Politique

Pascale Tournier : « Une partie des nouveaux conservateurs lorgne vers l’extrême gauche »

Rédactrice en chef adjointe au service actualité de « La Vie », Pascale Tournier a enquêté sur les nouveaux conservateurs, dans « Le vieux monde est de retour » (Stock, 2018). Nous l’avons rencontrée afin de nous éclairer sur le sujet.

Il y a peu encore Éric Zemmour, Alain Finkielkraut, ou encore Élisabeth Lévy apparaissaient presque comme des marginaux dans le paysage médiatico-intellectuel. Depuis, la Manif pour tous, « Mai 68 des conservateurs », selon Gaël Brustier, est passée par-là. Dès 2015, Eugénie Bastié pouvait fièrement affirmer à Jacques Attali que « le vieux monde [était] de retour ». Aujourd’hui, les “nouveaux conservateurs” tiennent le haut du pavé, investissent le champ médiatique (Charlotte d’Ornellas), intellectuel (Mathieu Bock-Côté), politique (Sens commun) ou métapolitique (magazine L’Incorrect). Certains sont catholiques, d’autres ne le sont pas. Certains sont identitaires, d’autres ne le sont pas. Certains sont souverainistes, d’autres ne le sont pas. Certains défendent un libéralisme “modéré”, quand les autres sont ouvertement antilibéraux, parfois décroissants ou promoteurs de “l’écologie intégrale” du pape François. Certains rêvent d’une union des droites, quand les autres ne se reconnaissent plus dans les clivages traditionnels et cherchent des convergences avec la gauche radicale. Par-delà leurs divergences, parfois très profondes, ils ont néanmoins en commun de défendre les notions de “limite” et de “transmission”, de parler d’enracinement, d’opposer la “personne” à l’individualisme, et enfin de se revendiquer du conservatisme, alors que le mot était, il y a peu encore, une insulte en France.

Le Comptoir : Pourquoi vous intéresser aux nouveaux conservateurs ?

Pascale Tournier : Tout est parti de la primaire de la droite et l’élection de François Fillon. Il est très vite apparu que sa victoire, que beaucoup d’observateurs n’avaient pas prédite, était due au soutien de cette famille de pensée. Pour battre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, l’ancien Premier ministre  a su envoyer des signaux précis à cet électorat : soutien aux chrétiens d’Orient, remise en cause de la loi Taubira sur le volet adoption, valorisation des idées d’autorité, mise en avant des dangers de l’islamisation dans la société… C’était très étudié et c’est ce qui lui a permis de renverser la vapeur très rapidement, alors qu’il était encalminé dans de basses eaux dans les sondages. J’ai alors pris la mesure de la structuration de ce courant et qu’il était, de plus, porté par toute une jeune génération, porteuse d’une nouvelle vision du monde.

La découverte du discret Institut de formation politique qui forme de nombreux activistes de droite m’a aussi montré la volonté de ce courant d’investir le champ politique et médiatique. Bref de mener la bataille culturelle, face au camp “progressiste”.

Il était donc temps d’apporter un éclairage approfondi sur ce milieu trop vite caricaturé en camp réactionnaire par ses adversaires et de déceler ce qu’il dit de la société d’aujourd’hui.

Votre livre révèle une vraie variété de “nouveaux conservateurs”. Après son pamphlet sur les “nouveaux réactionnaires” en 2002, Daniel Lindenberg a été accusé de rapprocher des intellectuels sans grand rapport, simplement pour les discréditer. N’avez-vous pas peur de tomber dans le même travers ?

Par rapport à Daniel Lindenberg, que j’ai d’ailleurs rencontré quelques semaines avant sa mort, mon propos n’est pas polémiste mais une enquête journalistique qui essaie de décrypter un monde mal connu par beaucoup de Français. J’ai aussi essayé de montrer les différentes sensibilités qui composent la sphère conservatrice pour montrer que ce monde est loin d’être monolithique. Chacun a son domaine de prédilection. On peut citer les souverainistes, les bioconservateurs plus attachés aux questions de l’écologie, les socio-conservateurs sensibles à la lutte contre les inégalités, les anarchrists, chrétiens et anarchistes comme le nom  l’indique, les libéraux-conservateurs, qui sont des libéraux d’un point de vue économique comme leur nom l’indique… Tous partagent la même quête d’une certaine limite, vis-à-vis de la technique, la course à l’efficacité et à la compétitivité, la conquête des droits individuels…

« Émerge la génération du Pape François, très préoccupée par la lutte contre les inégalités et imprégnée par la doctrine sociale de l’Église. »

Vous montrez dans votre livre que les “nouveaux conservateurs” se réfugient vers le débat d’idées, faute de débouchés politiques sérieux, surtout après la défaite de François Fillon et la retraite anticipée de Marion Maréchal-Le Pen. Les “nouveaux conservateurs” ont-ils assez en commun pour trouver une offre politique qui les réunit ? L’union des droites n’est-elle pas une vieille marotte impossible, d’autant plus que Laurent Wauquiez n’en veut pas ?

L’union des droites est effectivement une vieille marotte qui a rarement été rendue possible. Il faut les leaders adéquats. Surtout les appareils partisans y sont clairement opposés. On l’a vu chez les Républicains, lors des dernières élections. Laurent Wauquiez n’y est pas plus favorable. Il veut carrément aspirer les voix du FN. Pour l’heure, vue une récente enquête d’opinion IFOP, il en est loin. Plafonnant à 8 % dans les intentions de vote, il est largement devancé par le FN (23%).Conscient de cette difficulté, beaucoup  préfèrent parler de l’union des personnalités. C’est ce que proposent par exemple Jean-Frédéric Poisson, Emmanuelle Ménard et Nicolas Dupont-Aignan. Mais ce concept reste vague et surtout tributaire de batailles d’ego potentielles.

Si les nouveaux conservateurs partagent une même opposition au progressisme sociétal, certains sont ouvertement anticapitalistes, quand d’autres sont plus ou moins libéraux. Existe-t-il une vraie ligne de fracture sur la question économique ?

La question économique les divise profondément. Une ligne de partage entre les libéraux et les anti-libéraux se dessine de plus en plus nettement. Les libéraux peuvent d’ailleurs être séduits par la politique d’Emmanuel Macron. Les derniers sondages le révèlent. Mais c’est aussi le rapport au productivisme et au progrès qui peut créer une nouvelle et profonde divergence entre eux.

« Les nouvelles idées à gauche sont proches de zéro, voire du néant. Les socio-démocrates bricolent une pensée avec des restes morcelés de leur ancienne doctrine. »

Vous soulignez que certains conservateurs cherchent des convergences du côté de la gauche radicale. Pourquoi ? Ont-ils une chance de réussir ?

Oui, au fil de mon enquête j’ai pu voir qu’une partie, notamment les socio-conservateurs, lorgnent davantage vers l’extrême gauche que vers l’extrême droite. J’en veux pour preuve le vote de Paul Piccarreta, le rédacteur en chef de la revue Limite, en faveur de Jean-Luc Mélenchon ou encore les interviews accordées par José Bové encore à la revue Limite. Émerge la génération du Pape François, très préoccupée par la lutte contre les inégalités et imprégnée par la doctrine sociale de l’Église. Il ne faut pas oublier que la doctrine sociale de l’Église n’a jamais fait bon ménage avec le capitalisme. Hormis Jean-Paul II, les papes ont toujours critiqué la société marchande et ses excès.  L’écologie et la décroissance constituent d’autres points d’accroche. Savoir s’ils ont une chance de réussir est sans doute prématuré. C’est un mouvement naissant et pas sûr que l’extrême gauche accueille à bras ouvert les conservateurs. Si d’un point de vue individuel, des liens peuvent être noués. De groupe à groupe, c’est beaucoup moins aisé. On l’a vu quand Gaultier Bès, toujours de la revue Limite, et une équipe des Veilleurs, ont essayé d’établir des contacts avec les militants de Nuit Debout place de la République à Paris. La soirée s’est mal terminée du fait d’un groupuscule ultra-violent.

À une époque pas si lointaine, Finkielkraut et Zemmour étaient les seuls essayistes/journalistes médiatiques appartenant à ce camp. Aujourd’hui, ils sont nombreux et plus médiatiques que ceux de gauche ou les libéraux. Pourquoi ce retournement ?

L’époque avec ces multiples crises (terroriste, écologique, économique) rend le discours conservateur plus audible et leurs aînés, comme Éric Zemmour, Élisabeth Levy, leur ont ouvert une sacrée brèche dans les médias. De plus, ils présentent leur discours de façon plus glamour et moins pessimiste que leurs prédécesseurs. En face, les nouvelles idées à gauche sont proches de zéro, voire du néant. Les socio-démocrates bricolent une pensée avec des restes morcelés de leur ancienne doctrine. Et comme le souligne Laurent Joffrin, le directeur de la rédaction de Libération, il serait temps qu’ils se réveillent s’ils ne veulent pas disparaître.

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5 réponses »

  1. Il faut penser aux inversions de sens qui se sont produites
    Par les bouleversements que le néolibéralisme a imposés
    L’extrême gauche ne me paraît plus une valeur sûre
    Elle a dévié sur le sociétal par progressisme obligé et par l’onction de G. Soros
    Qui a su récupérer son côté humaniste et le lui imposer par subventionnements
    Maintenant, comme pendant la Résistance
    Des gens de gauche et des gens de droite doivent s’unir pour sauver
    Les – La républiques démocratiques, contre les lois tyranniques de la finance
    Seront-ils encore appelés des patriotes ?

  2. Les socio-démocrates remettent davantage au goût du jour des concepts anciens qui ne viennent pas de leur corpus doctrinal – intéressants certes, comme le revenu de base – plutôt que des idées nouvelles. De fait, on a un peu de mal à les trouver crédibles, ça sonne faux.

    Le vieux monde risque de ressurgir bien assez tôt, espérons que Wauquiez n’en sera pas l’incarnation…

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