Toutes affaires cessantes, les honnêtes gens se précipiteront vers le fabuleux « Guide des parents confinés » , publié par le non moins fabuleux Secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Gît là un précipité chimiquement pur de ce qu’est exactement notre gouvernement, ses horizons, ses rêves, avec qui il copine, ce pour quoi il nous prend.
On ne sait par où commencer. L’essence même du projet, tenez : on s’imagine donc là-haut que le troupeau a besoin d’être conseillé jusque dans les détails de son quotidien. Et que des conseils, il lui en faut cinquante. Pensez donc, il est bien possible, voire probable, que depuis un gros mois aucun d’entre nous n’ait pensé à passer l’aspirateur ou à prendre une douche. Sans le Secrétariat, nous pataugerions tous dans l’alcoolisme, les caleçons sales et les pelures d’oignons, c’est très connu.
Dieu merci, nous autres de la France avons le Secrétariat. Qui ne vient d’ailleurs pas seul et appelle en renfort un aréopage d’experts, tous plus qualifiés les uns que les autres à nous apprendre à changer la couche du bébé, repenser notre plan de carrière de fond en comble, ou, même, à nous pénétrer des plus grands chefs-d’œuvre – ainsi que l’a ordonné notre Président himself à la télévision. Des blogueurs, donc, évidemment, mais aussi des influenceurs comme s’il en pleuvait, des consultants, des chefs d’entreprise, des coaches, des chanteuses, et autres Marlène Schiappa pour nous servir la messe.
Mais encore : une baby planner, par surcroît « experte en parentalité », qui dit mieux ? La fondatrice du « cabinet 5A », venue aimablement nous vendre ses conseils carrière et nous diriger, non moins aimablement, vers son propre cabinet pour y voir plus clair – c’est remboursé, nous dit-on. Carla Schiappa, sœur de Marlène, sobrement présentée comme « directrice d’école ». HEC, BNP-Paribas, L’Oréal, Canal+, BeIN Sports, Elle… que d’excellent monde !
« On s’imagine là-haut que le troupeau a besoin d’être conseillé jusque dans les détails de son quotidien. »
À peine le fascicule paru, certains extraits ont fait grand bruit. Le directeur de chez Canal+ nous expliquant, par exemple, qu’il ne fallait pas oublier de s’informer et de se divertir – et qu’à cet effet rien de tel qu’Yves Calvi (vous savez : la « pleurnicherie hospitalière » ..) et Cyril Hanouna. Ou madame Goretty Ferreira, « Dirigeante » de l’Agence de l’entreprenariat féminin, nous intimant séance tenante de « faire sortir en (sic) chacun l’entrepreneur qui est en lui ». Mais cela, n’est-ce pas, « step by step ». Ne dissertons même pas sur la vision du monde contenue dans cette seule phrase, vilaine et mal construite, certes, mais combien éloquente.
C’est loin d’être tout. On peut d’ailleurs s’amuser à faire aller et venir son curseur sur le document et prendre quelque passage au hasard, tout est à l’avenant.
Voyez : la dame du cabinet 5A, qui s’imagine sans doute que la France entière est coach minceur ou baby planner, non contente d’infiltrer un document officiel pour vendre ses saucisses, n’y va pas de main morte. « Suis-je épanoui dans mon métier actuel ? Quelles sont mes différentes options ? » Il est l’heure, nous dit-elle, de repenser complètement ma carrière. Flexibilité ! Pourtant, mettons que la lectrice ne soit pas experte en parentalité, mais aide-soignante à l’hôpital. Et que, sait-on jamais, elle envisage non pas l’option coach chakras, mais plutôt manifs, pavés, barricades… le document, c’est une faille, ne précise pas la démarche à suivre.
Une autre : la coach parentale, justement, exige un « mode de vie slow ». Elle n’hésite pas à nous causer en On (« On a bien pris son laxatif ? On n’a pas versé ses analyses d’urine dans les fleurs en plastique, comme la dernière fois? ») et nous forcer à former une « équipe parentale ». « On » est un peu intimidé par l’injonction, faite quand même par la « créatrice de la slow parentalité » – lors même qu’on n’a pas souvenir que Claude Lévi-Strauss se soit un jour promu « créateur » du structuralisme anthropologique.
Encore : chez BNP-Paribas, on s’imagine que tout le monde est hanté par cette unique question : faut-il oui ou non retirer de la banque les économies des enfants ? Que non, nous dit-on ! Malheureux ! « Le système bancaire français est très solide » (ajoutons, car le document ne précise pas : en cas de dégringolade, on renflouera avec votre pognon. Ça marche très bien, on l’a déjà fait). Son lecteur rassuré, Madame Capobianco d’ajouter avec des accents mâtinés de youtubeur self-management et de sorcière au fond des bois : « Alors maintenant que je vous ai dit pourquoi la clôture des comptes de vos enfants n’aurait pas de cause objective, je vais vous dire pourquoi vous avez même intérêt à les conserver et à en faire bien prendre conscience à vos chers petits : vous pouvez profiter de cette période de confinement pour leur expliquer le b.a.-ba du budget ». Ah ! Madame la banquière est de fort bon conseil… Allons de ce pas apprendre l’épargne avaricieuse à nos « chers petits ». Tant qu’on y est – ce n’est pas dit mais on devine… – pourquoi ne pas tenter une métaphore avec la Maison France ? Qui vit au-dessus de ses moyens, jette l’argent public par les fenêtres pour des choses bien frivoles : hôpitaux, écoles et compagnie. D’ailleurs, retour sur investissement : « plus tard, vous pourrez vous souvenir ensemble du moment particulier où vous leur avez appris tout cela ». Que de bons et beaux souvenirs, en effet !
Pour la bonne bouche, un dernier : Passons le coin lecture où nous attend Marlène Schiappa, allons directement à l’espace Yoga. La journaliste Claire Arnoux y est formelle : il faut faire du sport. Puis de déclarer : « J’inclus ma fille avec moi ». Merveilleux. Et pour quiconque se laissait déjà aller à des manières de chômeur de longue durée, cette « astuce confinement » : « prenez soin de vous. Ça veut dire qu’on ne reste pas en pyjama toute la journée. L’hygiène est primordiale. On continue à se doucher, à s’habiller et à se laver les mains très souvent ». Avec, toujours, ce On délicieux.
« Mettons que la lectrice ne soit pas experte en parentalité, mais aide-soignante à l’hôpital. Et que, sait-on jamais, elle envisage non pas l’option coach chakras, mais plutôt manifs, pavés, barricades… »
Un peu de ce truc, c’est déjà beaucoup, voire trop ; les plus gourmands iront juger sur pièce. On retiendra, outre la consanguinité affichée sans complexe des milieux d’affaire et des classes dirigeantes, cette formidable aptitude de notre gouvernement à communiquer.
Mais, Seigneur, à qui croient-ils donc en mettre plein la vue avec un tel sabir ? Pandémie mondiale, pays entier en détention, et l’État qui cause comme Milton Friedman et Ophélie Winter. Le cauchemar est complet.
Nos Desserts :
- Nous évoquions au Comptoir le spécimen NDiaye (dont on s’attriste qu’elle n’ait pas mis son grain de sel au petit fascicule)
- Lire Marion Messina, qui analysait le Covid comme « maladie d’un monde malade«
- Rêvons un peu, non sans ironie, de lendemains qui chantent…
- À lire dans Marianne, cet article sur les « conseils » de Mme Ferreira
Catégories :Politique
C’est rudement bien écrit ! Merci de m’avoir fait péter de rire pendant dix bonnes minutes, et m’avoir permis par là même occasion d’oublier cet ignoble mémoire de fin d’études. Des bisous à l’honorable Sylvain Métafiot. 😉
Je fais partie d’une assoc d’aide à l’insertion des personnes d’origine étrangères et d’aide administrative. Et je constate que pendant le confinement cette assoc, par la voix des dirigeants ou salariés en télé-travail, relai cette propagande. Pourquoi une assoc les mains dans le cambouis fait-elle cela ? Eh bien, la Mairie, le Département surveillent ceux qu’ils subventionnent et leur font rapidement que s’ils ne sont « politiquement corrects », les subventions pourraient soudains s’évanouir.
Et pour le brossage des dents, le matin ET le soir, comme Marlène, on pensera bien à éteindre le robinet, et à tous ces petits gestes utiles pour sauver la planète.
Et demain, encore avec mi-mi Marlène, c’est crêpes au chocolat pour toute la famille. On change pas une équipe qui gagne. Ouuuais.
Bonne nuit les enfants…
Le summum de l’infantilisation !!!
Franchement ?
Mes profs de français me disaient toujours, en prodiguant de bons conseils de rédaction : ON est un CON.
Eh bien, oui, ce gouvernement n’est qu’un ramassis de CONS !
Une chose à retenir cependant : faites le contraire de ces conseils. Oui, débancarisez vos économies et pas que celles de vos enfants. Car oui, le gouvernement, au moment de la débacle, facilitera le pillage par les banques de nos comptes d’épargnes et autres assurances-vie.
Quant à repenser son plan de carrière, c’est un aveu déguisé que pour beaucoup de gens, le déconfinement va rimer avec licenciement (économique).
Gouvernement de marde, comme on dit au Québec !
2019 : un peuple adulte et conscient de lui-même qui vient coller une claque dans la rue à un gouvernement de petits garçons tout-puissants et prétentieux.
2020 : une petite fille définitivement imperméable à la moindre idée de son ridicule, qui vient en coach motivé et bienveillant s’adresser au peuple pour lui réapprendre les vertus nécessaires de son confinement intra-utérin.
Vous l’avez dit, le cauchemar est complet.
C. Lasch avait déjà dit l’essentiel là-dessus il y a une quarantaine d’années dans La culture du narcissisme: »C’est en réduisant l’homme ordinaire à l’incompétence que se crée le consensus des gens compétents […]de récentes études sur la professionnalisation de l’assistance montrent que lorsque celle-ci fit son apparition au XIXème siècle et au début du XXème, ce ne fut pas en réponse à des besoins sociaux clairement définis. De fait, les nouvelles professions inventèrent un grand nombre des exigences qu’elles avaient pour mission de satisfaire. Elles jouèrent sur les craintes de maladie et de désordre, adoptèrent un jargon délibérément mystificateur, ridiculisèrent, comme rétrograde et non scientifique, l’autonomie ancrée dans les traditions populaires et créèrent ou multiplièrent ainsi (non sans opposition) la demande du public pour leur service. » »
La bande à Macron n’a donc rien inventé même s’il faut bien reconnaître qu’ils ont poussé leur propre caricature très loin.
« Comment expliquer aux enfants le télétravail ? »
J’ai pas vu de page « Comment expliquer aux enfants cette épidémie ? »
Mais j’oubliais : le télétravail c’est la santé !