Politique

« L’Insoumis » ou les leçons d’une défaite

Le documentariste Gilles Perret a suivi Mélenchon pendant la présidentielle et en a tiré un documentaire sorti le 21 février 2018. Il prend le contre-pied des idées reçues sur le candidat et rappelle les spécificités d’une vie entièrement consacrée à la conquête politique. Récit d’une défaite, le documentaire est une source inépuisable de leçons pour l’avenir politique des insoumis.

[Ndlr : Les opinions défendues par l’auteur de l’article n’engagent que lui et en aucun cas l’ensemble de la rédaction]

La propagande a perdu de sa noblesse. Méprisée, éternellement liée aux échecs anti-libéraux du XXe siècle, elle a été rebaptisée “communication”. Désormais, on préfère la voiler et la nier. Le temps où les affiches politiques n’avaient pas honte de ce qu’elles étaient – des représentations symboliques au service d’un projet – est aujourd’hui révolu. Qu’on se le dise : L’Insoumis est un film de propagande. Et c’est un film noble. Le portrait bienveillant d’un Mélenchon en campagne pour l’élection présidentielle. Subjectif, diront les mauvaises langues. Soit, qu’ils nous citent l’exemple d’un portrait objectif ! Sans doute pensent-ils aux documentaires consacrés à Jupiter après le second tour, ou au feuilleton surréaliste et honteux qui anima la presse pendant des mois : Macron à la plage, Macron et sa femme, Macron au théâtre, Macron entrepreneur, l’enfant Macron, …

Pour ne pas s’attarder sur la forme de l’œuvre de Perret, disons que, privée de musique et de commentaires, elle s’affranchit de certains artifices. Elle ouvre au spectateur la voie de l’immersion dans les coulisses d’une campagne imprévisible, où tout était possible. Il est beaucoup reproché au film de n’avoir pas su prendre de la hauteur, de la distance, pour donner à voir un point de vue plus nuancé, plus critique et moins partisan. C’est oublier que le propre de l’immersion est d’abolir toute notion de distance et de hauteur, pour se cantonner au centre de l’action. Au cœur de celui qui est filmé, pour atteindre le cœur de celui qui regarde. Quand Mélenchon est tellement décrié, de Valeurs Actuelles à Médiapart en passant par Libération et Le Monde, sans oublier les chiens de garde du service public et les éditorialistes aux ordres, pourquoi hurler avec les loups ?

L’engagement du camarade Mélenchon est sincère nous dit le film de Gilles Perret ; sa fougue, que les piètres tribuns jalousent en secret, le distingue des autres. Quand il fait chanter La Marseillaise, quand il fait agiter les drapeaux tricolores, quand il impose une minute de silence pour les morts en Méditerranée, quand il refuse qu’on scande son nom, il incarne une idée qui le dépasse mais que la foule reconnaît en lui. Ses envolées émeuvent quand le « C’est notre projet » de l’adversaire confine au ridicule. Bref, pour ceux que le changement social effraie, Mélenchon est un homme dangereux car c’est un homme que le peuple peut aimer. Jamais un personnage aussi insignifiant que le triste Hamon ne sera scruté et attaqué comme l’est Mélenchon, car le candidat PS n’est pas un politique qu’on soutient ou duquel on se sent proche. À l’inverse, Mélenchon, on l’aime, malgré ses (nombreux) défauts, on s’identifie à lui. Il est une incarnation.

Contre les médias

Nous y avons donc cru, à la possibilité de cette victoire. Le rappeler, est la principale fonction de L’Insoumis. Alors que les plaies d’une infinie déception peinent à cicatriser, il s’agit aujourd’hui d’étudier la défaite pour en dénicher les causes et en tirer des leçons pour l’avenir. Sans le crier haut et fort, le film suggère deux pistes : les médias d’abord, la gauche ensuite. Quiconque a suivi les vingt derniers jours de la campagne aura assisté aux tirs nourris de la presse, des radios et des chaînes de télévision contre « Maximilien Ilitch Mélenchon », rien que ça ! Lénine et Robespierre, n’est-ce pas d’ailleurs le plus beau compliment qu’on puisse faire au camarade Jean-Luc. Le parti médiatique a donc tout fait pour horrifier le citoyen qui adhérerait au programme ou serait simplement charmé par la fougue du leader de la France insoumise. Tout y est passé, l’URSS des années 1950, le Venezuela en crise, Poutine, les droits de l’Homme. Le fascisme en personne, épouvantail s’il en est, a également été convoqué pour l’occasion.

Malheureusement, contre l’hégémonie médiatique, il n’est d’autre alternative que d’en proposer une, d’alternative. Le Média le fait. Avec des moyens limités et un paysage médiatique aux abois, il s’en sort comme il peut. Il se bat, il lutte, il encaisse. Il a développé le seul modèle économique socialement acceptable. Car ils se multiplient, les nouveaux médias. Qu’ils soient sur papier ou en ligne, ils proposent de payer pour avoir accès à une information de qualité. Soit. L’information coûte et le journaliste doit bien se loger et se nourrir. Mais Le Média est le seul à offrir à tous une information payée par quelques-uns, ceux qui le peuvent. Le Média est une sécurité sociale de l’information qu’il faut défendre et étendre. Ne nous y trompons pas, les attaques qui ont suivi le départ de quelques journalistes confirment que c’est le travail entrepris qui est visé. Quand Ariane Chemin, porte-flingue chargée de dézinguer tout ce qui ne marche pas droit, entre dans la danse, il faut savoir s’en réjouir. C’est une forme de reconnaissance, une invitation à poursuivre dans la voie choisie. Celle qui dérange les établis.

Contre la gauche

Ce qui nous amène à la seconde, et la plus importante, cause de la défaite : la gauche. Il est des trahisons qui imposent le divorce. Voter Hamon ou Poutou en connaissance de cause, au moment où il devient clair que Mélenchon peut se retrouver au second tour, est de celles-là. Le film de Perret le rappelle très justement : c’est au nom de l’humanisme, du droit-de-l’hommisme, du progressisme, de l’internationalisme et de l’Europe que la gauche a choisi d’attaquer Mélenchon. Mélenchon se dit patriote : pour la gauche et le camp du Bien, il est devenu chauvin, nationaliste et augurerait le retour des heures les plus sombres de notre histoire… Mélenchon rappelle que l’immigration est une souffrance : pour les idiots utiles d’Ensemble, il virerait facho. Ce n’est pas une coïncidence si les premiers rats à quitter le navire du Média sont ceux-là mêmes, « les cautions d’ouverture » dirait Mme Chemin : Hamon, Mamère, De Cock, les autres… Leur soutien, retiré dès la première embûche, était un cadeau empoisonné.

N’oublions pas qu’en pleine campagne, quand même Patrick Buisson et le magazine Causeur complimentaient Mélenchon, les attaques les plus perfides venaient de Libération et de Médiapart. À une semaine du vote, Le Monde, dont le cynisme n’est plus à démontrer, est allé jusqu’à chercher Julien Coupat, le méprisant révolutionnaire pour se faire Mélenchon. De l’ultra-gauche à la gauche caviar : tous unis contre l’insoumis. Récemment, le journal de Patrick Drahi a révélé les résultats d’un vote qui a eu lieu au sein de sa rédaction : Benoît Hamon y a recueilli plus de voix que Mélenchon et Macron réunis. Y a-t-il preuve plus éloquente du gouffre qui sépare cette gôche du reste de la population ? Ils sont 6 % en France à plébisciter Hamon, près de 50 % chez les journalistes de Libé. Il n’y a plus d’union possible avec ces gens-là, qu’on se le dise une fois pour toutes. Les 600 000 voix qui ont manqué, ce sont les leurs. Nul besoin d’un humanisme déclaratif, abstrait et bourgeois quand c’est le quotidien des petites gens qu’on souhaite améliorer.

Mélenchon le sait. Le moment le plus politique du film le montre assez bien d’ailleurs. Assis dans un train, le camarade explique que des amis le poussent vers des alliances à droite. « Je ne pardonne pas à Drieu La Rochelle« , répond-il, dans une de ces postures que l’ancien ministre de Jospin affectionne tant. « L’auteur du Feu Follet est mort et enterré depuis plus de soixante dix-ans ! Le monde a changé », a-t-on envie de lui répondre. Et puis, qui parle de Drieu La Rochelle quand c’est la droite gaulliste, devenue orpheline, qu’il s’agit de séduire ? Que faire quand la gauche, sur laquelle notre camp s’est appuyé pour mettre en place tant de conquêtes sociales, a choisi de s’allier à la droite orléaniste ? Elles détricotent aujourd’hui nos conquêtes d’hier.

Le populisme est notre outil. Un clivage nouveau, vertical, qui définit ceux d’en haut et ceux d’en bas contre l’obsolète clivage gauche/droite. Le peuple, contrairement au peuple-de-gauche, n’est pas une abstraction, c’est une réalité sociologique. Employés, ouvriers, chômeurs, artisans, petits commerçants, petits fonctionnaires, retraités et étudiants précaires, voilà le peuple. Encore faut-il avoir la volonté politique de réunir ces électorats et de coucher leurs intérêts et leurs aspirations sur le papier. Le populisme est d’une rare efficacité lorsqu’il s’agit de se débarrasser de ce boulet politique qu’est devenue la gôche. « Ce qui pose problème à nombre de membres de la France insoumise, c’est de constater que Politis ou Libération sont plus mal vus au sein de la direction de leur mouvement que Causeur (auquel le porte-parole défense du mouvement, le “patriote” Djordje Kuzmanovic a récemment accordé une interview remarquée) ou la (au demeurant talentueuse mais ô combien conservatrice) revue Limite« , écrit Gaël Brustier, intellectuel organique du Parti socialiste et dernier à claquer la porte du Média. Quelle honte y aurait-il à avouer des proximités politiques « ô combien conservatrices » ? Voici, s’il en faut, une nouvelle preuve du mépris ô combien progressiste que voue une certaine intelligentsia pour tout ce qui s’attache à la conservation de la vie face à la déconstruction des liens. Qu’on arrête de se boucher le nez devant chaque revendication populaire qui ne serait pas de gauche, pour ce simple motif. Apprenons à écouter, pour essayer de comprendre certaines demandes, notamment celles de l’électorat du FN. Après le dégagisme, le convergisme. Macron ne nous laisse pas le choix.

Malika Bendriss

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13 réponses »

  1. Merci encore pour cet article, le petit tour des médias..( j’ai quitté Médiapart à la suite du positionnement d’E Plenel en particulier, et je suis socio, du Média..)
    Mais comment construire cette convergence essentielle?

  2. Merci pour cet article et pour votre éclairage sur  » les raisons de la défaites » . Comme c’est réconfortant de trouver de la bienveillance critique vis à vis de J.L.Mélenchon. On a totalement oublié que cela pouvait exister.

  3. Le parti majoritaire, en France, c’est le peuple des absentionnistes. Alors plutôt que de « converger » vers un nouvel héraut du productivisme et du dieu progrès, il faudrait plutôt inviter les citoyens à suivre le conseil d’Octave Mirbeau et refuser de choisir celui qui nous tondra. Dans les temps obscurs que nous connaissons, à une époque où se bousculent les médiocres et les imbéciles pour accéder à l’Elysée, il me semble surprenant de trouver encore des gens pour croire en la venue de l’homme providentiel. Faut-il que le personnel politique soit devenu d’une si profonde insignifiance pour qu’un Mélenchon puisse apparaître comme cet « homme providentiel ».

  4. Les raisons développées dans cet article, pour intéressantes ou justes qu’elles soient me paraissent insuffisantes. Une des premières, à mon sens, est l’absence totale, depuis des décennies, de lutte idéologique, politique, intellectuelle qui ne faisait que traduire la soumission à l’idéologie dominante et à son avatar, « l’européisme » dominant (jusqu’à voir un secrétaire de la CGT se déclarer favorable à la constitution européenne!…). Il devenait impossible de mobiliser des individus sur un programme suffisamment transformateur quand tout courant massif contestataire avait disparu du paysage social et politique. De plus, que cela ait été ou non décisif électoralement parlant, des questions, elles décisives, se posent quant à la ligne de pensée directrice de la FI: les questions concernant « l’Europe », noyées dans un flou pas toujours artistique. D’un côté, des dirigeants de LFI , Généreux en tête, affirment qu’il n’est pas question de sortir de l’UE et que le programme n’a rien qui puisse inquiéter…Les Marchés…, et d’un autre côté Mélenchon qui finit par dire: l’UE on la change ou on la quitte. Il y a chez Mélenchon –dont je ne mets pas en cause la sincérité mais le contenu et l’orientation de son analyse– un manque de clarté proche de la contradiction insurmontable: comment peut-on, d’une part, affirmer clairement que la souveraineté populaire doit être présente et déterminante en tout et, d’autre part, ne pas admettre que cela implique de sortir de l’UE et de l’euro? Certes, je peux comprendre qu’il puisse être attaché, ne serait-ce qu’affectivement, à une construction européenne à laquelle il a participé mais il se doit; pour être cohérent avec certaines des idées avancées, qu’il assume clairement la rupture.
    Vieux-con matérialiste invétéré, non seulement je n’ai pas voté oui à Maastricht mais je n’ai jamais voté pour le parlement européen et j’estime que c’est une erreur de considérer ces élections comme un moment important pour la mobilisation. Ou plutôt, ce qui serait important, pour condamner cette Europe, ce serait une abstention écrasante les rendant destructrices. Or, la mise à mort définitive de notre république sociale –du peu qu’il en reste– par le petit Mac-ronds qui, ne se sentant plus pisser, se croit assez fort pour déclarer qu’il n’y a plus de « souveraineté qu’européenne » va nous contraindre à un choix drastique: ou continuer à s’écraser et à se soumettre à l’immondialisation capitaliste, gérée en nos colonies par l’UE, ou reconstituer un CNR nouveau, encore plus progressiste, pour retrouver souverainetés populaire et nationale.
    Méc-créant.
    (Blog: Immondialisation: peuples en solde!)

  5. Délire paranoïaque de ceux qui n’ont rien compris, ou font semblant. La défaite est venue de la très insuffisante mobilisation des jeunes et quartiers populaires. C’est moins vendeur, et aussi plus difficile à résoudre.

  6. Le seul point avec lequel je ne suis pas d’accord, c’est la défense aveugle de JL Mélenchon. J’ai voté FI alors que j’étais deux fois abstentionnistes aux élections présidentielles. Mais pas pour cette tête de gondole que je trouve plutôt repoussante (comme toutes les têtes de gondoles).Parce que le programme, les idées, et la manière de faire (s’éloigner de l’hyper hiérarchisation des partis) me semblaient aller dans le bon sens et ouvrir des perspectives.
    Si on veut faire une rupture avec l’ancienne politique, il faut en finir avec l’idée centrale de la représentation politique : celle de l’homme providentiel, de l’individu modèle capable de porter sur ses épaules les intérêts de tout un peuple. Et ça commence par refuser de confondre le sort d’individus isolé avec celui des mouvement politiques et sociaux auxquels ils peuvent appartenir.

    Pour le reste, cad surtout le constat qu’on ne peut se rapprocher de l’anticapitalisme et de la défense du peuple tant qu’on reste dans le giron de la gauche, je suis parfaitement d’accord.

  7. J’ai eu la gerbe devant cette propagande. Je ne suis pas prêt de retourner aux urnes, surtout quand on lit ce genre d’abomination. Insoumis, le social-démocrate mélenchon, dont le SO se vante de casser de l’autonome en manif? Insoumis, l’admirateur de tonton? Insoumis autoproclamé, réformiste plutot que révolutionnaire, nationaliste jusqu’au bout… Bref. Sans même parler du média et de ses sorties douteuses….

  8. Si seulement JLM, ce grand homme, avait accepté de participer à la primaire de la gauche, il aurait eu un candidat de gauche de moins face à lui…
    De quoi a-t-il eu peur ?
    Serait-il allergique à la démocratie participative ?

  9. [Un clivage nouveau, vertical, qui définit ceux d’en haut et ceux d’en bas contre l’obsolète clivage gauche/droite. Le peuple, contrairement au peuple-de-gauche, n’est pas une abstraction, c’est une réalité sociologique. Employés, ouvriers, chômeurs, artisans, petits commerçants, petits fonctionnaires, retraités et étudiants précaires, voilà le peuple. Encore faut-il avoir la volonté politique de réunir ces électorats et de coucher leurs intérêts et leurs aspirations sur le papier.]

    Je suis d’accord avec cette analyse, je pense que lorsque l’on fait ce constat que le clivage droite-gauche n’est plus pertinent il est intéressant d’essayer de représenter l’espace politique selon deux axes orthogonaux, pour mieux comprendre où se situe la véritable fracture (voilà l’analyse graphique que je propose par exemple : https://lesresponsables.files.wordpress.com/2019/01/espace-politique-2d.pdf )

    Mais étant donné les récentes évictions de Djordje Kuzmanovic et François Coq de la FI, aujourd’hui il est clair que Mélenchon n’a pas choisi la stratégie que vous proposez. La sienne se réduit à tenter de rassembler le “peuple-de-gauche”.

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