Politique

Sonia Mabrouk, lauréate du prix du Nouveau chien de garde 2021

Depuis quelques semaines, plusieurs « féministes » expriment leur enthousiasme pour la victoire de Valérie Pécresse au congrès d’investiture de LR pour les élections présidentielles au seul motif qu’elle est une femme. Pourtant ministre de l’enseignement supérieur sous Nicolas Sarkozy et responsable de la brutale loi d’autonomie des universités, son élection a tout de même émoustillé une partie de « la gauche » : inspirée par la nouvelle, Sandrine Rousseau a « salué » l’élue versaillaise d’avoir « brisé un plafond de verre ». Désormais, ces voix « féministes » ont une nouvelle raison de se réjouir : le prix du Nouveau chien de garde 2021 est également décerné à une femme : elle s’appelle Sonia Mabrouk, et collectionne les prébendes et sinécures dans le groupe du milliardaire réactionnaire Vincent Bolloré, irriguant de ses lumières tantôt CNews dans l’émission « Midi News » tantôt Europe 1 dans la matinale la plus médiocre de France.

Est-il besoin de préciser que la concurrence pour le prix fut rude et sans merci ? En lice avec les deux Clémenceau du service public (les briseurs de grève médiatiques Léa Salamé et Nicolas Demorand), Emmanuel Lechypre, pour ses brouets éditoriaux « pro-patronat » gloussés quotidiennement sur BFM TV, RMC et BFM Business, chaîne de référence des boursicoteurs, ou encore Anna Cabana, « journaliste » énamourée du président de la République  et épouse du ministre de l’éducation nationale, autant dire que les prétendants se sont livrés une impitoyable concurrence. Mais seule Sonia Mabrouk pouvait atterrir sur la première marche du podium : révérencieuse à l’égard des puissants, prudente et faussement pugnace face aux membres du gouvernement, connivente avec la droite extrême et l’extrême droite, et ruisselante de morgue face à l’opposition de gauche – quand il lui arrive de tolérer sa présence dans ses « émissions » –, la palefrenière de Bolloré coche toutes les cases caractérisant le Nouveau chien de garde fieffé.

Admirons pour commencer le pluralisme qui règne dans son cloaque d’Europe 1 : sur les 189 [1] « interviews » perpétrées en 2021, l’intervieweuse franco-tunisienne a déroulé le tapis rouge à 47 reprises à un représentant de la majorité présidentielle, et 40 fois à un membre de l’opposition de droite ou d’extrême droite [2]. La préposée de Bolloré a toutefois toléré à 8 reprises la présence d’un membre du Parti socialiste ou d’Europe Écologie les Verts, tandis qu’elle a convoqué la France insoumise à seulement deux reprises. Pour se faire une idée plus précise du sens de l’équité de celle qui se définit comme le « cheval loyal » à Bolloré [3], David Lisnard, illustre inconnu maire de Cannes étiqueté LR, a bénéficié de plus d’invitations que l’ensemble de la France insoumise.

Ces chiffres éloquents se suffisent à eux-mêmes. Mais certaines « interviews » valent le détour, comme celles du député LFI Adrien Quatennens, vraisemblablement puni par Jean-Luc Mélenchon qui l’a envoyé à deux reprises subir les humeurs rances et méthodes sournoises de la « journaliste » bollorophile. L’« interview » du 8 juin offre un cas d’école du journalisme de commissariat. La date de convocation a toute son importance : elle survient deux jours après les propos – certes mal formulés – de Jean-Luc Mélenchon sur France Inter prédisant un «grave incident» dans la prochaine campagne présidentielle.

D’entrée de jeu, Sonia Mabrouk décoche la première fourberie : « Bienvenue à vous et bonjour Adrien Quatennens. Êtes-vous capable de vous montrer ce matin insoumis ? » Décryptant la grossière manœuvre, le jeune député du Nord essaye dans un premier temps de l’esquiver : « Ben dites-moi,  insoumis à quoi ? », avant de tenter de réorienter l’échange vers un terrain politique : « Oui, Insoumis à cet ordre injuste, insoumis à la concentration de richesses entre quelques mains, à l’extension de la pauvreté, à cet ordre social injuste. Bien sûr je le suis. » Vaine tentative puisque l’intervieweuse en chef va consacrer l’intégralité de l’entretien, à deux minutes près, à la « polémique ».

L’interrogatoire zélé a duré 14minutes 32 secondes, pendant lesquelles le séide à Bolloré a actionné la boite à outils infecte du journalisme policier : sommations à la repentance façon David Pujdas face à Xavier MathieuEst-ce que vous demandez pardon ? », « Est-ce que ce n’est pas l’honneur d’un responsable politique de demander pardon ? », « Donc pas d’excuses ce matin M. Quatennens ? »), interruptions à répétition au bout de quelques secondes ; rabâchage débile des éléments de langage du pouvoir (« [E. Macron] ne souhaite pas que le macronisme rime avec un immobilisme. En quoi il a tort ? », « Dans les sondages les Français semblent partagés, il n’y a pas d’hostilité forte à cette réforme des retraites« ).

Face à l’impénitence du député insoumis, et à moins deux minutes de la fin de l’interrogatoire, Sonia Mabrouk essaye de sauver l’honneur de la séquence en la saupoudrant d’une pincée de politique : « Je voulais vous en parler de (sic) la réforme de retraites mais vous voyez les propos de Jean-Luc Mélenchon vous empêche d’être audible sur le sujet », ce à quoi, lucide, Adrien Quatennens rétorque : « Non, pas les propos de Jean-Luc Mélenchon, c’est votre décision de consacrer 100% de votre interview à cette question. » On ne saurait dire mieux. Mais en ayant passé quasi l’intégralité de l’entretien sur la « polémique », Adrien Quatennens ne mesurait certainement pas sa chance. Il a ainsi pu se soustraire à toutes les obsessions décrépites que la journaliste militante serine d’habitude à ses invités : vaticinations sur le déclin de la civilisation, menace de l’« islamo-gauchisme », explosion de la violence.

Si l’entretien d’Adrien Quatennens offre un cas d’école, celui de Sébastien Bazin, PDG du groupe Accor, en offre un autre, aux antipodes. Favorisée par une redoutable capacité de reptation, Sonia Mabrouk chante les louanges du patron dès l’abord : « Bienvenue à vous et bonjour Sébastien Bazin. Le groupe Accor c’est près de 5000 établissements dans plus de 100 pays, une large gamme d’hôtels, et si je devais tous les citer je crois qu’on passerait l’entretien à le faire. Mais il y a aussi, et je tiens à le préciser, 300.000 collaborateurs », et de poser, sans concession, la première question : « Tout d’abord, quelle est la proportion de vos hôtels ouverts à l’heure actuelle en France ? » L’entretien se distingue par son ton plat, monotone, ponctué toutefois par quelques accès servilement dithyrambiques (« C’est important ce que vous dites » ; « Vous prenez des décisions évidement très difficiles, Sébastien Bazin ! »).

Plus généralement, Sonia Mabrouk maîtrise l’art de sélectionner ses complices pour jacasser sur toutes les obsessions qui agitent la sphère médiatique et promouvoir l’ordre établi : elle veut pérorer sur le séparatisme, le communautarisme et la laïcité, elle courtise Elisabeth Badinter (11/06) ; elle désire promouvoir le capitalisme vert, elle sollicite Patrick Pouyanné, PDG de Total (31/05) ; elle souhaite spéculer sur le déclin de la France, elle convoite Alain Finkielkraut (16/09 et 14/12) ; et si l’envie la prend de gloser sur le « politiquement correct », elle siffle son collègue de bureau Mathieu Bock-Côté (15/04).

Si seulement les nuisances de Sonia Mabrouk se limitaient au PAF … Amatrice de la glose éditée, et bien que mal servie par une plume étriquée, la « journaliste » militante encombre chaque année les rayons des libraires d’un nouveau livre. Celui qu’elle a commis en 2021, Insoumission française, a largement contribué à sa consécration du prix du Nouveau chien de garde. Dégoulinant d’enflure et suintant l’emphase, le folliculaire à Bolloré y exsude tous les poncifs en vogue dans la fachosphère : hégémonie de la culture « woke », « déconstruction » des valeurs, capitulation des « islamo-compatibles ». On aurait pourtant tort d’estimer que ce (médiocre) essai n’a aucun intérêt. Il en a celui de mettre au jour le copinage et renvois d’ascenseur entre bollorocrates décomplexés. La « journaliste » de CNews et d’Europe 1 a pu faire la réclame de son livre dans l’émission de Pascal Praud … sur CNews, et d’Anne Roumanoff sur … Europe 1. Aussi, régulièrement invités sur ses plateaux, Mathieu Bock Coté et Elisabeth Lévy, également salariés du Groupe Bolloré, lui rendirent la pareille en lui consacrant, respectivement, une recension au Journal de Montréal et la Une du (très mauvais) magazine qu’elle dirige, Causeur.

Bravo Sonia, ton prix, tu l’as bien mérité.

 Nidal Edern

Nos Desserts :

Notes

[1] En 2021, Sonia Mabrouk a animé 189 « interviews » pour 191 invités. Deux d’entre elles ont réuni deux invités (le 12 octobre avec Jérôme Sainte-Marie et Cyril Hanouna et le 16 décembre avec un « débat » entre Agnès Pannier-Runacher et Damien Abad).

[2] Classement des invités par catégories et par ordre décroissant en nombre d’invitations :

  1. Professions intellectuelles supérieurs, hauts fonctionnaires, écrivains et intellectuels : 62 invitations.
  2. Majorité présidentielle : 47 invitations.
  3. Opposition de droite et d’extrême droite : 40 invitations.
  4. Professionnels de la santé : 14 invitations.
  5. Parti socialiste : 5 invitations (dont une pour Arnaud Montebourg).
  6. EELV : 4 invitations.
  7. Artistes: 4 invitations.
  8. LFI : 2 invitations.
  9. PCF : 2 invitations.
  10. Syndicalistes : 1 invitation.
  11. Autres (représentants de culte, youtubeurs, M. Valls, etc.) : 10 invitations.

[3] On lira avec profit l’article de la Lettre A « Les réseaux de Sonia Mabrouk, intervieweuse loyale de CNews et Europe 1 »

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