Politique

Natacha Polony : « Il ne s’agit pas tant de se révolter contre le système que de s’en libérer »

Ancienne professeure agrégée de Lettres modernes, journaliste, essayiste et chroniqueuse à la télévision ainsi qu’à la radio, Natacha Polony est la décroissante la plus célèbre de France. Nous l’avons rencontrée afin de discuter de son dernier livre « Changer la vie : Pour une reconquête démocratique » (Éditions de l’Observatoire), ainsi que de démocratie, de décroissance et de son rôle paradoxal au cœur de la société du spectacle, qu’elle critique. Une interview sans langue de bois.

Le Comptoir : « Le révolutionnaire a la volonté de “transformer le monde” (Marx) alors que le révolté veut “changer la vie” (Rimbaud) », expliquait Albert Camus. Par contre, pour André Breton « ces deux mots d’ordre […] n’en font qu’un ». Qu’en est-il pour vous ?

Natacha Polony : Oui, les deux mots d’ordre n’en font qu’un, bien sûr. Je pense que la révolution véritable viendra à la fois d’un bouleversement de l’ordre collectif, de la façon dont on va organiser la société, et de la façon dont chaque individu va pouvoir s’émanciper pour participer à cette reconquête collective. Il faut mêler les deux. Il ne s’agit pas tant de se révolter contre le système que de s’en libérer, c’est-à-dire de construire les moyens de sa propre autonomie. Ce projet d’autonomie doit être au cœur de toute la réflexion aujourd’hui. Je pense que nous avons créé une société profondément aliénante. Petit à petit, elle crée de plus en plus d’aliénations, en interdisant toute remise en cause profonde du système par des tas de biais différents. On ne peut faire la révolution sans réfléchir d’abord à la manière dont chaque individu peut être libre. Sinon, on se rêve en avant-garde éclairée qui va mener les prolétaires. Mais je n’y crois pas. C’est par un équilibre très complexe de l’action individuelle et de l’action collective – et de la pensée collective avant l’action – que nous pourrons remettre en cause tout ce qui nous enferme.

« Nous ne pouvons rien espérer des partis politiques actuellement. »

“Changer la vie” ce n’est donc pas juste un programme politique, comme pour Mitterrand en 1981 ?

Non, c’est d’ailleurs pour cela que mon livre est en deux parties. Je pense qu’il ne peut pas y avoir de révolution si nous ne réfléchissons pas d’abord sur notre façon d’être au monde. Cette société veut nous empêcher de prendre le temps, de regarder autour de nous, de nous penser comme des êtres finis qui vont mourir, donc qui doivent transmettre. C’est en remettant entre nos mains tous les outils qui nous permettent de nous penser comme des passeurs, des transmetteurs, comme des cultivateurs, que nous pourrons créer ensuite les conditions d’une société qui soit à peu près vivable. Sinon, avec des individus réduits à un rôle de consommateurs, nous ne pouvons rien faire.

D’où peut venir ce changement ? Des partis politiques ? Des citoyens ?

Nous ne pouvons rien espérer des partis politiques actuellement. Soit il n’y a pas l’élaboration d’un corpus idéologique, soit c’est d’une pauvreté que je trouve effrayante.

Cela peut venir des citoyens eux-mêmes, de toute instance de délibération entre citoyens, de toute personne qui peut penser et qui va essayer de mettre des mots sur ce que chaque citoyen ressent. Ce sont ces forces-là qui doivent se mettre en branle. Il y a un appétit absolument immense. Il y a des gens partout qui ont envie d’agir et de reconquérir la démocratie. Le déficit démocratique est énorme et visible. Simplement, tout cela reste aujourd’hui profondément isolé et informe. Je pense que le premier travail est de mettre des mots sur tout cela. J’ai pris la forme du dictionnaire pour essayer de nommer ce qui est en train de nous détruire. À partir du moment où nous serons d’accord sur les mots, nous allons essayer de déterminer ensemble ce que nous voulons faire.

Vous avez sous-titré ce livre pour « une reconquête démocratique ». La Ve République peut-elle suffire ou faut-il changer ?

Très honnêtement, je ne pense pas qu’elle suffise. Et Dieu sait que j’ai très longtemps pensé que cette Constitution était bonne. Je crois qu’elle a atteint ses limites et que ça s’est vu de manière flagrante lors de la dernière présidentielle. D’abord parce que toute constitution correspond à un moment historique. La Ve République répondait aux enjeux de 1958, autour d’un homme comme de Gaulle. Hélas, je ne pense pas que nous puissions aujourd’hui trouver un homme qui a la légitimité et le sens de l’Histoire qu’il avait. Cette Constitution entre les mains de tocards donne des catastrophes et nous l’avons vu. Surtout, elle a été distordue. Nous ne sommes plus dans le cadre d’origine de la Ve République. Il y a eu le choix de Mitterrand de pratiquer la cohabitation. Celle-ci, paradoxalement, retrouvait en partie la lettre de la Ve République, à savoir que c’est le gouvernement qui détermine la politique de la nation. En fait, ça en tordait l’esprit et ça a ensuite permis d’aller vers toutes les autres torsions : la coïncidence entre le mandat présidentielle et le mandat législatif, qui est une catastrophe absolue, avec cette temporalité accélérée du quinquennat. Il faut se souvenir qu’au moment du référendum pour le quinquennat, l’unique argument était celui de la “modernité”. Ceux qui étaient contre étaient pointés comme réactionnaires et ringards. Tous ces éléments, le dernier en date étant les primaires, sont là pour replâtrer le système et lui permettre de tenir, d’empêcher le surgissement d’une offre alternative.

Il faut relire les débats du Conseil des ministres en 1962, lorsque de Gaulle décide de soumettre à référendum l’élection du président de la République au suffrage universel. Ils sont tous paniqués, Pompidou, Giscard, etc. Ils commencent par avancer qu’il faut que les candidats soient sélectionnés par un collège d’électeurs. Là de Gaulle leur dit : « Vous voulez rétablir le suffrage censitaire, c’est ça ? » Ils répondent qu’il faudrait que les candidats obtiennent avant 1 000 signatures, etc. De Gaulle leur demande alors : « Pourquoi avez-vous peur du peuple ? » Selon eux, il pourrait y avoir des candidats folkloriques. Il leur explique : « Oui, peut-être, mais le peuple français est capable de juger, n’ayez pas peur de lui ! » Cette séquence est extraordinaire, parce que de Gaulle avait compris que ce qu’il y a de beau dans le suffrage universel, c’est cette espèce d’alchimie qui fait qu’au fond, à travers l’addition de chaque suffrage, parvient à s’exprimer une forme de bon sens collectif. C’est lui qu’il faut préserver, car il peut s’abimer quand on aliène les individus ou qu’on les abrutit. L’enjeu aujourd’hui, est de savoir comment on préserve ce bon sens populaire qui permet qu’à travers la délibération démocratique, le vote exprime la volonté collective et qu’elle ne soit pas totalement aberrante. Or, toute l’organisation économique et sociale tend à étouffer cette expression.

« Il faut réintégrer l’ensemble des citoyens au processus démocratique. »

Vous évoquez les changements réalisés dans le cadre de la Constitution. Les avocats de ce régime expliquent justement que nous ne sommes plus vraiment dans la Ve République et qu’il faudrait revenir au texte de 1958.

Il vrai que nous ne sommes plus vraiment dans la Ve République. Celle-ci a été taillée pour un homme qui se confondait avec l’Histoire et avec la France. C’était possible du fait de circonstances historiques particulières. En temps de paix, ce genre d’individus n’a pas la possibilité d’émerger. Il ne faut surtout pas s’imaginer qu’il peut être forgé artificiellement, car cela donne Jupiter. Dans le cadre d’une société qui actuellement aspire à s’exprimer, qui réclame davantage d’horizontalité, il faut au contraire réfléchir à ce qui va permettre de faire surgir de la démocratie. Il faut surtout réintégrer l’ensemble des citoyens à ce processus démocratique.

L’inconvénient de la Ve République est de jouer sur la dimension providentielle du président. C’était valable avec de Gaulle, dans une situation tellement catastrophique qu’il fallait quelqu’un pour remettre de l’ordre. Ce n’est plus valable maintenant, en temps de paix, avec des citoyens qui ont besoin qu’on leur permette de reconstruire au quotidien des liens sociaux qui vont petit à petit faire émerger une vision du bien commun à l’échelle locale, puis au fur et à mesure, à l’échelle nationale. C’est à cela qu’il faut tendre et que les institutions politiques doivent susciter. Comment allons-nous faire pour reconstruire toutes les strates qui font que d’abord dans la vie d’une petite communauté – d’une commune, d’un village, d’une petite ville, d’une grande ville –, les gens ont l’impression d’appartenir à un monde commun ? Ensuite, à l’échelle de la nation, comment bâtir une communauté nationale, avec des citoyens qui assument avoir un destin commun et veulent y participer. C’est très compliqué.

Mais la décentralisation que nous connaissons depuis les années 1980 a complètement échoué…

Bien sûr. Tout simplement parce qu’elle s’appuyait sur des baronnies locales. La décentralisation s’est résumée à donner un peu plus d’argent à des maires affiliés à des partis politiques, qui l’utilisaient pour payer des ronds-points et pour toucher un peu de pognon, sans offrir la moindre liberté à ceux qui auraient pu l’utiliser pour inventer d’autres modes d’organisation. C’est le degré zéro du politique. Cela n’a pas permis plus de démocratie locale. Car au fond, personne ne voulait d’une véritable décentralisation. Ce n’est d’ailleurs pas le terme de “décentralisation” qui me conviendrait, mais celui de “démocratie locale”. L’enjeu est de refonder des bassins de vie, qui soient des bassins économiques, avec une communauté culturelle, avec l’envie de faire des choses ensemble, de définir des spécificités, de faire émerger des territoires ayant une cohérence. Or, la désindustrialisation a détruit tout cela. Nos villes moyennes sont mortes. Il faut reconstruire des filières entières, avec leurs savoir-faire, recréer autour une agriculture locale qui fournisse directement à cette ville. Ce n’est pas qu’une simple question administrative. Or, la décentralisation a été uniquement pensée de manière administrative. C’est une connerie !

« Je pense qu’il n’est pas idiot de se dire que, dans certains domaines de la vie démocratique, des citoyens tirés au sort ne sont pas plus illégitimes que des représentants qui n’ont plus rien à voir avec le peuple et perpétuent leur caste. »

C’est très compliqué dans une situation où les gens travaillent loin de leurs lieux de vies. Si, pour eux, leur ville n’est que l’endroit où ils rentrent dormir le soir, ils ne s’y enracineront pas…

C’est tout le problème. Le livre de Gérald Andrieu le montre très bien : toutes ces villes françaises qu’on a laissé devenir des cités-dortoirs, c’est ahurissant ! Cela prouve encore une fois que la décentralisation n’est pas qu’administrative, mais elle ne peut passer que par la reconstruction d’une industrie locale. La préservation des services publics est évidemment cruciale. Elle permet aux entreprises de vivre, aux populations de sortir de l’enclavement, à un territoire de respirer. C’est un travail à la fois de l’État, des collectivités locales, des individus, des institutions démocratiques. C’est tout cela qu’il faut repenser en même temps.

Dans votre livre, vous utilisez Castoriadis pour attaquer la démocratie représentative. En même temps, vous ne défendez pas la démocratie directe. Mais cette dernière ne devrait-elle pas représenter un horizon qu’il faudrait approcher ?

Oui, c’est pour cela que je m’intéresse énormément à l’échelon local, où il est possible de faire vivre une démocratie directe. C’est là qu’il est possible d’impliquer les citoyens. Mais j’exclue de moins en moins l’idée du tirage au sort associé au vote. Je pense qu’il n’est pas idiot de se dire que, dans certains domaines de la vie démocratique, des citoyens tirés au sort ne sont pas plus illégitimes que des représentants qui n’ont plus rien à voir avec le peuple et perpétuent leur caste. Il faut combiner l’un et l’autre. Je ne suis pas dogmatique sur ces questions. Je pense qu’il faut explorer. Tout fonder sur le tirage au sort et la démocratie directe à l’échelle d’une nation comme la France me semble compliqué. En même temps, cette défense crispée de la démocratie représentative dès qu’on évoque ces questions-là me semble révéler une volonté de garder le pouvoir entre les mains des élites.

L’État-nation n’est-il pas trop grand pour permettre l’émergence de ces formes de démocratie directe, comme a pu le montrer Olivier Rey dans Une question de taille ?

C’est possible. Mais pour l’instant, il ne me semble pas que nous ayons tellement mieux. L’État-nation n’est trop grand que si nous détruisons ce qu’il y a en dessous. Je crois aux différentes strates. De même qu’en tant qu’individus nous sommes une accumulation de strates identitaires. Nous avons notre identité individuelle, familiale, notre histoire au sein d’un territoire, notre identité nationale, nous sommes également européens – nous nous en rendons compte quand nous allons sur d’autres continents –, et nous partageons une humanité commune. Je pense aussi que les territoires doivent être organisés en strates qui ne doivent pas s’exclure. Il me semble que tous le travail des État-nations, et cela va être très difficile pour la France, va être de reconstruire ces échelons et ne pas en avoir peur.

Mais la formation de l’État-nation, depuis l’Ancien régime, ce n’est pas cette dépossession du bas au profit du haut ?

Bien sûr ! Mais comme nous avons été trop loin dans un sens, il faut changer de direction, fonder autre chose. Encore une fois, ça a été utile à un moment. La centralisation a permis de construire la nation. Elle a permis à un certain moment de bâtir la France. Il me semble qu’aujourd’hui, elle est contre-productive. Dans ce cas, on rééquilibre. C’est pour cela que j’ai consacré une entrée, dans mon livre, à la notion de “juste mesure”. Je ne crois pas qu’il faille cultiver le dogmatisme. Je crois qu’il faut rechercher la juste mesure. Les circonstances historiques nous obligent à nous adapter. Cela ne veut pas dire être fluctuant. Nous avons des principes, mais au nom de ces principes, nous nous adaptons aux excès, aux mouvements historiques et comme cela, nous préservons l’essentiel, à savoir une démocratie vivante.

« Mon bonheur à moi, c’est d’être en Touraine, à cultiver mes framboisiers, mes fraisiers, mes rosiers, les arbres. »

Une critique qui vous est souvent adressée, et qui est compréhensible, c’est votre rôle au cœur de la société du spectacle. Vous n’avez pas l’impression d’être la critique autorisée du système ?

C’est fort possible. Très honnêtement, je me pose la question à peu près tous les matins. Je ne sais pas. J’essaye de faire mon travail le plus honnêtement possible. Je suis arrivée là où je suis non pas parce que le système m’aurait concédé quoi que ce soit, ou m’aurait fait un quelconque cadeau, mais parce qu’il a été obligé de reconnaître que certains attendaient ce que je pouvais dire, qui n’était que le reflet d’une aspiration de beaucoup de citoyens. Ce n’est pas pour le plaisir qu’on m’a laissé de la place. Il se trouve que j’ai eu la chance de pouvoir prouver, à travers les mesures d’audiences, qu’il existait une attente. Comme je faisais de l’audience, on m’a donné la parole. Mais je sers en effet un système que je critique. Bien sûr que je suis dans des émissions qui relèvent du spectacle.

En même temps, j’ai grandi dans le journalisme avec Jean-François Kahn. Dans Marianne, il y avait des pages « Tu l’as dit, bouffi ! », des brèves centrées autour de jeux de mots, et des pages faits divers. Beaucoup de journalistes de l’hebdomadaire se bouchaient le nez en trouvant que ce n’était pas très glorieux. Jean-François me disait : « Vous n’aimez pas ces pages-là ? Mais regardez dans le métro ce que lisent les gens en premier dans Marianne ! C’est ça. Et c’est parce qu’ils viennent à Marianne pour lire ça qu’ils vont lire vos 14 pages sur l’Éducation nationale. » Je pense qu’il faut aussi aller chercher les gens là où ils sont. Je ne dis pas que j’ai raison. Peut-être que je me trompe. Peut-être que je ne fais que consolider le système que je critique et que je combats.

Mais quand je fais des reportages et des chroniques dans l’émission d’Ardisson sur le fipronil dans les œufs, dû à l’industrialisation de leur production, quand je consacre une chronique à l’antibiorésistance, en expliquant que ce sont avant tout les élevages industriels qui utilisent des antibiotiques et vont provoquer une catastrophe sanitaire majeure, il me semble que je fais un travail à peu près utile. Il est vrai qu’on ne sait jamais jusqu’à quel point on est la caution de ce système. Mais je me dis que je fais passer des messages et qu’ensuite, ceux qui veulent pourront choisir d’aller un peu plus loin, d’approfondir, et même de changer totalement de mode de vie. Est-ce qu’un jour, quelqu’un qui aura vu mes chroniques dans « Les Terriens du dimanche » se dira : « Je balance ma télévision par la fenêtre, je vais essayer d’aller inventer un nouveau mode de vie décroissant, qui respecte la planète, m’échapper du consumérisme et retrouver un lien avec la terre » ? Si oui, j’aurais gagné.

Mais est-ce que ce n’est pas paradoxal d’être une célèbre chroniqueuse à la télé, avec une position sociale assez enviable, et de prôner l’inverse aux spectateurs ?

Non, ce n’est pas l’inverse de ma vie que je prône. Ce n’est pas vrai ! Dans ma vie personnelle, je ne suis pas en contradiction avec mes principes. Je ne fréquente pas les milieux de la télévision. Mon bonheur à moi, c’est d’être en Touraine [dans l’Indre-et-Loire, NDLR], à cultiver mes framboisiers, mes fraisiers, mes rosiers, les arbres. Je n’allume pas la télévision chez moi. Je ne sais même pas ce qu’il y a d’autre que les émissions auxquelles je participe. C’est bien sûr paradoxal, mais je ne suis pas en contradiction avec mes valeurs.

Je comprends très bien. Oui, j’ai une position sociale avantageuse. Je fais partie de ces gens qui gagnent très bien leur vie, trop bien. Mais je fais aussi partie de ceux qui ne pratiquent pas d’évasion fiscale et qui restent dans cette société de redistribution, dans cette société solidaire. C’est peut-être con, mais dans ma vie de tous les jours, je regarde systématiquement où a été produit ce que j’achète. C’est vrai que cela va faire rire ceux qui n’ont pas de quoi le faire et crèvent de faim. C’est trop facile quand on a de l’argent. Oui, il y a des gens qui n’ont pas les moyens. Moi, je les ai, alors j’achète systématiquement des produits bios, à de petits producteurs français. Je paye plus cher pour soutenir des emplois en France. Je le fais parce que cela correspond à mes convictions. Je pourrais en effet me délester de tout mon argent et aller cultiver la terre. Pour l’instant, je suis dans ce moment de ma vie où j’essaye de faire entendre des idées. Et je ne peux le faire que parce que j’ai en tête que ce n’est pas ma vie. Ma vie ne va pas se passer à la télé. Je n’ai jamais voulu construire une carrière à la télé. Ma vie, c’est d’écrire des livres dans des lieux où j’aurai le temps de penser, de lire, le temps de respirer la beauté du monde, de vivre ici et maintenant. C’est à cela que j’aspire.

On pourrait vous revoir dans la presse écrite, plus que dans une chronique hebdomadaire ?

Je l’ai souhaité. Si ça n’avait tenu qu’à moi, je serais retournée à la presse écrite, avec un salaire de presse écrite. J’ai tout fait pour, mais ça ne s’est pas fait, peut-être parce qu’un journal ne se confie que difficilement à quelqu’un qui n’est pas du sérail…

« J’ai toujours été bouleversée par la littérature qui se consacre à dire la beauté du monde et sa fragilité, avec la capacité à décrire la diversité, la beauté de la nature, les sensations qui naissent en nous de cet émerveillement. »

En 2015, vous quittiez Le Grand Journal, expliquant que ce n’était pas un moyen d’expression adéquat. Vous n’avez pas eu peur de rejouer la même scène chez Ardisson, où vous êtes chroniqueuse à côté de Jeremstar ?

Si. Sauf que les chroniques que je fais sont sans commune mesure avec la question quotidienne qui m’était concédée au Grand Journal. C’était une escroquerie et c’est la raison pour laquelle j’en suis partie. Pour l’instant, même si c’est dans une ambiance de jeux et de rigolades, je n’ai pas à rougir de mes chroniques chez Ardisson.

Dans votre livre, vous consacrez plusieurs pages à la décroissance, thème que vous défendez de plus en plus. Comment en êtes-vous arrivée là dans votre réflexion ?

Peut-être qu’avec l’âge, je gagne un peu en sagesse ! J’ai commencé chez Chevènement. J’étais chez des industrialistes complets. En 2001, je suis arrivée là parce que le programme sur l’éducation me plaisait, ainsi qu’une certaine idée de la société et de l’État. Au congrès départemental, ils avaient besoin de jeunes et de femmes, alors ils me proposent de faire un discours. Qu’est-ce que j’ai fait ? Un discours sur les crises alimentaires et environnementales. J’expliquais qu’il était impossible de faire abstraction de ce qui est en train de bouleverser nos modes de vie. Je me souviens que je citais George Steiner et Dans le château de Barbe-Bleue, pour faire comprendre que nous ne savons pas ce qu’il y aura derrière la porte si nous continuons avec ce mode de production. J’avais déjà une intuition. J’ai fait un bide. Ils étaient ravis et ont applaudi. Mais je ne pense pas avoir convaincu Georges Sarre et Jean-Pierre Chevènement qu’il fallait réfléchir aux questions environnementales.

Et puis au fur et à mesure, j’ai commencé à m’y intéresser. Honnêtement, le fait d’être avec Périco [Périco Légasse, journaliste et mari de Natacha Polony, NDLR], qui passe sa vie avec des paysans, des vignerons et des agriculteurs, m’a aidé à comprendre que l’enjeu était absolument majeur. J’ai vu des gens qui travaillaient la terre et se posaient la question de la qualité et de la composition de modes de vie différents. C’est un croisement avec mes lectures aussi. Va savoir comment je suis allée lire Jacques Ellul. Je ne saurais pas dire comment j’y suis arrivée. Mais j’ai lu et j’ai compris qu’il avait tout compris.

On évolue tous. Moi, c’est entre 2002 et 2005 que j’ai commencé à réfléchir ces choses-là. Ce que j’avais lu de Pierre Rabhi aussi m’avait intéressée. Il s’agit d’un faisceau d’éléments. J’ai toujours été bouleversée par la littérature qui se consacre à dire la beauté du monde et sa fragilité, avec la capacité à décrire la diversité, la beauté de la nature, les sensations qui naissent en nous de cet émerveillement. C’est tout le sens du travail de Giono et de Colette. Ils sont capables de décrire une lumière, la couleur d’une fleur, une odeur qui vous bouleverse. J’y suis donc arrivé par la littérature, Périco, et la connaissance du monde paysan. Tout cela s’est croisé.

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2 réponses »

  1. J’aime vraiment beaucoup sa pensée, c’est une chance d’avoir ce genre d’intellectuelle dans notre paysage médiatique. Merci le comptoir !

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