismes. Le tout redeviendrait un tas, pour paraphraser Régis Debray (Un candide à sa fenêtre). Mathématiquement, cela pose quand même un problème. Si la démondialisation consiste à évider les ensembles, comme s’ils ne se contenaient plus eux mêmes, alors quel sera l’ensemble des ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes ? Ne rions pas. C’est ce genre de question qui fit trembler l’édifice au début du siècle dernier, la crise des fondements mathématiques.  S’agit-il d’une limite formelle à toute tentative de démondialisation ? Sommes-nous en risque d’antinomie ? « Jouer avec l’ensemble vide, c’est un peu comme jouer avec des allumettes, on risque de tout détruire », disait Jean Yves Girard, logicien extra-lucide. La démondialisation ? À démontrer.

Un mot sur la musique. L’hymne à la joie de Beethoven, le Boléro de Ravel, Bad Blood de Taylor Swift. Que deviendront ces œuvres cultes dans un monde démondialisé ? Répondre à cette question revient à en poser à une autre. Le succès de ces œuvres est–lié à la mondialisation ? Est-ce la convergence à marche forcée de nos goûts, idéaux, besoins, désirs, qui explique notre réceptivité commune à certaines œuvres ? Ou bien, sommes-nous naturellement équipés de neurones musicaux nous rendant universellement réceptifs à certains airs plutôt que d’autres ? La réponse n’est pas évidente. Il semble que certaines œuvres aient davantage été poussées par l’air du temps que l’air de la mélodie. Mais bon, entre Beethoven et Taylor Swift on a une petite idée quand même.

Mais peut être est-il encore bien trop tôt pour penser à la démondialisation. Peut-être ne sommes-nous pas prêts. Peut-être même ne voyons-nous rien voir venir. Et tant mieux car sinon, nous serions peut être tétanisés par l’enjeu. La finance est très forte dans le rôle de l’idiot utile, celui qui ne sait rien, et continue de faire ce qu’il faut. Démondialisation ou pas, la finance continue son œuvre. « Faut que ça monte, faut que ça baisse, le reste on s’en bat les c…. ». Vulgaire au sens propre et au sens figuré, pas si facile. La finance ne s’intéresse qu’à ce qui est intéressant, raisonnement circulaire qui en dit long sur l’accusé. Mais bon, on ne va pas reprocher à la finance les nuances dont elle est incapable. Après tout ce n’est que de la finance.

« Si des murs de dressent, c’est que le toit est commun » (Yuval Noha Harari)

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