Politique

Une autre fin du monde est-elle possible ?

Séries télé, films, survivalisme, théories de la fin du monde… Notre époque n’en finit plus d’imaginer sa fin. Doit-on analyser ce phénomène comme une simple mode d’occidentaux trop gâtés cherchant à se faire peur ou bien peut-on y percevoir une angoisse diffuse au sein du corps social faisant du délitement de nos sociétés le seul avenir pensable ?

« Une autre fin du monde est possible ». Ce slogan énigmatique apposé sur les murs de la faculté de Nanterre durant la mobilisation contre la loi Travail au printemps 2016 semble bien éloigné de celui nous promettant la plage sous les pavés.

1968-2016 : serions-nous passés de l’évocation de lendemains qui chantent aux alternatives d’une apocalypse considérée comme acquise ? Bien qu’il ne faille pas tirer de généralités des accès créatifs estudiantins, ce slogan, en détournant le mot d’ordre des mouvements altermondialistes, suscite une certaine interrogation quant à la projection dans le futur à un âge où, comme le veut la formule consacrée, tout devrait sembler possible. D’une époque irriguée par le désir révolutionnaire, nous serions passés à celle de la crainte d’un effondrement perçu comme inéluctable.

Fin du monde : de quoi es-tu le signe ?

Il faut bien reconnaître que le climat des Trente Glorieuses diffère quelque peu de notre période contemporaine. Chômage de masse, périls écologiques, menaces terroristes, délitement de l’État-providence et autres joyeusetés sont autant de facteurs permettant d’appréhender l’inconfort relatif dans lequel peut évoluer les nouvelles générations. S’il semble acté que ces dernières vivront moins confortablement que leurs parents, cela semble peu susceptible de fournir une explication cohérente quant à la perception catastrophiste qui accompagne notre période.

« D’une époque irriguée par le désir révolutionnaire, nous serions passés à celle de la crainte d’un effondrement perçu comme inéluctable. »

Bien que l’histoire de l’humanité puisse être considérée comme tragique, il est surprenant de relever un tel pessimisme dans la projection futuriste que peuvent se faire des populations occidentales plutôt privilégiées. Les marques de cet esprit du temps ne se limitent pas à quelques graffitis sur les enceintes universitaires, on perçoit au sein de la culture populaire, une propension à faire de la fin du monde une des trames narratives les plus porteuses. Que ce soit le cinéma, la littérature ou les séries télévisées, la menace apocalyptique reste un filon profitable pour les industries culturelles. Si les scenarii catastrophistes ont toujours été porteurs, il semblerait que les occurrences de cette thématique tendent à s’accroître de nos jours. Des attaques de zombies de la série Walking Dead aux leçons télévisuelles de survie en milieu naturel de Bear Grylls, le succès populaire des programmes retraçant les vicissitudes des hommes face à une nature redevenue sauvage et dangereuse permet d’appréhender l’imaginaire collectif post-apocalyptique qui nous environne.

La route, de John Hillcoat

Si l’on convoque Paul Valéry pour nous rappeler que les civilisations sont mortelles, encore faut-il comprendre pourquoi ce sentiment diffus d’une fin de cycle semble poindre son nez de nos jours avec autant de vivacité. Un bref survol historique nous fera assez vite comprendre que cette attraction envers le déclin a émaillé l’histoire de l’humanité. Des angoisses sociales autour de l’an Mil,aux discours décadentistes de la fin du XIXe siècle, en passant par les prédictions du calendrier maya, l’imaginaire de la fin du monde a toujours hanté notre frise chronologique. Mais, par delà une simple rémanence cyclique, ce type d’accès irrationnel offre une porte d’entrée pour la compréhension des représentations sociales en cours dans les sociétés concernées.

« Après avoir été irrigués par l’idée de Progrès et celles de transformation radicale à travers l’ambition révolutionnaire, il semble que nous vivions une véritable désillusion historique. »

Symptôme d’une époque vide de projection collective

Le New Yorker faisait récemment état d’un phénomène de mode qui se répand chez les patrons de la Silicon Valley : le néo-survivalisme. Loin de se cantonner à des groupes d’extrême droite en mal de sensations fortes, les fondateurs des grands groupes numériques rivalisent dans l’achat de bunkers derniers cris leur permettant de couler des jours heureux quand l’effondrement adviendra. On pourrait facilement cantonner cet accès d’investissement dans la pierre à une simple lubie de millionnaires en mal de distinction si le discours qui vient légitimer ce penchant n’existait pas. Au cœur des bouleversements provoqués par la révolution digitale, certains de ses acteurs semblent appréhender quelque peu les conséquences de leur génie disruptif et s’évertuent à trouver un havre de paix dans le monde qu’ils sont en train de défaire.

Qu’il semble loin le retour à la terre des années 1970 : les chèvres du Larzac ont laissé la place aux abris autonomes durables et aux rations de survie… Ce phénomène caricatural semble cependant concrétiser le changement du registre de la temporalité que nos sociétés sont en train de vivre. Après avoir été irrigués par l’idée de Progrès et celles de transformation radicale à travers l’ambition révolutionnaire, il semble que nous vivions une véritable désillusion historique au sens où l’avenir devient inaccessible – il n’y a plus d’imaginaire social – et se cristallise dans des dérivatifs anxiogènes.

C’est sur ce point que surgit le paradoxe de notre époque : la modernité se décrivait comme la passage d’une histoire subie à une histoire voulue par les hommes et on semble retomber dans une appréhension d’un devenir considéré comme inéluctable, régi par des forces obscures sur lesquelles nous n’aurions pas de prise.

« C’est donc bien ce déni de l’histoire, cette idée d’un monde simplement constitué de destins individuels qui provoque ce climat angoissant laissant craindre un effondrement. »

La fin de l’histoire n’aura pas lieu

La trame de l’émancipation qui faisait le terreau de toutes philosophies de l’histoire semble se dissiper aujourd’hui au profit d’un présentisme absolu sur lequel serait venu se greffer la potentialité de la catastrophe. C’est là que l’on retrouve toute l’ambiguïté de la dé-théologisation de l’histoire humaine : elle se retrouve sans finalité, sans aboutissement vers lequel se projeter.

À l’avènement de l’autonomie de nos sociétés s’y adjoint nécessairement la responsabilité historique dans la production de son devenir. Or cette dénégation de notre condition historique, ce fantasme de l’automaticité du fonctionnement de nos sociétés conduit à calquer notre approche du futur sur les mécanismes du marché et ses fluctuations imprévisibles. Si le devenir de nos sociétés est régi par une main invisible, nous sommes réduit au statut de spectateur du désordre créateur du présent sans possibilité d’appréhender l’histoire comme devenir collectif.

C’est donc bien ce déni de l’histoire, cette idée d’un monde simplement constitué de destins individuels qui provoque ce climat angoissant laissant craindre un effondrement. S’il ne nous reste comme modalité de perception du futur que l’approche économique faite de bulles spéculatives et de récessions, la potentialité de l’effondrement prend alors tout son sens et l’achat d’un silo souterrain devient finalement la marque d’un esprit avisé.

Quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse, le processus historique sera toujours à l’œuvre. C’est simplement une altération de notre conscience historique qui nous empêche de penser sereinement notre futur. Le monde social sera toujours tourné vers l’invention de l’avenir. L’époque dans laquelle nous vivons n’acte pas la fin de l’histoire mais bien son déni comme condition structurante de l’idéologie néo-libérale dans laquelle nous baignons.

En ce sens, le folklore survivaliste ne doit pas se percevoir comme une crainte du futur mais doit plutôt donner faim d’histoire, d’un futur provoquant l’adhésion des individus et qui permettrait de troquer le béton armé contre des constructions plus prometteuses.

Mathieu Foulot

Nos Desserts :

  • Ce n’est pas la première fois, ni la dernière, qu’on évoque l’idée du Progrès au Comptoir
  • On vous parlait aussi de présentisme lorsqu’on vous présentait les travaux de Debord
  • Au Comptoir, pour reprendre la main sur nos futurs, on a des cocktails détonants à base d’autonomie et de combats sociaux
  • Retrouvez les meilleurs tags du mouvement contre la loi Travail de 2016

Catégories :Politique

2 réponses »

  1. Merci pour cet article inspiré… Si je vous suis, vous considérez que l’idéologie libérale ou ultralibérale nie la réalité même de l’Histoire, qu’elle essaye en quelque sorte de la détruire pour que les peuples perdent leur sens et soient des victimes plus consentantes. Mais les libéraux et ultralibéraux ont une vision de l’Histoire; ils considèrent que celle-ci, depuis la nuit des temps, consiste en l’émancipation de la personne humaine par rapport à sa condition naturelle et sociale, à moins que ces deux termes ne soient synonymes. Émancipation qui passe d’abord par la prospérité matérielle, santé et épanouissement personnel étant inclus dans cette notion. Etant historien, je peux témoigner – et vous le dites aussi d’ailleurs – que tous les siècles ont connu leurs millénaristes, le nôtre pas plus que les autres; cependant, vous semblez délibérément ou inconsciemment ignorer toute la frange de la population qui de tout temps n’a pas vécu sa vie comme une fin du monde. Je crois que beaucoup de gens aiment à se donner des frissons en pensant à l’apocalypse, mais qu’il y a loin avant que quoique ce soit se passe. A moins qu’on soit en plein dedans et depuis très longtemps alors – car en effet l’Histoire est vraiment sous beaucoup d’aspects tragique. Si je peux me permettre : http://leonbellevalle.blog.lemonde.fr/2014/06/27/archeologie-du-zombie/ Ou encore : http://leonbellevalle.blog.lemonde.fr/2013/05/10/la-chute-de-constantinople-na-jamais-vraiment-eu-lieu/
    Je serais ravi d’avoir votre avis sur ces billets que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire !

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