Culture

Pèlerinage à Ostie, dans les pas de Pasolini

Le journaliste Flamen Keuj nous narre son pèlerinage vers la plage d’Ostie, près de Rome, où Pier Paolo Pasolini a été assassiné à coups de bâtons, avant de se faire rouler dessus par sa propre voiture, dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975.

16 juin 2014. Cinquième et dernier jour à Rome. Le lendemain, mon séjour italien se prolonge au sud en direction de Naples. Le temps est couvert sur la capitale italienne. Les conditions ne sont pas vraiment réunies pour un tour sur la côte. Qu’importe. L’objectif n’est pas de prendre des couleurs étalé sur une serviette mais de partir sur les traces de Pasolini, où plutôt de sa dernière nuit. Cette fameuse soirée du 1er au 2 novembre 1975 entre un restaurant romain et un terrain vague d’Ostie. C’est dans cette station balnéaire à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Rome que le corps mutilé du cinéaste a été retrouvé. Les circonstances de sa mort participent de la légende du personnage.
Mon petit périple démarre sur le quai de la gare. Les graffitis sur les quelques wagons à l’arrêt amènent un peu de couleur. Sur un banc, un père et ses deux fils patientent avant d’embarquer dans une rame.

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Une fois dans la rame, leur intermède musical bien rodé avec chant, percussion artisanale et accordéon ne récolte pas la monnaie escomptée. Partie remise.

Arrivé à Ostie, à peine cinq minutes de marche sont nécessaires pour rejoindre le front de mer. Sans surprise, il n’y a pas grand monde dans les rues à cette période. L’état des façades tranche avec le clinquant de la Piazza dei Ravenati.

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Après un rapide coup d’œil à la jetée d’Ostie j’emprunte l’artère principale le long des plages privatives.

Petite halte sur un bout de sable terne dont l’accès est public. Un homme traîne un vieux charriot sur lequel sont proposés des épis de maïs grillé. On se croirait presque à la sortie du métro Porte de Clignancourt.

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Après m’être trempé les pieds dans l’eau claire mais fraîche, je poursuis mon chemin jusqu’au port touristique de Rome dans la partie ouest de la ville. Une sorte de port du Crouesty en plus grand et avec un McDo en prime. Les forêts de parasols et les emballages de burgers jonchant les trottoirs donnent un bel exemple de ce fascisme de la consommation tant dénoncé par Pasolini. Un rapide échange de passes avec quelques gamins tapant le ballon permet aussi de faire le lien avec le grand amateur de foot.

C’est derrière ce haut lieu du tourisme de masse, séparé par une zone marécageuse à contourner, qu’a été inauguré le parc Pasolini, le 2 novembre 2005. Un événement mineur noyé dans le traitement médiatique des émeutes consécutives à la mort de Zyed et Bouna.

Ça y est, j’y suis. Je reste coincé derrière les grilles d’un lieu laissé à l’abandon, qui donnerait pas mal de travail à un jardinier à première vue. L’entrée du parc est cadenassée et un petit écriteau indique la présence de caméras de vidéosurveillance.

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Deux visiteurs d’un certain âge avouent partager ma déception. Une petite session escalade s’impose pour ma part, histoire de ne pas avoir fait tout ce chemin pour rester à l’extérieur. À côté de quelques sculptures et petits rochers remplis de citations se dresse la stèle sur laquelle est inscrite un extrait d’un poème du cinéaste : « Passif comme un oiseau qui voit tout, en volant, et porte dans son cœur, pendant son vol dans le ciel, la conscience qui ne pardonne pas. »

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La fermeture du site a au moins l’avantage de laisser le monument vierge de ces messages personnels aussi inutiles que fréquents sur les tombes d’artistes. La pluie commençant à tomber, il est temps de repartir. Les nombreux drapeaux italiens accrochés aux balcons des barres HLM du quartier Idroscalo ondoient de plus belle.

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Sur le chemin du retour, je repense au corps sans vie de Pasolini, ressemblant à un « tas de chiffon » selon la femme qui l’a trouvé au petit matin. Avec l’espoir que les sévices infligés l’ont été post-mortem. La visite de la tombe de Gramsci dans l’impeccable cimetière non catholique de Rome deux jours auparavant était clairement moins glauque.

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3 réponses »

  1. Une exposition de Ernest Pignon Ernest s’ouvre ce samedi 12 décembre
    sur Paris en hommage à Pasolini à l’openspace métro Richard Lenoir.

  2. Voilà un témoignage qui me touche au plus profond! …. je reviens de Rome, et n’ai pas eu le temps d’aller saluer ce cher Pasolini, sur ce lieu…mais j’ai passé du temps sur la tombe de Gramsci, nettoyé un peu les fleurs fanées….et laissé vagabonder mes pensées sur toutes ces belles âmes disparues…sous la pluie, dans ce beau cimetière, loin de l’agitation touristique! Une satisfaction personnelle profonde, dont je retrouve l’essence ici dans votre récit !

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