Politique

France insoumise : les défis du jour d’après

S’il n’a pas atteint le second tour de l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon et les insoumis ont mené une campagne électorale qui a été unanimement saluée. Le score élevé du candidat de la France insoumise le place en représentant légitime de la gauche, par opposition à Emmanuel Macron. La responsabilité de l’ancien ministre de Lionel Jospin est grande, et les défis économiques, sociaux et culturels qui l’attendent sont de taille. L’enjeu : construire une gauche proche du peuple.

Jean-Luc Mélenchon a perdu l’élection. Et gagné plusieurs paris. Alors que le Parti socialiste a abandonné les classes populaires au Front national, comme le préconisait le think tank Terra Nova, le leader de la France insoumise a réussi à stopper l’hémorragie et à rebattre les cartes du vote de cet électorat. Tout en parvenant à s’adresser aux abstentionnistes, grâce à une campagne innovante, notamment sur les réseaux sociaux. Tandis que Benoît Hamon cherchait à rassembler la gauche, Jean-Luc Mélenchon s’est adressé directement au peuple, au-delà des clivages traditionnels. « C’est Mélenchon le vote des vraies classes moyennes. Il a piqué des ouvriers à Marine Le Pen et ne souffre pas d’un déficit de professions intellectuelles et de cadres supérieurs comme au FN. Il a, de plus, cet axe central de professions intermédiaires. Le phénomène nouveau de cette élection, c’est donc la naissance d’une France contre les dérégulations libérales, contre l’UE, mais inclusive », analyse ainsi le démographe Emmanuel Todd pour le site Arrêt sur images. Au premier tour, Jean-Luc Mélenchon talonne donc Marine Le Pen chez les chômeurs (27,5 %) et les ouvriers (24 %) et arrive en tête chez les jeunes (30 %). « Il a même probablement réussi à reprendre des électeurs au FN (mais pas au-delà de 5 %). Le parti frontiste serait donc arrivé en tête sans Mélenchon », ajoute Kévin Boucaud-Victoire, auteur de La guerre des gauches.

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Réussir à supplanter le PS et à s’imposer comme le vote utile à gauche est aussi une double victoire politique et symbolique pour l’ancien ministre de Lionel Jospin. Une étape décisive pour celui qui souhaite « remplacer le PS » après les législatives. L’objectif semble réaliste compte tenu de la conjoncture politique actuelle. « Si on applique le vote aux présidentielles sur les législatives, aucun candidat du Parti socialiste ne sera au second tour », explique le politologue Pierre Mathiot. « Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron partagent un objectif commun, la mort du PS. La politique débouche parfois sur de surprenantes alliances. On l’a vu lors des débats qui ont précédé le premier tour, les deux hommes se sont clairement ménagés », ajoute-t-il. Près de la moitié des électeurs de François Hollande en 2012 ont effectivement voté pour le candidat d’En marche dès le premier tour, participant ainsi à la faiblesse du score de Benoît Hamon. Face à un Front national sorti affaibli de sa défaite au second tour et qui doit trancher ses contradictions idéologiques, c’est donc une opportunité historique qui se dessine pour la France insoumise.

Avant de transformer l’essai lors des législatives, le mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon devra cependant affronter plusieurs obstacles stratégiques. L’absence d’un accord national avec les communistes et la nature d’une élection moins centrée sur la figure d’un seul candidat notamment. La France insoumise devra confirmer la dynamique amorcée par son leader lors de la présidentielle. D’où la nécessité de faire émerger de nouvelles figures issues du mouvement et de structurer ce dernier autour d’un fonctionnement transparent et démocratique. Pour gagner en crédibilité et affiner sa stature d’homme d’tat capable de rassembler, l’ex-sénateur socialiste lance des appels aux frondeurs du PS. Une posture intransigeante ne faciliterait pas les choses. « Le problème de Mélenchon, c’est qu’il n’arrive pas à attirer vers lui des dirigeants du Parti socialiste. S’il a réussi à convaincre une parti de son électorat, ce n’est pas encore le cas des dirigeants », détaille Pierre Mathiot. « Il devra mettre un peu d’eau dans son vin. » Un rassemblement d’autant plus souhaitable que « si les 6,36 % de citoyens qui se sont déplacées pour voter Hamon l’ont fait par conviction, une majorité (au moins les deux tiers) se sent plus proche de Mélenchon que de Macron », comme l’explique Kévin Boucaud-Victoire. Sur certains sujets sensibles, à l’image des relations avec la Russie ou le rapport à l’Union européenne, développer un discours clair et pédagogue sera un défi de taille pour espérer le ralliement de ces indécis.

Ces enjeux sont d’autant plus importants que le quinquennat d’Emmanuel Macron risque d’aggraver les maux dont souffre la société française. Selon Pierre Mathiot, « La flexi-sécurité consiste à exposer les travailleurs à une potentielle perte de leur emploi, tout en leur permettant d’en retrouver un autre plus facilement. C’est un risque à prendre. Cela peut être dur psychologiquement, mais c’est un pari. » Un pari qui pourrait conduire à une hausse de la précarité et qui a eu pour conséquence l’élection de Donald Trump aux États-Unis et le Brexit de l’autre côté de la Manche. « À partir du moment où on ne peut plus agir sur le budget et la monnaie, il ne reste plus que le marché du travail et la baisse des salaires », affirme l’économiste Frédéric Farah, auteur d’Introduction inquiète à la Macron-économie. Or, durant la campagne, Emmanuel Macron a également promis de réaliser les réformes structurelles demandées par la commission européenne. « La politique européenne d’Emmanuel Macron consiste à donner des gages à l’Allemagne sur la libéralisation du marché du travail et la baisse des dépenses publiques dans le but d’obtenir un accord sur un budget commun de la zone euro », confirme l’économiste Steve Ohana au micro de Coralie Delaume. Un pari risqué quand on pense à l’hostilité de l’opinion publique allemande à l’égard de ces questions. D’où la nécessité, à gauche, d’un discours souverainiste qui souligne l’importance de retrouver des leviers budgétaires et monétaires pour agir sur la croissance et améliorer la compétitivité des entreprises françaises. Une voie privilégiée par Jean-Luc Mélenchon qui souhaite engager un bras de fer avec les dirigeants allemands.

Les questions économiques ne sont cependant pas les seules sources d’inquiétude pour une partie de la population. La montée de l’islamisme radical dans les quartiers populaires, est considéré comme un danger imminent. Alors que le politologue Laurent Bouvet a salué le fait qu’Emmanuel Macron s’approprie la thèse de « l’insécurité culturelle » pendant la campagne, ce dernier demeure proche de l’institut Montaigne – un think tank qui tient des positions différentes sur le sujet. Mohamed Louizi, un ancien de l’UOIF, qui a quitté l’organisation sur fond de désaccord idéologique, notamment sur la question de la violence, analyse les mesures préconisées par le rapport du groupe sur l’islam de France rédigé par Hakim Al-Karoui, soutien du nouveau Président de la République : « L’une de ces mesures résume presque tout : “établir un nouveau contrat entre la République et les musulmans”. Ce qui laisse entendre que les “musulmans” constituent une communauté à part entière. L’individu citoyen, de sentiment musulman si j’ose dire, disparaît en faveur d’une communauté religieuse ainsi reconnue ». Une brèche ouverte dans la conception française de l’État-nation et une porte ouverte aux communautarismes. « Ledit institut s’interroge aussi, dans un document interne non public, s’il ne fallait pas aller “plus loin” ? Deux mesures y sont examinées : “Aggiornamento de la loi 1905” et “extension du Concordat sur tout le territoire” », ajoute-t-il. Des mesures qui pourraient mettre fin au modèle républicain et laïc qui fait la spécificité de la France. Au risque d’augmenter l’insécurité culturelle ressentie par une partie des Français.

« François Ruffin, c’est la vraie alternative de gauche à Marine Le Pen. » Emmanuel Todd

La campagne menée par Jean-Luc Mélenchon a démontré son intérêt pour l’ensemble de ces questions. « Avec sa ligne patriote et très républicaine, ses drapeaux tricolores et même le nom de son mouvement “France insoumise”, Mélenchon a déjà largement impulsé ce virage », explique Kévin Boucaud-Victoire. Ce qui lui a valu quelques critiques sur sa gauche, notamment de la part du Nouveau parti anticapitaliste qui n’a pas apprécié ses nouvelles positions sur l’immigration. Un pari pourtant réussi pour le candidat de la France insoumise. « Maintenant, il ne faut pas se reposer sur ces maigres lauriers, le chantier reste énorme : il y a toute une France populaire qui vit dans la “France périphérique” de Christophe Guilluy à reconquérir. Pour cela une ligne “populiste de gauche” – c’est-à-dire qui défend le peuple sur des bases sociales, non sur des bases ethniques – pourrait en effet réussir ». Il prévient cependant : « Il faut faire attention à une chose, trouver un bon équilibre afin de ne pas perdre les classes populaires de banlieue, qui pourraient se sentir abandonnées par ce type de discours. L’objectif doit donc être d’unir classes populaires de banlieue et du périphérique. » Une vision partagée par Emmanuel Todd, au sujet de la candidature de François Ruffin aux élections législatives, sous la bannière de la France insoumise : « J’ai un espoir et une formule pour le résumer », explique Todd. « Je la prononce quand j’essaie de me rassurer sur l’avenir : François Ruffin, c’est la vraie alternative de gauche à Marine Le Pen. » Unir classes populaires de banlieue et du périphérique, le tout avec un discours rassembleur sur la nation n’est pas une mince affaire. D’où l’importance et la centralité de la question sociale, pour recréer du commun entre ces deux électorats.

Nos Desserts :

10 réponses »

  1. Lorsque vous dites que lors du débat de l’entre deux tours les candidats Mélenchon et Macron se sont épargnés, je me permettrai d’ajouter que le candidat Macron a épargné tout le monde, si grande était sa volonté de faire preuve de tolérance, de bienveillance et d’ouverture d’esprit. Qualités que je ne lui trouve absolument pas 😉

  2. JLM et les insoumis ont bénéficié au premier tour de la Présidentielles des votes utiles à gauche, mais ils n’ont pas voulu en payer le prix, le rassemblement à gauche, et ils ont préféré chanter victoire à tue tête. Jeu de la division et erreur stratégique persistantes lors des législatives.

    • Ce n’est absolument pas ce que j’ai pu constater dans les différents groupes et chez une majorité de personnes rencontrée. Quasiment personne ne veut continuer à se soumettre au PS et à ses traîtrises qu’il organise même contre ses propres candidats (Hamon en est l’exemple parfait). Les petits calculs politiciens de EELV ou du PCF qui cherchent toujours à s’unir à ce parti moribond sont devenus totalement irrecevables pour qui vote à gauche et veut voir appliqué le programme de l’Avenir en Commun.

      • Les sondages donnent aujourd’hui 12% des voix à FI pour les législatives. Il y a bien de l’évaporation par rapport à la présidentielle. FI et l’Avenir en commun ne sont pas, à eux seuls, la gauche.

    • Tu parles de vote utile.. Je parlerai plutôt de vote nécessaire ! n’y a t’il pas urgence sociale, démocratique, environnementale ? Alors les incantations au « rassemblement » mais surtout pas autour de Melenchon … parce que Melenchon : dictateur, chaviste… Ne vois tu pas le paradoxe de ceux qui appellent au rassemblement mais en commençant d’abord par exclure celui qui a été le moteur de la dynamique autour de programme l’avenir en commun ? L’union ne doit elle pas se faire autour du programme

      • Non l’union ne peut se faire autour du programme « l’avenir en commun », mais autour d’un programme conçu en commun.
        La gauche ne se réduit pas à la FI et à son programme.

  3. Il s’agit d’abord de savoir si quelques principes demeurent encore essentiels. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est-il fondamental ou secondaire ou caduc? Une forme de démocratie, aussi bâtarde soit-elle, peut-elle exister sans souverainetés populaires et nationales? Des réponses apportées à ces questions dépendra immanquablement la position à adopter face à l’UE et à l’euro (et à l’OTAN…). Si, sous prétexte de réalisme, on pratique le ratissage électoral sans idéologie et sans principes directeurs, on ne fait que retomber dans la politicaillerie. On a vu où l’électoralisme à tous crins a conduit le « PC officiel ». Même le programme de la FI nécessiterait de sortir de l’UE et de l’euro et se trouverait confronté au pouvoir des puissances financières, ce qui impliquerait la nécessité de s’interroger sur la possibilité d’ébaucher un système qui ne soit pas fondé sur le profit financier.
    Il n’est pas possible de proposer un développement sérieux dans un tel commentaire. Pour ceux qui pourraient être intéressés j’ai présenté dans blog –face au vide politique et idéologique de ces décennies– quelques vieux textes, peut-être reçus autrement aujourd’hui. Son titre: « Immondialisation: peuples en solde! » ne fait pas dans l’hypocrisie…
    Méc-créant.

    • « Même le programme de la FI nécessiterait de sortir de l’UE et de l’euro » : absolument pas, cela n’est abordé qu’afin de pouvoir renégocier les traités, pas comme un but à atteindre.

      • Vous semblez ne pas vouloir comprendre les questions premières (avant tout programme) que je pose, vous contentant des contorsions intellectuelles alambiquées des dirigeants de FI. Après que Mélenchon ait voulu « refonder l’Europe », avant de proposer que « l’Europe on la change ou on la quitte », pendant que les économistes en chef de FI (Généreux en tête) soutenaient « qu’il n’était pas question de sortir de l’UE », ou que le programme ne contenait rien « qui puisse inquiéter Les Marchés »…on peut constater que la clarté n’est pas de mise. Or les questions premières demeurent: souhaitez-vous l’existence de nations souveraines indépendantes se développant à partir de véritables souverainetés populaires (minimum vital pour tout semblant de notion démocratique)? Si oui, vous serait-il complètement impossible de détecter que l’UE (depuis ses origines: CECA, CEE,…) a jeté d’emblée ces souverainetés à la poubelle (pour ceux qui osent encore s’interroger utilement: de l’ERT au Livre blanc de Delors, tout doute était levé…)? Rendre le pouvoir totalement inaccessible aux peuples était le b-a ba de Cette Europe. Si non, si vous considérez ces souverainetés (populaires et nationales) obsolètes, vous pouvez, en effet, accepter de rester dans l’UE et l’euro. Par contre, si vous arrivez à croire, et à vouloir nous faire avaler, que TOUS les pays membres de l’UE vont déchirer sans déplaisir les traités (« qu’aucun vote ne saurait remettre en cause », dixit les « décideurs » européens) pour s’élancer enfin dans la construction d’une Europe sociale, fraternelle, humaniste, ne visant qu’à améliorer la vie quotidienne de tous les citoyens, si…si vraiment vous soutenez cela, ce n’est plus de la réflexion politique, économique et sociale,…c’est de la foi. Quant au fait que le programme de FI ne propose pas clairement, hélas, de sortir de l’UE et de l’euro, il n’en demeure pas moins que le contenu social, économique, fiscal et financier du programme est en totale contradiction avec la politique fondamentale de l’UE. Donc, oui, pour appliquer pleinement ce programme (qui n’est pas une révolution socialiste) sortir de l’UE et de l’euro (et de l’OTAN…) est une nécessité. Sinon, on risque fort dans peu d’années de devoir mettre nos plus grandes divergences de côté pour réaliser un nouveau CNR pour redevenir un peuple non…soumis. (Je ne suis pas sûr que mon blog « Immondialisation: peuples en solde! » entre vraiment en résonance avec vos propres réflexions.
        Amicalement. Méc-créant.

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