Culture

Daij : « La nouvelle génération veut tout, tout de suite »

Jied alias Daij, 25 ans, est étudiant en Staps à Nice et chanteur de rap. Après avoir participé, avec La Cour des Miracles, à un projet collectif intitulé Y’a plus l’temps, il sort son premier EP intitulé « Quatre Saisons ». Contrairement à la vague des rappeurs actuels dont la vision hédoniste pousse à « courir après le Porsche Panamera », Daij dresse le constat d’un monde en loques face auquel les valeurs de fraternité, de famille et d’honnêteté constituent des ilots de résistance. Rencontre avec un type simple et sincère.

jiji

Daij

Les premières notes annoncent un album mélancolique. Musicalement, Jiji, comme ses proches l’appellent, n’utilise pas de modificateurs de voix. La sonorité de sa musique n’a rien en commun avec ce qu’on entend sur les radios mainstream promouvant un rap high tech et égoïste. Cela s’explique sans doute par une véritable culture musicale. Esprit curieux, il écoute tout, depuis toujours. Aussi, pour ses chansons, il a sélectionné des samples aboutis qui reflètent son regard sur le monde. Sur des airs désenchantés, il pose un regard amer sur une époque où les hommes se croient tout puissants, « défient les dieux, font des guerres pour l’or noir, des diamants et de l’ivoire et dénigrent leurs valeurs pour encaisser un salaire. »

À l’ancienne

« Tous inquiets de leur image sur ces putains de réseaux sociaux . » Daij

lecoledumicrodargentFinalement, Daij ressemble beaucoup plus aux rappeurs des années 90, ceux qui décrivaient le monde qui les entoure. D’ailleurs, quand on lui demande qui sont ses références, il répond tout de suite « IAM et Kery James ». Peu de rappeurs contemporains trouvent grâce à ses yeux. Seuls Youssoupha, Brav, Nekfeu et ceux qui portent un vrai discours lui plaisent. Il déplore la course au buzz qui motive les rappeurs et voit le rap comme l’association fraternelle de gens vivant dans les mêmes endroits et parlant des mêmes choses.

À l’image de Nekfeu, il n’envisage pas de participation avec « de grosses pointures pour vendre des disques car le rap est avant tout un espace d’expression et non un business. » Il porte un regard critique sur l’évolution du rap ces dix dernières années. Il décrit un univers reflet d’une époque caractérisée par l’individualisme exacerbé et voit beaucoup de rappeurs avant tout animés par la volonté de marquer leur passage. Cette obsession d’être connu se retrouve à chaque coin de rue, chez à peu près tout le monde. Il cite mille exemples, parmi lesquels la mode du tatouage exhibé, symbole d’un désir d’être remarqué. Dans un monde où « tous veulent voir leur nom briller », Jiji se sent décalé, en dehors du coup. dragonball-zS’il utilise les outils informatiques, c’est avant tout pour garder le contact avec ses proches et diffuser sa musique. Néanmoins, il craint que les nouvelles technologies, smartphones et autres réseaux sociaux ne favorisent le développement de l’orgueil, de l’individualisme et isolent les gens. Nostalgique, il regrette « l’époque DBZ, celle où on allait chercher ses copains en bas de chez eux, où on tapait des foots jusqu’à pas d’heure ». Il est désabusé par une génération qui « veut tout, tout de suite. Maintenant, tout est à portée de main. Moi, j’ai eu mon premier tel en terminal. »

Pessimiste de raison, optimiste du quotidien

Quand on lui demande d’où lui vient cette « Vision des choses » (il s’agit de l’un des titres de l’album), il évoque sa famille et ses voyages. « J’ai eu la chance de voyager deux ans, en auto-stop en Nouvelle-Zélande, Indonésie, Maroc et Tunisie. Voir d’autres cultures, ça permet de relativiser pas mal de choses que nous vivons ici. » Lorsqu’on lui parle du climat actuel, il oscille entre espoir et désespoir. S’il voit l’avenir s’assombrir à la veille des élections présidentielles, il n’en demeure pas moins volontaire et optimiste au quotidien.

« Le voyage est la seule chose payante qui enrichi » Daij

burkiBien qu’il soit de confession musulmane, il ne se sent pas impliqué dans les polémiques actuelles. Du burkini à l’affaire du restaurant Le Cénacle (où deux jeunes filles voilées ont pris en “flagrant délit” le patron refusant de les servir en raison de leur religion), il préfère boycotter BFM et les chaînes d’infos déprimantes qui, selon lui, parasitent les relations humaines. Et lorsque je lui détaille l’affaire du Cénacle et les réactions qu’elle a provoqué chez certains musulmans, notamment les appels à ruiner la réputation du restaurateur et les demandes de sanctions sévères, il s’inscrit en faux et dénoncent les postures revanchardes, préférant la patience et le pardon.

Bien qu’il se considère antiraciste, il n’adhère pas non plus aux discours de ceux qui font de l’antiracisme un fond de commerce. Contrairement aux discours victimaires et communautaires, Daij appelle à dépasser les critiques et insultes en s’y montrant indifférent. La meilleure réponse, pour lui, réside dans nos rapports avec les autres au quotidien. S’il reconnait que le matraquage médiatique influence les gens et peut entraîner des réflexes racistes, il est convaincu que la frange raciste dans ce « si beau pays », comme il aime à le rappeler dans ses textes, est relativement minime. Il se garde de juger des gens dont il ne connait ni le parcours, ni ce qui les a poussé à adopter un tel comportement.

quatre-saisonsDaij assume son discours de vieux, limite réac’. « Peut-être que ma génération est la dernière à avoir des valeurs de partage, solidarité, respect ! » Alors qu’il constate que le navire coule, Daij refuse de sauter dans le canot pour sauver sa peau en prenant un maximum de blé, quitte à vendre son âme. À l’inverse de nombre de rappeurs exaltant l’argent, la drogue et les femmes, Jiji est un romantique. Ses textes et sa musique s’en ressentent. Dans le dernier morceau de l’album, qui s’intitule Yama (Ma maman, en arabe), il rend hommage à sa mère, à qui il « doit beaucoup, qui lui a transmis sa double culture et une éducation pleine d’amour. » Face aux méfaits de notre société, la famille demeure un doux rempart. Et comme un symbole, l’album débute avec un constat amer et un rejet d’un monde lamentable pour finir avec un morceau sur « la femme de sa vie ».

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