Société

Grands traités : comment on va (nous) manger sauce Ceta

Ce jeudi 21 septembre 2017, le Ceta, traité de libre-échange signé par le Parlement européen et le Canada le 30 octobre 2016, entrait en vigueur provisoirement mais dans sa quasi-totalité. L’adoption du Ceta, tout comme les négociations sur le Tafta, traité identique mais conclu entre l’Union Européenne et les États-Unis, ont fait grand bruit, à raison. Ces traités bilatéraux nous promettent le pire, sous couvert du meilleur. Censés nous apporter prospérité, développement économique et égalité de traitement des entreprises, ces traités nous assurent surtout nivellement par le bas, attaque en règle contre les services publics et les États souhaitant protéger certains secteurs économiques, et destruction des normes sociales, environnementales et sanitaires.

La mobilisation avait légèrement faibli récemment, car prise par d’autres urgences (il y en a tant), et parce qu’on les avait presque oubliés, ces grands traités. Pourtant… Ils sont bien là, et l’entrée en vigueur du Ceta (l’acronyme anglais de l’Accord économique et commercial global) nous rappelle que ce combat est une priorité. Si nous perdons cette bataille face à la volonté de la caste politico-financière mondialisée, alors tous nos engagements en faveur de l’environnement, du climat, de la justice sociale seront vains, parce que balayés par une vague de libre-échange et par la toute puissance offerte aux entreprises multinationales sur un plateau, sacrifiant la démocratie sur l’autel du profit. Explications.

Tafta, Ceta : déni démocratique

9000-a-15-000-manifestants-contre-le-ttip-et-le-ceta-le-20-septembre-a-bruxelles_5718417Un des principaux dénominateur commun de ces traités, outre leurs objectifs visant l’harmonisation (à la baisse !) des normes et le fond de leur idéologie, est bien la forme antidémocratique par laquelle ils sont adoptés. Le Ceta, véritable cheval de Troie des futurs autres traités, a ainsi été adopté par l’Union européenne à l’automne 2016, contre l’avis de plus d’un million de citoyens et citoyennes qui avaient porté une initiative citoyenne européenne, retoquée par Bruxelles. Alors certes, les traités et notamment le Ceta vont devoir être ratifiés par les parlements nationaux. Mais de par le fonctionnement de la hiérarchie des normes juridiques, le droit européen finira de toute façon par primer, ses mesures étant transposées (directives) ou directement applicables (règlement), en vertu de l’article 288 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), auquel les Français et les Néerlandais s’étaient d’ailleurs opposés. L’Union européenne s’illustre donc à nouveau, en ce qui concerne ces grands traités, par le déni démocratique qui caractérise une grande partie de son action (souvent bien plus guidée par l’action des 20 000 lobbyistes qui œuvrent à Bruxelles que par l’intérêt général).

Du point de vue national, entre les mandats Sarkozy, Hollande et Macron, pas de différence notable sur le sujet. Le gouvernement est ouvertement en faveur des traités de libre-échange malgré l’opposition des citoyens et de nombreuses associations (dont celle de l’actuel ministre Nicolas Hulot). L’adoption par la majorité de la République en marche ne fait ainsi pas de doute malgré quelques oppositions à la marge, et le débat parlementaire national ne sera pas un réel obstacle.

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Les États à la barre des tribunaux d’arbitrage

Ceci étant, il n’y a pas que du point de vue de l’adoption des traités que la démocratie est rangée au placard. Ce qui inquiète beaucoup associations et citoyens, ce sont les procédures d’arbitrage, et le droit donné aux entreprises d’attaquer les États. Elles ont été particulièrement mises en avant lors des négociations du Tafta (l’acronyme anglais de Traité de libre-échange transatlantique) et des combats citoyens contre ce traité. De quoi s’agit-il ? C’est très simple. L’instauration de tribunaux d’arbitrages internationaux donne la possibilité à une multinationale qui investit à l’étranger de porter plainte contre État qui adopte une politique publique (bien souvent de protection de l’environnement, de l’économie ou des marchés publics) contraire aux intérêts de la multinationale. Des précédents absolument effarants existent : le géant Philip Morris a par exemple attaqué l’Uruguay au sujet de sa politique antitabac ; l’entreprise minière OceanaGold a poursuivi le Salvador en raison de sa politique environnementale et son refus des permis d’exploitation. Le litige est tranché par des juges “indépendants”, placés au-dessus des États, ces derniers étant eux-mêmes placés au même niveau que les multinationales. Ce sont donc les citoyens qui paieront les amendes reversées aux multinationales, souvent victorieuses. Une aberration.

Eceta-1er-avril-2017-poissonn ce qui concerne le Ceta, les tribunaux d’arbitrage sont pour l’instant laissés en suspens. « Pour l’instant », car même si actuellement seulement cinq parlements nationaux de l’Union sur 33 ont ratifié le traité, le débat en France devrait avoir lieu à la fin de l’automne. La machine suit donc son cours, et le président Macron a toujours été ouvertement en faveur du Ceta et des traités de libre-échange. Il est peu probable qu’un parlement national bloque la volonté européenne, sous peine de sanctions et de pressions qui ne tarderaient pas à tomber. Le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot ne sera quant à lui pas fidèle à son opposition au Ceta, qu’il considérait avant sa nomination comme n’étant pas “climato-compatible”, et qu’il espère aujourd’hui pouvoir modifier afin de se “prémunir des risques” mis en évidence par le rapport établi par les opposants et remis au gouvernement le 7 septembre 2017.

Ceta : ce qui nous attend concrètement

Alors, à quoi s’attendre précisément avec ce traité UE-Canada ? Les premières mesures phares de l’accord sont la suppression des droits de douane sur 98 % des produits échangés entre les zones, l’ouverture ou l’élargissement de certains services à la concurrence (transports et télécoms notamment). Sont exclus du traité certains produits agricoles, soumis à des quotas afin de ne pas trop pénaliser les agricultures et les spécialités des deux zones d’échange. Du moins, pour l’instant. Dans le même sens, le Ceta encadre la reconnaissance de 143 produits AOP (appellation d’origine protégée) dont 42 viennent de France. Une maigre consolation, quand on sait que l’Europe compte 1 500 appellations d’origines protégées.

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Du point de vue environnemental, les conséquences de la disparition des tarifs douaniers sont assez catastrophiques, car elle va stimuler les échanges et le transport aérien et maritime. Cette dimension est d’ailleurs exclue des accords internationaux sur l’environnement, ce qui ne permet pas d’encadrer et de freiner l’essor des échanges et empêche donc de s’attaquer à l’une des premières causes de pollution et de l’émission de gaz à effet de serre. L’harmonisation vers le bas des normes sanitaires et environnementales est particulièrement inquiétante lorsque l’on observe la situation canadienne à ce niveau (quiconque s’est déjà baladé dans un supermarché canadien comprend l’angoisse qui saisit l’Européen, habitué à une certaine qualité alimentaire et culinaire). L’élevage canadien, à l’instar de l’américain, est soumis à des normes beaucoup plus faibles (la liste est longue et bien connue : poulet aux hormones, animaux nourris aux OGM, saumon aux antibiotiques, etc.). De même, les sables bitumineux canadiens et l’exploitation des gaz de schistes sur le continent nord-américain pourraient inspirer le Vieux Continent, alors que l’actuelle interdiction d’exploration sur le sol français souffre d’exceptions et paraît bien précaire. À ce sujet, le rapport des ONG remis le 7 septembre au gouvernement estime que rien n’est mis en place, dans le Ceta, pour « limiter le commerce des énergies fossiles et la hausse des émissions de CO2 du transport international maritime et aérien ». Les spécialistes sont clairs, mais la messe est dite. Le Ceta, pourtant, est un peu l’arbre qui cache la forêt.

Tisa : le danger dont on parle trop peu

Les initiatives citoyennes nationales ou européennes auraient pu (ou pourraient ?) venir à bout des traités concernant l’Union européenne. On constate d’ailleurs que le Tafta semble au point mort, bien que ce soit principalement lié au piétinement des négociations plus qu’aux critiques des citoyens. Mais en réalité qu’importe, car un traité international prônant des dispositions similaires est en préparation. Le Tisa (l’acronyme anglais de l’Accord sur le commerce des services), dont quasiment personne ne parle, est négocié entre une cinquantaine de pays depuis 2013. Wikileaks avait permis en juin 2014 de découvrir des morceaux des textes de négociation. Glaçants.

Le Tisa a été lancé à l’initiative des Américains et des Australiens, rassemblant d’abord 23 États se nommant eux-mêmes « les très bons amis des services ». Certainement pas ceux des peuples. L’objectif est clair : poursuivre la libéralisation internationale des services initiée par l’Accord général sur le commerce des services de 1994, ennemi farouche du protectionnisme, seule chance pourtant de réduire les échanges et de revenir à des circuits locaux, garants de notre survie sur une planète déjà malmenée. Le tout, bien sûr, au service de la croissance internationale des entreprises, véritables entités tutélaires élevées au rang de Léviathan.

Alors que faire concrètement ? De prime abord, on pourrait se dire : pas grand chose. C’est bien le plus frustrant. Les initiatives citoyennes sont restées sans effet. Pourtant le combat est nécessaire, vital. Au quotidien, plusieurs associations, regroupées au sein du collectif Stop Tafta, luttent contre ces grands traités.

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Les débats parlementaires nationaux sont également cruciaux, et l’on peut compter sur certains députés pour porter la voix de ceux qui refusent ce modèle. Cependant, il est peu probable que la majorité vote contre. Certaines collectivités, sur le modèle du premier arrondissement de Lyon, se sont déclarées “Zones hors Ceta”. L’action symbolique est louable, mais elle n’empêchera pas le déferlement de produits toxiques sur le territoire français. La meilleure solution reste donc d’informer autour de soi, de suivre le travail des associations engagées dans ce combat, et d’acheter local (voire même de produire, si l’on peut s’offrir le luxe d’un petit jardinet ou d’un jardin partagé), bio, et de saison. La résistance, comme le changement, passera cette fois par l’action individuelle et la (non-)consommation.

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4 réponses »

  1. J’aurais presque envie de dire à tous ceux qui s’émeuvent des TAFA ou CETA, de manière à peine provocante: « c’est quand vous avez le nez dedans que vous la sentez?… » Ces traités ne sont pourtant que la continuation de la mise en forme de l’immondialisation capitaliste dont l’UE assure la gérance dans les colonies européennes. Les quelques-uns ayant pris le temps (et le courage, sans doute) de lire la fameuse constitution européenne, concoctée sous la houlette de l’humaniste Giscard, pourraient se souvenir qu’un article prévoyait que « les investissements des entreprises privées soient garantis par les Etats même en cas de guerre ». Le financier sait être prévoyant parfois, surtout quand il peut se payer avec la peau des gueux. Les peuples n’ont plus qu’un choix réduit à deux options: ou se soumettre totalement à ,la finance multi-trans-supranationale ou reconquérir le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, c’est-à-dire indépendance et souverainetés populaires et nationales. Ce qui implique de sortir de l’UE, de l’euro et de l’OTAN. Le sacre (qui est aussi « un grand faucon »…) du micron-maître du palais –de l’élisez, hein!– va accélérer la destruction de nos débris de république au point que nous allons nous trouver dans l’obligation de constituer un nouveau CNR, contraints de mettre bien de nos divergences au frigo pour un temps. Si nous souhaitons échapper à la servitude mondialisée et rester un peuple encore un peu libre (et –« accessoirement »?– redevenir porteur de valeurs universelles). Ce que les « grands de ce monde », les « créateurs de richesse », alias les proxénètes, essaieront d’empêcher ou de nous faire… payer, cela va de soi. C’est donc bien réellement d’entrer en Résistance qu’il est question, face à un totalitarisme plus redoutable qu’une unité de panzers. Dans le contexte de cette immondialisation, la moindre revendication syndicale devient –les travailleurs doivent en avoir conscience– un affrontement avec la domination totalitaire de la finance mondiale. Par exemple, combattre la « loi travail », ce n’est pas seulement affronter le patronat local ou national mais c’est défier cet ordre du monde, dirigé chez nous par l’UE. Plus que jamais, toute action syndicale revêt un caractère politique et idéologique. Je doute que cela soit bien présent dans la pensée de tous ceux qui s’interrogent quant à l’avenir de nos sociétés, de nos vies…
    Méc-créant.
    (Blog: Immondialisation: peuples en solde!)

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