L’aphorisme de Jean-Luc Mélenchon « fâchés mais pas fachos » sonne bien. Il s’avère pratique lorsqu’il s’agit de situer les insoumis sur l’échiquier politique : une opposition radicale sans tendance autoritaire. Dans ces portraits à deux couleurs, le parti actuellement au pouvoir devrait être par analogie celui des fachos pas fâchés.
Les fachos pas fâchés sont en marche, et ils sont motivés ! À leur tête parade un banquier président qui lit du Paul Ricoeur, dépasse les vieux clivages et n’a pas le temps d’avoir d’enfants. Voilà le cocktail bien dosé d’un existentialisme efficace qui balaie sans vergogne les idées révolues. Moins fier de l’ENA que de sa réussite individuelle dans le privé, il symbolise à lui seul ce renouveau politique au visage radieux, au discours insondable et aux racines absentes. Léger comme un slogan, Macron porte un maillot de l’OM au-delà de ses escapades sur la Canebière et va toujours droit au but. Souriant, il agite des lubies libérales presque comiques, suffisamment intégrées par ses ouailles parlementaires pour en faire des soldats parfaitement dévoués. Les utopies périmées que sont le socialisme, les croyances spirituelles ou le sens de la gratuité, ils les ignorent parce qu’elles ne servent absolument à rien pour être là où ils sont. Pas de doute à avoir quand tout est calculé, la rationalité du marché est la seule structure logique indépassable de la vie politique.
Jeunisme
Les fachos pas fâchés sont organisés. Ils ont un programme, dans lequel ils croient (puisqu’ils ne peuvent croire en rien d’autre) et feront tout pour l’appliquer. Ordo-libéralisme allemand, social-démocratie scandinave, entreprenariat californien1, ce qui importe est de brocanter l’épave française. Après le travail de sape des excités et des mous de l’exécutif pendant la décennie précédente pour « banaliser la France »2, il s’agit maintenant de la désosser et de revendre sa carlingue aux plus offrants. L’horloge a tourné et, par définition, on ne peut plus être à l’heure des temps révolus ! Faire face aux réalités du fameux “monde qui bouge”, c’est ce que propose cette équipe qui suce jusqu’à la moelle l’idéologie dominante pour faire du changement et de la réforme un bien en soi.
« C’est Hollywood à l’Assemblée depuis mai dernier. »
Les fachos pas fâchés sont jeunes et beaux. « Ryan Gosling en solde » mais Ryan Gosling quand même, c’est Hollywood à l’Assemblée depuis mai dernier. Voilà comment ces nouveaux élus permettent “le renouvellement du personnel politique” selon la formule consacrée. Et même si Minc et Attali restent présents sur les photos de classe, il y a plein de nouveaux dans la cour de récré. Qu’est-ce qu’ils sont sympas ! Quand les envoyés spéciaux du Petit Journal viennent se moquer d’eux une troisième fois dans la même semaine, ils sont toujours aussi contents de leur ouvrir grand les portes de la salle des ventes de l’Assemblée nationale. Ils font de l’autodérision, exhibent leurs faiblesses, se moquent de leur inculture. L’Histoire retiendra que Roselyne Bachelot était en fait une avant-gardiste. Qu’attend-elle d’ailleurs pour rejoindre le mouvement ?
Marchéisme
Même s’ils travaillent pour lui, les fachos pas fâchés pensent qu’il y a trop d’État. Trop d’État signifie trop de dépenses publiques, trop d’aides et de subventions en tout genre qui engourdissent la société civile. Pour se bouger un peu, les gens ont besoin d’être livrés à eux-mêmes. Devenir quelqu’un, c’est d’abord se débrouiller seul, comme un grand. Cette vision de robinsonnades individuelles comme rites de passages, les fachos pas fâchés l’associe à un besoin vital de croissance économique. Car oui, en plus d’anesthésier les Français, le très vorace secteur public met en péril le dieu croissance2, horizon éternel de l’humanité toute entière. Que serions-nous sans la croissance, terreau commun de toutes les motivations qui germent sur cette terre depuis la nuit des temps ? Les marcheurs marchent tout droit et ne se posent pas ce genre de question.
Les fachos pas fâchés sont pluriels dans leurs références et singuliers dans leurs parcours. Ex-socialistes, ex-sarkozystes, néo-écolos, parfois néophytes de la politique, mais toujours progressistes en matière de technosciences, ils ne connaissent qu’un internationalisme, celui du marché, trait d’union naturel des peuples enfin réunis. Les valeurs de tolérance et d’ouverture, ils les proclament à tout va, comme un gage de bienveillance, un clin d’œil à gauche. Pour eux, les peuples sont tous frères, du moment qu’ils acceptent certaines règles, qu’ils repensent certaines coutumes, qu’ils révisent certains usages. Du moment qu’ils sont un peu comme eux en somme. Mais il est difficile de leur en vouloir. L’intériorisation des rapports de domination est si profondément ancrée en eux qu’ils croient dur comme fer dans le bien-fondé de leur action. C’est ce qui les rend presque touchants, mais aussi dangereux.
« La République en Marche change la République en marché. »
Car les fachos pas fâchés ont beau ne pas être fâchés, ils n’en restent pas moins des fachos. Bien que leur doctrine soit une coquille vide, elle est pondue par une classe de possédants qui accomplit brillamment son projet depuis fort longtemps : justifier et accroître les inégalités entre les hommes. Ce projet n’est ni démocratique, ni tolérant, ni négociable. Il est en réalité l’inverse de tout cela car puisqu’il est fasciste au sens propre du terme. Comme l’explique Manuella Cadelli dans un brillant article de 2016, « le fascisme se définit comme l’assujettissement de toutes les composantes de l’État à une idéologie totalitaire et nihiliste ». Notre obsession du bruit des bottes nous empêche d’entendre celui des transactions financières qui rachètent toutes les souverainetés occidentales. Le modèle français, passé sous le crible des évaluations productivistes et transnationales, agonise lentement mais sûrement.
Au nom d’une nécessité inventée de toute pièce, les fachos pas fâchés appliquent un programme, celui du Capital dans sa forme la plus aboutie. Le « There is no alternative » passe mieux sous les traits de jeunes marcheurs que sous ceux d’une vieille sorcière anglaise, mais le tapis rouge est déployé avec autant de déferrement à la puissance d’argent. L’hubris des classes dominantes écrase la sécurité sociale, la science, la justice, la culture, la presse. Il écrase le peuple. La République en Marche change la République en marché3. Moins spectaculaires que les fachos fâchés, les fachos pas fâchés sont pourtant la réelle menace du XXIe siècle.
Alors, lorsque certaines plumes se disant opposées à ce mouvement confondent le rouge, le brun et le vert à tort et à travers, il y aurait presque de quoi se fâcher. Se fâcher contre ces raccourcis BHL-iens qui font de toute référence à l’identité un potentiel foyer d’extrémisme. Se fâcher contre une partie de cette gauche ultra-tolérante qui cesse de l’être sitôt qu’on la double par sa propre gauche sur le champ des idées. La gauche irritée devrait-on l’appeler, courant qui produit de très belles choses lorsqu’il s’agit de critiquer l’économie libérale, mais qui s’étiole dans des accusations douteuses quand référence est faite à des auteurs qui échappent à leur vision du marxisme bien compris. Se fâcher, parce qu’on sait très bien que quand les gauches s’entretuent, le vrai fascisme danse. Heureusement, nous savons que ces crispations tiennent moins d’une réelle angoisse face aux néo-nazis décroissants, que d’un malaise conceptuel face à des idées en réel mouvement. Nous terminons donc cet article ni fâchés, ni fachos.
Notes :
1 Sur le sujet, on peut lire Monique Dagnaud, Le modèle californien : Comment l’esprit collaboratif change le monde (Odile Jacob, 2016). On retiendra notamment que le très nébuleux “esprit collaboratif” trouve ses origines dans la contre-culture et dans la critique du modèle hégémonique américain. Que ces “entrepreneurs” soient aujourd’hui à la tête des modèles les plus perfectionnés du capitalisme 2.0 illustre en partie les raisons pour lesquelles la critique du Capital présente nécessairement des antagonismes internes aujourd’hui.
2 L’expression est de Régis Debray dans une conférence organisée par Jean-Pierre Chevènement.
3 La formule est de Pierre Bitoun.
Nos Desserts :
- Au lendemain de l’élection présidentielle 2017, avec Orwell nous rappelions que « le socialisme doit écarter les libéraux à la bouche fleurie qui veulent l’écrasement du fascisme »
- Au Comptoir, nous vous avons proposé bon nombre d’articles sur Macron et son idéologie qui aimerait bien avoir l’air de ne pas en être une
- Avec Alfredo Gomez-Muller, on comprenait que « le nihilisme est la vision du monde inhérente au capitalisme, qui enferme la vie humaine dans un monde de finalités dépourvues de sens »
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Bravo Marek Andrieu !
Très bien écrit, analysé et, ensuite … chacun se fera son propre avis.
Pour ma part c’est … RÉSISTANCE !!!
Bien écrit mais il y en a marre d’accusé de fascisme à tout bout de champ, et si nous laissions le fascisme à ce qu’il est : un mouvement politique italien des années 20 ?
La définition du fascisme que vous donnez est bien trop ouverte et peu s’appliquer à quasiment tout les régimes politiques..
Pourquoi ne pas définir les Marcheurs comme ce qu’ils sont : des nėo-conservateurs.
Contrairement à l’ouvrage de Juliette Grange qui tient à brouiller les cartes en confondant l’extrême droite catholique avec le néo-conservatisme, il faut lire à ce sujet le livre de Justin Vaïsse, lui-même néo-cons, d’ailleurs, qui démontre parfaitement les racines »de gauche » de ce courant idéologique.
En France, ĺes grands prêtres de ce mouvement sont Bernard Kouchner, BHL, Philippe Val, Caroline Fourest, Romain Goupil, Bruno Tertrais, Nicolas Tenzer, Manuel Valls.
Il est idiot et contre-productif de les qualifier de »fachos ». En revanche, j’aime bien l’expression d’Olivier Berruyer : »l’extrême-droite de gauche ».
Content de vous voir ici. Malgré des divergences notables, sans doute. Quand les esprits qui comptent (pas dans le sens de comptable – encore que, être comptable de, bref) auront compris qu’ils ont autant à apprendre d’un Francis Cousin que d’un Frédéric Lordon, d’un Gramsci que d’un Evola (ce ne sont-là que des exemples parmi des centaines d’autres), le sceau de l’iniquité sera brisé et le sceau du destin funeste des sous-hommes qui prétendent nous contrôler sera quant à lui enfin scellé… Encore un peu de temps… Il apprendront alors (mais un peu tard) qu’on ne joue pas impunément avec certaines forces…
Si utiliser des méthodes muscler pour nous débarrasser une fois pour toute de la racaille au pouvoir en faisant peur au passage aux Charlie lobotomisés en utilisant le vocabulaire du fascisme et ses symboles, personnellement ça me va.
Je pousserai la gourmandise macabre plus loin. Imaginez-vous ces monceaux de cadavres d’innocents éliminés par million il y a plus de 70, par ceux de nos tortionnaires infâmes et hypocrites du quotidien ? Ça vous choque ? Pas moi ! Parce qu’ont peut longtemps encore se payzr de mots, ceux-là seuls ne les arrêterons pas ! C’est à un véritable changement de civilisation à laquelle nous sommes tous confrontés aujourd’hui. Et ce n’est pas être passéiste que de dénoncer chaque jour encore et encore cette évidence et d’en combattre ses méfaits de toutes nos forces. Par tous les moyens et dissions-nous pour cela subir les assauts des hypocrites et des imbéciles qui vous traitent de fascistes.
Un exemple parmi tant d’autres de la trahison de nos parasites de la pseudo-élite au pouvoir :
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/nicolas-hulot-trahison-et-coming-199248
Quand nous aurons pris le pouvoir (car la marche vers la victoire, aussi longue et périlleuse soit-elle se construit à chaque instant) que croyez-vous qu’il adviendra de tous ces sous-hommes ?…
Quand nos ennemis que VOUS faites semblant de combattre vous auront expédié dans des camps, il VOUS sera toujours loisible de nourrir regrets et amertumes… Mais rassurez-vous, vous rejoindrons alors la cohorte des innocents d’il y a 70 ans (dans lendroit même où nous devrons expéder NOS ennemis), au lieu d’avoir su prendre VOS responsabilités avant.
Sans rancunes et surtout bon courage !
Merci d’effacer le message de 10h17 qui ba visiblement pas lieu d’être, nonobstant le fait qu’il contient moins de fautes que le précédent, helas…