Politique

François Fillon : le syndrome de Sablé-sur-Sarthe

« Les Français n’aiment pas l’acharnement : tout cela sera finalement très positif pour lui » a-t-on pu lire ces derniers jours à propos du sort que semble actuellement subir François Fillon, de la part de l’institution judiciaire et de la machine médiatique. Se pose dès lors une question simple qui appelle une réponse qui devrait l’être tout autant : est-ce à dire que les Français ont une tendance certaine à l’empathie envers celui qui subit ce type d’acharnement, ou qu’ils ont la fâcheuse manie de s’éprendre de leurs bourreaux ?

Été 1973. Jan-Erik Olsson, un détenu en cavale, braque une banque à Stockholm. Suite à l’intervention des forces de l’ordre, celui-ci se retranche à l’intérieur de la banque et prend en otage quatre employés. La prise d’otages s’étale sur plusieurs jours, et Jan-Erik Olsson obtient même que son compagnon de cellule le rejoigne à l’intérieur de la banque. Après d’âpres négociations, la prise d’otages prend fin, sans qu’aucune victime ne soit à déplorer. Jusque-là, un fait divers que l’on pourrait qualifier de tristement banal. Néanmoins, un fait ayant eu lieu au cours des négociations, attire déjà l’intention : les otages sont intervenus en faveur de leurs ravisseurs et se sont interposés entre les forces de l’ordre et ces derniers. Plus incroyable encore, une fois libérés, ils iront jusqu’à prendre leur défense publiquement, refuseront de témoigner contre eux… et iront jusqu’à leur rendre visite en prison. C’est ce que l’histoire retiendra sous le nom de syndrome de Stockholm.

Le syndrome de Stockholm correspond à un aménagement psychologique résultant d’une situation qui fait naître chez le sujet un stress intense, dans laquelle celui-ci voit son intégrité menacée. Après un état de sidération initial (tel un chevreuil qui se fige lorsqu’il se retrouve ébloui par les phares d’une voiture) pendant lequel le cerveau se retrouve contraint d’assimiler un nombre trop important d’informations, le cerveau se réorganise ensuite sur des modes différents de ceux qu’il a l’habitude de mettre en place. Le stress prenant fin brusquement avec la résolution de la situation qui l’a occasionné, l’angoisse s’arrête également, et la victime s’identifie alors à l’agresseur. Ce qui explique l’attachement qui lie alors les otages à leurs bourreaux s’explique simplement : ils ont vu leurs vies menacées, et surtout, ils ont pris conscience que celles-ci étaient étroitement liées à la vie même de leurs agresseurs.

Dans le cas qui nous intéresse ici, le dépaysement est moins complet, puisqu’il s’agit du “syndrome de Sablé-sur-Sarthe” : un forcené a pris un parti politique et un électorat entier comme otages, et semble ne pas devoir se rendre.

« Nous avons pitié de ceux qui souffrent, et surtout de ceux qui souffrent de manière bien visible ; mais nous réservons notre respect à ceux qui refusent d’exploiter leur souffrance à des fins de pitié. » Christopher Lasch

François l’embrouille

Ceux qui déclarent sans sourciller que la méfiance – pour ne pas parler de haine – qu’éprouve désormais l’immense majorité des Français envers le système médiatique (lequel s’acharne aujourd’hui sur Fillon autant qu’il nous vend la troisième voie Macron à longueur de colonnes) sera la clé de voûte de la victoire finale de François Fillon ne semblent pas saisir que cette hostilité croissante n’est pas née du jour au lendemain, ex nihilo. Qu’elle résulte en effet de décennies de mensonges – on parlera désormais de contre-vérités, voire de faits alternatifs – et s’accompagne d’une exigence de morale politique, dont aucun candidat ne semble pouvoir se targuer aujourd’hui.

François Fillon n’a eu de cesse de répéter tel un mantra tout au long de sa campagne : « Si je venais à être mis en examen, je ne serais pas candidat », n’hésitant pas à se draper dans un pseudo héritage gaulliste et utiliser à ces fins la figure tutélaire du général, pour déclarer : « Qui imaginerait le général de Gaulle mis en examen ? » L’ensemble de sa communication était axée sur cette volonté d’éthique, et il n’a pas hésité à accuser de manière à peine voilée la probité des autres candidats afin de faire ressortir en négatif sa propre image de « Monsieur Propre ». Il s’agit bien là de l’expression utilisée par une partie des médias pour décrire François Fillon pendant la couverture des primaires de la droite. Celui qui fut le premier ministre de Nicolas Sarkozy étant connu pour sa loyauté politique (il n’avait pas même songé à présenter sa démission lors de l’exercice de la surprésidence de Sarkozy, lequel le présentait comme un simple « collaborateur » devant les médias) et surtout pour son honnêteté épatante pour un homme politique ayant occupé si longtemps d’aussi hautes fonctions à la tête de l’appareil d’État.

Or, de « Monsieur Propre » il n’y a plus aujourd’hui. Ne circulez plus, tout reste à voir. Ce qui a permis en partie à François Fillon de remporter les primaires (le désaveu qui a frappé coup sur coup Nicolas Sarkozy et Alain Juppé ne le montre que trop bien : l’écho des casseroles que se trainaient ces derniers semble les avoir finalement atteints) le rattrape désormais, et celui-ci, s’enfonçant chaque jour un peu plus profondément dans le déni, semble en proie à un refus de voir la réalité, dont on a peine à croire qu’il ne soit pas tout simplement simulé.

Exhortant le peuple français à « résister », François Fillon a ainsi magistralement retourné l’objet des attaques médiatiques : il a lancé un message fort, l’idée que ce qui serait attaqué ne serait pas sa personne et à travers elle une forme de pourriture généralisée de la vie politique française, mais son seul programme et le danger que ce dernier représenterait pour l’establishment et le système. Ce message, pour peu audible qu’il soit chez ceux qui se placent de l’autre côté de l’échiquier politique, trouve un terreau fertile dans l’électorat auquel il s’adresse.

Pourtant, cet appel au peuple incessant est un trompe l’œil, et une énième émanation d’une forme crasse de populisme. Laisser croire à l’ensemble de son électorat que l’on se trouve persécuté par le système et que dès lors, il convient de comprendre que l’on s’oppose à celui-ci ne prend plus que pour une infime partie du corps électoral. Un symptôme de plus de « l’isolement croissant des élites » dont parlait Christopher Lasch, qui « ont perdu tout contact avec le peuple ». Le même Lasch qui, lorsqu’il affirmait que « Les gens se plaignent d’être incapables de sensation. […] Ils bouillonnent d’une colère intérieure à laquelle une société bureaucratique, dense et surpeuplée, ne peut offrir que peu d’exutoires légitimes. », semblait décrire le moment que nous vivons actuellement.

Les militants qui continuent de soutenir activement François Fillon – on le voit quotidiennement sur les réseaux sociaux – partagent ceci d’incroyable qu’ils semblent vouloir lutter à la fois contre le système et contre l’ennui d’un horizon politique bouché et d’un débat démocratique moribond. Or, cela semble entrer en contradiction avec ce qui compose l’électorat filloniste par ailleurs, « des 65 ans et plus – essentiellement les retraités », « 62% des électeurs du second tour [ayant] voté en fonction de son projet ». François Fillon attire donc à lui un vote d’adhésion, et non pas un vote de rejet visant à sanctionner une politique avec laquelle on exprimerait ainsi un désaccord. Aussi, il convient de s’interroger sur la pertinence de ce vote « anti-système » et qui « bouillonnerait de colère » lorsque celui-ci concerne un homme politique libéral conservateur, dont la mesure phare serait la libération de l’économie.

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Le poney a été mis en examen suite à la découverte de son emploi fictif en tant que doubleur dans le film de Steven Spielberg, Cheval de guerre.

En déclarant « Depuis le début, je n’ai pas été traité comme un justiciable comme les autres », François Fillon ne semble pas exprimer autre chose que l’isolement dans lequel vivent les hommes de pouvoir : en effet, protégé par son immunité parlementaire, il n’a pas eu la joie de goûter aux plaisirs fins et délicats de la garde à vue, comme n’importe quel citoyen ordinaire. L’écart significatif ne se fait donc pas entre le traitement judiciaire réservé à Emmanuel Macron, Marine Le Pen ou François Fillon, mais entre n’importe lequel de ces derniers et nous autres, les « gens ordinaires » dont parlait George Orwell. Comme nous l’apprenait Guy Debord dans son livre La société du spectacle, « le vrai est un moment du faux », et les quelques remises en cause personnelles qu’a daigné produire Fillon ne visaient que cet effet : inclure dans sa stratégie de défense médiatique une critique de peu de poids, à savoir qu’il aurait commis une faute « morale » et non pas « juridique » et que ce faisant, il n’était qu’un homme comme les autres. Habile.

Tous masos !

Mais alors, devons-nous en chœur compatir à la douleur ressentie par François Fillon ? Dans son ouvrage majeur, La révolte des élites, Christopher Lasch posait que « Nous avons pitié de ceux qui souffrent, et surtout de ceux qui souffrent de manière bien visible ; mais nous réservons notre respect à ceux qui refusent d’exploiter leur souffrance à des fins de pitié. » Aussi, il est bien évident que le premier sentiment qui nous assaille devant l’instrumentalisation de l’acharnement anti-Fillon créée par sa famille politique est le malaise. Chez ceux qui ne sont pas fillonistes, mais pas plus opposés que ça à sa personne – en tout cas, pas à lui plus qu’à n’importe quelle autre figure politique – la question de savoir s’il n’était pas effectivement victime d’un excès de zèle du système médiatique a trouvé un écho particulier, qu’il serait idiot de nier. Le spectacle de la chasse à courre est révoltant, surtout lorsqu’il est produit et mis en scène par ceux-là même qui étaient de fidèles soutiens quelques semaines auparavant.

Sensation de malaise, certes, mais dans un premier temps seulement, puisqu’intervient ensuite une certaine forme de compassion héritée de notre culture chrétienne, et sur laquelle les propagandistes n’hésitent pas à jouer lorsque cela sert leurs intérêts immédiats. « Dompter cette grande bête hagarde qui s’appelle le peuple ; qui ne veut ni ne peut se mêler des affaires publiques et à laquelle il faut fournir une illusion », disait Edward Bernays, pionnier dans la fabrique du consentement et des techniques de manipulation des foules. L’illusion ici décrite tient dans une idée toute bête, tellement bête qu’il suffisait d’y penser : mélanger dans le même discours le sujet et l’objet, l’accusé et l’accusateur, l’électeur et son élu, tout et le reste, tant et si bien qu’il ne reste finalement que peu de place à l’analyse lucide de la situation et que l’on ressort comme hypnotisé d’une déclaration de ce type. Enfin, pour résumer, il s’agit là d’un homme politique immiscé jusqu’au cou dans les affaires, ayant fabriqué sa personnalité publique et médiatique sur le rejet des mêmes affaires, et qui s’acharne, malgré une mise en examen, appelant à un rassemblement citoyen afin de « faire entendre la voix des militants français ». Militants dont les voix ne serviront finalement qu’à amplifier la sienne.

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On aurait tort de minimiser la force de cette propagande sournoise et insidieuse : Noam Chomsky rappelait ainsi que « La propagande est à la démocratie ce que la violence est à un État totalitaire » et que ses moyens, qui étaient déjà importants à l’époque à laquelle il écrivait cela, sont aujourd’hui considérables. Des distributeurs de flyers aux communicants de plateaux TV, en passant par les bots qui investissent le champ numérique et copient-collent le même message dans toutes les entournures, difficile d’échapper à cette propagande. Il suffit de s’arrêter un temps sur l’évolution de la publicité pour s’en rendre compte. D’une publicité qui vantait un produit, nous sommes passés à une publicité qui vend désormais une émotion. Ce n’est plus telle berline que tel constructeur met en avant, mais bien « le plaisir de sa conduite ». Parallèlement à cela, les techniques publicitaires ont évolué avec l’époque dans laquelle elles s’inscrivent, et ainsi, le désir mimétique et la rivalité sociale se sont introduits subrepticement dans le champ publicitaire. De « Cette nouvelle voiture vous assurera confort et sécurité », nous sommes désormais passés à « La nouvelle voiture X. Vous en parlez, vos collègues de travail la conduisent ».

Seulement, à la propagande répond désormais une nouvelle manière de faire de la politique, qui passe par l’émancipation collective – et la communication entre « gens ordinaires » qui la sous-tend – notamment via les formes qu’elle utilise principalement (à savoir les réseaux sociaux, les ateliers constituants, voire les rencontres informelles entre militants sans visées politiques définies au préalable). C’est ainsi que l’on a récemment pu voir le nouvel appareil de contrôle de la pensée du journal Le Monde, appelé Décodex, dénoncé dans un premier temps, analysé ensuite, et retourné enfin contre lui-même, lorsqu’un site indépendant se proposant de réaliser le même travail proposa sa propre version, créé par de simples citoyens.

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© Andrzej Krauze

Les derniers mois ont démontré que les peuples se mettent désormais à désobéir aux injonctions qui émanent de l’appareil politique et médiatique, et dès lors, « votent mal ». Le Brexit d’abord, l’élection de Trump aux États-Unis, le succès grandissant du parti Podemos en Espagne, tendent à démontrer que les peuples cessent d’accorder à l’image médiatique, qui est celle des leaders que le système politique nous impose depuis trop longtemps, une forme de déférence qui avait prise jusque-là. Ainsi, les électeurs qui se sont rendus aux primaires et de la gauche et de la droite ont coup sur coup réussi à évincer de la course à l’élection présidentielle Manuel Valls, figure hautement symbolique du dernier quinquennat, aussi bien qu’Alain Juppé, dont l’heure semblait pourtant enfin arrivée. Il n’est que de voir la gifle reçue par Manuel Valls, alors en déplacement en Bretagne, et qui a enflammé les sphères citoyennes et médiatiques : le fossé qui séparait les élites du peuple se résorbe chaque jour davantage et bien que les premières continuent à n’avoir aucune connaissance réelle du quotidien du peuple, celui-ci mesure dorénavant bien la distance qui le sépare de ses décideurs politiques.

Nul doute qu’une stratégie telle que celle qui est jouée par le clan Fillon depuis plusieurs semaines maintenant aurait pu, il y a quelques années encore, fonctionner et lui permettre de passer entre les gouttes. Seulement, le vent a tourné, à n’en pas douter, et nombreux sont ceux au sein du peuple qui passent progressivement d’un désamour des représentants politiques à un légitime rejet du principe même de la démocratie représentative française qui leur a permis d’exister. L’affaire qui entoure François Fillon intervient dans un contexte favorable à un populisme bien compris qui pourrait conduire à une révolte des ilotes conséquente.

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4 réponses »

  1. Vous allez trop loin.
    La pratique, abandonnée depuis quelques années, de ces emplois familiaux n’a rien d’illégal (ou alors parlez-en aussi à Bartelone et à tous les parlementaires concernés), et personnellement je colprends bien qu’on puisse avoir confiance en des proches bien insérés dans une circonscription et compétents. Une circonscription rurale de député c’est beaucoup de rencontres, d’êcoute de situations compliquées avec la rêderve nécessaire, de participations à des évènements locaux. Il faut connaître le « terroir »…
    Les histoires d’autres politiques ne sont pas de cet ordre…
    Fillon risque de se tirer une balle dans le,pied après tout cela, s’il réintègre les gens de l’UDI et autres comme si de rien n’ètait…

  2. Je reconnais ne pas avoir lu l’article jusqu’au bout mais, concernant « Laisser croire à l’ensemble de son électorat que l’on se trouve persécuté par le système et que dès lors, il convient de comprendre que l’on s’oppose à celui-ci ne prend plus que pour une infime partie du corps électoral » vous semblez oublier un peu vite ce qui s’est passé de l’autre côté de l’Atlantique. Un certain Donald Trump a gagné les élections présidentielles en se faisant passer pour une victime des médias. Rappelez-vous également qu’un certain w. Bush s’est fait élire en disant que les démocrates voulaient prendre l’argent des riches et une grande partie de l’électorat bien que pauvre s’identifiait à ces riches dominants et ne croyez pas que notre France fasse exception.

    • Il y a une bonne part de vrai dans votre commentaire. Ceci étant, je ne suis pas certain que l’analogie avec Trump fonctionne en pratique : il a certes passé une bonne partie de la campagne à jouer les damnés de la Terre, mais pas pour les mêmes raisons, et surtout, pas avec les mêmes outils, si je puis dire. Fillon a exercé le pouvoir, les français le connaissent, ils savent pertinemment qu’il n’a jamais été, n’est pas, et ne sera jamais un opposant au « système », tandis que Trump ne vient pas directement de l’appareil politique, et que le doute pouvait être aisément immiscé dans la tête des électeurs américains.

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